Citations de Maggie O’Farrell (499)
Euphemia (= Esme) fronce les sourcils. Toutes deux s'examinent. Iris se rend compte qu'elle s'attendait à une personne fragile ou infirme, une minuscule vieillarde, une sorcière de conte de fées . Mais cette femme est grande, avec un visage anguleux et des yeux pénétrants. Son expression est un peu hautaine, malicieuse aussi, avec des sourcils haussés. Bien qu'elle doive avoir plus de soixante-dix ans, elle a un côté puéril incongru. Ses cheveux sont retenus d'un côté avec une barrette, et sa robe à fleurs, froncée à la taille, n'est pas une robe de vieille dame.
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Elle possède une exécrable réputation dans les environs. On dit d’elle qu’elle est étrange, hors norme, dérangée, peut-être même folle. Le précepteur a ouï dire qu’on la voyait errer sur les petits chemins et dans la forêt, seule, pour cueillir des plantes dont elle tire d’inquiétantes potions. Et gare à celui qui croiserait son chemin, car il est encore dit qu’elle tiendrait ses connaissances d’une vieillarde qui savait fabriquer des remèdes et faire tourner le rouet, et dont un seul regard pouvait tuer un nouveau-né. On dit que sa belle-mère vit terrorisée, craignant de recevoir l’un de ses sortilèges, surtout maintenant que le paysan n’est plus. Cette fille devait être aimée de son père, cependant, si l’on en croit la dot laissée dans son testament. Bien sûr, voilà qui ne suffirait pas à la rendre bonne à marier. Les gens la disent trop sauvage pour qu’aucun homme puisse la supporter. Sa mère, paix à son âme, était une vagabonde, une ensorceleuse, un esprit de la forêt – le précepteur a entendu toutes sortes de rumeurs à son sujet. Sa propre mère secoue la tête et fait claquer sa langue lorsque cette fille est évoquée.
Les personnes qui nous enseignent quelque chose gardent une place particulièrement vive dans nos souvenirs. Je n’étais mère que depuis dix minutes lorsque j’ai rencontré cet homme, mais il m’a appris, par un simple geste, l’une des choses les plus importantes sur le rôle de parent : qu’il faut de la gentillesse, de l’intuition, du toucher, et que, parfois, il n’y a même pas besoin de mots.
Quelle grâce que d'être aimé : nous ne sommes jamais meilleurs que lorsque autrui nous aime. Rien ne peut remplacer cela.
J'imagine ces lettres, treize fois dix, ce qui fait un total de cent trente. Deux cent soixante avec celles de Niall. Je me demande ce que maman en a fait. Les a-t-elle brûlées, jetées aux ordures ? Mes pleurs redoublent à cette idée, Niall se gratte et papa continue de parler [...]
Il se laisse tomber sur la banquette. Il ramasse sa petite cuillère comme s'il la voyait pour la première fois.
"Je n'ai jamais perdu espoir, dit-il à la petite cuillère, apparemment. Il n'y a pas un jour, une heure, une minute où je n'ai pas pensé à vous. N'oubliez jamais ça."
Il faut que ça marche, pas question de reculer, pas question que quelqu'un sache qu'elle a une fois de plus rencontré un échec. Un diplôme d'infirmière qu'elle n'a pas réussi à décrocher, des enfants qu'elle n'a pas eus, un mari qui l'a quittée ; elle ne veut pas être cette femme qui rate tout. Elle habitera cette maison avec son toit branlant, ses plinthes qui craquent la nuit, son mobilier mangé aux mites, ses voisins hostiles. Elle habitera ici sans émettre une seule plainte.
Elle ne doit jamais pleurer, non, surtout pas. Ne jamais pleurer en public, ici. Sinon, on vous menace d’un traitement ou de piqûres qui vous font dormir, et vous vous réveillez l’esprit embrouillé, le corps disjoint. P 186
Quand on détacha les courroies, Esme resta très calme. Assise sur son lit, les mains sous les fesses, elle pensait à des animaux capables de rester immobiles pendant des heures, tapis, à guetter. Elle pensa aussi à un jeu de société qui consiste à imiter un lion mort. P 179
Ecoutez. Dans cette histoire, les arbres s'agitent, frémissent, se redressent sous les bourrasques qui soufflent de la mer. A voir leurs branches fébriles, les mouvements impatients de leurs cimes, on a l'impression qu'ils savent que quelque chose va se produire.
Le jardin est vide, la cour désertée hormis quelques pots de géraniums et delphiniums qui frissonnent au vent. Sur la pelouse, deux fauteuils font poliment face à un banc. Une bicyclette est appuyée au mur, mais ses pédales sont au repos, sa chaîne bien graissée immobile. On a sorti un landau pour que le bébé dorme au grand air et, enveloppé dans son cocon de couvertures rêches, il ferme obligeamment les yeux. Une mouette est suspendue dans le ciel, silencieuse elle aussi, le bec clos, les ailes déployés pour profiter des courants ascendants.
