AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Jean Rouaud (277)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Les Champs d'honneur

MARS 1991

N° 55





LES CHAMPS D’HONNEUR - Jean ROUAUD - Éditions de Minuit - Prix Goncourt 1990.





Dans ma quête incessante de bonnes lectures j’ai découvert, grâce, il est vrai, à l’Académie Goncourt, le roman de Jean Rouaud. Je n’ai, bien sûr, aucun mérite à louer cet ouvrage déjà couronné par ce prix prestigieux, mais je m’en félicite cependant car mon lecteur m’accordera que je n’ai pas toujours partagé le choix de ce jury... Tant s’en faut! De plus, pour une fois qu’un jeune auteur est couronné pour son roman et que le prix ne va pas au traditionnel « Galligrasseuil », je pense que cela mérite une mention particulière.



Au-delà de l’histoire racontée, ce qui a retenu jusqu’au bout mon intérêt c’est, ligne après ligne, le style à la fois précis et volubile de l’auteur où l’humour subtil s’insinue sans cesse. Il peint parfois un sourire complice sur les lèvres de son lecteur, l’amène sûrement jusqu’au bout du récit avec l’envie d’en savoir plus.



C’est vrai qu’à juste titre, on commençait à déplorer que notre époque perde le goût de l’écriture, que cette dernière n’était pas seulement une succession de mots articulés en phrases qui, à mesure devenaient des chapitres et finissaient par faire un livre. Il devait bien y avoir quelque part des gens (des écrivains au sens vrai du terme) qui possédaient en eux un talent pour faire que ces mots qu’ils écrivaient ne soient pas seulement des signes. Il devait bien y avoir des magiciens qui pouvaient tenir en haleine leur lecteur par la seule force de leur écriture parce qu’elle était éminemment simple, poétique et subtile à la fois, et transformait la lecture dont on craint de plus en plus la disparition, en une partie de plaisir, une jouissance même!



C’est vrai que ce roman est de ceux qui font que l’envie qu’on porte en soi de lire redevient elle-même, et que ce texte qui évoque si joliment les gens simples et humbles nous parle à lui seul. Bien que la progression de la phrase soit parfois difficile à suivre (c’est son style et il n’est point désagréable), il procède par petites touches successives et significatives pour évoquer les lieux et les hommes.



Je l’ai dit sa phrase est largement émaillée d’humour, de drôlerie même, mais il reste cependant, le livre refermé, une atmosphère bizarrement triste, propre à ces gens qui n’ont pas d’histoire et dont l’auteur choisit de nous raconter la vie. Dans l’existence de cette famille, point de rencontre au sommet avec de grands personnages, point d’actions d’éclat! Rien que du quotidien avec ses joies, ses peines, ses sourires et ce petit côté amer que nous connaissons tous.



L’émotion qui baigne tout ce livre éclate à la fin, ce qui explique le titre. Jean Rouaud a des mots simples pour évoquer « La Grande Guerre » qui reste dans l’inconscient collectif la plus cruelle et la plus dévastatrice, que l’homme s’est promis de ne plus recommencer mais qui reste cependant un modèle qu’on répète malgré tout à chaque fois à force de vouloir l’éviter.



La guerre reste la guerre et les gens simples qu’il évoque en ont payé le prix tout comme ils ont versé leur écot au temps qui fuit et qu’on mesure à l’aune des enterrements et des souvenirs.
Lien : http://hervegautier.e-monsit..
Commenter  J’apprécie          132
L'imitation du bonheur

Cette fiction s'élève à un niveau auquel peu d'auteurs actuels peuvent prétendre. Virtuose et expérimenté, Rouaud a réussi un roman ambitieux, durant lequel on se se réjouit, malgré la lenteur de l'action et sa longueur − c'est un pavé de 600 pages − et qu'après la lecture on continue de savourer, avec le sentiment d'avoir découvert une perle et le souvenir de scènes inoubliables qui semblent avoir été vécues intimement.



Pour moi, Jean Rouaud, c'était jusqu'ici le Goncourt 1990[1] qui détaille les essuie-glaces bancals d'une 2 chevaux et la pluie, toujours cette pluie de Loire-Atlantique que personne n'a mieux rendue en littérature, et puis la famille, beaucoup d'autobiographies avec la famille et ses morts. Je l'avais peu lu jusqu'ici.



