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Critiques de Laurence Sterne (43)
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La vie et les opinions de Tristram Shandy, ..

Ce livre avait — a priori — tout pour me plaire : un auteur d'une incroyable érudition, un humour omniprésent, un esprit particulièrement iconoclaste et novateur, une réflexion sur ses contemporains constamment épaissie d'un message à double entente d'un caractère grivois…



En somme, on m'avait parlé de chef-d'oeuvre, et je m'attendais à tel or… or… or, en ce qui me concerne, ce livre m'est tombé des mains — littéralement car je me suis endormie dessus à de nombreuses reprises — et c'est vraiment parce que j'étais très motivée que je suis allée au bout car, sans quoi et si j'avais été un tantinet moins maso, je me serais arrêtée bien avant son terme.



Ce sont des digressions à n'en plus finir, du parler pour ne rien dire, et volontairement en plus, des interpellations constantes du lecteur, une " performance ", au sens moderne du terme, du genre « vous voyez ce truc-là, eh bien moi je vous parie que je peux arriver à le casser ou à sauter par-dessus sans le toucher ». Et, en soi, les performances de ce type m'ennuient profondément.



Tiens, je vais essayer de vous trouver un parallèle, c'est un peu comme si, pour vous impressionner, un cuisinier décidait de réinventer la cuisine : « le plat chaud ? Eh bien je vais vous le faire froid. le dessert ? Eh bien on va commencer par ça et au lieu de vous le faire sucré, je vais vous le faire salé. Etc., etc. » Donc, performance, oui, peut-être, mais est-ce vraiment bon et digeste, là, permettez-moi de m'interroger.



Donc, Laurence Sterne n'en finit pas de déconstruire le roman, de dynamiter tous les codes, parfois jusqu'à l'illisible. D'une certaine façon, il est le James Joyce de son temps. L'art de la digression inutile y est porté à son paroxysme quasiment comme un credo et sera par la suite quelque peu imité par Diderot dans Jacques le fataliste.



En somme, voici un livre assez gros qui ne raconte rien de précis (bon ça, à la limite pourquoi pas), qui tourne tout à la dérision et au burlesque (pourquoi pas encore) avec des longueurs incommensurables en étrillant au passage deux ou trois connaissances de l'auteur vis-à-vis desquels il souhaite régler quelques comptes et les ridiculiser un peu à la façon De Voltaire (là encore, pourquoi pas). Mais je ne vois pas de cette fameuse profondeur dont on nous rebat les oreilles à chaque fois que l'on lit des commentateurs de cette oeuvre qui tous crient au chef-d'oeuvre, au monument incomparable de la littérature mondiale.



(L'argument, en général, lorsque vous n'avez pas apprécié un tel livre, c'est de dire que vous n'avez pas compris, que vous n'êtes pas assez subtile pour en percevoir tout le bon grain et le nectar, etc.) Bon, ce que je me dis, très modestement — les gens n'étant pas plus bête que ça — c'est que s'il s'agissait véritablement d'un chef-d'oeuvre, beaucoup plus de gens le lirait. Personnellement, je l'ai lu, avec un réel ennui très souvent, et n'en retire absolument aucune satisfaction particulière alors que je ne lis quasiment que des classiques et ne suis donc pas spécialement fermée aux livres anciens ni aux livres réputés " difficiles à lire ".



J'ai eu le sentiment que pendant tout l'ouvrage, Sterne jouait à " qui pisse le plus loin " histoire de nous prouver que LUI, il pouvait le faire. Personnellement, je serais tentée de lui répondre : « Et nous ? Est-ce que ça nous intéresse ? »



Pour ceux que cela motive tout de même, disons que le livre prétend être une autobiographie de Tristram Shandy, mais dont, finalement on n'apprendra presque rien, vous vous en doutez. L'épisode précédant sa naissance étant le plat principal. de ses opinions, bien évidemment, on ne saura à peu près rien non plus car l'essentiel tournera autour de son père et de son oncle (le frère du précédent). le père est une caricature du philosophe John Locke, et l'oncle Tobie est présenté comme ayant une toquade (un dada) à la Don Quichotte.



Lui, son truc, ce n'est pas la chevalerie errante, ce sont au contraire les très statiques sièges des villes pendant les guerres. Les références à Cervantès et Rabelais sont omniprésentes, mais l'on est loin, d'après moi, de l'engouement que peut susciter la lecture d'un Don Quichotte, par exemple.



Bref, à vous de voir si l'aventure shandéenne vous attire. Il y a quelques passages drôles, beaucoup d'autres longs, loooonnnnngggggssss, ennuyeux à souhait et gratuits à mes yeux. Bien entendu, le mieux était, est et sera toujours de s'en faire soi-même sa propre opinion et je ne prétends pas avoir des lumières particulières à propos de ce livre. Vous connaissez la suite…
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La vie et les opinions de Tristram Shandy, ..

Quis leget haec ?



Eh bien, je me le demande !

Mais un peu de patience, je vous prie. - Et même, soit dit en passant, un peu de courage - oui, COURAGE est peut-être le mot qui conviendra le mieux pour aborder "La vie et les opinions de Tristram Shandy, gentilhomme".

Car nous avons là un morceau littéraire fort astucieux - c'est par ces mots que je devrais probablement commencer cette chronique - il est toujours préférable de commencer d'une façon plus générale, pour ne pas décourager les esprits craintifs. Mais je voudrais d'abord souligner autre chose --- ne criez pas et ne protestez pas, je vais m'organiser comme bon me semble. - Après tout, c'est moi qui écris ce commentaire !



Je voudrais donc souligner que c'est un livre qui va agir sur toutes les humeurs qui peuvent circuler dans le corps humain. - Ah ! Il n'y en a pas tant que ça, me contredira le lecteur vétilleux de ces lignes - mais il se trompe prodigieusement, cette petite âme critique - car l'intérieur d'un corps humain est tout aussi compliqué et emberlificoté que le livre de Sterne.

Hélas, cher lecteur, il n'est point aisé de pénétrer la pensée de ce bon Tristram. - Il se laisse distraire - il raccourcit ses chemins - puis il les rallonge - il marche sur les courbes ellipsoïdes plutôt que sur les routes directes --- ou sur n'importe quoi de simple et de droit. Fichue chose !

Mais la simplicité n'est pas toujours une vertu - du moins en ce qui concerne la littérature - et c'est une opinion que je respecte. - Peu d'opinions sont aussi ciselées et polies --- jusqu'à un tel éclat. Les voies simples et droites seraient plus seyantes et honorables aux relations humaines, évidemment - mais qui a jamais vu des relations humaines simples et droites ? --- Certainement pas moi. Et cela fait pourtant quelques années que j'arpente ce beau monde - même si, j'en conviens, moins longtemps que certains d'entre vous - mais en calculant bien, vous trouverez un nombre à deux chiffres divisible lui-même plusieurs fois par deux. - Toutefois, à condition de bien vouloir vous prêter à ce divertissant petit exercice de calcul, ça va de soi.



