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Critiques de Mathieu Belezi (355)
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Attaquer la terre et le soleil

Après avoir déjà écrit une trilogie sur l’Algérie (« C’était notre terre », « Les Vieux Fous » et « Un faux pas dans la vie d’Emma Picard »), l’écrivain Mathieu Belezi remporte le prix littéraire « Le Monde » 2022 pour ce roman qui plonge les lecteurs dans les débuts violents de la colonisation française de l’Algérie en 1845.



« Attaquer la terre et le soleil », ce sont deux voix qui s’alternent et qui se font écho au fil d’un récit bouleversant et d’une puissance évocatrice incroyable.



D’une part, Séraphine Jouhaud, une femme colon venue de Marseille avec son mari, leurs trois enfants, sa sœur et son beau-frère. Des familles françaises venues peupler une colonie agricole vendue comme une terre promise par l’État, mais qui n’est finalement qu’un lopin de terre peu fertile, entouré de palissades qui les préservent d’une population hostile.



D’autre part, un soldat anonyme suivant aveuglement les ordres d’un capitaine sanguinaire venu apporter une prétendue « civilisation » aux autochtones, en imposant sa vision de la « pacification » à coups de baïonnettes, massacrant, pillant, violant et brûlant village après village.



Mathieu Belezi raconte la désillusion coloniale en étalant d’une part la cruauté des soldats et de l’autre la peur et la souffrance des colons. La famine, le manque d’hygiène, les ravages du choléra et du paludisme, la chaleur étouffante, les conditions de logement déplorables, les récoltes infructueuses, les animaux sauvages et la crainte de se faire décapiter par les yatagans affûtés de rebelles bien décidés à repousser l’envahisseur. Une bien belle histoire coloniale… dont personne ne ressort vainqueur.



Après avoir lu ce roman qui évoque régulièrement Dieu afin de traduire l’effroi des narrateurs, c’est à mon tour de le citer car, Mon Dieu, quelle claque cette narration ! Mathieu Belezi nous installe en effet au cœur des pensées de ses protagonistes, là où les mots ne sont pas encore dompté par la ponctuation et se retrouvent étalés sans majuscules au rythme effréné de pensées qui se bousculent à vive allure, restituant le chaos et la folie ambiante. Un roman écrit d’un souffle par un auteur qui invite le lecteur à retenir le sien, en l’immergeant dans l’absurdité et la bêtise humaine, et dont il ressort écœuré, bouleversé, en apnée, au bord du vertige et proche du KO.



Coup de cœur !
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Attaquer la terre et le soleil

Prix du Livre Inter 2023.



Prix littéraire du journal Le Monde.



En me faisant partager la vie des premiers colons poussés par la France à traverser la Méditerranée, en me plongeant au plus près des atrocités commises par l’armée française en Algérie, Mathieu Belezi a réussi une vraie performance littéraire.

C’est pourquoi le Prix littéraire du journal Le Monde et le Prix du Livre Inter 2023 qui ont été décernés à Attaquer la terre et le soleil sont une formidable opportunité pour faire connaître et faire lire un livre qui sort des sentiers battus. Si le style de Mathieu Belezi est fluide, la disposition de son texte surprend. Peu de points et de majuscules, des virgules rares, d’autres signes de ponctuation absents et, si c’est surprenant, cela ne m’a pas du tout gêné.

Entre Rude besogne et Bain de sang, me voilà plongé dans la réalité dure, atroce, insoutenable de ce que nos actions de « pacification » ont apporté à l’Algérie, au XIXe siècle. Notre volonté de civiliser, bref de coloniser un pays par la force, par tous les moyens, décidée en haut lieu, comme on dit, ne recule devant aucun sacrifice, aucun massacre. Les colons, pour la plupart braves gens du peuple séduits par la propagande officielle, se retrouvent plongés dans des épreuves, des souffrances difficilement soutenables et la plupart y laissent la vie, emportés par des maladies terribles, ou tués par les autochtones qui n’acceptent pas d’être spoliés de leurs terres.

Séraphine, mariée à Henri et mère de deux garçons et d’une fille, raconte dans Rude besogne. Rosette, sa sœur et son mari, sont du voyage aussi. Cela donne un récit émouvant, sensible, déchirant comme dans cette page où elle détaille son quotidien sans occulter les moindres détails les plus concrets qui font que notre vie est supportable ou non. Quelles douleurs ! Quelles épreuves !

Quand le soldat prend le relais avec Bain de sang, le contraste est énorme. La liste des méfaits causés par l’armée française s’allonge, dans des conditions extrêmes certes, mais avec la baïonnette qui transperce tous les êtres vivants qui se présentent, hommes de préférence, les femmes ayant droit au traitement que l’on imagine avant de passer de vie à trépas…

Mathieu Belezi est encore original lorsqu’il glisse, en italiques, un paragraphe de commentaires qui se voudraient objectifs, ce qui irrite beaucoup notre soldat qui s’écrie : « suffit ! suffit ! » avant d’obéir aveuglément aux ordres de son capitaine, véritable fou furieux qui se distingue par sa fougue et sa volonté d’occire le maximum de ceux qu’il appelle des « guenillards ».

Quand Séraphine répète régulièrement « sainte, sainte mère de Dieu » et se pose de plus en plus de questions sur sa foi aveugle, le soldat répète, à chaque intervention sanguinaire : « on n’est pas des anges »…

Attaquer la terre et le soleil est un livre absolument nécessaire qui permet d’éclairer de manière très concrète les ravages causés par la colonisation, ravages qui se poursuivent indéfiniment. Ici, tout se fait sous l’autorité du général Mac-Mahon, gouverneur général d’Algérie (1864-1870) avant d’être Président de la République en 1873 pour six ans. Cet éminent personnage qui pousse au maximum la colonisation de l’Algérie, rend même une visite aux colons qui tentent de survivre dans leur village fortifié, sans même descendre de son cheval de parade…

Pendant que les uns sont décimés par de terribles maladies, choléra, fièvre jaune, terribles diarrhées… les autres s’acharnent à exterminer les gens du pays refusant de se soumettre, à détruire, à violer, à piller sans état d’âme. Je n’avais jamais lu un livre aussi juste, aussi original.