Il ne s'agit pas d'un roman traditionnel, mais plutôt d'un réquisitoire pour le genre romanesque par le biais d'une histoire d'amour abordée comme une tentative expérimentale. Car on ne raconte plus ce genre d'histoire comme autrefois, le romanesque d'antan s'est perdu, mais la nostalgie reste de ces grandes œuvres populaires de l'imagination. L'héroïne du récit est "la plus belle ornithologue du monde", Constance Monastier, laquelle est vouvoyée par l'auteur tout le long du récit, particularité qui peut sembler venir du nouveau roman dont l'auteur se rit d'ailleurs discrètement. Derrière ce vous, il y a de la tendresse, de l'admiration, presque un sentiment amoureux tant Rouaud semble empli du personnage qu'il raconte avec une délicate empathie.



Dans la seconde moitié du 19ème siècle, Constance est l'épouse malheureuse d'un maître soyeux des Cévennes, ce Monastier qui lui a donné un fils et qui la visitait toute jeune encore dans sa chambre à la mort de son père, jardinier du domaine. Elle n'aime pas ce mari qui a fait d'elle une bourgeoise mais voue une passion pour les oiseaux. Une grande part du récit raconte le retour de Constance de Paris vers le sud, après une visite à son fils en pension, et durant lequel, lors de la partie du voyage en diligence, le hasard met sur son chemin Octave Keller, blessé, réchappé de la Semaine sanglante de la capitale et qui tente de fuir par les Cévennes pour gagner l'Espagne. Je viens avec vous, la phrase charnière, une clé qui fera de vous, Constance Monastier, une femme différente, déterminée, responsable et enfin amoureuse. Mais je n'en dis pas trop de ce miracle − quelque chose de sublime ici, dans la progression de l'idylle par petites touches − entre la ravissante rousse et le communeux en fuite, corps de la narration autour de laquelle, avec une volubilité maîtrisée, Rouaud fait graviter une foule de digressions distrayantes, instructives, singulières. De là un récit qui avance très lentement, coupant les phrases par de longues incises entre parenthèses (un peu à la manière de Eric Chevillard dans "L'auteur et moi", l'absurde en moins).



Non seulement on nous raconte une histoire mais on nous explique aussi comment on la fait, les difficultés de certains choix et surtout comment ou aurait pu la faire si on avait respecté les attentes très grand public d'un réalisateur de cinéma, introduit par enchantement dans la narration. Ce cinématographe qui ne va plus laisser grande part à l'imagination du spectateur. Rouaud intervient souvent en tant qu'auteur, de manière très divertissante et clairvoyante, établissant des parallèles avec l'époque actuelle, en expliquant à Constance ce qu'elle ne connaît pas encore de son temps, la prévenant même de ce que la vie lui réserve. La technique utilisée par Rouaud est d'une rare force, car il se permet tout, voyage dans le temps, interpelle les époques, les légendes et son héroïne, invoque l'histoire (l'insurrection de la Commune de Paris, avec en exergue l'Admirable Eugène Varlin, personnage historique exécuté par les Versaillais) et la modernité avec des découvertes comme la photographie, le cinéma, etc... Il dénigre autant ses personnages antipathiques[2] qu'il excelle dans la façon de rapporter le charme de son ornithologue: "...rien de saillant, rien de rond, dans ce profil, tout un art de la négociation, entre courbes, angles et droites. En le traçant dans l'air il me semble l'avoir recueilli au bout de mes doigts, comme un jardin fleuri tient tout entier dans l'essence d'un parfum."



Zola, surnommé railleusement l'inspecteur, est aussi convoqué à de nombreuses reprises, surtout pour dire ce qu'il aurait écrit à tort, ce maniaque du réalisme, de démolisseur d'imaginaire. Inutile de dire que le naturaliste est malmené par Jean Rouaud, adepte inconditionnel d'une littérature où l'invention reste reine.



Une telle diversité dans un même livre s'avère exigeante pour le lecteur, car on s'éloigne souvent du récit central pour voyager au fil des pensées vagabondes de l'auteur. Elles font toujours sens, mais il faut de la détermination pour accepter d'être ainsi ballotté. Heureusement, l'écriture ne faiblit jamais et maintient le tout très haut, à la fois légère et chevronnée: les changements de rythme passant de la nostalgie à la jovialité ou au sarcasme, le va-et-vient entre les époques et dans le monde, la succession d'incises habilement glissées, tout fonctionne de manière épatante. Querelle de chapelle dans laquelle Rouaud reconnaît d'ailleurs être injuste.



