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Serge Soupel (Éditeur scientifique)Charles Mauron (Traducteur)
EAN : 9782080703712
632 pages
Flammarion (07/01/1999)
3.95/5   199 notes
Résumé :
D'une force comique et subversive incomparable, cette chronique d'une maisonnée campagnarde - où l'on assiste aux déboires et aux débats véhéments et passionnés des membres de la famille Shandy, de leurs amis, voisins et domestiques, dans des domaines aussi variés que l'obstétrique, la religion, l'amour ou l'art de la guerre - apparaît d'abord comme le roman de la liberté absolue de l'écrivain : " Il faudrait savoir à la fin si c'est à nous autres écrivains de suivr... >Voir plus
Que lire après La vie et les opinions de Tristram Shandy, gentilhommeVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (26) Voir plus Ajouter une critique
3,95

sur 199 notes
Ce livre avait — a priori — tout pour me plaire : un auteur d'une incroyable érudition, un humour omniprésent, un esprit particulièrement iconoclaste et novateur, une réflexion sur ses contemporains constamment épaissie d'un message à double entente d'un caractère grivois…

En somme, on m'avait parlé de chef-d'oeuvre, et je m'attendais à tel or… or… or, en ce qui me concerne, ce livre m'est tombé des mains — littéralement car je me suis endormie dessus à de nombreuses reprises — et c'est vraiment parce que j'étais très motivée que je suis allée au bout car, sans quoi et si j'avais été un tantinet moins maso, je me serais arrêtée bien avant son terme.

Ce sont des digressions à n'en plus finir, du parler pour ne rien dire, et volontairement en plus, des interpellations constantes du lecteur, une " performance ", au sens moderne du terme, du genre « vous voyez ce truc-là, eh bien moi je vous parie que je peux arriver à le casser ou à sauter par-dessus sans le toucher ». Et, en soi, les performances de ce type m'ennuient profondément.

Tiens, je vais essayer de vous trouver un parallèle, c'est un peu comme si, pour vous impressionner, un cuisinier décidait de réinventer la cuisine : « le plat chaud ? Eh bien je vais vous le faire froid. le dessert ? Eh bien on va commencer par ça et au lieu de vous le faire sucré, je vais vous le faire salé. Etc., etc. » Donc, performance, oui, peut-être, mais est-ce vraiment bon et digeste, là, permettez-moi de m'interroger.

Donc, Laurence Sterne n'en finit pas de déconstruire le roman, de dynamiter tous les codes, parfois jusqu'à l'illisible. D'une certaine façon, il est le James Joyce de son temps. L'art de la digression inutile y est porté à son paroxysme quasiment comme un credo et sera par la suite quelque peu imité par Diderot dans Jacques le fataliste.

En somme, voici un livre assez gros qui ne raconte rien de précis (bon ça, à la limite pourquoi pas), qui tourne tout à la dérision et au burlesque (pourquoi pas encore) avec des longueurs incommensurables en étrillant au passage deux ou trois connaissances de l'auteur vis-à-vis desquels il souhaite régler quelques comptes et les ridiculiser un peu à la façon De Voltaire (là encore, pourquoi pas). Mais je ne vois pas de cette fameuse profondeur dont on nous rebat les oreilles à chaque fois que l'on lit des commentateurs de cette oeuvre qui tous crient au chef-d'oeuvre, au monument incomparable de la littérature mondiale.

(L'argument, en général, lorsque vous n'avez pas apprécié un tel livre, c'est de dire que vous n'avez pas compris, que vous n'êtes pas assez subtile pour en percevoir tout le bon grain et le nectar, etc.) Bon, ce que je me dis, très modestement — les gens n'étant pas plus bête que ça — c'est que s'il s'agissait véritablement d'un chef-d'oeuvre, beaucoup plus de gens le lirait. Personnellement, je l'ai lu, avec un réel ennui très souvent, et n'en retire absolument aucune satisfaction particulière alors que je ne lis quasiment que des classiques et ne suis donc pas spécialement fermée aux livres anciens ni aux livres réputés " difficiles à lire ".