Attaquer la terre et le soleil est une petite merveille de littérature !


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Attaquer la terre et le soleil

L'auteur nous plonge dans une histoire dramatique, celui de la colonisation, Un pays l'Algérie, que les français ont décidé de s'approprier.

Le récit se déroule au 19 éme siècle, Séraphine fait partie de ce voyage, entraînant avec elle famille, mari ,enfants et sa sœur, , dans l'optique de créer un nouveau monde , exploiter de nouvelles terres, un monde merveilleux, Tout est beau, tout va bien, Un rêve qui se transforme en cauchemar, Ils doivent vivre dans des baraquements de fortune , ils sont confrontés à la misère, la saleté des conditions d'hygiène ,impensable, la famine et la maladie, principalement la malaria. Ils n'étaient pas préparer à cela . Ces premiers colons , partagent ce triste voyage, avec des soldats , Une véritable barbarie, qui fait froid dans le dos, ils tuent sans aucun état d'âme, l'auteur ne tergiverse pas dans ses descriptions, il nous dépeint, ses assassinats d'une violence extrême, une haine , n'hésite, pas à choisir des femmes pour se libérer de leurs pulsions sexuelles, Un monde immonde, le titre "Attaquer la terre et le soleil" donne de la véracité au récit. Nous sommes en face dans l'horreur de la vie .Certains passages m'ont mises mal à l'aise, elle sont brutes de pomme, il faut avoir le coeur accroché, un ressenti personnel, Un roman remarquable, un témoignage où la réalité prend le dessus sur la fiction Une histoire racontée par Séraphine et celle d'un soldat, deux visions différentes pour une même histoire. Un roman, L'auteur dénonce , la colonisation de tous les pays, d'arrêter de respecter tout le monde, mais malheureusement le sujet est , toujours d'actualité, Un roman très documenté que je vous conseille à découvrir.
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Attaquer la terre et le soleil

Avec son mari, ses trois enfants et sa soeur, Séraphine débarque en Algérie au tout début de la colonisation du pays par la France, dans les années 1830-1840. Au terme de leur pénible voyage, les colons ne trouvent que les cailloux d’une terre ingrate qu’il va leur falloir tenter d’exploiter dans des conditions effroyables : la boue et le froid l’hiver, la canicule l’été ; la saleté et les épidémies de choléra qui les déciment dans leurs misérables baraquements de planches ; le manque de tout et la peur qui les étreint, entre attaques arabes, pillards, vipères à cornes et lions du désert… Pendant qu’ils s’échinent et tombent comme des mouches, un escadron de soldats français s’emploie à « pacifier » les territoires conquis, sans autre stratégie que de razzier, violer et massacrer.





Raconté dans des mots d’autant plus frappants qu’ils décrivent l’horreur à hauteur de gens simples, au fil de leur narration humble, morne et résignée de ce qui fait leur banalité quotidienne – un enfer d’une violence inouïe dont ils sont absurdement devenus les acteurs, misérables pions sacrifiés dans une partie motivée par de bien plus gros intérêts que les leurs –, le texte est d’une intensité rare, en tout point saisissante. Alors que, dans sa sidération impuissante, Séraphine n’a plus la force que de ponctuer son récit d’une litanie de « sainte et sainte mère de Dieu » et que, du côté des soldats, l’on s’efforce, avec des termes de soudards, de se redonner du coeur au ventre à coups, faute d’autres motifs, d’exonérants « nous ne sommes pas des anges », c’est une bien peu glorieuse épopée que l’on fait mener par ces pauvres hères, abandonnés à leur misère et à leur peur, à leur lâcheté et à leur cruauté, pour implanter sur ces terres d’Algérie une présence française qui se veut irréversible.





Sans majuscules ni points, la narration s’écoule comme le fleuve du temps et de l’Histoire. Le processus infernal dans lequel les protagonistes se retrouvent pris s’est enclenché bien avant le début de leur récit et se poursuivra bien au-delà de leur bref passage dans l’histoire de cette terre. Ils ne sont que de modestes rouages, mais à travers eux et leur parcours aussi pathétique que sanguinaire, s’enracine un mal profond, une colonisation construite sur la pourriture du sang et de la violence, qui, démentant toute prétention dite « civilisatrice », n’annonce qu’un désastre sans fond.





Peinture ultra-réaliste de l’horreur, c’est avec une efficacité sans pareille que, sur un ton d’autant plus implacable qu’égal et factuel, ce roman dénonce les viles réalités de la colonisation. L’on en ressort saisi par cette abjection, on ne peut plus clairement débarrassée des fards dont l’Histoire tend habituellement à l’enjoliver. Jamais je n'avais été aussi tentée d’associer un livre au célèbre Cri de Münch.


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Attaquer la terre et le soleil

Attaquer la terre et le soleil est un roman sur la colonisation de l’Algérie au XIXe siècle.

Deux voix racontent. L’une donne le point de vue des colons et l’autre, celle des soldats.

La première c’est celle de Séraphine venue avec sa famille, son mari, ses trois enfants et sa sœur.

Ils ont dû depuis Paris suivre les voies d’eau, sur des bateaux plats, pour arriver jusqu’à Marseille où ils étaient pas moins de cinq cents à embarquer à bord de la frégate Le Labrador, et supporter des jours et des nuits de traversée avant de poser les deux pieds sur cette terre d’Algérie.

Elle raconte alors la vie de misère qui est la leur, loin de ce qui leur avait été promis…

Les conditions qu’ils vont rencontrer à leur arrivée seront déplorables. Ils vont devoir supporter des mois de mauvais temps, vent, pluie, sous des tentes militaires avant que soient construites des cabanes. Une chaleur extrême va alors s’installer et bientôt l’arrivée du choléra qui va décimer une partie de sa famille et de la colonie. À cela s’ajouteront le travail du sol particulièrement rude, les attaques des lions sur leurs vaches et moutons, les pillages des récoltes par les Arabes et le massacre de ceux qui n’étaient pas assez prudents…

Les chapitres qui lui sont consacrés ont pour titre Rude besogne ce qui n’est pas un vain mot…

L’autre voix est celle d’un escadron de soldats pillards qui, sous le prétexte d’apporter les lumières de la civilisation se laissent aller à leurs plus bas instincts, pillant, violant, massacrant brûlant les villages, abattant le bétail, les arbres fruitiers. À leur tête, un capitaine tout ce qu’il y a de plus grotesque s’il n’était pas ce fou sanguinaire !

