Citations de Leïla Slimani (2066)
Avoir envie, c'est déjà céder.
Il y a une certaine indécence à me mettre dans la peau de ceux dont on veut la peau. Car j’ai eu mes parents, j’ai grandi dans mon quartier, j’ai lu autant de livres que je voulais, j’ai voyagé, étudié. Mais je dois dire que j’ai rencontré au Maroc des centaines de personnes qui n’avaient pas eu tout cela, et qui, pourtant, croient qu’il faut vivre et laisser vivre, et que chaque homme a droit à la dignité et à la protection. Ça n’est pas une morale de bourgeois ou d’Occidental, ça n’est en rien contraire à ce qui fait le cœur de la culture marocaine. Le chemin des Lumières n’est l’apanage d’aucun peuple ni d’aucune religion, il devrait être notre horizon à tous.
["Si j'avais été un homme à Beni Mellal", article paru dans Libération le 31 mars 2016]
‘N’importe qui peut dire n’importe quoi au nom de la religion. Dès qu’on veut justifier le fait de vous dominer, on vous assène cette phrase « C’est le Coran qui le dit ».Il faut que les femmes aient les outils pour argumenter face à cette inculture religieuse généralisée. Nous ne devons pas accepter n’importe quoi au nom du sacré. »
Le soleil s'est enfoncé dans la mer, mais il ne fait pas sombre. La lumière a juste pris des teintes pastel et on voit encore les détails du paysage. Le contour d'une cloche sur le toit d'une église. Le profil aquilin d'un buste en pierre. La mer et le rivage broussailleux semblent se détendre, plonger dans une torpeur langoureuse, s'offrir à la nuit, tout doucement, en se faisant désirer.
C'est le mal du siècle. Tous ces enfants pauvres sont livrés à eux-mêmes, pendant que les deux parents sont dévorés par la même ambition. C'est simple, ils courent tout le temps. Vous savez quelle est la phrase que les parents disent le plus souvent à leurs enfants ? "Dépêche-toi ! "
p.42
Ce n'est jamais clairement dit, ils n'en parlent pas, mais Louise construit patiemment son nid au milieu de l'appartement.
Sa logorrhée tremblante et décousue ne faisait qu'augmenter l'angoisse qui s'était emparée de Jacques, celle d'être dans son corps comme en haut d'un escalier dont on a raté une marche et qu'on se regarde dégringoler, la tête la première, le dos broyé, les chairs en sang.
Le fait de la voir sur ce trottoir, par hasard, dans un lieu si éloigné de leurs habitudes, suscite en elle une curiosité violente. Pour la première fois, elle tente d'imaginer, charnellement, tout ce qu'est Louise quand elle n'est pas avec eux.
Pendant que les enfants courent sur les graviers, qu'ils creusent dans le bac à sable que la mairie a récemment dératisé, les femmes font du square à la fois un bureau de recrutement et un syndicat, un centre de réclamations et de petites annonces.
Ici circulent les offres d'emplois, se racontent les litiges entre employeurs et employés,.
Les femmes viennent se plaindre à Lydie, la présidente autoproclamée, une grande Ivoirienne de cinquante ans qui porte des manteaux en fausse fourrure et se dessine de fins sourcils rouges au crayon.
Une haine monte en elle. Une haine qui vient contrarier ses élans serviles et son optimisme enfantin. Une haine qui brouille tout. Elle est absorbée dans un rêve triste et confus. Hantée par l'impression d'avoir trop vu, trop entendu de l'intimité des autres, une intimité à laquelle elle n'a jamais droit. p.159
Les gens insatisfaits détruisent tout autour d’eux.
Fawzia Zouari
On peut laisser derrière soi un pays, quitter une famille et amis, tailler dans la racine, juste pour s'exiler d'une langue et trouver refuge dans une autre ; celle où j'ai jeté mes effets et me suis installée sans retour. Voilà la vérité. Ma vérité
Au bidonville, rien ne changeait. Ni dans le paysage, ni dans les maisons, ni même dans les conversations ou dans les habitudes. On ruminait les mêmes problèmes, on souffrait encore et toujours des mêmes maux, on mourait des mêmes maladies et on se plaignait des mêmes douleurs. Fatima comprit alors que c'était cela la misère : un monde qui ne change pas.
« L’amour ça n’est que de la patience . Une patience dévote, forcenée, tyrannique. Une patience déraisonnablement optimiste. » .
La misogynie est inhérente à l'humanité. Elle n'est pas spécifique à l'Islam. Je m'étonne d'ailleurs qu'on ait encore ce type de lecture anthropologique. À mes yeux, toutes les religions se valent en matière de sexualité.
Mathilde aimait le cinéma, si passionnément que cela la faisait souffrir. Elle regardait les films sans presque respirer, le corps tout entier tendu vers les visages en Technicolor. Quand, au bout de deux heures, elle quittait le noir de la salle, l'agitation des rues la heurtait. C'était la ville qui était fausse, incongrue, c'était le réel qui lui apparaissait comme une fiction triviale, comme un mensonge. Elle jouissait du bonheur d'avoir vécu ailleurs, d'avoir effleuré de sublimes passions et en même temps bouillonnait en elle une forme de rage, une amertume.
Elle aurait voulu entrer dans l'écran, vivres des sentiments qui aient la même matière, la même densité.
Elle aurait voulu qu'on lui reconnaisse sa dignité de personnage.
Il n'osera pas.
Et pourtant, si.
Ses gestes ne trompent pas. Ce sont toujours les mêmes.
Il arrive dans son dos.
Le baiser dans le cou.
Cette main sur la hanche.
Et puis ce murmure, ce gémissement qu'il accompagne d'un sourire suppliant.
Elle se tourne, ouvre la bouche dans laquelle la langue de son mari s'enfonce.
Pas de préliminaires.
Finissons-en, pense-t-elle en se déshabillant, seule, de son côté du lit.
On y retourne. L'un contre l'autre. Ne pas cesser de s'embrasser, faire comme si c'était vrai. Poser sa main sur sa taille, sur son sexe. Il la pénètre. Elle ferme les yeux.
Une haine monte en elle. Une haine qui vient contrarier ses élans serviles et son optimisme enfantin. Une haine qui brouille tout. Elle est absorbée dans un rêve triste et confus. Hantée par l'impression d'avoir trop vu, trop entendu de l'intimité des autres, d'une intimité à laquelle elle n'a jamais eu droit. Elle n'a jamais eu de chambre à elle.
La solitude agissait comme une drogue dont elle n’était pas sûre de vouloir se passer. Louise errait dans la rue, ahurie, les yeux ouverts au point de lui faire mal. Dans sa solitude, elle s’est mise à voir les gens. À les voir vraiment. L’existence des autres devenait palpable, vibrante, plus réelle que jamais.
Moi je ne serai jamais jamais contre le voile(...) Si je reconnais la liberté de porter le voile, je veux qu'à l'inverse, on reconnaisse ma liberté à porter ce que je veux (...) Donc, je défends les femmes voilées mais je veux qu'elles me défendent.
Dans Le Soir du 2 juillet 2019