J'ai eu le sentiment que pendant tout l'ouvrage, Sterne jouait à " qui pisse le plus loin " histoire de nous prouver que LUI, il pouvait le faire. Personnellement, je serais tentée de lui répondre : « Et nous ? Est-ce que ça nous intéresse ? »

Pour ceux que cela motive tout de même, disons que le livre prétend être une autobiographie de Tristram Shandy, mais dont, finalement on n'apprendra presque rien, vous vous en doutez. L'épisode précédant sa naissance étant le plat principal. de ses opinions, bien évidemment, on ne saura à peu près rien non plus car l'essentiel tournera autour de son père et de son oncle (le frère du précédent). le père est une caricature du philosophe John Locke, et l'oncle Tobie est présenté comme ayant une toquade (un dada) à la Don Quichotte.

Lui, son truc, ce n'est pas la chevalerie errante, ce sont au contraire les très statiques sièges des villes pendant les guerres. Les références à Cervantès et Rabelais sont omniprésentes, mais l'on est loin, d'après moi, de l'engouement que peut susciter la lecture d'un Don Quichotte, par exemple.

Bref, à vous de voir si l'aventure shandéenne vous attire. Il y a quelques passages drôles, beaucoup d'autres longs, loooonnnnngggggssss, ennuyeux à souhait et gratuits à mes yeux. Bien entendu, le mieux était, est et sera toujours de s'en faire soi-même sa propre opinion et je ne prétends pas avoir des lumières particulières à propos de ce livre. Vous connaissez la suite…
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Quis leget haec ?

Eh bien, je me le demande !
Mais un peu de patience, je vous prie. - Et même, soit dit en passant, un peu de courage - oui, COURAGE est peut-être le mot qui conviendra le mieux pour aborder "La vie et les opinions de Tristram Shandy, gentilhomme".
Car nous avons là un morceau littéraire fort astucieux - c'est par ces mots que je devrais probablement commencer cette chronique - il est toujours préférable de commencer d'une façon plus générale, pour ne pas décourager les esprits craintifs. Mais je voudrais d'abord souligner autre chose --- ne criez pas et ne protestez pas, je vais m'organiser comme bon me semble. - Après tout, c'est moi qui écris ce commentaire !

Je voudrais donc souligner que c'est un livre qui va agir sur toutes les humeurs qui peuvent circuler dans le corps humain. - Ah ! Il n'y en a pas tant que ça, me contredira le lecteur vétilleux de ces lignes - mais il se trompe prodigieusement, cette petite âme critique - car l'intérieur d'un corps humain est tout aussi compliqué et emberlificoté que le livre de Sterne.
Hélas, cher lecteur, il n'est point aisé de pénétrer la pensée de ce bon Tristram. - Il se laisse distraire - il raccourcit ses chemins - puis il les rallonge - il marche sur les courbes ellipsoïdes plutôt que sur les routes directes --- ou sur n'importe quoi de simple et de droit. Fichue chose !
Mais la simplicité n'est pas toujours une vertu - du moins en ce qui concerne la littérature - et c'est une opinion que je respecte. - Peu d'opinions sont aussi ciselées et polies --- jusqu'à un tel éclat. Les voies simples et droites seraient plus seyantes et honorables aux relations humaines, évidemment - mais qui a jamais vu des relations humaines simples et droites ? --- Certainement pas moi. Et cela fait pourtant quelques années que j'arpente ce beau monde - même si, j'en conviens, moins longtemps que certains d'entre vous - mais en calculant bien, vous trouverez un nombre à deux chiffres divisible lui-même plusieurs fois par deux. - Toutefois, à condition de bien vouloir vous prêter à ce divertissant petit exercice de calcul, ça va de soi.

De gustibus non est disputandum - certains vont trouver le livre long et XXXXX (censuré) - car c'est l'art de la digression qui le fait avancer. - Il est donc, pour ainsi dire, à la fois digressif et progressif. N'est-ce pas fabuleux, de concilier ainsi deux mouvements complètement opposés, qui paraissent inconciliables ? Certes, quand l'oncle Tobie et son fidèle compagnon Trim enfourchent leur dada militaire, les cavalcades peuvent parfois sembler fatigantes. Mais quel duo ! Dites-moi, ne trouvez-vous pas que l'histoire est toujours meilleure quand elle est menée par un duo ? Moi, je trouve. Mais ne me comprenez pas mal - il y a bien d'autres personnages dans le livre, pas seulement Tobie et Trim - mais la liste serait encore bougrement longue --- et, voyez-vous, le temps passe.