Les chapitres qui relatent cette violence inouïe de la part des soldats français, Mathieu Belezi les nomment Bain de sang, voilà encore une dénomination bien adaptée au contenu.

Attaquer la terre et le soleil, en l’occurrence, celle de l’Algérie, de Mathieu Belezi est un roman que j’ai lu d’une traite et en apnée.

L’auteur y décrit à travers ces deux voix très différentes par le style et se complétant parfaitement, le destin d’une poignée de colons et de soldats pris dans l’enfer oublié de la colonisation algérienne au dix-neuvième siècle.

Que ce soit, le froid, la pluie, la chaleur, la maladie ou la souffrance Mathieu Belezi sait nous les faire sentir et ressentir au plus profond de nous-même tout comme il sait nous plonger dans cette horreur et cette folie de massacres et nous en écœurer jusqu’à la nausée.

Toute la folie et l’enfer que fut cette colonisation sont évoqués dans ce superbe bouquin avec puissance et réalisme.

Une écriture avec peu de points, des retours à la ligne fréquents et sans majuscules, tels des vers libres, apportent force, vie et réalisme au récit.

Lauréat du prix du journal Le Monde en 2022 et Prix du Livre Inter 2023, Attaquer la terre et le soleil de Mathieu Belezi s’attache à démontrer la folie des hommes et l’absurdité de la colonisation, rappelant que l’horreur en Algérie n’a pas commencé avec la guerre d’indépendance comme on pourrait le croire parfois.

Un véritable coup de cœur !


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Attaquer la terre et le soleil

Lorsqu’ils arrivent sur cette terre inconnue, cette terre africaine, le moins que l’on puisse dire est que le choc est rude. Rien, il n’y a rien de ce qu’on leur avait fait miroiter. Tout est à faire, à construire, contre la pluie, le vent, le froid, la chaleur, le choléra et les Algériens qui ne veulent pas d’eux — eux les colonisateurs qui se croient tout permis, avec leurs soldats, ces sauvages qui violent, pillent et tuent femmes enfants vieillards hommes dans un même élan de barbarie gratuite. À qui bien sûr il faut rendre la pareille, en étant plus cruel encore, si tant est que cela soit possible.



C’est parce que Mathieu Belezi a décidé de ne rien nous épargner de la violence insoutenable déployée de part et d’autre de la colonisation algérienne, tout comme de la vie misérable des colons auxquels on a menti pour qu’ils viennent s’installer sur cette terre d’enfer, qu’Attaquer la terre et le soleil est une lecture coup de poing, un plaidoyer contre toute colonisation, qui ne peut être que barbarie, sang et larmes, comme l’est toute guerre.
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Attaquer la terre et le soleil

Un texte très beau, aussi barbare que lumineux, sur la colonisation de l’Algérie au 19ème siècle.

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Nous suivons alternativement deux groupes de personnes : d’une part, une colonie qui, encadrée par des militaires pour la protéger dans ces contrées « sauvages », va devoir tenter d’implanter des exploitations agricoles et bâtir des villages sur des grands espaces vides de terre brûlée par le soleil. Vides ? Evidemment pas. D’où, d’autre part, les militaires français chargés de « nettoyer » les terres des « rebelles » autochtones avant l’arrivée des civils colons.

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La narration est faite directement par les protagonistes, nous plongeant sans préambule dans ce bain bouillant, sur cette cuite par le soleil : D’abord, une civile volontaire pour être colon nous raconte son périple et sa déception en arrivant sur place, découvrant ce lieu hostile qu’on leur avait fait fantasmer comme une aubaine pour eux, alors qu’ils n’y trouveront que camps militaires en guise de villages, rebelles autochtones prêts à défendre leur territoire en coupant des têtes, épidémies de choléras, morts de leurs proches…

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Ensuite, un soldat parmi les nettoyeurs qui, selon leur leit-motiv pour survivre là-bas en exécutant les ordres radicaux du gouvernement, « ne sont pas des anges », raconte quant à lui les horreurs qu’ils sont obligés de subir pour accomplir la mission que le gouvernement leur a confiée, et celles qu’ils doivent faire subir en retour aux habitants originaires, ces derniers voyant forcément d’un mauvais oeil l’arrivée de l’envahisseur. Obligé de se convaincre que ce qu’ils font est bien pour leur patrie, son mental se reprogramme pour légitimer leurs pires actions : pillages, décapitations, viols… Comment ces hommes, s’ils survivent, pourront-ils un jour revenir à la vie après avoir vécu dans tant de violence ?

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Des deux côtés, rien ne nous sera épargné et nous comprenons alors toute l’horreur qu’a vécu chacune des parties, autochtones compris, à cause de décisions politiques. Si les autochtones sont bien sûr victimes de l’envahisseur, les militaires sont victimes des représailles autant que des personnes qu’ils doivent devenir pour survivre. Aussi lorsqu’on pense à ce qui leur a été demandé on souffre pour eux, même si l’absence de prénom au personnage militaire veut peut-être lui offrir un peu moins le statut de victime. Quant aux civils, ayant un prénom eux, ils en baveront également leur saoul. On aurait pu crier à l’invention si des témoignages de proches revenant plus tard de la guerre d’Algérie ne nous avaient détaillé pareilles horreurs, prouvant que l’Homme n’apprend pas toujours de ses erreurs.