De gustibus non est disputandum - certains vont trouver le livre long et XXXXX (censuré) - car c'est l'art de la digression qui le fait avancer. - Il est donc, pour ainsi dire, à la fois digressif et progressif. N'est-ce pas fabuleux, de concilier ainsi deux mouvements complètement opposés, qui paraissent inconciliables ? Certes, quand l'oncle Tobie et son fidèle compagnon Trim enfourchent leur dada militaire, les cavalcades peuvent parfois sembler fatigantes. Mais quel duo ! Dites-moi, ne trouvez-vous pas que l'histoire est toujours meilleure quand elle est menée par un duo ? Moi, je trouve. Mais ne me comprenez pas mal - il y a bien d'autres personnages dans le livre, pas seulement Tobie et Trim - mais la liste serait encore bougrement longue --- et, voyez-vous, le temps passe.



Donc, pour ne pas me perdre en interminables digressions comme sieur Tristram qui raconte sa vie et ses opinions - et pour éviter d'étirer ce commentaire en neuf parties d'une longueur considérable, je pense que ceci est amplement suffisant pour une critique - ou me trompé-je ? --- Non ! Non ! Je vous entends crier. Il suffit !! - Alors, comme je viens de le dire, pour ne pas m'éloigner davantage, je vais seulement ajouter que cet ouvrage est probablement une des meilleures choses que vous pouvez trouver en littérature anglaise du 18ème - même si vous fouinez longtemps - et je sais que vous êtes de sacrés petits fouineurs !--- Une sorte de début de la littérature post-moderne - un petit tentacule - un perce-neige précoce et folâtre, qui... etc., etc. XXXXX (censuré).

En tout cas, si vous avez réussi à lire ce commentaire, vous pouvez lire aussi "Tristram Shandy" - sans lui, Joyce ne serait jamais aussi compliqué, Proust aussi long et Hašek aussi drôle ! Ma foi !
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Voyage sentimental à travers la France et l'I..

"Le cri du sentiment est toujours absurde ; mais il est sublime, parce qu'il est absurde."

(C. Baudelaire)



J'ai choisi exprès "Le voyage sentimental en France et en Italie" pour m'accompagner lors de mon propre voyage (eh, sentimental...) en France, en vague direction de l'Italie, sous les derniers rayons chauds d'un soleil aux tonalités déjà automnales caressant les vignobles de leur lumière dorée, tandis que le chant joyeux des robustes paysans s'élevait dans la transparence cristalline... etc., etc.... pardon !

Il sera difficile de trouver un meilleur compagnon de route que Sterne - compagnon plus complaisant, plus modeste, plus vertueux, plus généreux - tout ceci évidemment à quelque vertigineux degré d'ironie qui caractérise si bien cet enfant terrible des lettres anglaises du 18ème siècle.



Même si l'époque des diligences est révolue depuis longtemps et nos itinéraires respectifs se sont vite séparés, on avait au moins une chose en commun : ni lui ni moi n'avons réussi à atteindre l'Italie... ce qui n'a fait qu'augmenter mes sentiments affectueux envers l'auteur de l'immortel "Tristram Shandy".

Malheureusement, les raisons de Sterne pour ne pas descendre davantage vers le sud étaient bien plus impérieuses que les miennes, et j'ai rarement ressenti une plus grande tristesse à cause de la mort prématurée d'un auteur qu'en contemplant la dernière phrase du récit, coupée en plein milieu. Et juste pendant cet épisode cocasse où le pasteur Yorick (notre sentimental voyageur et accessoirement l'alter-ego de Sterne) est forcé de partager sa chambre avec une belle Piémontaise dans une auberge près de Lyon. Puis, au plus profond de la nuit... ah, quel gâchis !

Pour être tout à fait franche, je garde une nette préférence pour la flamboyance digressive de "Tristram Shandy", mais n'oublions pas qu'il s'agit ici d'un récit de voyage, et si ce bon Yorick avait calé son pas sur celui de Tristram, il serait probablement encore à Calais, en train de déguster sa première fricassée de poulet.

On trouve cependant quelques réminiscences, tant dans le style irrévérencieux au fort potentiel comique que dans les personnages, que Sterne fait parfois sentimentalement voyager d'un roman à l'autre, y compris le protagoniste principal. L'auteur est un rusé renard, et les liens tentaculaires plus ou moins subtils transforment son oeuvre en un seul Grand Jeu littéraire pré-postmoderne.



Etrangement, à chaque fois que je parle de Sterne, je me laisse surprendre par une sorte de verve digressive - allez savoir pourquoi -- mais certains comprendront -- du moins je l'espère... ceci dit, "Le voyage" en soi est par essence progressif, je reviens donc vite au sujet.

Le trublion Sterne a décidé de commencer son récit de la même façon dont il se termine - "in medias res", par l'énigmatique phrase : "Cette affaire, dis-je, est mieux réglée en France"... et je présume que cette fois c'était voulu. Mais quelle est donc "cette affaire" ? La recette de la fricassée, ou la nature spontanée des Français, si différents des pâles fils de la perfide Albion ?

Difficile de décider, car les "affaires" ne manquent pas, de préférence les affaires de coeur. Sterne réagit aux récits de voyage sèchement descriptifs de l'époque, notamment "Voyages à travers la France et l'Italie" de Tobias Smollett, qu'on trouve dans le livre sous les traits du "savant Smelfungus" (sic !).

Yorick voyage davantage d'homme en homme (sinon de femme en femme) en profitant des "suaves petites gracieusetés de la vie".

A commencer par un touchant moine franciscain à Calais à qui, débordant de sentiments, il refuse l'aumône ( "[il avait] l'air si naturel, si gracieux, si humble, qu’il falloit que j’eusse été ensorcelé pour n’en être pas touché…") en passant par nobles dames, aubergistes, libraires, grisettes parisiennes, comtes roturiers ou simples paysans, son itinéraire touristique est avant tout un itinéraire d'âme, tendre et malléable comme le nougat de Montélimar.



Si l'histoire démarre doucement, à partir du moment où le pasteur engage le serviteur français La Fleur - un garçon plein de bonne volonté, mais qui sait tout au plus battre le tambour - elle est pour ainsi dire menée tambour battant, et elle n'est pas sans rappeler l'assez génial "Jacques le Fataliste" de Diderot (qui doit beaucoup à Sterne).

Les nombreuses phrases "in french in italics" permettent de s'arrêter sur quelques subtilités de la langue de Molière, et donnent beaucoup de vie au récit, y compris quelques mémorables quiproquos... c'est d'ailleurs à cause d'un imbroglio tout shakespearien que l'émotionnel pasteur va continuer son voyage avec un passeport établi au nom de "M. Yorick, le bouffon du roi".

Mais les deux pays sont en guerre, et la bouffonnerie est toujours préférable à la Bastille, même pour le voyageur le plus intrépide. Ou à n'importe quelle autre forme d'entrave : ni Sterne, ni Cervantès, Rabelais, Hašek - et par extension, tant d'autres auteurs qui ont osé briser les chaînes du roman traditionnel - ne vont pas me contredire.

"Le Voyage Sentimental" est un panaché littéraire aussi pétillant que "Shandy" et pourrait presque y figurer en tant que chapitre supplémentaire. Je garde donc par sentimentalisme la même note, 4,5/5.
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La vie et les opinions de Tristram Shandy, ..

On compare Tristram Shandy à Rabelais et son Gargantua ou Pantagruel ou à Cervantes et son Quichotte, que, du reste, le personnage de Tristram cite souvent, ou, plutôt, il se réfère régulièrement à Sancho Panza. Il y a le même humour, la même volonté de tout prendre en dérision, et le propos est fort distrayant, voire hilarant.



