L’histoire de Diadorim débute sur une réflexion sur le diable et ses différentes appellations au Brésil, mais aussi sur l’équilibre ténu entre les forces du mal et celle du bien. Le ton est donné : les forces obscures qui traversent la psyché humaine et les luttes internes de l’homme seront l’un des thèmes principaux du roman. Nous suivons Riobaldo, qui est aussi le narrateur de sa propre histoire, lors de son long périple en tant que jagunços, sorte de cow boy, qu’on peut considérer à la fois comme un chevalier en recherche de justice et d’équité qu’un brigand qui ripaille, vole et viole les différentes terres qu’il visite. L’ambigüité de ce statut est très importante dans le livre, puisque Riobaldo, en tant que jangunço emblématise les deux faces de l’homme : la tension qui existe en chacun de nous entre l’envie de faire le bien et la tentation du mal. Le jagunço est sans cesse en mouvement : comme s’il n’avait pas de foyer mais aussi, par extension, d’identité : c’est ce qu’on retrouve dans les péripéties : chacun est capable du pire, comme du meilleur, de faire preuve d’une pureté de sentiments et d’héroïsme qui rapprocherait le roman de l’épopée, tout en étant mu par ses bas-instincts : l’envie, le désir, la peur. On assiste alors de la part du narrateur à des tentatives d’expliquer et de comprendre comment son intériorité fonctionne, si bien qu’on pourrait aussi parler de roman psychologique par moment. Le roman peut ressembler par moments aux grandes épopées grecques dans ce voyage qui ne semble jamais avoir de destination finale, dans sa structure où les épreuves se succèdent, mais aussi dans les archétypes des personnages : nous le verrons plus longuement avec les femmes du livre. Roman de chevalerie qui emprunte à la Chanson de Roland, roman de voyage comme l’Odyssée d’Homère, la portée humoristique et même parodique de certains passages évoque pourtant le livre qui a donné sa forme au roman moderne, El ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha. On comprend bien que comme dans le roman de Cervantès, l’histoire de Diadorim permet à travers son équipée d’hommes plus ou moins bien intentionnés de parler d’un pays en proie à la pauvreté, à l’injustice, et à l’exploitation de certains au profit d’autres. Le brésil n’est pas celui qu’on imaginerait de prime abord, c’est une des ces facettes bien précises, qu’on retrouve dans le titre original ; Grande Sertão: Veredas. Le sertao, c’est l’arrière pays, ce qu’on pourrait comparer par exemple à l’outback australien. Décrit par les climatologues comme le polygone de la sécheresse, ce territoire semi-aride fut jadis une région d'élevage prospère. Les sécheresses catastrophiques du Sertão ne sont pas une fatalité : il existe dans le sous-sol des réserves d'eau infiltrées. Mais elles ne sont pas toutes exploitées et les points d'eau utilisables sont souvent loin des villages. (WIKIPEDIA) C’est pour cette raison que les hommes de Riobaldo ne s’installent jamais réellement sur une terre. Ils vont d’oasis en oasis, là où la nature est plus clémente. D’ailleurs, on pourrait dire sans trop se tromper que la nature est un des personnages les plus important du récit de Riobaldo. Elle ne sert pas uniquement de décor, bien que nous assistons à des descriptions pittoresque du pays, de la nature encore indomptée, des plantes et de la faune, mais celle-ci sert surtout à délimiter la place de l’homme dans l’univers. Ainsi, le terme sertao a un sens bien précis, d’après l’anthropologue Claude Lévi-Strauss: « Mato se rapporte à un caractère objectif du paysage : la brousse, dans son contraste avec la forêt ; tandis que sertão se réfère à un aspect subjectif : le paysage par rapport à l'homme » (Tristes Tropiques). Il n’est pas rare d’avoir le sentiment, lors de la lecture, que l’homme n’est qu’un animal parmi les autres, avec des comportements peut-être plus élaborés ou absurdes selon le point de vue, mais qui a les mêmes instincts territoriaux ou de reproduction.
Reprenons notre histoire, Riobaldo, qu’on pourrait voir comme le masculin conquérant qui sème sur son chemin au gré du vent va coucher avec une prostituée dont la grand-mère est diseuse de bonne aventure, Diadorim veut tuer la vieille femme mais fait preuve de miséricorde, sous les conseils de Riobaldo. C’est la première fois dans le récit, que Diadorim montre une certaine hostilité face au féminin. Le voyage continue, on apprend que Diadorim veut venger un membre de sa famille, et le narrateur accepte de porter ce poids avec lui. Même quand leur chemin se sépare pendant quelques temps, ils se retrouvent. Leur amitié résiste à l’adversité, par exemple, quand le chef de leur groupe meurt. Riobaldo est momentanément désigné comme chef, puis c’est le cas de Diadorim, mais les deux préfèrent décliner cette nouvelle responsabilité, car elle pourrait mettre en péril leur amitié. En fait, ce qui diffère sensiblement d’un roman comme Don Quichotte, c’est la relation entre les deux personnages principaux. Diadorim et Riobaldo. sont dans une relation équitable, équilibrée, l’un n’est pas le serviteur à proprement parler de l’autre, ne sert pas de faire-valoir. Le respect existe, et il prend même une forme plus ambiguë que chez Cervantès, car il existe une tension amoureuse entre les deux hommes.
(suite en vidéo, attention aux spoils : https://www.youtube.com/watch?v=8t-6i9hs25Q&ab_channel=YasminaBehagle
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