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Malgré tout, je ne vous envoie pas au casse-pipe avec ce roman. Parce que la plume de Mathieu Belezi est incroyablement belle, forte et douce, violente et caressante, sombre et lumineuse. Aussi cruelle que sentimentale, suivant les actions de ses personnages. Ce qui fait qu’outre les rares jolis moments comme les bals, même dans la barbarie des soldats on perçoit leur souffrance, leur douleur sous les carapaces.

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L’auteur nous livre les pensées de ses narrateurs sans ponctuation ni majuscule, comme pour nous couper le souffle avec ses esprits dont les pensées et souffrances ne trouvent aucun repos, en prenant soin néanmoins de placer des paragraphes à chaque respiration, chaque changement d’idée afin que nous puissions les digérer avant les suivantes. Malgré tout la pilule aura parfois du mal à passer et nous sentons à chaque moment, avec les personnages, que la coupe est pleine, prête à déborder. Et l’on se demande à chaque page tournée : sera-ce la dernière, la goutte d’eau qui fera déborder le vase ?

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Un livre tout simple, tout court, et pourtant j’ai trouvé ces 150 pages déchirantes, d’une beauté et d’une force incroyables.
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Le petit roi

Premier roman publié en 1998 sous le pseudonyme de Mathieu Belezi, Le petit roi accède enfin au devant de la scène grâce au succès l’an dernier d’Attaquer la terre et le soleil et à la décision du Tripode de commencer à rééditer les précédents ouvrages de l’auteur. Dans un récit d’allure faussement autobiographique - « Je fuis comme la peste l’autofiction. A trop parler de soi, on en oublie d’imaginer. Et que devient la littérature si le souffle de l’imagination ne bouscule pas le lecteur ? » déclare-t-il dans une interview pour le journal Libération -, l’écrivain met en scène Mathieu, un garçon de douze ans dévasté par les déchirures parentales qui ont mené sa mère à le confier à la garde de son grand-père. Le vieil homme qui, en ce milieu des années soixante, subsiste en solitaire, dans une vie simple et rude au plus près des saisons, sur sa petite ferme d’altitude en Provence, a beau déployer en silence toute son impuissante tendresse, le pré-adolescent écorché vif, qui se sent abandonné et pense que « rien n’est là pour qu’il vive heureux », n’est plus que rancoeur et s’en prend violemment à lui-même autant qu’à la terre entière, dans des accès de cruauté où s’expriment sa révolte et sa colère.





L’écriture âpre et sans concession ne commente ni n’enjolive. Ses traits ciselés comme à vif dans la matière brute des réminiscences se contentent de raconter simplement, la sobriété de ton amplifiant encore la violence d’une narration coup de poing qui vous laisse assommé et interdit de tant de fulgurance et de souffrance rentrée. Car le jeune Mathieu, abandonné par ses parents après les avoir vus se déchirer dans un paroxysme de haine et de fureur, se punit autant qu’il se venge de leur manque d’amour en faisant mal à son tour. Réfléchissant en miroir la violence vécue, la victime se fait alors bourreau de plus faibles, animaux ou garçonnet fragile, en un crescendo de scènes brutales et cruelles. Lui, qui, au fond, se sent « coupable de tout », se défend en adoptant la stratégie bravache du même pas mal, et, tâchant de se convaincre que « n’est coupable que celui qui veut l’être », « [s]e venge de la désinvolture du monde à [s]on égard » en se faisant tortionnaire en retour. Dans ce chaos affectif, seul surnage le lumineux miracle de la tendresse taiseuse du grand-père, un début possible de pansement qui laissera pourtant plus que jamais la plaie à vif lorsque, comme si tout attachement ne servait qu’à vous piéger pour mieux vous meurtrir ensuite, le cours inéluctable de la vie l’arrachera sans prévenir.





Troussé sans ménagement dans une langue aussi cinglante que poétique, mêlant tendresse et sadisme en une combinaison détonante et dérangeante, ce court texte magnifiquement écrit et travaillé a l’éclat sombre de son personnage, un petit roi lancé à corps et coeur perdus dans un apprentissage sauvage et solitaire, aux couleurs de la rage et de la frustration. Un grand coup de chapeau à la petite maison d’édition du Tripode pour avoir su révéler cette œuvre injustement méconnue.


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Attaquer la terre et le soleil

Mathieu Belezi est de ces auteurs que je vois régulièrement passer sur mon fil mais que je n'avais pas encore pris le temps de découvrir. "Attaquer la terre et le soleil" est celui que je croise le plus souvent en ce moment, et les nombreux et jolis retours des Babelpotes m'ont incitée à le lire à mon tour.



Ce court roman nous emmène en Algérie au XIXe siècle. Nous sommes amenés à suivre d'un côté les colons français fraîchement arrivés dans une des colonies agricoles, et de l'autre côté, la campagne des soldats colonisateurs.



"Rude besogne" d'un côté. "Bain de sang" de l'autre. Gentils français et méchants algériens d'un côté. Méchants français et gentils algériens de l'autre. Choléra et désillusions d'un côté. Razzias et barbarie de l'autre.



De sa plume puissante, âcre, qui ne mache pas ses mots, l'auteur nous emporte dès les premières lignes dans une atmosphère suffocante que l'on ne veut pourtant pas abandonner. Choléra, mort, désillusions, hostilités, viols, massacres, tels sont le quotidien des protagonistes. Certains subissent, peinent à se relever et abandonnent pendant que les autres profitent de leur position et prennent plaisir à se servir. J'ai eu beaucoup d'empathie pour les premiers, alors que les seconds m'ont horrifiée (pour le coup, je puis vous assurer que je ne suis pas fière d'être française...).



C'est un roman court mais très efficace, dur également, qui marque, tourneboule, dérange. J'aurais pas mal de chose à lui reprocher, si je me fie à ce que je recherche dans mes lectures habituellement. Pourtant, je n'y ai pas fait attention, tellement j'étais prise dans ses filets.



Je regrette seulement l'absence de majuscules et de points en début et fin de phrases, ainsi que la fin moyennement satisfaisante, parce que vite arrivée et expédiée pour les uns et totalement absente pour les autres.



Mais il n'empêche que c'est une lecture que je n'oublierai pas de sitôt, tout à la fois dure et prenante.



