Citations de Jérôme Loubry (696)
Ce soir-là David comprit que passé une certaine frontière de malheur, les adultes n'arrivaient simplement plus à mentir.
S'évader de son quotidien pour vivre des aventures par procuration...
Anne-Louise Necker, la bibliothécaire, devint l’une des personnes les plus influentes du village. Capable de deviner à votre gestuelle, votre phrasé, votre vocabulaire, quel livre serait parfait pour vous. Selon elle, il ne suffit pas de posséder mille et un livres pour satisfaire ses lecteurs. Au contraire, une offre restreinte, mais réfléchie, où chaque volume contiendrait dans son écrin de papier la vérité que chaque lecteur recherchait sans même le soupçonner en tournant la première page, voilà selon elle la définition de la parfaite bibliothèque.
[Elle] connaissait cette structure qui, tout comme sa propre organisation, RCH, venait en aide aux orphelinats les plus démunis en leur apportant des produits de première nécessité. Seulement, contrairement à RCH, celle-ci avait obtenu une accréditation en versant une 'taxe' au ministère de la Planification, ce qui lui permettait notamment d'engager du personnel étranger, de visiter légalement les établissements et d'exposer son logo aux côtés de ceux des ONG de renommée mondiale.
- Un simple achat de visibilité dans le but d'attirer le plus de dons possibles et d'en détourner une partie, railla-[t-elle].
Bien entendu, les petites mains de ces organisations ignoraient tout des combines de leurs dirigeants et croyaient fermement à la portée humanitaire et pure de leur engagement.
(p. 223-224)
Bien que le folklore eût érigé en vérité que si 80% des Haïtiens étaient catholiques, 100% étaient vaudouisants, Simon ne faisait plus partie de ceux-là depuis la mort de sa mère. Jusqu'à ses huit ans, il avait certes baigné dans les traditions et les cérémonies, mais il s'en était vite débarrassé. (...) Que son pays ne soit connu dans le monde que pour le vaudou et la violence de ses rues le rendait malade.
(p. 72)
Haïti reconnaissait l'importance de bon nombre d'organisations étrangères, mais accordait difficilement sa confiance aux initiatives locales. Elle autorisait l'installation des organisations humanitaires les plus célèbres et des associations religieuses sans hésiter parce que celles-ci, en plus d'apporter une médiatisation importante, généraient des profits substantiels. Car bien sûr, pour chaque levée de fonds et appel aux dons internationaux, une partie était reversée aux politiciens véreux du pays, seul moyen selon eux de permettre à ces organisations d'opérer sans craindre quelques 'incidents'. Une vieille pratique connue de tous depuis le départ pour la France de Baby Doc, le fils et successeur du dictateur Papa Doc. Durant son règne, celui-ci avait détourné plusieurs millions de dollars sans que les ONG n'avertissent quiconque, car chacun y trouvait son compte, ces associations consolidant leur présence sur l'île et leur visibilité médiatique, attirant ainsi de nouveaux dons.
(p. 95-96)
Et sans m'en douter, juste en me penchant pour attraper cette enveloppe à l'apparence inoffensive, je saisis à pleines mains mes malheurs les plus précieux.
Les étoiles apparurent les unes après les autres, pixélisant la voûte céleste d'étincelles d'éternité.
[ Détroit, USA, 2013 ]
- Le service violences domestiques aurait dû normalement récupérer les dossiers, mais, croyez-le ou non, il semble que la crise économique fasse remonter le taux d'engueulades et de coups de poing dans les foyers de nos chers concitoyens ! Phil et son équipe n'arrivent pas à suivre ! Et bien sûr, le maire refuse le recrutement d'un nouvel effectif, il prétend qu'il n'aurait pas d'argent pour le payer ! Ces politiques et leurs mensonges...
Les quelques instants de vie que j'avais saisis dans les rues auraient dû me faire réaliser les difficultés de cette population et me faire réfléchir au courage qu'il fallait pour se lever chaque jour et se battre ainsi.
A quel moment devient-on un monstre, mamie? Est-ce par lâcheté ? Par instinct de survie ? Par amour ? J'ignore pourquoi on le devient.