Donc, pour ne pas me perdre en interminables digressions comme sieur Tristram qui raconte sa vie et ses opinions - et pour éviter d'étirer ce commentaire en neuf parties d'une longueur considérable, je pense que ceci est amplement suffisant pour une critique - ou me trompé-je ? --- Non ! Non ! Je vous entends crier. Il suffit !! - Alors, comme je viens de le dire, pour ne pas m'éloigner davantage, je vais seulement ajouter que cet ouvrage est probablement une des meilleures choses que vous pouvez trouver en littérature anglaise du 18ème - même si vous fouinez longtemps - et je sais que vous êtes de sacrés petits fouineurs !--- Une sorte de début de la littérature post-moderne - un petit tentacule - un perce-neige précoce et folâtre, qui... etc., etc. XXXXX (censuré).
En tout cas, si vous avez réussi à lire ce commentaire, vous pouvez lire aussi "Tristram Shandy" - sans lui, Joyce ne serait jamais aussi compliqué, Proust aussi long et Hašek aussi drôle ! Ma foi !
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What a book foutraque ! Quel « shandy » livre!
Un livre comme je n'en ai jamais lu.

J'avais découvert l'existence de Sterne il y a une bonne dizaine d'années, plutôt une bonne vingtaine, le temps passe si vite, par la lecture de l'Art du Roman de Kundera, l'un de mes auteurs préférés.
Kundera y met en avant, si je me souviens bien, la fantaisie de cet auteur du 18ème siècle, qui s'affranchit de la linéarité du cadre narratif comme d'autres qui l'ont précédé (en premier Cervantes) ou le suivront, parmi lesquels je trouve qu'il y a, par exemple Georges Perec et son extraordinaire « La vie, mode d'emploi », mais il est possible aussi d'y raccrocher Kundera lui-même avec son roman l'immortalité.

J'ai fait l'acquisition en 2014, et « au prix spécial de 11,40 euros » de ce roman, « La Vie et les Opinions de Tristram Shandy, gentilhomme » dans la version des Éditions Tristram (sic) avec une traduction, présentée comme nouvelle, de Guy Jouvet. Je sais depuis que cette traduction a déclenché une polémique car elle se démarque fortement de la traduction de « référence » de Mauron, plus ancienne, mais qui selon Guy Jouvet et les Éditions Tristram ne rend pas toutes les subtilités du texte original de Sterne. Guy Jouvet a aussi fait le choix de franciser à peu près tous les noms; ainsi William Sandy, le père de Tristram, devient Gauthier Shandy, son frère Toby devient Tobie, Trim se change en l'Astiqué, Mrs Wadman est la veuve Tampon, etc….
J'ai lu aussi, parmi les excellentes critiques des babeliotes (ah, quelle richesse toutes ces critiques!) celle très érudite de smalandrin, qui considère la traduction de Guy Jouvet comme la meilleure, bien qu'à la lecture de son commentaire, j'ai compris que la plus fidèle au texte est celle De Wailly.

Après toutes ces remarques préalables, je dois avouer que j'ai mis finalement 7 ans (de réflexion?) non pas à lire ce roman, mais à en entreprendre la lecture. Il est vrai que la taille du livre, 9 volumes pour un total de près de 900 pages, a de quoi en imposer.
Mais bon, depuis lors, j'ai progressé, et trouvé le rythme pour lire des ouvrages à l'approche difficile au premier abord. Car, si Sterne parle de son roman comme le Livre des Livres, j'avertis ici la future lectrice ou le futur lecteur. La vie et les opinions de Tristram Shandy, c'est un peu comme la Bible, impossible à lire d'une traite. Il faut prendre son temps, prendre le temps de savourer le texte, et le temps d'en comprendre, ou pas, les subtilités, les sous-entendus, et leur éventuelle grivoiserie cachée.