Presqu'inconnu chez nous, Tristram Shandy est fréquemment lu et cité en Angleterre et chez les écrivains espagnols que j'aime. C'est, du reste, Javier Marias qui l'a traduit en castillan et Villa-Matas tout comme Barnes parlent de shandisme. Rien que pour cela, j'avais envie de le lire, et rien que pour cela, je n'ai aucun regret. Je m'attendais à encore plus mieux, si vous voyez ce que je veux dire, mais on atteint déjà un sommet.
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A Eliza

S'agit-il d'un journal, d'une correspondance amoureuse, des deux réunis ou de tout autre chose comme une série de variations sur le thème de l'amour lointain ?

Sterne est un farceur, Sterne a même critiqué le sentimentalisme dans son Voyage sentimental alors quoi ?

Comment a-t-il pu écrire les deux en parallèle, moquant ici ce qu'il avouait là ?

"Salut, salut! ma chère Eliza! Chaque jour je dérobe un petit quelque chose à mon Voyage sentimental pour obéir à une impulsion plus sentimentale encore: par exemple vous écrire, vous donner une image de ma personne, de

mes désirs, de la sincérité de mon amour, de mes espoirs, de mes alarmes."

À la lecture, je me suis aussi demandé si l'auteur avait lu le Canzoniere de Pétrarque, s'il avait voulu s'en inspirer? Il y a cet éloignement de l'aimée, il y a aussi le temps qui passe, l'éloignement qui change de forme, il y a enfin les troubles que nous cause le siècle ! Peut-être, est-ce moi qui divague ? Tous les amoureux lointains écrivent-ils les mêmes fadaises ?

La question reste ouverte, entière : Lisons-nous ici des écrits intimes auxquels nous n'aurions pas dû avoir accès mais que l'aimée destinataire elle n'aura jamais pu lire ou bien sommes-nous face à une parodie en bonne et due forme, un immense pied-nez à la littérature qui se veut romantique sinon dégoulinante de soupirs amoureux?

Et si c'était les deux ? Si la parodie témoignait de sa part d'authenticité, si l'aveu de son chagrin amoureux contenait son propre clin d'œil ?

C'est pourquoi je reviens à cette idée de journal, d'une tentative de mettre sur papier un sentiment que l'auteur n'éprouve plus depuis bien longtemps, d'en goûter l'évolution et de se préparer du matériel - fût-il ironique - pour son Voyage sentimental.

Eliza (le texte ou la femme aimée) restera pour nous comme pour l'auteur un objet de convoitise inaccessible.



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La vie et les opinions de Tristram Shandy, ..

La brique lue, salivée, digérée… Que peut-on dire d'autre ? Que l'histoire ne fait que commencer, que ce qu'il y a à dire sera toujours pour demain… Aujourd'hui est réservé au plaisir de l'écriture, de la lecture.



LA LÉGÈRETÉ, l'insouciance, la futilité, la nonchalance n'est-ce pas là la plus grande des qualités de l'écrivain ? Pouvoir se mettre à nu, oublier toute tentative de signifier quoi que ce soit, éviter toute forme de beauté, toute velléité de poésie, toute volonté même d'écrire pour ne laisser que le souffle transparaître et s'envoler, puis revenir à nouveau comme un cœur qui bat, un de plus, systole, diastole et la vie qui s'écoule sous forme de caractères imprimés.



Et ne retenir qu'une chose de ce monument littéraire : le seul, le vrai personnage n'est ni Tristram qui n'a pas eu le temps de grandir, ni son père qui se perd en discours inféconds, ni vraiment cet oncle Toby dont on ne saura pas s'il séduit l'élue de son cœur ou continue à jouer pour de faux à la guerre, le seul vrai personnage est le Temps, celui qui ne s'arrête pas de couler mais dont l'auteur peut jouer à sa guise : temps de l'écriture, de la lecture ou temporalité du récit.



Ma dernière question : Rabelais, Cerantes, Sterne, Diderot, Joyce, Chevillard: check ! Que vais-je pouvoir lire demain qui ait encore autant de saveur ?



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Voyage sentimental à travers la France et l'I..

Il faut savoir, de temps en temps, se plonger dans un livre d'un autre temps. D'un temps où il suffisait de peu d'action dans un récit pour que les lecteurs en tirent leur plaisir, comme ils n'avaient pas été nourris de films hollywoodiens et de romans policiers sanguinolents. Tout comme, quand les yeux nous brûlent, on les détache de l'écran de l'ordinateur pour regarder un instant par la fenêtre ; qu'on essayer de ralentir un instant le cours des choses, quand il nous semble qu'autours de nous la vie tourne trop vite.



Quel intérêt y a t-il à ne savoir lire que des oeuvres modernes ? Je veux moi pouvoir goûter celles de tous les lieux et de toutes les époques.



Laurence Sterne, doux écrivain du XVIIIème siècle, popularisa en son temps le « voyage sentimental » c'est à dire réalisé dans le but de donner libre court à ses sentiments, romantiques ou non. le genre eut un grand succès ; Goethe lui-même s'y prêta en Italie. On s'en doute, il s'y passe peu de choses. Il voyage, embauche un domestique français, flirt en tout bien tout honneur, rencontre et discute avec des gens de toute condition. Mais sa plume est alerte, drôle, sème les petites touches d'humour et d'autodérision. Tout ce que Houellebecq est incapable de faire quand il raconte ses vacances à Lanzarote. Une petite pointe de second degré vaut mieux qu'une grosse scène de sexe.



On est surpris également par son caractère très ouvert. Un jour il rend visite à un pair de France ayant ses entrées auprès du roi, le lendemain il soupe de pain noir et de lentilles avec une famille de paysans. Il rend visite à une marquise, et quelques jours plus tard fait un détour de plusieurs lieux pour voir une gardienne de chèvres de sa connaissance. Il flirt avec les dames de tous milieux mais, en vrai gentleman, ne pousse jamais trop loin son avantage.



Si 'Tristam Shandy' reste l'oeuvre majeure de Stern, ce petit livre-ci connut également un énorme succès, et donna même lieu à toute une iconographie ; beaucoup de peintres et illustrateurs des XVIIIème et XIXème siècles y puisèrent leur inspiration. On peut comprendre pourquoi.
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La vie et les opinions de Tristram Shandy, ..

What a book foutraque ! Quel « shandy » livre!

Un livre comme je n’en ai jamais lu.



J’avais découvert l’existence de Sterne il y a une bonne dizaine d’années, plutôt une bonne vingtaine, le temps passe si vite, par la lecture de l’Art du Roman de Kundera, l’un de mes auteurs préférés.

Kundera y met en avant, si je me souviens bien, la fantaisie de cet auteur du 18ème siècle, qui s’affranchit de la linéarité du cadre narratif comme d’autres qui l’ont précédé (en premier Cervantes) ou le suivront, parmi lesquels je trouve qu’il y a, par exemple Georges Perec et son extraordinaire « La vie, mode d’emploi », mais il est possible aussi d’y raccrocher Kundera lui-même avec son roman L’immortalité.