Première expérience avec Mathieu Belezi, et certainement pas la dernière.

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Attaquer la terre et le soleil

Séraphine prend la parole la première pour nous expliquer le départ de la famille pour l'Algérie. Les promesses du gouvernement français pour des terres agricoles, des maisons solides et accueillantes, la richesse. Elle avait émis ses doutes et craintes à son mari mais il ne voulait pas entendre et écouter à ce moment-là. Les voilà partis pour un voyage éprouvant et interminable . Séraphine et son mari Henri, leurs trois enfants, deux garçons et une fille, sa soeur Rosette et son mari Louis.



Ils sont parqués dans des tentes militaires dans un camp, encadrés par des soldats français, accueillis par une terre aride et pourtant des trombes d'eau, les maladies, les morts, dont deux des enfants, et les attaques des algériens.



Puis Séraphine laisse la parole à un soldat français désabusé et un brin cynique qui nous raconte les pillages, les viols, les massacres et la débauche.



À tour de rôle, ils nous entraînent dans cette descente en enfer. le texte n'a qu'un point, le final, car dans une agonie il n'y a pas de pause ni d'arrêt. L'écriture est puissante, voire violente pour décrire les débuts de la colonisation algérienne mais avec la sensibilité d'une femme colon qui va chercher au fond de ses entrailles la force de s'en sortir.



Un roman sublime.




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Attaquer la terre et le soleil

« La France a pour mission divine de pacifier vos terres de barbarie, d’offrir à vos cervelles incultes les ors d’une culture millénaire ! Que ça vous plaise ou non ! Et ceux qui refusent notre main tendue seront renversés, écrasés, hachés menu par le fer de nos sabres et de nos baïonnettes. »



Je croyais avoir beaucoup lu sur l’Algérie. Saint-Marc, Larteguy, Bergot, Sergent ou Bonnecarrère et tant d’autres autrefois (il faut bien que jeunesse se passe…). Puis Stora, Benamou ou Jenni plus tard. Mais il me manquait Mathieu Belezi, et c’est réparé avec Attaquer la terre et le soleil.



Tenter de comprendre ce qu’il advint des relations franco-algériennes au XXe siècle sans en avoir exploré la genèse n’a pas de sens. Passer outre cette furie colonisatrice du XIXe siècle qui vit des familles françaises traverser la Méditerranée vers cette terre qu’on leur annonçait promise, tandis que la troupe tentait – déjà – d’y imposer sa vision de la pacification, n’en a pas davantage.



Belezi nous apprend qu’en guise d’eldorado, nombre de colons français installés à Bône (devenue Annaba) ne trouvèrent que le froid, la pluie, les lions, le palu, le choléra, le pillage de leur récolte et le massacre des isolés. Une découverte avant l’heure que la misère n’est décidément pas moins pénible au soleil.



« Et en moi-même je me disais que la justice était un mot inventé par les riches pour calmer la colère des pauvres. »



Belezi nous rappelle l’état d’esprit de ces soldats français déjà sensés « maintenir l’ordre », obéissant aveuglément à leur dieu-capitaine pour imposer le bien et la « civilisation » au nom de la sainte et sainte mère de Dieu, par la grâce sanglante, vengeresse et meurtrière de leurs sabres.



Belezi nous le dit dans un texte puissant, violent et souvent furieux, qui reste d’un bout à l’autre d’une tension, d’une émotion et d’une beauté absolue et va me conduire très vite à me plonger dans sa trilogie algérienne.



Un grand livre de cette rentrée 2022.

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Le petit roi

Le petit roi manque d'amour et d'empathie. La violence intra-parentale a détruit son humanité, le remplissant de haine au point que la souffrance qu'il inflige aux autres est seule capable de l'apaiser. Pourtant dans la magnifique campagne provençale cet enfant est aimé. À sa façon certes, un peu rugueuse et silencieuse, son grand-père veille sur lui. Mais rien ne saurait effacer la douleur d'un enfant. Celle d'avoir vu ses parents se déchirer. Celle d'avoir une mère qui l'a abandonné, à lui-même et à ses tourments.

Aussi fort que dérangeant, un premier roman qui pèche parfois par quelques maniérismes d'écriture.
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Attaquer la terre et le soleil

« Une civilisation proliférante et surexcitée trouble à jamais le silence des mers. »

Claude Lévi-Strauss



Mon chemin de lectrice n'aurait sans doute jamais croisé celui de Mathieu Belezi sans plusieurs billets d'ami.es babeliotes qui ont retenu mon attention. Je ne peux que les remercier pour cette lecture percutante qui m'a emportée dans l'enfer de la colonisation française de l'Algérie au 19ème siècle.

Je ne savais absolument rien de cette partie de l'Histoire, la lecture sert aussi à cela : apprendre, comprendre.



De format très court, ce n'est pourtant pas un roman qui amène une respiration entre deux gros livres. En effet, l'auteur réussit à déclencher dès les toutes premières pages de très fortes émotions. Je dirais même que le récit m'a empoignée, bouleversée.

Je n'ai pas pu lire ce roman d'une seule traite malgré la petite centaine de pages, tellement il m'a touchée et retournée.



*

Ce roman choral donne la parole d'une part, à Séraphine Jouhaud, une française venue en Algérie avec sa famille et d'autres colons pour fonder une colonie agricole ; et d'autre part, un soldat dont nous ne connaîtrons jamais le nom, qui, appartient à un groupe de militaires chargé de pacifier la région et apporter la « civilisation » à ces « peuples barbares ».



« Je les connais vos guenillards, vos hyènes aux chicots sanguinaires qui égorgent mes pauvres soldats venus de France tout exprès pour le pacifier votre foutu pays, pour le nettoyer de sa vermine, nom d'un bordel ! et c'est comme ça que vous nous remerciez ! »



J'ai trouvé ces deux récits très différents.