Mais j'y ai pris un réel plaisir. Tristram Shandy, c'est le chef d'oeuvre absolu de l'humour, de la fantaisie, de la digression, de la parodie. Sous le prétexte d'une chronique en 9 volumes de la maisonnée campagnarde du sieur Gauthier Shandy, grand ferrailleur philosophique avec ses invités et ses proches, le Pasteur Yorick, le Docteur Bran, et surtout son frère Tobie, blessé à la guerre qui, aidé par son fidèle valet, le caporal l'Astiqué (sans doute une référence à Don Quichotte et Sancho Pança) créent des maquettes des batailles en cours, maisonnée dans laquelle le fils Tristram ne va naître qu'au 4ème volume, l'auteur nous mène à sa guise dans différents domaines de l'activité humaine, amour, religion, art de la guerre, voyages, etc… et tout cela avec un humour ravageur, se moquant sans cesse des philosophes et des arguties pseudo-philosophiques de ses contemporains. Mais il faut noter que toutes ces discussions passionnées le sont dans une totale bonhomie et affection réciproque entre les principaux protagonistes. Et parfois et même souvent, Tristram joue avec nous à parodier les romans, contes et récits de son époque, ainsi en est-il du conte de Grosscacadius, brodé autour d'une histoire de nez, désopilant, du récit délicieux et plein d'humour du voyage en France de Tristram poursuivi par la Mort, de la chevauchée « épique » du valet Obadiah jusqu'au domicile du Docteur Bran, de l'histoire bouffonne de l'abbesse des Andouillettes et de sa novice, et de tant d'autres.
Tout est parodie, dérision dans ce roman. Ça peut être féroce et grinçant. Ainsi le discours apologétique pitoyable du père Shandy lorsqu'il apprend la mort de son fils Robert. Ça relève aussi parfois de l'humour gratuit et un peu lourd, comme le chapitre sur les chapitres, celui sur les moustaches ou la préface du livre logée au sein du volume 3.

Je trouve qu'il y a, dans ce livre, comme on dit, plusieurs « niveaux de lecture ».

D'abord, ce roman est un formidable et jubilatoire jeu de construction littéraire. de l'emploi des tirets plus ou moins longs, d'étoiles pour suggérer du texte, de pages blanches, ou marbrées, de la typographie et de l'arrangement des mots dans chaque paragraphe, de l'utilisation de lignes pour résumer l'allure du récit dans chaque volume, ou d'une main pour montrer une partie de texte, tous ces procédés graphiques ou d'organisation du texte animent le texte, ce n'est pas de la bande dessinée mais ça y fait penser.

Et puis, il y a sans cesse un jeu sur le langage, qui fait penser à Rabelais: les mots inventés, ceux à double sens, qui doivent, je l'imagine, donner du fil à retordre aux traducteurs.

Et enfin, tout le roman est un pied de nez à la chronologie narrative. Et, si je comprends bien que tout le monde ne peut aimer cela, pour moi, ce fut un régal. On va passer d'une discussion au sein de la famille Shandy au récit de la fuite en France de Tristram, on va découvrir que les amours contrariées de Tobie et de la veuve Tampon, racontées dans les derniers volumes du livre, ont eu lieu avant la naissance de Tristram. Cette moquerie de la chronologie est d'ailleurs évoquée de façon «subliminale» dans une partie du livre, lorsque l'oncle Tobie explique à l'Astiqué, à propos des batailles militaires, que la géographie est plus importante que la chronologie, qu'on n'a que faire de la chronologie, et qu'il faut préférer l'ordre spatial à l'ordre temporel.

Bref, voilà une fantaisie littéraire qui se fiche pas mal de l'effet de réel. Sterne semble nous dire: je revendique la totale liberté de ma création, l'omnipotence de la littérature, et tout cela en définitive, n'est qu'un jeu entre toi, chère lectrice ou lecteur, et moi, l'auteur.
Encore faut il avoir envie de jouer, ce fut mon cas, mais sans doute n'est-ce pas le cas de toutes et de tous.
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On compare Tristram Shandy à Rabelais et son Gargantua ou Pantagruel ou à Cervantes et son Quichotte, que, du reste, le personnage de Tristram cite souvent, ou, plutôt, il se réfère régulièrement à Sancho Panza. Il y a le même humour, la même volonté de tout prendre en dérision, et le propos est fort distrayant, voire hilarant.