J’ai fait l’acquisition en 2014, et « au prix spécial de 11,40 euros » de ce roman, « La Vie et les Opinions de Tristram Shandy, gentilhomme » dans la version des Éditions Tristram (sic) avec une traduction, présentée comme nouvelle, de Guy Jouvet. Je sais depuis que cette traduction a déclenché une polémique car elle se démarque fortement de la traduction de « référence » de Mauron, plus ancienne, mais qui selon Guy Jouvet et les Éditions Tristram ne rend pas toutes les subtilités du texte original de Sterne. Guy Jouvet a aussi fait le choix de franciser à peu près tous les noms; ainsi William Sandy, le père de Tristram, devient Gauthier Shandy, son frère Toby devient Tobie, Trim se change en l’Astiqué, Mrs Wadman est la veuve Tampon, etc….

J’ai lu aussi, parmi les excellentes critiques des babeliotes (ah, quelle richesse toutes ces critiques!) celle très érudite de smalandrin, qui considère la traduction de Guy Jouvet comme la meilleure, bien qu’à la lecture de son commentaire, j’ai compris que la plus fidèle au texte est celle de Wailly.



Après toutes ces remarques préalables, je dois avouer que j’ai mis finalement 7 ans (de réflexion?) non pas à lire ce roman, mais à en entreprendre la lecture. Il est vrai que la taille du livre, 9 volumes pour un total de près de 900 pages, a de quoi en imposer.

Mais bon, depuis lors, j’ai progressé, et trouvé le rythme pour lire des ouvrages à l’approche difficile au premier abord. Car, si Sterne parle de son roman comme le Livre des Livres, j’avertis ici la future lectrice ou le futur lecteur. La vie et les opinions de Tristram Shandy, c’est un peu comme la Bible, impossible à lire d’une traite. Il faut prendre son temps, prendre le temps de savourer le texte, et le temps d’en comprendre, ou pas, les subtilités, les sous-entendus, et leur éventuelle grivoiserie cachée.



Mais j’y ai pris un réel plaisir. Tristram Shandy, c’est le chef d’œuvre absolu de l’humour, de la fantaisie, de la digression, de la parodie. Sous le prétexte d’une chronique en 9 volumes de la maisonnée campagnarde du sieur Gauthier Shandy, grand ferrailleur philosophique avec ses invités et ses proches, le Pasteur Yorick, le Docteur Bran, et surtout son frère Tobie, blessé à la guerre qui, aidé par son fidèle valet, le caporal l’Astiqué (sans doute une référence à Don Quichotte et Sancho Pança) créent des maquettes des batailles en cours, maisonnée dans laquelle le fils Tristram ne va naître qu’au 4ème volume, l’auteur nous mène à sa guise dans différents domaines de l’activité humaine, amour, religion, art de la guerre, voyages, etc… et tout cela avec un humour ravageur, se moquant sans cesse des philosophes et des arguties pseudo-philosophiques de ses contemporains. Mais il faut noter que toutes ces discussions passionnées le sont dans une totale bonhomie et affection réciproque entre les principaux protagonistes. Et parfois et même souvent, Tristram joue avec nous à parodier les romans, contes et récits de son époque, ainsi en est-il du conte de Grosscacadius, brodé autour d’une histoire de nez, désopilant, du récit délicieux et plein d’humour du voyage en France de Tristram poursuivi par la Mort, de la chevauchée « épique » du valet Obadiah jusqu’au domicile du Docteur Bran, de l’histoire bouffonne de l’abbesse des Andouillettes et de sa novice, et de tant d’autres.

Tout est parodie, dérision dans ce roman. Ça peut être féroce et grinçant. Ainsi le discours apologétique pitoyable du père Shandy lorsqu’il apprend la mort de son fils Robert. Ça relève aussi parfois de l’humour gratuit et un peu lourd, comme le chapitre sur les chapitres, celui sur les moustaches ou la préface du livre logée au sein du volume 3.



Je trouve qu’il y a, dans ce livre, comme on dit, plusieurs « niveaux de lecture ».



D’abord, ce roman est un formidable et jubilatoire jeu de construction littéraire. De l’emploi des tirets plus ou moins longs, d’étoiles pour suggérer du texte, de pages blanches, ou marbrées, de la typographie et de l’arrangement des mots dans chaque paragraphe, de l’utilisation de lignes pour résumer l’allure du récit dans chaque volume, ou d’une main pour montrer une partie de texte, tous ces procédés graphiques ou d’organisation du texte animent le texte, ce n’est pas de la bande dessinée mais ça y fait penser.



Et puis, il y a sans cesse un jeu sur le langage, qui fait penser à Rabelais: les mots inventés, ceux à double sens, qui doivent, je l’imagine, donner du fil à retordre aux traducteurs.



Et enfin, tout le roman est un pied de nez à la chronologie narrative. Et, si je comprends bien que tout le monde ne peut aimer cela, pour moi, ce fut un régal. On va passer d’une discussion au sein de la famille Shandy au récit de la fuite en France de Tristram, on va découvrir que les amours contrariées de Tobie et de la veuve Tampon, racontées dans les derniers volumes du livre, ont eu lieu avant la naissance de Tristram. Cette moquerie de la chronologie est d’ailleurs évoquée de façon «subliminale» dans une partie du livre, lorsque l’oncle Tobie explique à l’Astiqué, à propos des batailles militaires, que la géographie est plus importante que la chronologie, qu’on n’a que faire de la chronologie, et qu’il faut préférer l’ordre spatial à l’ordre temporel.



Bref, voilà une fantaisie littéraire qui se fiche pas mal de l’effet de réel. Sterne semble nous dire: je revendique la totale liberté de ma création, l’omnipotence de la littérature, et tout cela en définitive, n’est qu’un jeu entre toi, chère lectrice ou lecteur, et moi, l’auteur.

Encore faut il avoir envie de jouer, ce fut mon cas, mais sans doute n’est-ce pas le cas de toutes et de tous.
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Voyage sentimental à travers la France et l'I..

Si quelqu'un venait à me dire que Paul Léautaud avait comme ancêtre Laurence Sterne je serais prêt à le croire sur le champ.

J'ai retrouvé cette jubilation d'écriture dans un style flamboyant d'ironie.

Tout est en subtilité et chaque mot est choisi à dessein. Le lecteur face à de tels écrivains se réjouit, à chaque phrase, d'entrer dans leur intimité et de partager leurs codes.

A ce titre la préface d'Aurélien Digeon (louons aussi son travail de traducteur) est indispensable pour comprendre qu'il faut lire Laurence Sterne bien souvent au second degré, et apprécier tout son cynisme. (les nuances de la langue française font ici merveille).

N'est ce pas un peu vieux ? allez vous me dire. Ancien sans aucun doute ! XVIIIe siècle, forcement ...mais je n'hésiterais pas, demain, à franchir un siècle de plus pour contempler La Joconde...

Pas vous ?
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La vie et les opinions de Tristram Shandy, ..

Un sommet absolu de littérature selon moi. Un roman que je n'ai pas fini de lire, relire, explorer dans toutes ses traductions et dans sa langue originale qui n'est pas la mienne. La traduction des éditions Tristram est une des plus récentes. Cette édition est particulèrement à recommander pour son appareil de notes et de commentaires. Une édition était même prévue en quatre tomes avec abondance de notes en fin de volume. Je l'attends avec impatience, s'il est toujours prévu qu'elle puisse paraître. La traduction de Charles Mauron, plus ancienne, moins Rabelaisienne, plus britannique au sens où l'entendent les français (mais que comprennent les français des britanniques ?) est aussi une excellente version, c'est celle par laquelle j'ai découvert ce roman foisonnant, très favorable à l'imagination. J'ai dû cocher une case sur Babelio, j'ai donc coché "lu", mais pour traduire mon approche de ce roman il faudrait créer une case où l'on puisse trouver à la fois "lu et relu" "à lire absolument" "à relire sans modération" "à offrir"... Bref, je ne peux que vous le recomander.
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La vie et les opinions de Tristram Shandy, ..

