David Teboul et Isabelle Wekstein-Steg, proches de Marceline Loridan-Ivens, nous font partager des propos d'elle qu'ils ont recueillis. Ils lui donnent la parole dans ce livre.
Marceline raconte son enfance heureuse et son amour pour son père. Croyant protéger sa famille, il achète un château à Bollène (zone libre pendant la guerre). Dénoncés par des voisins, le père et la fille sont arrêtés et internés à Drancy, d'où ils prendront le train pour Auschwitz. Les autres membres de la famille ont le temps de fuir...
Marceline dit l'horreur du camp, la cruauté des kapos, la perte des êtres chers. Dès son arrivée au camp, elle ment sur son âge ; à la descente du train, elle répond « 18 ans », ce qui lui permet d'échapper à la sélection. Elle relate aussi cette scène poignante : par hasard, elle croise son père dans le camp. Elle ne peut se retenir de l'étreindre, et elle est violemment battue par un SS au point de perdre connaissance. Son père a le temps de lui glisser un oignon dans son vêtement :
"Ce légume était un luxe extraordinaire."
Ce sera la dernière fois qu'elle le verra : elle ne cessera d'espérer son retour et de clamer son manque de lui…
Ses amis Ginette Cherkasky (Ginette Kolinka) et Simone Jacob (Simone Veil), les filles de Birkenau, sont revenues elles aussi des camps de la mort.
Après Auschwitz et Bergen-Belsen dont elle est rescapée, Marceline parle du retour à la vie. Elle dit combien il est difficile, voir impossible de raconter ce qui a été, car personne, après la guerre, n'a envie d'écouter ni de croire. Les rapports avec sa mère sont durs, tout comme ceux avec Marie, sa belle-soeur, qui s'est mal comportée avec elle en déportation.
Elle dit :
"Dans ces années-là [après-guerre], on a posé un couvercle sur la marmite. Il ne fallait surtout pas parler des camps. (...) Aujourd'hui, alors que c'est devenu possible, on se retrouve face à des ordures antisémites et négationnistes. C'est le silence de l'après-guerre qui en est responsable."
Marceline ne se présente pas comme une héroïne. Elle dit elle-même que tout le monde a pu oublier ses mésactions tout en croyant avoir été irréprochable, et elle ne juge personne. Elle donne à voir les comportements humains, surprenants, bons ou odieux. Elle-même ne peut oublier la petite Grecque qu'elle a fait mourir en la poussant sur les ordres d'un SS.
Marceline, pleine de vie et de projets, du désir de vivre et d'aimer, disait qu'elle choisirait quand elle mourrait :
"Ça ne va pas durer longtemps parce que, à un moment, on est tous obligés de se barrer. C'est moi qui déciderai du moment. Ça, j'en suis persuadée. (...) Maintenant je fais du rabe. Rien ne peut m'empêcher d'être joyeuse."
La rabbine Delphine Horvilleur, qui a prononcé le kaddish sur sa tombe, s'amuse de son pied de nez à Dieu, en qui elle disait ne pas croire à cause de son absence dans les camps (elle qui pourtant jeûna à Auschwitz pour rester digne à Yom Kippour : Marceline est morte à 90 ans le soir de la plus importante des fêtes juives : celle du Grand Pardon.
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