Quand un livre nous a beaucoup donné, on a envie de le rendre à travers le billet qu'on lui consacre: voilà l'idée lue il y a quelques temps dans un commentaire de la blogosphère. J'espère n'avoir pas restitué démesurément les contentements que m'a procurés cet ouvrage. Je ne saurais, en tous cas, que conseiller de s'essayer à sa lecture.



[1] Les Champs d'honneur aux éditions de Minuit.

[2] Sur ce plan, l'attitude des voyageurs lors du trajet en diligence est un vrai morceau d'anthologie.




Lien : http://www.christianwery.be/..
Commenter  J’apprécie          132
Comédie d'automne

Voilà une Comédie d’automne qui s’impose comme une évidence en cette rentrée littéraire et qui clôt en beauté La Vie poétique de Jean Rouaud, sa série autobiographique commencée il y a douze ans, série aux airs de Monde d’hier (Stefan Zweig).

S’il ne s’agit pas pour l’auteur de raconter sa vie, mais plutôt de retracer un chemin d’écriture en s’interrogeant sur son époque, Comédie d’automne revient de façon pittoresque sur son premier roman, Les Champs d’honneur (Minuit, 1990), dont l’éditeur ne pensait vendre que 350 exemplaires. Surprise, le roman sera couronné par le Prix Goncourt. Repéré avant parution par quelques libraires, révélé par quelques journalistes (dont Jean‐Louis Ezine du Nouvel Observateur qui, l’ayant lu avec enthousiasme, écourta ses vacances pour remonter précipitamment à Paris remettre son article), le livre va vite s’imposer auprès du public. Le succès des Champs d’honneur réhabilite le roman balzacien et enterre le Nouveau Roman, voilà ce que raconte aussi cette Comédie d’automne qui retrace le parcours inédit d’un primo romancier dont la profession était alors kiosquier – marchand de journaux ! presque un affront dans le monde des lettres. L’ouvrage évoque aussi son engagement sincère et jusqu’au‐boutiste pour la poésie, le rapport à son éditeur, les entourloupes du Goncourt, la vie autour du kiosque de la rue de Flandre, dans les anciens faubourgs de Paris, ou encore sa rencontre avec le photographe Robert Doisneau. L'ensemble se révèle étonnant, émouvant parfois, drôle souvent, et comblera le lecteur curieux d'en savoir un peu plus sur les coulisses littéraires, celle du Goncourt bien sûr et comment on l'obtiend, mais aussi sur la naissance d'un écrivain - et d'une œuvre. Génial.
Commenter  J’apprécie          110
Des hommes illustres

J'ai fait la connaissance de Jean Rouaud l'année dernière avec Les champs d'honneur, où il racontait une partie de sa famille en Bretagne, avec beaucoup de talent. Cela m'a donné envie de continuer avec Des hommes illustres où l'auteur nous parle de son père, ce héros, mort prématurément à 41 ans. Il nous en parle avec infiniment de tendresse, d'admiration et d'humour, tout en n'oubliant pas de truffer son roman d'anecdotes loufoques (un magasin de porcelaines entièrement lavées dehors en plein champ avec l'aide du village, une procession religieuse où le curé en extase fonce droit sur une bouse de vache sur le chemin, etc).



A côté de ça, un passage plus douloureux sur cette période où la Bretagne fut définitivement défigurée par un remembrement rural imbécile et ravageur. Dévastateur aussi pour les Bretons qui passèrent, contraints et forcés, du rang de paysans à celui d'exploitants agricoles.



Malgré tout, l'humour est bien présent, et ce livre ne m'a donné qu'une envie: continuer la découverte de cet auteur qui décidément a tout pour me plaire.



Challenge des 50 objets 2021-2022
Commenter  J’apprécie          110
Les Champs d'honneur

Voici un livre à déguster comme un bon vin pour en apprécier toutes les saveurs car il est facile de se perdre dans cette chronique familiale atypique qui tourne autour des 3 décès successifs qui ont marqué la vie de l’auteur : son père, à l’âge de quarante ans, une tante âgée qui vivait auprès de la famille puis son grand-père maternel. En toile de fond, la Grande Guerre décrite en quelques pages mais avec une telle concision et une telle efficacité qu’elles valent tous les longs discours sur le sujet car le talent de Jean Rouaud tient dans la précision remarquable des mots choisis pour traduire une émotion, décrire une situation ou une ambiance. Nantes sous la pluie de novembre est un morceau d’anthologie. Cette virtuosité qui frise l’exercice de style dans certains passages nuit parfois au récit qui perd alors en authenticité.
Commenter  J’apprécie          111
Les Champs d'honneur

Un prix Goncourt surprise, en 1990, pour le premier roman d'un vendeur de journaux (expérience qu'il racontera ultérieurement dans Le kiosque)... et un vrai petit chef d'oeuvre.