La vie et les opinions de Tristram Shandy, gentleman : neuf volumes reliés en un seul ouvrage, classique célèbre mais d’un abord plutôt revêche. Et c’est grâce à la préface et aux notes compilées à la fin de l’ouvrage que j’ai pu persévérer et terminer ce pavé.

Le narrateur, originellement prénommé par son père Trismegistus, fut baptisé Tristram à la suite d’une étourderie de la femme de chambre et de la mauvaise foi du curé. Tristram raconte ainsi sa venue au monde et les caractères de ceux qui forment sa famille immédiate : son père, Walter Shandy, sa mère Elizabeth, son oncle Toby, sans oublier les valets et servante, Trim, Obadiah et Susannah. Il s’adresse aux lecteurs en les nommant Vos Révérences, vos Honneurs, ça donne le ton.

Il faut savourer ces saynètes racontées avec un humour aux tournures vieillottes comme celle où trois hommes au salon (Walter Shandy, oncle Toby et le docteur Slop) discourent des diverses manières d’accoucher une femme pendant que la parturiente (la mère de Tristram) souffre mille douleurs à l’étage, encouragée par la sage-femme et Susannah. Les conversations improbables entre Walter et Toby sont également du plus bel effet, que l’on discute de l’importance et de la prédestination des prénoms donnés aux enfants, de l’éloge des jurements (jurons), de l’architecture des nez ou des ouvrages défensifs en temps de guerre. Celles entre Toby et Trim, aux différents niveaux de lecture, sont aussi dignes de mention, culminant dans une apothéose de démarches sentimentales entre oncle Toby, cette « digne âme », et la veuve Wadman, et entre Trim le valet et Bridget, la servante de la veuve.

Tout au long du récit, Laurence Sterne avance tranquillement sa plume sur le papier, n’hésitant pas à user de digressions pour faire patienter son lecteur, continuellement laissé sur sa faim en fin de chapitre. Une lecture parfois astreignante mais dont j’ai fini par prendre le rythme au fil des pages, emportée par les pensées des plus grands philosophes et humanistes des temps anciens.





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La vie et les opinions de Tristram Shandy, ..

A mon sens, lorsque Laurence Sterne engendra "Vie et opinions de Tristram Shandy", il aurait dû prendre garde à ce qu'il faisait. S'il avait à cet instant dûment pesé le pour et le contre, il aurait pu s'apercevoir qu'il se lançait dans une aventure sans fin et que son incroyable entreprise, de digressions en digressions, accompagnerait son quotidien jusqu'au terme de sa vie. Car l'objectif premier de ce roman des romans est de ne surtout pas arriver à un quelconque terme. Deux expressions du narrateur expriment remarquablement le principe de l'oeuvre: "C'est du soleil des digressions que nous vient la lumière" et "Je ne conduis pas ma plume, elle me conduit". L'édifice de Monsieur Sterne semble donc inachevable, un chapitre pouvant toujours s'ajouter aux autres, un livre pouvant encore prolonger les autres. Mais, soit dit en passant, cherchons-nous une destination finale lorsque nous ouvrons un livre? Et ne désirons-nous pas plutôt nous engager dans un inoubliable voyage?
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La vie et les opinions de Tristram Shandy, ..

A mon goût, la meilleure traduction du chef d'oeuvre de Laurence Sterne.



Illustration par l'exemple avec 4 traductions différentes :



Texte originale de Laurence Stern :



« — Did not Dr. Kunastrokius, that great man, at his leisure hours, take the greatest delight imaginable in combing of asses tails, and plucking the dead hairs out with his teeth, though he had tweezers always in his pocket? Nay, if you come to that, Sir, have not the wisest of men in all ages, not excepting Solomon himself; — have they not had their HOBBY-HORSES !— their running-horses their coins and their cockle shells , their drums and their trumpets, their fiddles, their pallets, — their maggots and their butterflies? — and so long as a man rides his HOBBV-HORSE peaceably and quietly along the King's highway, and neither compels you or me to get up behind him, — pray , Sir , what have either you or I to do with it ? »



Traduction de Guy Jouvet (2004) :



« Le docteur Cunnusbranlius, ce grand homme, ne prenait-il pas, dans ses heures de loisirs, le plus intense des plaisirs qui se puisse imaginer à démêler les toisons ou autre parchemins velus frisant sur les Pays-Bas des bougresses, puis à en arracher les poils morts avec ses dents, quoiqu'il eût toujours des pinces dans sa poche ? Mieux ! Allons au bout, Monsieur, et osons le mot : les plus grands sages de tous les siècles, Salomon lui-même ne faisant pas ici exception, ¬ n'ont-ils pas eu leurs DADAS, leurs TURLUTAINES, ¬ leurs califourchons ? ¬ Qui d'entre eux n'a pas eu son cheval-jupon préféré, son joujou favori, sa passion dominante, sa folie douce, sa naïve toquade : chevaux de course, collections de monnaies, de médailles, de jetons, de coquillages... ? Qui n'a caracolé sur un bâton, battu tambour ou soufflé dans la trompette ? »



Traduction de Charles Mauron (1946) :



« Le Dr Kunastrokius, ce grand homme, ne prenait-il pas une joie immense dans ses heures de loisir à peigner la queue des ânes et n’en arrachait-il pas les poils morts avec les dents bien qu’il eût toujours des pinces dans sa poche ? A ce compte, monsieur, les plus sages des hommes, sans en omettre Salomon lui-même, n’ont-ils pas eu leurs marottes et leurs chimères : écuries de course, médailles, coquillages, tambours, trompettes, violons, palets, magots et papillons ? »



Traduction Léon de Wailly (1842) :



« Le docteur Kunastrokius, ce grand homme, à ses heures de loisir, ne prenait-il pas le plus grand plaisir imaginable à peigner la queue des ânes et à arracher avec ses dents les crins blanchis, quoiqu’il eût toujours des pinces dans sa poche ? Et même, si vous en venez là, monsieur, est-ce que les hommes les plus sages dans tous les siècles, sans en exception Salomon lui-même, n’ont pas eu leurs DADAS, — leurs chevaux fougueux, — leurs monnaies et leurs pétoncles, leurs tambours et leurs trompettes, leurs violons, leurs palettes, leurs vers-coquins et leurs papillons? »



Traduction de Joseph-Pierre Frénais (1777) :



« Un des plus grands hommes de ce monde, le fameux M. Paparel, n'avait-il pas le sien? II n'avait qu'à se baisser et prendre; les parasites ne l'incommodaient pas. — Le passe-temps le plus agréable du dernier des Césars était de tuer des mouches. — Hé , Monsieur, on a vu cela dans tous les siècles. Les hommes les plus sages (je n'en excepte pas même Salomon, le sage des sages ) ont eu leurs bizarreries, leurs chevaux de courses, leurs médailles, leurs coquilles, leurs tambours, leurs violons, leurs trompettes, leurs talons rouges, leurs palettes, leurs quintes, leurs papillons. On les a vus, chacun à sa façon, aller à dada sur leurs califourchons. — Qu'ils aillent , Monsieur, qu'ils aillent !—Pourvu qu'ils ne nous forcent pas, vous et moi, dans leur gravité, de monter en croupe derrière eux; quel intérêt avons-nous , je vous prie, de nous inquiéter de ce qu'ils sont! Ils ont leur marotte?... hé bien! qu'ils aillent. »



Je ne parle même pas de la traduction de Frénais, qui vient d’un autre âge, mais je ne vois vraiment pas d’où Jouvet sort ses : « parchemins velus frisant sur les Pays-Bas des bougresses » et ses « naïve toquade ». Ni son : « Allons au bout, Monsieur, et osons le mot » qui n’existe pas du tout dans la phrase de Stern. Jouvet détruit l’ambiguïté parce qu’il regrette de ne la voir pas surgir dans le double sens du mot anglais ass, qui signifie à la fois âne et cul. Il vire à tribord parce qu’il n’aime pas bâbord, et rajoute des images en se croyant autorisé. C’est pire que Mauron, en l’occurrence. La seule traduction lisible de Shandy est décidemment celle de Wailly.



