Citations de Laurent Petitmangin (223)
Pas de bruit, juste l’autoroute au loin, un ruissellement qui nous tient au monde.
C’était terrible à dire, mais c’était presque plus facile maintenant qu’il n’y avait plus l’hôpital, les soirées et les dimanches passés à attendre. Presque plus facile.
J’avais finalement compris que la vie de Fus avait basculé sur un rien. Que toutes nos vies, malgré leur incroyable linéarité de façade, n’étaient qu’accidents, hasards, croisements et rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens, qui, selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards.
Déjà pénétrée de l’automne, traversée de zestes de vert et de bleu. Cette lumière, c’est nous. Elle est belle, mais elle ne s’attarde pas, elle annonce déjà la suite. Elle contient en elle le moins bien, les jours qui vont rapidement se refroidir.
On arrivait à vivre comme cela, en sachant, tant bien que mal.
la plus belle qu’on peut voir de toute l’année. Dorée, puissante, sucrée et pourtant pleine de fraîcheur. Déjà pénétrée de l’automne, traversée de zestes de vert et de bleu. Cette lumière, c’est nous
Comme j'avais l'impression de porter l'histoire de Fus sur mon visage, je leur avais tout déballé, vite qu'on en soit débarrassés. En leur racontant toute l'affaire, j'avais pris conscience que je ne savais même pas pour qui ils votaient. On n'en avait jamais parlé. Qu'ils soient de gauche, ça m'avait toujours semblé évident, mais je ne les avais jamais croisés à la section ni à une quelconque manif. Lui, c'était un gars du peuple. Elle aussi, même si elle avait son bac. Sans manières.
À quel moment, quand on rencontrait une fille, on lui avouait que son frère était en taule pour des années et des années? Qu'est-ce qu'on expliquait à la fille, quand elle voulait en connaître la raison ? Voilà ce qui attendait Gillou, une vie de merde qui n'en finirait pas de tourner autour d'un seul axe, le centre pénitentiaire du frangin. Et s'il s'aventurait à l'oublier, à partir loin, à l'étranger peut-être, pour ne plus être de corvée de prison chaque mois, alors un foutu remords le prendrait à la gorge et ne le lâcherait pas. Je m'en sortais presque mieux dans un sens. Il me restait moins à vivre et j'en avais pris mon parti. J'avais accepté d'être un père indigne qui ne mettrait plus les pieds en prison et je me fichais de la réprobation du Jacky ou de la moman là-dessus.
Putain, il était où le militant facho sûr de son fait? Je ne voyais qu’un pauvre type, comme moi, tout aussi décontenancé. «On est bien rendus, hein, avec leurs conneries», qu’il m’avait dit. Et les conneries, dans sa bouche – je ne crois pas me tromper en le disant –, ce n’étaient pas celles de nos enfants, surtout pas, c’était quelque chose de bien plus haut, de plus insaisissable, qui nous dépassait et dans les grandes largeurs encore. À la limite, c’étaient nos conneries à nous, tout ce qu’on avait fait et peut-être, en premier lieu, tout ce qu’on n’avait pas fait. p. 170
J’avais finalement compris que la vie de Fus avait basculé sur un rien. Que toutes nos vies, malgré leur incroyable linéarité de façade, n’étaient qu’accidents, hasards, croisements et rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens, qui selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards. « J’ai été là au bon moment », voilà ce que bien des gens comblés pouvaient confesser.
Août, c'est le meilleur mois dans notre coin. La saison des mirabelles. La lumière vers les cinq heures de l'après-midi est la plus belle qu'on peut voir de toute l'année. Dorée, puissante, sucrée et pourtant pleine de fraîcheur. Déjà pénétrée de l'automne, traversée de zestes de vert et de bleu. Cette lumière, c'est nous. Elle est belle, mais elle ne s'attarde pas, elle annonce déjà la suite. Elle contient en elle le moins bien, les jours qui vont rapidement se refroidir. Il y a rarement des étés indiens en Lorraine. On dit beaucoup de la lumière du nord de l'Italie en été, je veux bien le croire, je n'y suis jamais allé, mais je suis prêt à parier que la nôtre, pendant cette toute petite période, ces quinze jours d'avant la rentrée, à ce moment précis de la journée, la surpasse haut la main. La lumière des derniers apéritifs dehors. Les gens sont heureux.
« Pourtant ma colère passait. Je le savais , mais je ne voulais pas l’entendre . Je discutais le soir avec la moman. Elle nous voyait moi et son grand hanter la maison, mais je ne l’entendais pas me demander de passer l’éponge , vraiment pas. J’aurais changé , sinon. Comme moi, elle n’arrivait pas à s’en dépêtrer. Comme moi, sa colère s’éteignait , mais pas sa honte » ....
est-ce ce qu'on est toujours responsable de ce qui nous arrive ? je ne me posais pas la question pour lui, mais pour moi. Je ne pensais pas mériter tout ça, mais peut-être que c'était une vue de l'esprit, peut-être que je méritais bel et bien tout ce qui m'arrivait et que je n'avais pas fait ce qu'il fallait.
Je sais d’où l’observer sans qu’elle me voie. Il faut monter bien plus haut, j’ai le temps de le faire. Une fois installé, je la vois tourner autour de ses plantes. Et je crois un instant qu’à l’instar d’Alessandro elle va les saccager. Mais non. Elle enlève sa combinaison, se dénude au milieu du champ, bras en croix, la tête qui fixe le ciel. On dirait qu’elle lui parle, puis qu’elle le maudit, l’injurie. (p. 172)
Page 127 :
J'avais finalement compris que la vie de Fus avait basculé sur un rien. Que toutes nos vies, malgré leur incroyable linéarité de façade, n'étaient qu'accidents, hasards, croisements et rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens, qui selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards. "J'ai été là au bon moment", voilà ce que bien des gens comblés pourraient confesser.
Ils étaient beaux mes deux fils, assis à cette table de camping, Fus déjà grand et sec, et Gillou encore rond, une bonne bouille qui prenait son temps pour grandir. Ils étaient assis dos à la Moselle, et j’avais sous les yeux la plus belle vue du monde.
Elle tirait sur les tiges comme une forcenée. Sa passion du tabac était récente, je trouvais que ça lui allait plutôt bien, elle fumait comme un garçon, en coinçant la cigarette de tous les doigts, un geste qui aurait été laid et vulgaire chez toute autre fille, pas chez elle.
C'est mon dimanche matin. A sept heures, je me lève, je fais le café pour Fus, je l'appelle, il se réveille aussi sec sans jamais râler, même quand il s'est couché tard la veille. Je n'aimerais pas devoir insister, devoir le secouer, mais cela n'est jamais arrivé. Je dis à travers la porte : "Fus, lève-toi, c'est l'heure", et il est dans la cuisine quelques minutes après. On ne parle pas. Si on parle, c'est du match de Metz la veille. On habite le 54, mais on soutient Metz dans la région, pas Nancy. C'est comme ça.
Je me levais très tôt. Et à chaque fois c’était la même chose : j’avais une minute de sursis, une seule, le temps d’émerger de mes rêves et de mes cauchemars et de refaire ma nuit.
On restait d'accord sur plein de choses. A se demander comment c'était possible. Comment en trainant avec des fachos, pouvait- on aimer ce que nous avons toujours aimé? Il continuait à passer les Jean Ferrat de la maman( il le faisait depuis qu'elle était morte. Bordel, il comprenait les paroles " Desnos, qui partit de Compiègne accomplir sa propre propéthie". Comment pouvait il encore fredonner cette chanson?