A sa sortie, la critique unanime et les lecteurs - dont je faisais partie ! - ont été saisi par la qualité absolument remarquable du style de l'auteur et, porté par le bouche à oreille, il s'en est vendu plus de 500 000 exemplaires !



C'est un roman avec une forte inspiration autobiographique.



Les Champs d'honneur constitue le premier volet d'un cycle retraçant l'histoire de la famille de l'auteur, qui se poursuit par Des hommes illustres (sur la figure du père), Le Monde à peu près (sur le deuil du père) et Pour vos cadeaux (portrait de la mère), et qui se clôt avec Sur la scène comme au ciel (la cérémonie des adieux), l'ensemble composant une sorte de livre des origines.



Tout au long du récit, à la composition éclatée, il est impossible de ne pas être touché par la tendresse, la tristesse (Rouaud parle beaucoup de la guerre), mais aussi la joie et parfois l'humour qui émanent de chacun des lignes au style classique admirable (je me répète, mais c'est vraiment l'impression générale qui se dégage de cette lecture : quelle plume !).



Un des plus beaux Goncourt de l'après-guerre.
Lien : https://www.letournepage.com..
Commenter  J’apprécie          111
Les Champs d'honneur

C'est peu dire que j'avais adoré le premier livre de Jean Rouaud qui m'a été donné de lire : "L'imitation du bonheur". Pourquoi ce style apparemment simple et rythmé m'avait-il à ce point comblé ? Aussi par deux soirées en gîte, avant et après quelques ascensions, je tombe sur le premier roman De Rouaud (qui est le premier aussi d'une série autobiographique constituée par Les Champs d'honneur, Des hommes illustres, le Monde à peu près, Pour vos cadeaux et Sur la scène comme au ciel).

Au ras de l'océan atlantique, dit alors Loire inférieure et devenu Loire atlantique pour ne plus abaisser ces pauvres gens, comme on a rehaussé les Basses Alpes en Alpes de Haute Provence, nous voici embarqués à bord de la 2 CV du grand père de l'auteur. le manque d'altitude du pays Nantais, la hauteur de ces braves gens (et ce n'est en rien une oxymore dans mon esprit) nous étonne. D'où vient le titre qui évoque nécessairement la grande guerre ? Nous sommes avec de petites vies, une petite " deudeuche " et une tranquille paix intérieure nous porte vers un calme alarmant. Où est la grande oeuvre qui a obtenue le Prix Goncourt ?

Elle viendra sans doute et sûrement à la lecture des 4 livres qui suivent. Tout espoir est permis, le calme qui nous envahissait était aussi trompeur. La guerre, la Grande arrive avec son cortège d'abominations. Elle était là à l'affût et au premier moment d'inattention a bondi hors de sa tanière. L'auteur nous détaille quelques passages sur l'action du chlore appelé Ypérite en raison de son déversement sur la région d'Ypres. Ils vont être emportés et nous avec eux. La surprenante narration agit comme un philtre.

J'attends avec impatience de lire la suite. Jean Rouaud me plaît. Et au delà de l'imitation du bonheur, il y en a un, non feint, à le lire.
Commenter  J’apprécie          110
La vie poétique. Tome 1 : Comment gagner sa v..

Voyage en pays de nostalgie, je me retrouve dans l'évocation de cette période, dans les rêves décryptés par le recul de l'expérience. Beaucoup de pudeur et de poésie imprègne ce passé pas si lointain mais qui semble ici appartenir à la préhistoire tant les rapports humains ont changé. La naïveté tenait lieu de foi inébranlable en un monde meilleur. Jean Rouaud y a-t-il jamais cru ? Je ne le crois pas, il semblait déjà "ailleurs", il suivait en spectateur, trop contemplatif,déjà adulte peut-être. Il laissait les illusions des lendemains qui chantent à d'autres, plus en phase avec les discours enflammés du moment.

Je le sais, j'ai le même âge et ai vécu dans la même région, mais moi, j'y croyais, l'éducation sans doute. A mille lieux de son comportement mais aujourd'hui, le temps a fait son oeuvre et je souris. Son idéal se situe dans une grande humilité face à l'existence, face aux autres, aux grandes questions existentielles, sans réponses. Il n'y a pas de mode d'emploi, à quoi bon chercher et quoi chercher ?