Ailleurs :



Stern :



Well ! dear brother Toby, said my father, upon his first seeing him after he fell in love – and how goes it with your ASSE?



Mauron :



Eh bien, mon cher frère Toby, dit mon père lorsqu’il le revit pour la première fois après l’événement, comment va votre âne ?



Jouvet :



Hé ! hé ! mon cher frère Tobie, fit mon père, lorsqu’il revit son frère pour la première fois depuis qu’il était tombé amoureux – comment va ton BOURRICOT-PLEIN-DE-POIL ?



Et je ne vois pas pourquoi Jouvet choisit de traduire « well» par « hé hé », ni pourquoi il se croit autorisé à répéter « frère » que Stern élude. Quant à sa trouvaille finale, elle est grotesque et lourdingue.



Wailly :



Il est le plus précis (car Mauron traduit « after he fell in love » par « après l’événement »). Wailly met une note de bas de page au problème et en informe ainsi le lecteur :



Eh bien, cher frère Toby [pourquoi Mauron et Jouvet ajoute un possessif ?], dit mon père, la première fois qu’il le vit depuis ses amours, — comment va votre Ane ?



Sa note : "Tout ce chapitre roule sur une équivoque intraduisible, résultat de la ressemblance qui existe entre le mot anglais qui signifie âne et celui qui signifie c—l. "



Autre exemple :



Sterne :



« I wonder what’s all that noise, and running backwards and forwards for, above stairs, quoth my father, adressing himself, after and our hand half’s silence, to my uncle Toby, — who you must know was sitting on the opposite side of the fire, smoking his social pipe all the time… »



Jouvet

« Je me demande ce que signifie tout ce tapage et ces galopades en tous sens qu’on entend là-haut ! fit mon père, en s’adressant au bout d’une heure et demie de silence à mon oncle Tobie, — un oncle Tobie, précisons-le, qui, assis à l’autre coin de la cheminée, n’avait point cessé, dans tout cet entre-temps, de tirer placidement sur une pipe débonnaire… »



Léon de Wailly — si simple :



« Je voudrais bien savoir pourquoi tout ce bruit et toutes ces allées et venues en haut, dit mon père, s’adressant après une heure et demie de silence à mon oncle Toby — qui, il faut que vous le sachiez, était assis à l’autre coin du feu, fumant tout le temps sa pipe sociale… »



Jouvet traduit « i wonder » par : je me demande ce que signifie », il quadruple les mots sans raison, alourdit la phrase ; puis il traduit « noise » par « tapage », à nouveau sans raison, quand il est si simple de traduire par « bruit », et continue en traduisant « running backwards and forwards » par « galopades en tous sens », alors que « backwards » et « forwards » n’ont jamais signifié «en tous sens ».



Autre exemple :



Sterne :

« Then let me tell you, Sir… »



Jouvet :

« Ah ? Convenez pourtant, Monsieur… »



D'où sort ce "Ah ?!" Il n'y en a pas dans le texte original, et c'est tellement peu britannique.



Alors que de Wailly, si simple :



- « Alors, permettez-moi de vous dire, monsieur… »



Autre exemple :



Sterne :

«I know there are readers in the world… »



Jouvet :

« Je sais qu’il y a dans ce monde quantité de lecteurs »



D'où sort ce "quantité" qui est si laid ?



De Wailly (toujours simple et fidèle) :



« Je sais qu’il y a dans le monde des lecteurs…"



Voilà !



Si vous voulez lire Sterne, lisez la vieille traduction oubliée Léon de Wailly, on la trouve gratuitement sur Gallica




Lien : https://gallica.bnf.fr/ark:/..
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Voyage sentimental à travers la France et l'I..

Février 1768, à Paris.

M. Yorick entreprend un voyage depuis l'Angleterre à destination de la France et de l'Italie. A travers son récit, il raconte ses aventures et les rencontres faites au cours de son trajet. En passant par Calais et Paris, il fait d'abord la connaissance d'un moine puis d'un jeune homme (La Fleur) qui fera le voyage avec lui sur la Désobligeante, une chaise de transport utilisée à l'époque. A Paris, il croise également le chemin de divers autres personnages qu'il observe, interpelle et interroge. Au fil de son séjour, il s'adapte à la vie et aux coutumes des français. Durant cette période, la France est en pleine guerre de Cent ans. M. Yorick a omis de demander un passeport avant de partir en voyage. Pour ne pas être emprisonné à la Bastille, il se rend à Versailles demander au Comte son aide pour obtenir le document qu'il obtient avant de continuer son périple.

Un livre qui parle d'émotions, de sentiments et de liberté.

"Un voyage sentimental" publié aux éditions Tristram est une toute nouvelle traduction de Guy Jouvet qui, d'après le prologue, fut un travail long et minutieux en raison du langage, des coutumes de l'époque et des expressions françaises utilisées et assez mal orthographiées. Cette littérature n'est vraiment pas dans mes habitudes. Je n'ai pas lu de romans du 18ème siècle depuis de nombreuses années, celles des années lycées. Cependant, aujourd'hui j'ai apprécié de me replonger dans ce type de d'ouvrage. J'ai trouvé le découpage du récit bien structuré et le texte compréhensible. Ce fut un livre détente que j'ai lu facilement.

Laurence Sterne est un des plus grands auteurs britanniques. Ses livres constituent les prémices du romantisme : une littérature de voyage, de passion dans laquelle on parle de sentiments, de passion, de séduction, de vie et de liberté. Lors de sa publication d'origine, ce livre a eu un très grand succès en Angleterre. L'auteur s'est inspiré de son propre voyage en France et en Italie effectué quelques années plus tôt.

Le texte est ironique, il est découpé en plusieurs séquences d'une ou deux pages chacune. Les dialogues sont humoristiques, on y trouve des jeux de mots et des sous-entendus dans de nombreuses répliques. Alors que l'on lisait beaucoup de pièces de théâtres et de poésie à l'approche des années 1800, les récits de voyages sont une nouveauté, ce mouvement littéraire arrivera en France beaucoup plus tard.