Elle comprit que le plus difficile n'était pas de faire entrer quelqu'un dans son appartement. Non. Le plus douloureux était le silence que laissait cette personne en partant.
«Où allons-nous?» demanda Camille en se tournant vers la conductrice. Depuis qu’elles avaient quitté le parking sous-terrain, celle-ci n’avait prononcé presque aucune parole. Elle s’était contentée de conduire, le visage marqué par une extrême fatigue qui lui palissait la peau comme la plus sournoise des maladies. — Dans le mail que je vous ai envoyé, répondit Élise sans dévier son attention de la route, je vous ai écrit que j’allais vous fournir l’histoire la plus effroyable que vous ayez entendue. Mais comme tout fait réel, il faut que j’appuie mes dires sur des preuves, sinon vous seriez incapable de me croire. Vous me traiteriez de folle et de menteuse. — Vous n’aviez pas précisé que nous devrions sortir de la ville, remarqua Camille en scrutant les alentours à travers la vitre de la voiture. — C’est vrai, j’aurais dû, reconnut Élise, en tournant la tête pour lui adresser un faible sourire. Mais une fois sur place, vous comprendrez. N’ayez crainte, il ne s’agit nullement d’un guet-apens ou de je ne sais quoi. Vous n’avez pas à avoir peur.
[ Haïti, 2009, un médecin légiste ]
- (...) Tu connais le problème avec les Blancs, surtout une fois morts ?
- Non.
- C'est que je ne peux pas les virer de ma putain de morgue comme ces sacs à merde de Cité-Soleil ! Tout le monde s'en fout des Noirs sur cette île ! On peut laisser les cadavres dans la rue si personne ne vient les réclamer... Mais là... des Blancs... Je suis obligé de les garder et d'attendre !
(p. 71)
Depuis trois ans qu'il travaillait ici, les seules voies de fait notables se résumaient à des baignades nocturnes trop bruyantes et à un vol de boîte aux lettres. D'ailleurs, ce manque d'animation allait entraîner la fermeture prochaine du commissariat afin de, selon le jargon politique, concentrer les forces en vigueur sur les secteurs demandeurs.
Les enfants (...) avançaient vers Suzanne, le regard vers le sol. Son sourire ne trouva aucun reflet sur leur visage. Elle ne leur en voulut pas. La guerre leur avait appris à ne fixer que leurs pieds et à se méfier du sourire d'un adulte.
(p. 45)
On entendit parler de sorcellerie.
De magie noire.
De lycanthropie et de loup-brou.
De birettes, ces hommes ou femmes qui se donnent au diable et revêtent un drap blanc à la nuit tombée.
De cultes sataniques et de sang de vierge.
D'un cimetière profané pour construire l'actuelle place centrale de la ville, la place Carrée, et de ses fantômes réclamant vengeance.
Les voyantes dans le Berry, se mirent à voir.
L'une d'entre elles dirigea les policiers vers Mers-sur-Indre, lieu où se trouve la mare au diable décrite par George Sand. Mais la police ne découvrit aucun corps. Juste de l'eau stagnante et des têtards surpris de tant d'attention.
Finalement, ni le surnaturel ni le rationnel ne parvinrent à retrouver Mélanie.
Elle devint une énigme dans une région énigmatique.
Car Suzanne, comme tout adulte, le savait très bien : les peurs ne disparaissent pas en grandissant. Elles deviennent plus subtiles. Elles se font oublier. Elles ferment juste les yeux.
Les souvenirs sont faussés par le temps, mais des souvenirs provenant de trois personnes différentes ne peuvent que déboucher sur la vérité.
— C’est exact. C’est ce que j’appelle un refuge : une mémoire parallèle qui se substitue à la réalité afin que la victime cesse de souffrir, une illusion projetée par le cerveau pour que son propriétaire survive, tout comme le bouclier neurologique dont je vous ai parlé. En gros, un endroit où se cacher, comme la couverture sous laquelle nous nous sommes tous réfugiés enfants pour fuir des monstres réels ou imaginaires.