Regarder, c'est déjà comprendre et cela doit suffire à son bonheur.

Heureux homme.
Commenter  J’apprécie          110
Les Champs d'honneur

Chapeau l'artiste qui, tel un magicien, enchaine les tours sans qu'on n'y voit jamais que du feu : la langue est exigeante, mais fluide ; la construction prends des détours incroyables, mais il suffit de se laisser porter ; les images et les situations sont palpables ; l'humour est là, en permanence, mais sans se faire pesant, cet humour accompagné d'une lucidité implacable mais bienveillante vis-à-vis des personnages sortis du passé que l'auteur revisite. C'est léger et pourtant on accède au coeur des choses.
Commenter  J’apprécie          100
Les Champs d'honneur

Un livre que j'ai trouvé magnifique à bien des égards. Le style, bien sûr, remarquable. La première partie du livre est particulièrement travaillée. Le résultat est superbe, même si l'on sent le travail de l'auteur. La seconde partie est nettement plus fluide.

Par une mosaïque d'observations, l'auteur décrit des vies simples, rendues riches par un oeil auquel rien n'échappe. La mort est omniprésente, sans émotion surfaite, en une simplicité naturelle. L'auteur s'attache à analyser l'empreinte que laisseront les disparus, longtemps après. Un livre d'une grande subtilité.
Commenter  J’apprécie          102
L'avenir des simples

"Tous les doigts levés tendent à détourner notre attention de nos vies, à nous mutiler de nos mains, de nos esprits, à nous dépouiller de ce temps limité qui nous est imparti et qui ne peut pas être un temps à rembourser des emprunts, un temps à travailler jusqu'à épuisement, un temps de n'avoir le temps de rien." tiré de L'avenir des simples, de Jean Rouaud: un pamphlet contre l'industrie alimentaire, la confiscation des sources d'eau par les grandes compagnies, l'individualisme effréné et total, Monsanto, etc., mais aussi pour et parce que "le poireau préfère les fraises" (ceux qui liront comprendront). Rouaud s'indigne donc, avec style, avec verve, souvent à raison, car comme disait Louise Michel : "Celui qui commande se déprave, celui qui obéit se rapetisse".
Commenter  J’apprécie          100
Les Champs d'honneur

Je vais tenter de faire court car les critiques longues me découragent parfois. J'ai lu toutes les autres critiques avant, après hésitation, d'en ajouter une : il y en a (les plus plébiscitées) qui ont fait l'effort d'en écrire de précises, réfléchies, aussi je dirai simplement que je me suis demandé aussi comme d'autres le pourquoi du titre et que je trouve que le choix de décrire la manière de vivre de quelques personnes n'ayant pas été au front est bien vu, nous rappelant que la guerre a engendré chez les proches le mutisme, une souffrance lancinante qu'on évite comme on peut, en ayant des croyances déraisonnables ou en donnant toute son reste d'énergie aux autres, en économisant ses paroles...L'écriture est précise, délicate, élégante, drôle souvent. A quoi sait-on qu'on a affaire à un véritable artiste ? - au fait qu'il a son style propre. Rouaud en a un.

Quelqu'un a écrit que l'évocation de la 2 cv serait fictive : il ne faut peut-être pas confondre Jean Rouaud et le narrateur de ce livre.
Commenter  J’apprécie          102
Les Champs d'honneur

La famille de Jean Rouaud ne m'est plus inconnue. Pourquoi donc, alors que je fuis comme la peste tous ces récits autofictionnels où s'étalent différents drames et maladies d'un parent, enfant, grand-parent, frère, etc., lis-je avec délectation ces évocations d'une France des années 50 / 60, dans l'encore appelée Loire Inférieure, avec ses commerçants et petit peuple laborieux, d'une vie familiale comme tant d'autres, traversée de petits bonheurs et tragédies comme tant d'autres? Le secret est sans doute dans le regard tendre et amusé de l'auteur, où soufflent les vents mauvais de deux guerres mondiales, mais aussi dans ces grandes envolées sur les pluies (et dans ce département il y a à dire!), ou la 2 CV du grand père. bref, un petit monde transcendé par l'écriture.
Lien : http://enlisantenvoyageant.b..
Commenter  J’apprécie          92
Les Champs d'honneur

J'avais découvert ce livre au moment de l'attribution de son prix Goncourt (1990) et je n'en avais pas gardé un souvenir précis. J'ai donc voulu le relire maintenant. Indiscutablement, Jean Rouaud écrit fort bien. Après ce premier roman, il en a publié d'autres qui ont été bien accueillis par le public, mais que je n'ai pas lus.