A la fin du livre, on trouve un texte d'une centaine de pages intitulé "Journal à Elisa", rédigé sous la forme d'un journal intime. Il a été écrit entre avril et août 1767, soit quelques mois avant le décès de Laurence Sterne, mais a seulement été découvert soixante ans après sa mort. Sa première publication date de 1904. Ce dernier texte complète très bien la découverte de la plume de cet auteur que je n'avais jusqu'ici jamais lu.
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Le roman politique

Le Roman politique (titre original : A Political Romance) est le premier livre de Laurence Sterne, immédiatement brûlé en 1759, quelques mois avant la parution des premiers volumes de Tristram Shandy. Ledit roman est très bref, constitué d’abord de 25 pages contant l’«histoire d’un excellent manteau, bien chaud et d’un bon rapport, dont l’actuel possesseur ne daigne se couvrir les épaules qu’à la condition expresse de pouvoir se faire tailler dedans un jupon pour sa femme et une paire de braies pour son fils». Pas une affaire d’Etat, a priori, même si la bataille du manteau n’est pas tout et qu’il y a aussi les affaires de la «Paire-de-vieilles-Culottes-en-Peluche-noire» et «du grand Tapis vert de Lutrin et du vieux Coussin de Velours». Suivent un «Post-scriptum» de 5 pages, 15 pages d’un chapitre intitulé «la Clef» qui prétendent éclairer le texte du début et l’embrouillent prodigieusement, et deux lettres de Laurence Sterne qui constituent l’«Appendice» de ce Roman politique. Il y a en outre un «dossier» réunissant divers documents de Sterne ayant peu ou prou trait au scandale, le reste, pas loin des deux tiers du volume, étant constitué de «notes et commentaires» de Guy Jouvet, le traducteur de ce texte comme il a été le nouveau et remarquable traducteur de Tristram Shandy en 1998, et qui ne ressemblent certes pas aux éditions critiques habituelles de quelque texte que ce soit.







Dans la réalité de 1759, cette guerre picrocholine met en cause deux clans d’ecclésiastiques (Sterne étant dans cette carrière et partie prenante de ce conflit). L’écrivain traite l’affaire avec un humour et une exagération manifestes - et traîne tout le monde dans la boue, son camp comme l’autre, définissant chacun avec une psychologie inventive. «La Tripatouille était le Genre d’Homme sur qui les Oripeaux exerçaient une attirance irrésistible, et qui eût mieux aimé posséder la plus loqueteuse des Défroques - surtout s’il la voyait portée par un autre -, pourvu qu’elle eût été à l’origine l’habit de la plus riche Etoffe, plutôt que d’avoir sur lui le vêtement le plus sobre, le plus neuf et le plus confortable, dont les fuseaux de sa Femme eussent filé pour lui la fibre.» Puisqu’il s’agit manifestement d’un roman à clef, le chapitre «la Clef» en présente un bon nombre. Naît un délire interprétatif dû à ce que chacun ne s’intéresse qu’à sa seule hypothèse, voyant là le roi de France et là celui de Prusse ou d’Angleterre, le géographe se passionnant pour «les Braies», qui de toute évidence désignent Gibraltar, tandis que le tailleur n’en a que pour la «Paire de Culottes» qui ne peut renvoyer qu’à la Sicile, et ainsi de suite, si bien que, en fait de clef, on se retrouve avec tout «un Trousseau» dont il est naturellement impossible au malheureux (mais bienheureux) lecteur de savoir laquelle ouvre quelle porte.



«Cette Interprétation était trop ingénieuse pour qu’on la dédaignât tout à fait ; et, à la vérité, si elle péchait à quelque endroit, c’était par l’excessive Chaleur du ton qui (ainsi que le souffla un Apothicaire assis au coin du Feu à l’oreille de son Voisin le plus proche) affectait profondément le Laïus jusque dans ses Détails les plus insignifiants et y causait une si puissante Effervescence qu’il était impossible qu’il produisît l’Effet désiré.» Guy Jouvet montre dans ses notes et commentaires comment Laurence Sterne entreprend de parodier dans ce Roman politique à peu près tout ce qu’il est possible de parodier, mais lui-même manifeste, à défendre l’auteur du XVIIIe siècle et sa propre traduction de Tristram Shandy contre de mystérieux ennemis (pas nommés mais qui se reconnaîtront), une «Chaleur de ton» qui contribue au charme du volume puisqu’on ne sait plus bien si le traducteur parodie Laurence Sterne ou ses personnages. Guy Jouvet tire sur tout ce qui bouge, qu’il ait ou non évoqué Sterne. Henri Bergson se voit renvoyé à l’ignominie raciste. Henri Fluchère, spécialiste de Shakespeare qui a écrit un livre sur Sterne (et est mort en 1987), se retrouve dans le proche entourage de Goebbels. La «confrérie» des universitaires qui a ricané de la traduction de Tristram Shandy se prend une raclée quand la taille des tirets dans le texte devient une affaire aussi importante que celles du manteau et de la paire de culottes. Même Swift et Rabelais, Saint-Simon et Kafka sortent abaissés d’une comparaison avec Sterne. «Je parle ici de ce genre de modèle qu’on m’oppose chez les savants ricaneurs qui affirment étouffer sous le "fatras" de mes commentaires», écrit Guy Jouvet. Or il est vrai qu’on n’étouffe pas avec les notes de Guy Jouvet, fussent-elles d’une longueur inaccoutumée. D’une part, parce qu’elles sont reléguées en deuxième partie de volume et qu’il n’est pas nécessaire d’interrompre sa lecture de Sterne pour s’y plonger (on peut les garder pour la fin). Et, d’autre part, parce que leur érudition échevelée, qui les rend d’une certaine manière si peu nécessaires, leur confère une tout autre nécessité.



Mathieu LINDON



http://www.libération.fr
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La vie et les opinions de Tristram Shandy, ..

Une lecture qui a profondément touché et chamboulé ma vie étudiante. De quoi ça parle? De rien, de tout, de ci et de cela... Que répondre à l'examen? Une histoire de naissance, de tabac, de routes et surtout d'un monde littéraire qui raconte l'Europe du XVIIIe, qui raconte l'Homme.

Un vrai roman à tiroir (qu'aucun héritier français n'a jamais réussi à égaler), un brin donquichottisant, plein de philosophie et d'humour. A savourer et à rêver de relire un jour quand on aura vieilli et que Tristram et l'oncle Toby nous apprendrons encore de nouvelles et belles choses sur nous.
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La vie et les opinions de Tristram Shandy, ..

Extrêmement expérimental pour l’époque, Tristram Shandy se lit presque comme un roman moderne d’avant-garde. Le narrateur, Tristram, commence à raconter l'histoire de sa vie, en commençant par l'histoire de sa conception – un commentaire innocent de sa mère perturbant la concentration de son père et faisant concevoir le pauvre Tristram comme un faible. Pour comprendre cela, Tristram doit alors expliquer le principe d'association d'idées de John Locke. Cela l'implique à son tour dans une dispute sur le contrat de mariage de ses parents, son oncle Toby, le curé Yorick, la sage-femme, des digressions sans fin, des interruptions, des histoires dans des histoires et d'autres dispositifs narratifs. Il a tellement de choses à raconter qu'il n'apparaît que dans le troisième volume. Il faut plus de temps pour raconter sa vie que pour la vivre.