Presqu'inconnu chez nous, Tristram Shandy est fréquemment lu et cité en Angleterre et chez les écrivains espagnols que j'aime. C'est, du reste, Javier Marias qui l'a traduit en castillan et Villa-Matas tout comme Barnes parlent de shandisme. Rien que pour cela, j'avais envie de le lire, et rien que pour cela, je n'ai aucun regret. Je m'attendais à encore plus mieux, si vous voyez ce que je veux dire, mais on atteint déjà un sommet.
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La brique lue, salivée, digérée… Que peut-on dire d'autre ? Que l'histoire ne fait que commencer, que ce qu'il y a à dire sera toujours pour demain… Aujourd'hui est réservé au plaisir de l'écriture, de la lecture.

LA LÉGÈRETÉ, l'insouciance, la futilité, la nonchalance n'est-ce pas là la plus grande des qualités de l'écrivain ? Pouvoir se mettre à nu, oublier toute tentative de signifier quoi que ce soit, éviter toute forme de beauté, toute velléité de poésie, toute volonté même d'écrire pour ne laisser que le souffle transparaître et s'envoler, puis revenir à nouveau comme un coeur qui bat, un de plus, systole, diastole et la vie qui s'écoule sous forme de caractères imprimés.

Et ne retenir qu'une chose de ce monument littéraire : le seul, le vrai personnage n'est ni Tristram qui n'a pas eu le temps de grandir, ni son père qui se perd en discours inféconds, ni vraiment cet oncle Toby dont on ne saura pas s'il séduit l'élue de son coeur ou continue à jouer pour de faux à la guerre, le seul vrai personnage est le Temps, celui qui ne s'arrête pas de couler mais dont l'auteur peut jouer à sa guise : temps de l'écriture, de la lecture ou temporalité du récit.

Ma dernière question : Rabelais, Cerantes, Sterne, Diderot, Joyce, Chevillard: check ! Que vais-je pouvoir lire demain qui ait encore autant de saveur ?

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Citations et extraits (102) Voir plus Ajouter une citation
Les digressions sont incontestablement la lumière, la vie, l’âme de la lecture. — Ôtez-les par exemple de ce livre, il serait aussi bon de mettre le livre tout-à-fait de côté. — Une langueur accablante, une monotonie insipide régneraient à chaque page ; il tomberait des mains. — Rendez-les à l’auteur ; il brille, il amuse, il se varie, il chasse l’ennui.
Le seul point est de savoir les manier adroitement, pour qu’elles soient utiles au lecteur et à l’auteur. On ne conçoit pas l’embarras qu’elles causent ordinairement à un écrivain. — Son sort est digne de pitié. — J’en vois qui commencent une digression, et j’observe que l’ouvrage dès ce moment est arrêté. — Continuent-ils le sujet principal : il n’y a plus de digression.
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J'etais, par exemple, sur le point de vous donner les grands contours du très original caractère de mon oncle Toby; quand ma tante Dinah et son cocher sont venus à la traverse, et nous ont capricieusement entraînés à quelques millions de milles dans le cœur même du système planétaire: Malgré tout cela, vous voyez que le dessin du caractère de mon oncle Toby a marché doucement tout le temps---non pas les grands contours, c'était impossible;--mais des touches familières et de faibles indications ont été jetées çà et là, chemin faisant, de sorte que vous êtes bien mieux informé sur mon oncle Toby que vous ne l'étiez auparavant.
Par cette combinaison, la machine de mon ouvrage est d'une espèce à part; j'y ai introduit et concilié deux moteurs contraires, qu'on croyait incompatibles. En un mot, mon ouvrage est digressif, et il est progressif aussi et cela en même temps.
Les digressions sont incontestablement la lumière; -elles sont la vie, l'âme de la lecture j---enlevez-les de ce livre, par exemple,--vous pourriez aussi bien supprimer le livre avec elles;-un froid hiver éternel régnerait à chacune de ses pages; rendez-les à l'écrivain;-----il s'avance comme un jeune époux', salue tout le monde, il apporte la variété, et tient l'appétit en éveil.
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---QUELLE occasion fut perdue ici! ---Mon père, dans une de ses meilleures humeurs explicatives, poursuivant ardemment un point métaphysique jusque dans les régions même où des nuages et d épaisses ténèbres l'auraient bientôt environné --- mon oncle Toby, dans une des plus belles dispositions du monde; -sa tête comme un tournebroche à courant d'air;---la cheminée non ramonée et les idées y tournant et tourbillonnant, tout offusquées et obscurcies par la matière fuligineuse ! ---Par la tombe en marche de Lucien--- si elle existe,---sinon, eh bien donc, par ses cendres! par les cendres de mon cher Rabelais, et de mon plus cher Cervantes, ---'entretien de mon père et de mon oncle Toby sur le TEMPS et l'ÉTERNITÉ-- était un entretien à désirer avec ferveur! et la pétulance de l'humeur de mon père, en l'arrêtant comme il fit, fut un vol fait au Trésor ontologique, d'un joyau tel qu'aucune combinaison de grandes circonstances et de grands hommes ne paraît devoir jamais le lui restituer.
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EN revoyant la fin du dernier chapitre, et en examinant l'ensemble de ce que j'ai écrit, je reconnais qu'il est nécessaire d'insérer dans cette page-ci et les trois suivantes une bonne quantité de matière hétérogène pour maintenir ce juste équilibre entre la sagesse et la folie, sans lequel un livre ne tiendrait pas debout une seule année : et ce n'est pas une pauvre digression trainante (sans laquelle, n'était le nom, autant vaudrait ne pas quitter la grande route royale) qui fera l'affaire -non; si digression il y a, il faut une bonne digression frétillante, et sur un sujet frétillant aussi, où ni le cheval ni son cavalier ne puissent être attrapés qu'au rebond.

