Citations de Jérôme Loubry (696)
Ce ne fut pas les peurs des enfants qui forgèrent la figure du Rouquin dangereux et sanguinaire. Mais celle des adultes. Car à plusieurs reprises les enfants s'en étaient rendu compte : tous le craignaient. Comme une meute face au loup alpha. Même le beau-père de David se mettait en retrait en sa présence. Idem pour Fabien, qui avait un jour, le visage blême, prévenu son frère de ne pas trop s'en approcher. Aucune raison précise n'avait été annoncée. Juste un avertissement. Presque une requête.
Mamie Côte-d'Or était à l'époque notre nourrice du mercredi après-midi et des sorties d'école.
La grand mère paternelle de Samuel vivait seule depuis la mort de son mari (dont le foie n'avait pas supporté les excès réguliers de poire à l'appellation pourtant rassurante, "faite maison", et dont les odeurs de distillation provenant du garage suffisaient à enivrer quiconque approchait). Le surnom dont nous l'avions affublée ne provenait pas d'une passion déraisonnée pour les vins de Bourgogne (d'ailleurs, elle ne buvait pas une seule goutte d'alcool, sans aucun doute pour contrarier le fantôme de son mari alcoolique) mais d'un autre produit tout aussi précieux à ses yeux : le chocolat amer de la marque du même nom.
Déjà, petite, elle adorait courir sous les déluges d'un hiver naissant. Une météo pluvieuse la rendait plus vivante que les caresses hypnotiques d'un soleil d'été, dont les bras chaleureux vous endormaient et vous abandonnaient, apathique et inutile, au bord d'un point d'eau.
[ parloir d'une prison ]
- Tu sais ce que je ferai quand je sortirai ? J'irai voir un match du FC Nantes. Je me noierai dans la foule et je gueulerai toute ma colère sous le maquillage des encouragements. On ne peut pas gueuler ici. On ne peut pas extérioriser. On garde tout à l'intérieur, les larmes, l'injustice, la peur… C'est enfermé là, dans notre propre prison, précisa-t-il en posant son index contre sa tempe.
- Je me ferai un plaisir de t'accompagner.
Les quatre corps furent retrouvés dans quatre lieux différents, à quatre dates différentes.
(…)
Deux filles, deux garçons, de dix à douze ans. Tous retrouvés en l'espace d'une semaine.
(…)
[L'inspecteur] regarda le ciel et maudit la terre. Par son incapacité à trouver des réponses et à intercepter le meurtrier, il devint coupable. Par sa paternité, il devint victime puisqu'il ressentait au plus profond de son âme la souffrance des parents. Sa position était un terrain fertile pour la folie, le suicide ou le dépérissement.
Les médicaments prescrits par le toubib ne l'aidaient pas. ils endormaient seulement une portion de son inconscient, pas la totalité de ses regrets et de sa douleur. Les pilules aplanissaient les vagues déchainées de la surface sans s'occuper des courants mortifères de ses abysses.
Oh! Tu sais, les femmes, elles sont plus dangereuses que les sirènes. Les sirènes, au moins, on sait ce qu'elles veulent... Elles l'expriment. Mais les femmes...c'est leur silence qui est dangereux. Et ça, cest pire que tout. Ça fait beaucoup de bruit le silence d'une femme, quoi qu'on en dise.
Bien entendu, Julien écarta immédiatement une des possibilités qui se fraya un chemin jusqu'à lui, en se concentrant sur des conjectures plus tangibles. Il refusait de se laisser ensorceler par les légendes et les mythes que l'histoire de Montmorts lui proposait. Il repoussa l'hypthèse d'un sortilège lancé sur les vivants par les mourantes, celles qui chutaient depuis le pic de la montagne, tels des flocons endiablés et lestés par le lourd jugement des hommes.
... Pour s'attaquer à des enfants, il fallait une raison [bien plus] compliquée. La découvrir revenait à expliquer l'origine même du Mal.
Il pensa au diable déguisé en Roi des Aulnes.
Et à ses multiples déguisements.
Vieilles légendes.
Anciens poèmes.
Forêts désertes et rivières sans réponses.
Chambres sans personne pour y rêver.
Parfois, un courrier lui arrivait du sud de la France. Sa fille (...) lui décrivait son bien-être et ses projets. Son écriture était devenue celle d'une jeune femme décidée. (...)
Suzanne lui répondait maladroitement. Elle pensait que le ton ferme d'un parent pourrait faire plier les illusions d'une enfant [jeune adulte].
- En tant que romancier, je passe mon temps à inventer des personnages. Je les habille, je dicte leurs paroles et leurs actes, je les fais vivre ou mourir comme bon me semble. J'ai le pouvoir absolu. Et là, j'ai peur d'être devenu à mon tour un personnage. J'ai l'impression que quelqu'un réécrit mon passé sans que j'aie quoi que ce soit à redire. Le plus troublant est que cela est en partie véritablement en train de se produire. Je suis le personnage principal de plusieurs chapitres, et "l'auteur" qui a créé ces chapitres, en plus de ne pas terminer son récit, ne me donne aucune raison véritable de l'avoir écrit. Je pourrais inventer une histoire là-dessus, des personnages coincés dans une narration et qui attendent cruellement que leur géniteur les sorte de là. Mais l'écrivain serait mort, et les personnages coincés pour l'éternité...
- Hum... le coup de l'écrivain qui devient un personnage, déjà fait, Paul Auster dans "Cité de verre".
Nous y sommes, pensais-je, la peur au ventre.
La triste nuit de cet été 1986.
La nuit où la pleine lune brilla pour la dernière fois au-dessus d'une maison hantée par la folie des hommes.
Je les revois encore. Impétueux et ivres. Aussi fous et enflammés que des pirates ayant décidé de brûler leur déesse protectrice.
Encore un chapitre.
La journée d'un écrivain n'a rien de passionnant, sinon dans l'imaginaire de ceux qui la fantasment. L'écrivain, lui, il s'emmerde. Voilà pourquoi il invente des histoires. La routine morne et soporifique est donc nécessaire à son métier. Pour lui, les journée "passionnantes" représente le plus grand risque de page blanche, tout comme elles sont synonymes pour son éditeur de manuscrit rendu hors délais.
Les souvenirs sont assassins, David. Ils obscurcissent l’esprit, ils ralentissent le cœur et fanent les sourires…
Pour les adultes, les gamins des rues n'étaient que des rats qui proliféraient beaucoup trop vite. Des rats sales et puants, des inutilités obséquieuses qui, en vieillissant, devenaient soit des problèmes, soit des rivaux.
"Pour renaître, il faut d'abords mourir"
Ça fait beaucoup de bruit le silence d'une femme, quoi qu'on en dise
Ton esprit a simplement besoin de couleurs .
As-tu déjà rencontré des silences qui te meurtrissent au point de vouloir fermer les yeux et prier pour que ce soit un mauvais rêve ?