Séraphine retrace son épuisant parcours depuis la France, laquelle leur a offert des terres algériennes pour s'installer et démarrer une nouvelle vie pleine de promesses. J'ai ressenti ses espoirs d'une vie meilleure, très vite remplacée par la fatigue du voyage, l'inquiétude face à la tache colossale de cultiver des sols ingrats, l'appréhension devant les nombreux dangers, réels et potentiels, auxquels elle et les siens vont devoir faire face.

Car le paradis qu'on leur a promis va très vite se transformer en enfer. Une image me vient à l'esprit, celle du tableau de Théodore Géricault, « le radeau de la méduse » : les colons deviennent des naufragés ballotés sur les terres hostiles d'Algérie, endurant un climat particulièrement rude, attentifs aux bêtes sauvages, craignant les maladies et les attaques de la population locale.

Je me suis sentie proche de Séraphine, j'ai eu de l'empathie, détectant très vite les fêlures qui se dessinaient dans son coeur, repérant les éclats de joie et de certitude qui s'écaillaient et sautaient jusqu'à laisser sourdre une plaie béante, une tristesse indicible.



« Et puis, parce que tout doit être oublié ou pardonné dans cette vie, nous avons fini par enfouir bien au fond de nos entrailles nos peines les plus vives, celles qui jamais ne s'éteignent, et poussés par cet inexplicable instinct de survie nous avons recommencé à nous battre contre le soleil, contre la terre revêche, contre ces Arabes jour et nuit à l'affût et qui n'attendaient que le moment propice pour nous sauter dessus et nous écharper »



Le récit du soldat est tout autre.

C'est un récit d'une extrême brutalité et qui met vraiment mal à l'aise face à la barbarie de ces soldats français qui arrivent en conquérants, en despotes, sûrs de leur bon droit et de l'approbation du gouvernement français, tuant, violant, détruisant tout sur leur passage.

Le soldat répète inlassablement « Nous ne sommes pas des anges ». Et c'est rien de le dire !

Mais l'inhumanité appelle l'inhumanité.

La souffrance appelle la souffrance.

Le sang appelle le sang.

La mort appelle la mort.



« oui, nous sommes sûrs que vous êtes fier de nous, capitaine

et quand nous passons à travers les portes défoncées pour retrouver l'air libre et le soleil, quand le silence retombe sur nos épaules qui fument, quand notre coeur s'ébroue dans nos poitrines noyées de sang ennemi, c'est alors que l'envie nous vient de sortir les pipes, de les bourrer jusqu'à la gueule, d'envoyer dans nos poumons une charge de tabac à nous faire péter la cervelle, ça vaut tout l'or de ce foutu monde ces moments-là, et ceux qui ne fument pas s'en vont tranquillement égorger les ânes et ce qui leur passe sous la main, une brebis, des poules, un chien boiteux qui n'a pas le temps de s'échapper »



Donc deux voix, deux points de vue.

Et face à leur regard sur leur monde, leur temps et leurs actes, notre regard de lecteur deux siècles plus tard. Avec le recul de l'histoire et du temps qui passe, on peut s'interroger sur l'ignorance, la naïveté ou l'inconscience des uns, et les actes ignobles et honteux des autres.



Comment des familles françaises peuvent-elles s'installer en toute quiétude sur des terres qui ne leur appartiennent pas et penser pouvoir vivre en paix du fruit de leur travail ?

Comment comprendre l'attitude des soldats et cette vision de la pacification par la violence et l'oppression ?



La conquête de l'Algérie a été d'une intense brutalité, entre massacres de la population, viols, destructions de récoltes, spoliations des terres, pillages des villages. En prêchant l'agression et l'occupation forcée au nom de la civilisation des peuples autochtones, il n'est pas étonnant que cette violence extrême ait semé les graines de la rancoeur, de la haine et de la révolte.



*

L'écriture de Mathieu Belezi est très belle, lyrique et tendue, poétique et crue, emplie d'amour et de haine, de sauvagerie et de colère, de survie et de mort. Elle est incisive, amère, vive et tranchante, disséquant sans faux-fuyant les émotions des personnages, excisant avec une profondeur poignante et affligeante, l'indicible, l'indescriptible.



Mathieu Belezi trouve les mots qui racontent ces destins pris dans l'engrenage de l'Histoire et de ses intempéries.

Les mots martèlent, ils sont comme des coups de marteau, des coups de poing, des coups de scalpel, des coups dans le coeur. Et les mots font mouche. Imagés, d'une justesse incroyable, ils ont laissé des scènes éprouvantes dans mon esprit.

A travers la cruauté et les larmes, j'ai ressenti la colère, la rage, « le bruit et la fureur », la douleur, la peur, le désespoir. Et malgré la chaleur éblouissante et écrasante de ce soleil algérien, je n'ai vu que la noirceur de la terre que l'on saccage et qui finit par accueillir dans ses profondeurs les restes de cette lutte à mort.



« Ça veut dire que nous serons sans pitié, nom d'un bordel ! ça veut dire que nous n'hésiterons pas à embrocher les révoltés un à un, à brûler leurs maisons, à saccager leurs récoltes, tout ça au nom du droit, de notre bon droit de colonisateurs venus pacifier des terres trop longtemps abandonnées à la barbarie, comprenez-vous bien, soldats, ce que cela signifie ? »



Et puis, l'auteur égratigne la ponctuation, enlevant les points, les majuscules. Cela donne l'impression d'un long monologue.



*

Pour conclure, ce roman est excessivement réaliste, dur, souvent éprouvant pour décrire la barbarie de la colonisation française en l'Algérie et il n'épargne personne, ni les colons, ni les colonisés.

Le style allégé de la ponctuation classique, sous forme de flux de conscience, est très original et marque le récit par l'atmosphère accablante qu'il suscite.

Un petit roman à lire pour découvrir l'envers de la colonisation.
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Attaquer la terre et le soleil

J’avoue avoir beaucoup de mal à faire un billet sur ce livre.



Non pas qu’il ne soit pas intéressant – il l’est, c’est certain – ni que le sujet ne soit pas d’importance.



Non pas non plus que je critique l’attribution du Prix du Livre Inter auquel j’ai souvent postulé mais sans jamais avoir été retenue – bien au contraire j’ai trouvé le jury très inspiré.