La seule difficulté, c'est d'éveiller les facultés propres à rendre ce service : L'IMAGINATION est capricieuse - L'ESPRIT ne doit pas être recherché et la PLAISANTERIE (toute bonne fille qu'elle est) ne vient pas à volonté, quand même on déposerait un empire à ses pieds.

- Le meilleur moyen pour un homme, c'est de dire ses prières-
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Dites-moi un peu, vous les je-sais-tout, devrons-nous indéfiniment ajouter tant et tant à la masse et si peu à la valeur ?
Devrons-nous produire éternellement de nouveaux livres comme les apothicaires produisent de nouvelles mixtions en ne faisant que les transvaser d'un flacon dans un autre ?
Devrons-nous éternellement enrouler et dérouler la même corde ? Eternellement sur la même voie toute tracée - éternellement à la même allure ?
Sommes-nous destinés pour l'éternité, les jours fériés aussi bien que les jours ouvrables, à exhiber les reliques de notre science, comme font les moines avec les reliques de leurs saints - sans opérer un seul - un seul petit miracle ?
Qui donc a créé l'Homme nanti de facultés capables de le projeter de la terre au ciel en un clin d'oeil - l'Homme, cet être supérieur, la plus excellente et la plus noble des créatures au monde - le miracle de la nature, comme l'a nommé Zoroastre dans son livre Sur La Nature - la SHEKINAH de la présence divine, selon Chrysostome - l'image de Dieu, selon Moïse - le rayon de lumière de la divinité, selon Platon - la merveille des merveilles, selon Aristote - pour en faire cette servile engeance condamnée à se traîner ainsi à plat ventre - à cette pitoyable - cette maquereautesque - cette avocassière allure d'entremetteur et de mendigoteur de causes ?
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Vidéo de Laurence Sterne
Santiago Amigorena le Premier Exil - éditions P.O.L : où Santiago Amigorena tente de dire de quoi et comment est écrit "Le Premier Exil", et où il est question notamment d'Uruguay et d'Argentine, d'autobioencyclopédie et d'ironie, d'un premier exil et d'un deuxième exil, de l'enfance et de la langue, de Don Quichotte de Cervantès et de Tristram Shandy de Laurence Sterne, du silence et de l'amour, du "Ghetto intérieur" et de la "Première défaite", de Marcel Proust et de James Joyce, à l'occasion de sa parution aux éditions P.O.L - Paris le 11 mai 2021
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