Sa mère prend Esme par le bras et l'entraîne vers la coiffeuse. "Assieds-toi, ordonne-t-elle en la poussant sur le tabouret. Nous allons la préparer." Elle attrape une brosse. "Nous allons la faire belle, l'envoyer au bal et ..."Ses coups de brosse s'abattent sans douceur sur la tête d'Esme. "...nous la marierons au fils Dalziel.
- Maman, je ne veux pas me ...", commence Esme d'une voix tremblante.
Sa mère se penche vers elle. "Ce que tu veux ou ne veux pas n'entre pas en ligne de compte, lui murmure-t-elle à l'oreille d'un ton presque caressant. Ce garçon tient à toi. Dieu sait pourquoi, mais c'est un fait. Ton comportement n'a jamais été toléré sous notre toit et ne le sera jamais. Nous allons donc voir si quelques mois de mariage avec James Dalziel suffiront à te mater. "
Ce n'est plus Alphonso, de toute manière, ce n'est plus l'homme qui était assis à ses côtés à la longue table de la salle à manger. Il a changé, s'est métamorphosé, a fait tomber le masque. Il est une créature de mythe, tout de peau et de tendons et d'impressionnantes spirales de cheveux ; il est un dieu du fleuve ,un monstre des eaux, sorti des méandres du Pô, ayant pris forme humaine pour se rendre jusqu'à sa chambre, à son lit, pour se glisser sous ses draps, pour la saisir entre ses doigts palmés, pour frotter contre la sienne sa peau écailleuse, pour la soumettre par sa force gagnée dans les profondeurs aquatiques, au fil de nages à contre-courant, pendant que battent, encore et encore, les ouïes cachées sur son cou, qui sucent l'air étrange de la chambre.
La tigresse était orange, couleur de vieil or, feu fait chair ; elle était puissance et colère, elle était exquise et féroce. Elle portait sur son corps les barres verticales d’une geôle, comme marquée pour ce sort précisément, comme destinée à la captivité depuis le départ.
Elle n’avait depuis le départ cessé de clamer à quiconque qu’elle ne voulait pas épouser le fils du duc, qu’elle ne remplacerait pas sa sœur, tout en sachant pertinemment que la machine de ses fiançailles était inexorablement lancée. Ses parents ainsi que l’ensemble de leur maison semblaient obéir à un accord tacite consistant à ignorer ses protestations, à poursuivre les préparatifs du mariage, à discuter des plats que l’on servirait aux différents festins, à débattre de la nécessité de couvrir la grande salle de réception de tentures neuves…
Mais elle sait qu'il y aurait eu un autre homme si ce n'avait été Alfonso - un prince, un autre duc, un noble allemand ou français, un lointain cousin espagnol. Son père lui aurait de toute façon trouvé un mariage avantageux, car c'est bien, après tout, le but en vue duquel elle a été conçue : être mariée, servir de maillon dans les chaînes du pouvoir, donner des héritiers à des hommes comme Alfonso.
Ses frères, au contraire, ont été élevés pour régner : on leur a enseigné à se battre, à argumenter, à débattre, à négocier, à dominer, à contrer, à attendre, à chercher l'avantage, à manigancer, à manipuler, à asseoir leur influence.
Agnes s'étonne qu'il est facile de passer à côté de la douleur, de la colère qui peuvent habiter quelqu'un, surtout si cette personne ne dit rien, les garde pour elle comme une bouteille trop bien fermée où la pression s'accumule, s'accumule jusqu'à ce que ... quoi ?
Le petit garçon ouvre la bouche. Il crie les noms, un par un, de toutes les personnes vivant ici, dans cette maison. Sa grand-mère. La bonne. Ses oncles. Sa tante. L'apprenti. Son grand-père. Il les essaie tous, un par un. Un instant, l'idée d'appeler son père lui traverse l'esprit, de crier son nom, mais son père se trouve à des kilomètres, à des heures, des jours de voyage d'ici, à Londres, où le petit garçon n'a jamais été.
« Je suis mort ;
Toi, tu vis ;
… puise ton souffle dans la douleur,
Pour raconter mon histoire. »
Hamlet, acte V, scène 2
La main toujours sur la bouche, Agnes regarde sa fille de haut en bas. Celle qui a fréquenté les malades, les souffrants, les convalescents, les simulateurs, les endeuillés, les fous, pense : Il n’y en a plus pour longtemps.
L’autre partie d’elle, celle qui a langé, bercé, soigné, caressé, nourri, habillé, étreint, embrassé cet enfant pense : Ce n’est pas possible, cela ne peut pas arriver, par pitié, pas elle.
Note historique
Dans les années 1580, un couple qui habitait Henley Street, dans la ville de tratford, eut trois enfants : Susanna, puis Hamnet et Judith, des jumeaux.
Le garçon, Hamnet, mourut en 1596, à l'âge de onze ans. Quatre ans plus tard environ, son père écrivit une pièce de théâtre intitulée-Hamlet-
Je n'étais mère que depuis dix minutes lorsque j'ai rencontré cet homme. Mais il m'a appris par un simple geste l'une des choses les plus importantes sur le rôle de parent: qu'il faut de la gentillesse, de l'intuition, du toucher et que, parfois, il n'y a même pas besoin de mots.