Mais voilà. C’est très difficile de commenter ce livre parce que sa force réside dans son style et sans de bons extraits il me sera bien difficile de rendre compte de cette expérience littéraire.



Car c’est bien d’une expérience dont il s’agit.



Disons un mot du sujet, tout de même, ou plutôt des 2 sujets pour tous ceux qui ne sauraient pas de quoi on parle : il s’agit du récit d’une part de Séraphine, venue avec son mari Henri et ses enfants conquérir les terres que l’Etat français lui a octroyé et celui de ses soldats qui saccagent, ravagent, pillent et violent les populations algériennes dans les villages colonisés.



Un petit coup d’œil sur Wikipédia, pour rafraichir ma mémoire, m’a rappelée que : » La première étape de la conquête commence avec la régence d'Alger, la partie septentrionale de l'Algérie (le Sahara étant un territoire généralement associé bien qu'indépendant) de juin à juillet 1830 et prend fin avec la signature de l'accord de soumission du régent d'Alger Hussein Dey le 5 juillet 1830 à Alger. » Et aussi que les « territoires de l'ancienne régence d'Alger et ceux de l'État algérien sont annexés à la France en 1848 par la création de trois départements (département d'Oran à l'ouest, département d'Alger au centre et département de Constantine à l'Est). »

Nous sommes dans les années 1850 donc, et Séraphine débarque de la métropole en Algérie.



«j’ai pleuré

Je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer quand nous sommes arrivés et que nous avons vu la terre qu’il allait falloir travailler

Sainte et sainte mère de Dieu ».



Pendant ce temps les soldats font rage.

« Nous ne sommes pas des anges

Le capitaine n’a cessé de nous le brailler dans les oreilles, et nous le braille encore.

- Vous n’êtes pas des anges !

Pendant que le soleil dégringole derrière l’horizon et que montent au ciel les alouettes sorties des lentisques et des palmiers nains. »



Ce qui fait la force de « Attaquer la terre et le soleil », c’est son style. Puissant, direct, sensuel et sans fard.



Car il faut décrire une réalité qui, près de 200 ans plus tard, nous fait froid aux yeux. Combien de massacres perpétrés au nom de la colonisation ? Combien de familles comme celle de Séraphine décimées par la maladie, la famine ou les attaques en tout genre ?



C’est ce qui intéressant dans le propos de Mathieu Belezi sur lequel peu de romanciers s’aventurent aujourd’hui : reprendre l’histoire des premiers colons avec son cortège de massacre qui nous fait horreur aujourd’hui. Car rien ne nous est épargné des vicissitudes de la vie des premiers colons (choléra, paludisme, attaque d’animaux, famine) tout comme ce brave soldat qui suit les commandements de son capitaine appelant à piller, violer, détruire, massacrer.



Une sorte de descente aux enfers commune, que l’on regarde aujourd’hui comme des spectateurs regarderaient un film d’horreur, sur un continent loin du nôtre.



Et pourtant c’est notre histoire.



Comment comprendre donc environ 200 ans plus tard, ce qui poussait des familles pauvres à partir à la conquête de cette terre de l’autre côté de la Méditerranée ? et ces soldats à exécuter des ordres qui paraissent aujourd’hui inqualifiables ?



J’ai récemment vu par hasard, sur la chaîne « Histoire », un reportage intitulé « Enfants de pieds-noirs, enfants du divorce » qui donne la parole à des fils et filles de rapatriés algériens. Et leurs difficultés à justifier ce qui fut l’action de leurs parents ou grands-parents. Et ce décalage lorsque, rapatriés en 1962, on les a considérés comme des parias racistes alors qu’ils pensaient servir la France de l’autre côté de la Méditerranée.



Il y aurait beaucoup à dire sur un sujet qui fait débat aujourd’hui sur la scène politique, mais Mathieu Belezi n’est pas sur un terrain : seulement sur celui de la force de l’écriture pour décrire une parcelle de notre histoire qui s’apparente à l’enfer. Et c’est très réussi. »



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Attaquer la terre et le soleil

Ce roman de Mathieu Belezi : Attaquer la terre et le soleil est une véritable descente aux enfers qui puise avant tout sa force, non dans les thèmes largement traités dans d'autres romans ou essais, mais dans l'écriture de son auteur. Comment ne pas être, dès le début sous l'emprise de ces deux récits qui alternent : celui de Séraphine, débarquée en Algérie avec sa famille pour fonder une colonie agricole avec d'autres migrants et celui d'un soldat anonyme, arrivé lui aussi en Algérie mais pour y faire oeuvre de conquête.

Ce qui m'a immédiatement captivée dans ces deux récits, c'est qu'il s'agit en fait de deux longues litanies : celle de la souffrance et de la peur avec Séraphine et celle de l'horreur et de la violence guerrière avec le soldat. Pouvoir incantatoire des leitmotiv - "sainte et sainte mère de Dieu" pour Séraphine et "nous ne sommes pas des anges" - pour le soldat, qui reviennent en boucle de façon lancinante au début du roman, phrases au déroulé en continu sans pause aucune, ne laissant ainsi aucune échappatoire, on est happé par ces deux récits qui se font écho mais en miroirs inversés.

D'un côté Séraphine et sa famille venus en Algérie pour récolter "blé, orge, tabac et raisin..." vont être parqués dès leur arrivée dans des campements militaires où la saleté et l'insalubrité le disputent à la maladie et bientôt à la peur des "lions du désert" et celle des autochtones qui haïssent ces colons venus s'emparer de leurs terres ancestrales. Ce qui explique qu'ils les tuent sans hésiter avec une sauvagerie vengeresse. de l'autre côté, nous avons un soldat anonyme et son bataillon venus faire oeuvre de conquête, à la force des baïonnettes, comme il s'en félicite au début du récit dans un discours bravache se retranchant derrière les discours mensongers et hypocrites des officiels qui vantent la mission "pacificatrice" et "civilisatrice" de l'armée française !