Dans "Les champs d'honneur", l'auteur commence à évoquer une lignée familiale, la sienne. Il veut réhabiliter l'histoire de cette famille, « laissée pour compte » au profit de l'histoire officielle . Pour lui, ces personnages modestes, presque oubliés et d'apparence quelconque méritent tout son intérêt, mais aussi toute NOTRE attention à nous les lecteurs, qui ne connaissent pas ces anonymes. Par petites touches, il dresse une galerie de portraits hauts en couleur, comme par exemple ceux du grand-père (avec sa clope et sa 2 CV) et de la tante (l'institutrice célibataire). Tout ceci est assez touchant, mais je l'avoue: ça m'a semblé anodin et je me suis un peu ennuyé. D'autant que J. Rouaud prend tout son temps, entre dans les détails, "s'amuse" par exemple à écrire longuement sur la pluie et le beau temps. C'est vrai: il consacre des pages à la météo de la Loire-Atlantique ! J'ai bien noté cette manière de prendre tout son temps, de décrire les choses avec bonhomie, de butiner de personnage en personnage, en se focalisant sur les humbles gestes de tous les jours. Je me demande si ce n'est pas un procédé littéraire prémédité, pour envoyer finalement au lecteur une claque violente. En effet, la rupture de ton est très nette vers les deux-tiers du roman, quand l'écrivain avec des mots terribles évoque l'effroyable guerre de 14-18 et le destin de ses grands-oncles; l'introduction des gaz de combat dans l'arsenal guerrier est particulièrement horrible.



En définitive, l'impression que je retire de cette seconde lecture est assez mitigée, car je n'ai pas pris un immense plaisir à lire la prose de Rouaud. Je pense que la plupart des lecteurs ne partagent pas mon impression.

Commenter  J’apprécie          91
Les Champs d'honneur

Lu à sa sortie, je me souvenais que c'était bien mais pas de ce que ça racontait. Relu trente ans après, c'est bien mieux que bien! Un véritable chef d'œuvre en fait, appréciation fondée sur la lecture de dizaines de bouquins entre ces deux bornes. Un style impeccable pour raconter une histoire de famille de Loire Inférieure (on ne considérait pas une telle appellation comme dégradante à l'époque) avec justesse, humour et profondeur. Un chapitre entier sur les différentes manières dont tombe la pluie dans ce pays, et les champs d'honneur du titre qui n'arrivent que dans les dernières pages, bouleversantes. Les Goncourt de ces dernières années souffrent de la comparaison avec celui-ci…
Commenter  J’apprécie          81
La constellation Rimbaud

Constellation : groupe apparent d'étoiles qui présente un aspect reconnaissable.



En ayant simplement fait partie de leur vie à un moment ou à un autre, Arthur Rimbaud aura donné à nombre de ses contemporains une postérité littéraire.

C'est sur ces personnes plus ou moins anonymes, sur ces lieux traversés par "la comète Rimbaud", que Jean Rouaud jette un éclairage dans son essai La constellation Rimbaud.



Arthur Rimbaud, l'éternel adolescent poète, irrémédiablement associé à Verlaine, élevé au rang d'icone, qui aura pour toujours 17 ans.

Et pourtant, le poète n'a plus écrit de poésie après l'âge de vingt ans.

Et pourtant, sa liaison avec Paul Verlaine n'aura duré que quatre ans, mais quatre années de passion destructrice et une fin explosive, qui marquera les esprits, le fameux coup de feu qui envoya Verlaine en prison.



Jean Rouaud offre une vision élargie de la constellation Rimbaud, ses camarades d'enfance, son maître d'école, les artistes qu'il aura croisés à Paris, à Bruxelles, les négociants rencontrés en Afrique. Et bien sûr, sa famille, Vitalie, la mère vers qui il retournera à chaque problème de santé, Isabelle, la sœur qui prendra soin de lui durant les derniers mois de sa vie, mais aussi son père absent et Frédéric, le frère renié.

Il nous abreuve d'anecdotes diverses : le chanteur Hubert-Felix Thiefaine dénonçant une erreur sur la tombe de la mère de Rimbaud, les spéculations sur l'identité de Jef Rosman, un peintre ayant laissé une œuvre unique derrière lui...



