Citations de John Banville (251)
La servante avait un tempérament si chaleureux et facile, nota Isabel avec une tristesse rêveuse, que ses apparitions dans la pièce, en dépit de leur brièveté, paraissaient aussitôt intensifier et adoucir la lumière du soleil qui tombait par la fenêtre. Elle-même avait-elle jamais été ainsi, se demanda la jeune femme accablée de soucis, que sa simple entrée eût pu illuminer une pièce ?
D’après mon expérience, tous les choix sont toujours difficiles. Néanmoins, je suis sûre que mon expérience est fort éloignée du genre de dilemmes dans lesquels, ma chère amie, vous vous trouvez engluée à présent.
D’ordinaire, les vieilles filles, poursuivit-elle avec un air candide et neutre qui aurait pu être un substitut de sourire, ne sont pas appelées à arbitrer le genre de situation difficile dans laquelle je vous imagine…
Qu’est-ce qui, chez un mari, constituait la normalité ? Était-il « normal » d’être un mari pour commencer ou, même, une épouse ? Elle n’en savait trop rien. Compte tenu de ce qu’elle avait appris du mariage – et elle avait énormément et chèrement appris, tant sur la personne qu’elle était que sur les petits arrangements de la bonne société –, elle ne voyait dans cette institution qu’un retour à des temps préhistoriques, une codification des rituels de conquête et de soumission, brutaux et autrement plus désinvoltes. Elle respectait le principe civilisateur des vœux du mariage, et cependant elle ne pouvait se défaire de la conviction qu’il était bien curieux d’exiger d’un individu qu’il se remît, corps et âme, sa vie durant, à un autre être humain.
Si des liens indéfectibles la ligotaient au mât de l’Europe, ce n’était pas sa tante qu’il fallait blâmer. La jeune fille avait mené sa vie d’Albany dans l’insouciance,peut-être, sans lui accorder l’attention requise ; impatiente d’être jeune, et seulement jeune, elle s’était élancée de toutes ses forces alors qu’elle aurait dû prendre le temps, l’espace d’un moment du moins, et dans son impatience elle avait couvert des lieues, sur terre et sur mer, pour atteindre un endroit qui lui avait paru être l’endroit même de la possibilité pure, du potentiel pur. À défaut de l’avoir voulu, elle avait consenti à ça, à tout ça, avec un enthousiasme hautain, comme s’il s’agissait d’un dû.
Cette chose, la chose avec laquelle ils se nourrissent et s’habillent, eux et leurs enfants, en épargnant autant que faire se peut afin de se prémunir de ces fameux mauvais jours tant redoutés – eh bien, je pense, mon enfant, que ce n’est pas de l’argent : c’est de la menue monnaie.
C’était une jeune fille menue et jolie, dont le teint et les yeux offraient un ravissant contraste de rose et de bleu – elle n’appartenait pas du tout à la confrérie des robustes Staines –, et elle se présenta à la visiteuse avec une mine ouverte et assurée, tout à l’honneur, Isabel le reconnut par-devers elle, des principes égalitaristes de la maison.
Les mots en eux-mêmes étaient parfaitement simples et clairs, mais la formulation à laquelle elle avait recouru visait-elle à être conseil ou admonition, provocation ou condescendance, encouragement ou expression d’un doute profond ? Quoi que ce fût, Isabel n’avait jamais oublié ce moment, dans le vestibule à la lumière vacillante de l’hôtel, au seuil de la nuit et du brouillard, avec, fixé sur elle, le regard calme et pénétrant de cette femme.
Et la liberté, pour Isabel, représentait et ce depuis toujours une qualité appréciable, peut-être la plus appréciable qui fût : comment la vie pouvait-elle être un tant soit peu supportable si l’on était piégé et entravé de toutes parts ? Dans les implications de cette question se trouvait la raison, ou du moins une partie de la raison de sa présence ici, par ce brumeux matin londonien, avec, sous le bras, une sacoche remplie de monnaie légale.
Et, pour autant, restait à savoir pourquoi il lui fallait une tierce personne pour la déclarer coupable ou innocente. Si c’était d’un confesseur qu’elle avait besoin, les confessionnaux abondaient dans les nefs des nombreuses églises de Londres.
Elle savait très bien, naturellement, que c’était avec elle-même qu’elle désirait dialoguer, seulement sa voix était devenue si ténue et son ouïe si faible qu’il lui faudrait, pour ce faire, passer par le truchement de quelqu’un d’autre, quand bien même l’autre ne serait guère plus qu’une simple inconnue. C’était un risque, un risque périlleux, mais elle se devait de le prendre.
Elle avait vécu de longues années avec son mari – elles n’avaient pas été très nombreuses, ces années, mais elles avaient été longues –, tapie dans les limites exiguës de cette petite résidence modèle qu’elle s’était si bien façonnée.
Elle n’en savait rien, ne parvenait pas à penser : tant de facteurs s’entremêlaient et dépassaient son aptitude à les séparer et à les évaluer un à un, en pesant leurs mérites, leurs démérites ! Elle percevait en elle toutes les dérobades du pécheur, mais ne parvenait pas à identifier le péché.
S’il était impossible d’identifier un péché précis, elle disposait toutefois d’une vaste gamme de possibilités. Il y avait l’orgueil, effectivement, l’orgueil, la vanité et le nombrilisme complaisant, même si Dieu savait avec quelle brutalité Gilbert Osmond et Serena Merle, son mari et sa… – mais Isabel ne trouvait pas de terme susceptible de définir convenablement l’ineffable Mme Merle – … l’avaient arrachée à la contemplation du miroir.
Si elle lui avait procuré bien des joies, elle l’avait aussi beaucoup déçu. Ce à quoi il n’aurait pu s’attendre, ce qu’il n’aurait pas imaginé possible de la part de quelqu’un d’aussi solidement équilibré qu’elle, c’était la formidable, la catastrophique dégringolade où l’avait précipitée ce mariage contracté avec la plus mauvaise personne qui fût pour elle, après l’avoir arrachée à des hauteurs insouciantes.
Quand je songe à ceux que nous avons aimés et perdus, je m'identifie à un promeneur errant à la tombée de la nuit dans un parc peuplé de statues sans yeux.
Elle a la méfiance d'une personne qui a été très exploitée et menacée.
Comment a-t-elle réussi à s'éclipser, avec tant de corvées à effectuer après la fête ? - en ce temps-là, les femmes débarrassaient les tables et faisaient la vaisselle sans attendre le moindre coup de main ni songer à protester.
Etait-elle coupable de viol, ne serait-ce qu'au sens légal ? Une femme peut-elle violer, techniquement parlant ? En couchant avec un gamin de quinze ans, puceau de surcroît, j'imagine qu'elle aurait été légalement coupable, et gravement encore. Elle devait y avoir réfléchi.
Peut-être les femmes ne sont-elles jamais surprises par la perspective de tomber enceintes, peut-être sont-elles constamment prêtes pour cette éventualité et cela fait-il partie de leur vie
Je vais devoir inspirer un grand coup avant de plonger dans ce marigot de faits et, j'en suis certain, d'allégations, puisque toutes les biographies, même sans que ce soit voulu, sont nécessairement mensongères.
... il n'y a rien qui ne se soit déjà produit...