Je vais attaquer cette chronique en vous avouant que c’est avec un énorme sentiment de honte que je referme ce livre de Karin Boye.
En effet, être passé à côté de ce Kallocaïne est une véritable honte, d’autant plus que ce roman est l’un des trois fers de lance de la littérature dystopique avec 1984 d’Orwell et de Le Meilleur des Mondes d'Huxley.
Karin Boye est surtout connue dans sa Suède natale pour ses poésies. Kallocaïne est son 5eme roman, le dernier, puisque la jeune femme est décédée quelques temps après la parution de celui-ci.
Pour le speech, rien de plus simple.
L’État Mondial a pris le contrôle des vies de ses habitants. Omniprésent, l’État pense chaque chose pour que les sujets qui composent la population soient obéissants et disciplinés. Observée et écoutée, la masse subit un endoctrinement depuis l’enfance ne lui laissant que peu de place pour autre chose qu’un dévouement sans faille.
Léo Kall, lui, est un scientifique à la solde du système qui vient de mettre au point une drogue, la Kallocaïne, qui permet de dévoiler les véritables pensées du sujet auquel il est injecté (une sorte de sérum de vérité quoi).
Alors que les derniers vestiges de la liberté sont sur le point de tomber, Léo va devoir faire face à une situation de taille, entendre tout haut ce que les gens pensent tout bas.
Voilà comment pourrais se résumer l’histoire de Kallocaïne, même si quand on touche à ce genre de sujet, rien n’est aussi facile. Les dystopies ont ce pouvoir de faire prendre conscience, d’éveiller les esprits, et le héros comme le lecteur auront justement de quoi faire fonctionner leurs connections synaptiques avec divers sujets comme la liberté (forcement), le rôle de parent ou du fonctionnement de la propagande. Pour le reste, le roman en entier laisse à réfléchir.
Tout commence comme une sorte de journal. Léo livre au lecteur ses intentions d’écrire un livre sur les événements qui lui sont arrivés depuis la création de la Kallocaïne. L’homme écrit depuis une cellule de détention, et la première impression qui se dégage, est que le bonhomme trouve une certaine liberté malgré son emprisonnement bien que celui-ci ai vécu libre pendant une grande partie de sa vie. Le constat est flagrant : malgré son incarcération, il est mentalement affranchi alors que dehors, son esprit était enfermé, bridé. Petit détail important qui prouve à quel point la pression de l’État est forte et ancrée dans ses sujets. Voilà qui met le lecteur dans l’ambiance.
Comme au héros, les informations au sujet de cette société sont distillées au compte goute. Pas de date, pas de localisation géographique, aucun détail sur d’autres systèmes politiques en place, nous savons seulement que l’État est en guerre contre un ennemi frontalier, bref, le flou total.
Au niveau de la ville en elle-même (le lieu principal où se déroule l’action) la seule chose importante à savoir, est qu’elle est divisée en plusieurs "secteurs" (Léo travail dans celui de chimie n°4) et que quand une personne est mutée dans un de ces endroits, les chances de la revoir sont quasi nulles. Les parents ne revoient donc plus leurs enfants, les couples sont défaits à jamais, le tout sans que personne ne trouve à redire quelque chose, pour ne pas faire part d’égoïsme. Ces sacrifices sont faits pour l’État.
Les habitants quant à eux sont forcés d’exécuter des taches policières plusieurs soirs par semaine, ne leurs laissant que peu de temps pour leurs proches. Une tenue spéciale est obligatoire pour les heures réservées aux loisirs, et chaque famille possède une "assistante" qui fait un rapport quotidien aux autorités sur la famille, signalant tout comportement suspect.
Enfin, le système veut que les gens soient unis afin de créer un effet de masse et d’ôter toute personnalité à ses sujets, pour plus d’obéissance. L’inverse de notre époque où l’individualisme est omniprésent.
Pour en revenir à Léo, celui-ci développe la Kallocaïne qui sera utile aux autorités pour inculper les criminels. C’est en effectuant des tests sur des sujets "volontaires", recrutés grâce à la propagande, que Léo et son chef vont s’apercevoir que finalement, les gens gardent leurs rêves et leurs convictions pour eux même, chose considérée comme de la conspiration.
C’est alors que l’escalade va commencer.
De fils en aiguille Léo va se retrouver face à des personnes qui vont lui exposer leurs activités secrètes et leurs points de vue. Toute la réflexion de Kallocaïne viendra de là. Et tout ira très vite.
Bien que l’action ne soit pas le point fort du livre (autant dire qu’il n’y en a pas…), c’est toute autre chose qui tient le lecteur en haleine. Pour Léo, comme pour nous, les événements vont s’enchainer dans sa vie sentimentale comme professionnelle, allant de révélation en révélation. Alors certes, l’auteure garde secret ce qui entoure le héros, tant au niveau du fonctionnement actuel du système à proprement parlé qu’au niveau du passé et de comment l’État est devenu ce qu’il est, mais rien n’empêche d’imaginer ce que les habitants peuvent ressentir. Karin Boye nous livre juste assez de choses pour sentir l’oppression subit par la masse.
L’autre fait intéressant est la répulsion que peut éprouver le lecteur face à ce héros totalement soumis au système. Son dévouement et ses actes sont tout bonnement détestables mais la dimension psychologique est tellement forte que chaque page et un nouvel espoir de voir ce loyal sujet changer d’opinion pour qu’enfin il comprenne qu’il est manipulé.
C’est en 250 pages que Karin Boye arrive à poser les bases de l’une des plus cultes dystopies (peut être la moins célèbre ? Merci 1984 qui fait de l’ombre aux petits copains….) de l’histoire. L’auteure va droit au but, sans créer de monde trop complexe à appréhender pour le lecteur qui sera déjà mis à rude épreuve dans l’analyse et le traitement de certains propos (la discussion entre Léo et sa femme est vraiment prenante). Vu qu’aucun détail n’est vraiment divulgué, il est difficile de placer l’œuvre dans le temps, et donc, je ne me mouille pas trop en affirmant que l’œuvre n’a pas pris une ride… En plus cette réédition d’Hélios bénéficie d’une nouvelle traduction. Voilà donc une bonne occasion de combler vos lacunes si vous êtes passé à côté de cette œuvre pourtant incontournable.
Zoskia
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