Cette suite de noms, de lieux, peut parfois paraître indigeste à qui veut tout savoir, tout retenir, mais il n'en est pas moins fascinant de suivre "la comète" dans ses expéditions.

J'ai beaucoup apprécié cet essai complet et instructif, ainsi que le ton très personnel de l'auteur, dans lequel on peut parfois percevoir une certaine malice ou ironie.

Commenter  J’apprécie          80
Les Champs d'honneur

Les Champs d'honneur est le tableau d'une famille à l'époque où la Loire-Atlantique s'appelait encore la Loire-Inférieure. L'auteur évoque l'image de trois personnages principaux de sa parenté. Alphonse, le grand-père maternel, dont le tabagisme colore de manière drolatique la pilosité et constitue un danger pour la conduite de son auto, grand consommateur de confiserie devant l'éternel, la grand-tante Marie, institutrice à la belle longévité, grenouille de bénitier, experte dans l'intercession auprès des saints, et Joseph, le père trop tôt disparu, à peine mis en scène, si ce n'est sous la forme de macchabée.



Le premier roman de Jean Rouaud est bien plus qu'un coup d'essai. Très bien reçu par la critique, il a finalement été récompensé par le Prix Goncourt 1990 alors qu'il n'avait même pas été présélectionné à l'origine. Le style est remarquable, l'auteur a le sens de la formule, le récit est parcouru d'un indéniable sens de l'humour, un brin goguenard, jamais méchant, pas bouffon non plus. C'est probablement l'expression d'une certaine forme de pudeur. Imperceptiblement le ton du texte s'infléchi vers le mélancolique et le tragique, ce qui nuance l'histoire, la parachevant remarquablement. Les plus de trente ans auront, à la lecture du récit, des réminiscences amusées avec Bobosse, l'inénarrable 2 CV de grand-papa, tenant son sobriquet de sa forme concassée que lui valurent les innombrables écarts et fausses manœuvres du conducteur. La description des particularités météorologiques de la région nantaise est aussi très cocasse. Un bien joli livre.
Commenter  J’apprécie          80
Kiosque

Le passage qui suit est révélateur de ce qui constitue "Kiosque", de ce qu'y a déposé Jean Rouaud, ce kiosquier de Paris qui allait recevoir le Goncourt en 1990 ("Les champs d'honneur"). Il était vendeur des journaux car il fallait bien vivre – l'écriture ne nourrit pas son homme – en attendant la reconnaissance littéraire.

"[...] une journée au kiosque avait aussi sa cueillette de mots drôles. J'aurais été bien avisé de les collecter. Mais je ne crois pas y avoir pensé. Je considérais alors qu'écrire n'était pas un travail de greffier, et la haute fonction que j'assignais à la littérature n'était pas prête à recevoir ces perles de la rue. Non par dédain, ils me rendaient souvent admiratif, mais les critères de mon visa d'entrée en poésie étaient sévères qui passaient au tamis le vocabulaire et n'en retenaient que les mots épurés. Ce fut l'essentiel de mon travail de les adoucir. C'est précisément au kiosque, au cours de ces sept années, que s'est opérée cette transmutation. Laquelle consistait à admettre ceci, qui ne se réalise pas du jour au lendemain mais est un long processus : il n'y a pas de choses viles (et on ne parle pas des actes vils) sinon par le regard que l'on porte sur elles. Dès lors on peut déposer comme offrande dans le temple poétique toute une brocante d'indésirables au rayon des précieux : une 2 CV bringuebalante, des verres Duralex modèle Picardie (à côtes) ou Gigogne, un dentier en or, ou la statuette d'un Joseph en plâtre portant son enfant adoptif sur le bras."



Dans un premier temps, Rouaud nous plonge dans le théâtre qui se déroule devant le guichet de l'aubette à journaux [un kiosque en Belgique] où semble défiler le monde entier. C'est l'humanité au coin de la rue, tragique ou cocasse, vue d'un œil empathique et généreux. L'actualité de ces années est ravivée. Dans les années 80-90, on était encore au temps de la "préhistoire de l'information" (sic), sans l'internet, et les publications en kiosque avaient encore leur importance. Certains clients, des étrangers dans ce quartier de la rue de Flandre, suscitaient l'intérêt : "J'apprenais beaucoup de leurs commentaires agacés ou désabusés quand ils démontaient devant moi les analyses des prétendus spécialistes de l'actualité étrangère, me prouvant par A+B que ce qu'ils racontaient ne tenait pas debout."