À un certain niveau, Tristram Shandy est une satire de la fierté intellectuelle. Walter Shandy pense qu'il peut engendrer et élever le fils parfait, mais Tristram est mal conçu, mal baptisé, mal éduqué et circoncis à cause d'un cadre de fenêtre qui tombe. Il devient un homme faible et impuissant dont le seul espoir de transcender la mort est de raconter son histoire et celle de sa famille. Enfin, Tristram se tourne vers l'histoire douce et drôle des histoires d'amour de son oncle Toby avec la veuve Wadman, concluant le roman des années avant la naissance de Tristram. Roman hilarant, souvent paillard, Tristram Shandy fait néanmoins un commentaire sérieux sur l'isolement des gens les uns des autres causé par les insuffisances du langage et décrit le dépassement de l'isolement par des gestes impulsifs de sympathie et d'amour. Un deuxième thème majeur du roman est celui du temps – le décalage entre le temps de l’horloge et le temps ressenti, l’influence du passé sur le présent, la conscience qu’une vie joyeuse mène inexorablement à la mort. Important en tant qu'ancêtre de la fiction psychologique et du courant de conscience.
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La vie et les opinions de Tristram Shandy, ..

Quelle oeuvre particulière, surprenante et déstabilisante que ce roman britannique datant de 1759-1760 ! Laurence Sterne tente d'y faire sous une forme satirique une pseudo-autobiographie du narrateur, Tristram Shandy, en débutant avec les circonstances entourant sa naissance qui, déjà, s'étalent sur quelques centaines de pages. La vie et les opinions de Tristram Shandy est une ode à la digression. C'est un roman univers qui s'illustre par sa non-linéarité, un roman où l'auteur engage le lecteur dans son écriture, s'en soucie et lui offre des pages de réflexions, d'autres de détente, se permet des chemins de travers, des apartés, des parenthèses sinon des divagations, qui ne craint pas le coq-à-l'âne, qui nous entraînent allégrement dans l'exploration des travers de la famille, les obsessions éducatives du père ou les fixations de l'oncle sur les fortifications et les batailles célèbres. On y retrouve quelque chose de Rabelais, de Montaigne, de Swift ou encore de Cervantès et Sterne n'hésite pas à y faire référence dans ses réflexions étalées dans une multitude de courts chapitres qui se déploient en autant de dimensions. Il y a comme une espèce de fascination qui s'installe à la lecture de ce roman.



On comprend alors pourquoi Georges Perec a pu faire de Sterne l'une de ses figures tutélaires parmi d'autres comme Flaubert, Kafka, Roussel ou Queneau. La vie et les opinions de Tristram Shandy ne serait-il pas une concrétisation d'un plagiat par anticipation, un concept défendu par les membres de l'Ouvroir de littérature potentielle ? En toute chose, la non-linéarité, l'intense utilisation de l'anecdote, la mise en abyme, la multiplicité du temps sont toutes des caractéristiques qui m'invitent à faire référence à une autre oeuvre monde, La vie mode d'emploi. Ce n'est pas sans me plaire.



La vie et les opinions de Tristram Shandy est essentiellement constituée de digressions, de parenthèses et d'écarts. Dans un chapitre intitulé L'éloge et l'utilité des digressions, Laurence Sterne par la voix de Tristram Shandy n'écrit-il pas : « Les digressions sont incontestablement la lumière, la vie, l'âme de la lecture. » Je peux difficilement le contredire lorsque je me remets en mémoire certaines oeuvres qui m'ont marqué comme La mezzanine de Nicholson Baker, Si par une nuit d'hiver un voyageur de Calvino, La vie mode d'emploi déjà cité ou les écrits de Richard Brautigan, d'Éric Chevillard ou de Jean-Marie Blas de Roblès qui, tous, ne font pas l'économie de la digression et du pas de côté.
Lien : https://rivesderives.blogspo..
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La vie et les opinions de Tristram Shandy, ..

« La vie et les opinions de Tristram Shandy » porte mal son nom. Car de la vie de Tristram, le narrateur, on apprend très peu de choses, et un peu plus de ses opinions il est vrai. Sa naissance ne survient qu’au tiers du livre environ, et à la fin il n’est encore qu’un enfant. Les véritables héros en sont le père de Tristram, Gauthier Shandy, et le frère de celui-ci, Tobie. Leurs discussions, réflexions, faits et gestes, et les retours sur leur vie constituent autant de digressions qui freinent la progression du récit. Mais cela semble le cadet des soucis de Laurence Sterne, qui prend plutôt plaisir à dynamiter la forme académique du roman.



Au final, le récit se présente comme un collage de commentaires philosophiques, de gloses religieuses, d’allusions graveleuses, de discussions sur d’absurdes points de droit, d’analyses scientifiques, de dissertations sur l’art militaire. La science des fortifications est le « dada » (ou « califourchon ») de Tobie, ancien officier blessé à la bataille de Namur, homme bon et doux dingue, qui reconstitue dans son jardin, en miniature, places fortes ou autres villes afin de rejouer avec son fidèle serviteur L’Astiqué les batailles qui s’y sont déroulées. Tout cela sous l’œil mi-amusé mi-agacé de son frère, excentrique d’un autre genre, homme fantasque, singulier et imprévisible, à la grande culture livresque parfois mal digérée, « dont la méthode constante était de faire cadrer de force chaque événement au monde avec une de ses hypothèses » et qui professe les théories les plus extravagantes sur la procréation, l’accouchement, la forme du nez, ou encore l’influence du nom de baptême. Théories qu’il entend bien appliquer à l’éducation de son fils Tristram, même si la fortune semble prendre un malin plaisir à contrarier ses plans.



« Tristram Shandy » est rempli de références aux penseurs et écrivains qui ont influencé Sterne : Locke, Swift, mais surtout Cervantès et Rabelais. On retrouve de ce dernier un goût certain pour la fantaisie verbale, avec ces savoureux archaïsmes (ou néologismes ?) : « éplapourdi », « patafioler », « embabouiné », « emberlucoqué », « coquefredouille », « niquedouille », « entrefesson », « dilapidéchargé », « débagoulage », « fougadeux », « turlutaine », etc. Hommage et satire, éloge de la singularité et dénonciation des idées reçues, récit et parodie de récit, ce texte iconoclaste contient tous les genres, il est tous les textes, il est le « livre des livres ».



Laurence Sterne s’amuse avec son lecteur, qu’il apostrophe parfois pour lui exposer ses propres réflexions sur la littérature et la vie. Ecrire et vivre sont une seule et même chose pour Sterne le tuberculeux. Lutter contre la mort qui rôde revient donc à combattre le mortifère esprit de sérieux en littérature : « […] j’écris sans plus m’en faire ce parfait livre du dessouci : d’une honnête courtoisie et d’une extravagance absolue, facétieux en diable mais sans malice aucune, bref, shandéique jusqu’à la moelle des os, qui ne manquera point de vous faire le plus grand bien au cœur. Et à la tête également, à condition que vous y compreniez quelque chose. » Grand bien nous fasse en effet.


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Voyage sentimental à travers la France et l'I..

Un chef d'oeuvre absolu de fantaisie, d'humour, d'inventivité, de liberté de ton et de narration... Sterne suit son humeur aussi vagabonde que son voyage, et ses digressions sont inénarrables. Un régal, une fête de l'esprit, à lire de préférence en anglais accompagné d'une bonne traduction, pourquoi pas celle du XVIIIe siècle de M. Frénais, de Bonnet, etc, qui n'ont pas peur des "belles infidèles", c-a-d des traductions "améliorées" plus que fidèles !! La comparaison des deux textes est hilarante...
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