Dans un second temps, le récit revient au Rouaud qu'on connaît de "L'invention de l'auteur", celui qui réexamine la genèse de son premier récit familial et confie ses hésitations d'artiste. À l'époque de ce boulot au kiosque, il est encore sous l'influence des modes, le nouveau roman achève de s'expérimenter diversement, Rouaud tâtonne, mais les rencontres sont salutaires (Jérôme Lindon) et le chemin se fait : "Car la question qu'on pouvait poser aux maîtres du temps [l'avant-garde] qui jamais ne s'étaient confrontés au récit était celle-ci : comment pouvait-on ignorer le monde à ce point ?" Puis les descriptions de la pluie dans "Les champs d'honneur" germent au martèlement des averses sur le toit en plexiglas du kiosque, une pluie qu'il avait tout loisir de regarder tomber, il voit et entend celle du Campbon de ses origines : "Le kiosque patiemment recollait les morceaux de mon enfance". Il s'apprêtait à devenir soi, c'est-à-dire l'écrivain Jean Rouaud, cet "historien de poche" qui nous enchante depuis trente ans.



Une revue de presse (France Inter, janvier 2019) juge le livre merveilleux ou ennuyeux. Ni l'un ni l'autre, selon moi, je préfère reprendre les mots de Pierre Assouline : "... ces livres qui ne se présentent ni comme des romans, ni comme des récits, ni comme des essais, ni comme rien du tout d’ailleurs et dont les libraires ne savent pas toujours quoi faire tant ça les désempare alors que tant de ces livres nous ont emmené au plus loin et au plus profond de ce qu’on appelle encore « littérature » sans trop savoir de quoi il en retourne au juste."



Car ils possèdent la musique intérieure à laquelle nous sommes tant attaché.
Lien : https://christianwery.blogsp..
Commenter  J’apprécie          80
Plumes et goudron

J'aime beaucoup cette collection des éditions du Petit écart : la présentation, les illustrations… même le papier.

Celui-ci est le quatrième de la collection et le troisième que je lis. Il est très "politique" et j'avoue avoir moins apprécié que les deux autres. Mais c'est personnel sans doute. Certains chapitres sont très denses, j'aime quand c'est plus aéré.

Néanmoins ce petit livre est intéressant et vraiment j'adore cette collection.
Commenter  J’apprécie          80
La vie poétique. Tome 1 : Comment gagner sa v..

La première phrase donne le ton, c'est une citation de Thoreau et dès lors on sait que sera absent de ce livre toute négligence ou réflexion superficielle. Rouaud joue dans la cours des grands, un style proustien avec des phrases de 18 lignes (j'ai compté) rend la lecture hypnotique mais au moindre manque d'attention c'est cuit , il faut tout reprendre. Jean Rouaud nous livre avec une précision d'enquêteur ses années 60/70, ses expériences de baba cool, le "Stop" monument de l'époque, les petits boulots, la vie de routard un jour là, un autre là-bas, les amis et cette fascination toute intellectuelle pour le monde ouvrier. Mais il semble perdu dans ce monde, toujours un peu en retrait avec ce regard lunaire ce le monde qui l'entoure. Ce n'est pas un livre bruyant, plein de haschich et de sexe libre au contraire, à contre courant des livres à la mode écrit par des publicistes brillants, ce roman/autobio/mémoire (?) questionne le passé de l'écrivain, ses morts, ses illusions, il nous livre une vision désenchantée de cette période qui signe la fin des grands récits et des grandes utopies. On y croise, entre autre, Kérouac, Casavettes, Rousseau, Simone Weil ( la merveilleuse philosophe) j'y ai appris que La Bruyère vivait malheureux son statut de précepteur ... Lu trop vite, je n'ai pas pu en recueillir toute la force mais je le relirai très vite !
Commenter  J’apprécie          80




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Jean Rouaud (2210)Voir plus

Quiz Voir plus

Combien de fois ?

🎬 Alors qu'il s'apprête à démissionner de ses fonctions de shérif pour se marier, Will Kane apprend qu'un bandit, condamné autrefois par ses soins, arrive par le train pour se venger. Will renonce à son voyage de noces et tente de réunir quelques hommes pour braver Miller et sa bande. Mais peu à peu, il est abandonné de tous... Ce film de Fred Zinnemann, avec Gary Cooper s'intitule "le train sifflera ... "

une fois
deux fois
trois fois

10 questions
17 lecteurs ont répondu
Thèmes : romans policiers et polars , films , roman , espionnageCréer un quiz sur cet auteur

{* *}