A la douleur et la souffrance de Séraphine, s'oppose la violence guerrière du soldat et de ses acolytes dans des scènes à couper le souffle par leur puissance d'évocation. Dans des passages d'un réalisme cru, l'auteur nous fait partager les moments de cauchemar vécus par Séraphine et les autres colons, décimés par le choléra qui ne fait pas de quartiers, emportant du jour au lendemain hommes, femmes et enfants... Et nous assistons, impuissants tout comme les survivants, au funeste ballet des enterrements qui se succèdent à un rythme infernal ! Mais la grande faucheuse ne copine pas seulement avec les virus mortels, elle traîne aussi ses guêtres du côté de la violence guerrière et des massacres commis dans les douars arabes par la soldatesque française. Viols, décapitations, étripements, rien ne nous est épargné... Ce pourrait être insupportable si ces scènes d'horreur ne faisaient pas l'objet d'un grossissement épique qui leur confère une certaine irréalité en nous renvoyant ainsi plus du côté de la réflexion que de l'émotion. Cette barbarie humaine qui pille, saccage, viole et tue a, heureusement son corollaire : l''instinct de survie et un formidable appétit de vivre chevillé au corps de tous ces damnés de la terre ! Cette thématique parcourt aussi tout le roman comme en témoignent de grandes scènes qui se font écho et dans lesquelles colons ou soldats se livrent à des orgies de nourriture et de boissons qui sont pour les uns un moyen d'oublier la peur, les deuils et les mauvais coups du sort et pour les autres, shootés à la gnôle, une façon "d'oublier les souffrance physiques, les bains de sang et les cris des victimes, hommes, femmes et enfants..." Dernière invitée dans ce hit-parage de l'horreur, la folie, celle qui guette par exemple le capitaine Landron, dépeint comme un ogre sanguinaire et qui se livre à des discours délirants devant ses soldats et ses ennemis... morts de la façon la plus atroce qui soit.

Je pourrais poursuivre ma chronique mais j'ai pitié de mes lectrices et lecteurs et je conclurais seulement en disant combien j'ai été impressionnée par ce roman à la fois par la puissance de son écriture et aussi par sa façon de nous renvoyer sans ménagement du côté le plus sombre de l'humanité !
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Attaquer la terre et le soleil

Matthieu Belezi , un écrivain que je découvre avec ce livre coup de poing sur la colonisation en Algérie

Pour une vraie surprise car j’ai lu beaucoup de livres sur la guerre d’Algérie ( pays où j’ai travaillé et où ce sujet reste omniprésent)

Dès les premières pages, j’ai senti que j’allais lire autre chose sur le sujet et que j’étais en présence d’un grand écrivain

Une sensation que je n’avais pas connu depuis de nombreuses années

Dans ce court livre, Matthieu Belezi entre tout de suite dans le vif du sujet:le début de la colonisation en Algérie

Avec deux points de vue

Celui des braves colons volontaires à qui on a promis un avenir radieux, des terres à défricher certes mais la certitude de devenir un propriétaire terrien prospère sous le doux soleil de l’Afrique

La réalité est tout autre: un logement misérable, une chaleur insupportable, le choléra, le paludisme et toutes les maladies du monde dans un contexte hostile , bien caché par les autorités avant leur départ pour une contrée décrite comme idyllique.Dur retour au réel

L’autre point de vue est celui des militaires. Pour eux, pas de rêve.Ils savent très bien où ils vont et pourquoi : apporter à un peuple archaïque les vertus de la civilisation. Ils sont là pour leur apporter le bonheur version française

Ils savent que la population , ignare à leur yeux, sera hostile et que tous les moyens sont autorisés pour leur faire comprendre qu’il leur faut obtempérer puisque c’est pour leur bien que les troupes sont là.

Dès le départ, l’armée n’hésite pas à utiliser tous des méthodes brutales y compris les plus atroces

La force du livre réside dans cette double vision

D’un côté ceux qui ont été bernés naïvement

De l’autre , des soldats qui savent très bien que tout est permis pour obliger ce peuple à obéir.Les ordres viennent d’en haut

C’est cette violence programmée dès le début de la colonisation qui m’a surpris

Avec la manipulation de braves paysans français qui partent à l’aventure avec enthousiasme

Le style de Matthieu Belezi est ciselé

La lecture est passionnante

Un livre que je vous conseille vivement

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Attaquer la terre et le soleil

Si l'on personnifiait une nation ce livre ressemblerait à une flèche qui lui serait décochée en plein coeur, là où palpitent les devises, où vibrent les idéaux. Une flèche sans concession, un geste aussi pur que radical. Que les nations qui n'en ont jamais colonisé aucune autre, ou tenté de le faire, jettent la première pierre à Mathieu Belezi tant son propos, bien que focalisé sur la colonisation française de l'Algérie, m'a semblé horriblement universel. Il y a du beau, dans le coeur des Hommes, qui cohabite avec un indéfectible besoin de conquête dans le coeur des nations. Et le propos limpide de cet auteur engagé, c'est sa rage que l'on puisse y trouver des excuses, des justifications savamment orchestrées pour détourner l'opinion publique : une colonisation ce n'est pas amener des savoirs et des croyances, c'est les imposer de gré ou de force. Ce n'est pas faire bénéficier, c'est prendre des bénéfices. Ce n'est pas propre, ce sont des massacres de population.

Façonner l'opinion publique pour convaincre de son bon droit n'est pas compliqué, il suffit de l'abreuver de la peur et de la haine d'autrui, de le traiter de terroriste par exemple pour la persuader que l'éradication a du bon (mais je m'éloigne un peu du sujet).

.

Dans les années 1830, il était dit aux français qu'il fallait purger l'Algérie de ses mécréants. Chose faite, ou en passe de l'être, on les invitait à venir s'y établir, on leur offrait des terres et on leur promettait qu'ils allaient se construire un avenir ensoleillé et prospère.

La purge et l'installation des colons sont les deux voies retenues par l'auteur pour parler de la colonisation. Il fait tour à tour, en alternant les chapitres, s'exprimer un soldat français au service d'un capitaine impitoyable, et un groupe de colons dont le désenchantement commence dès leur premier regard sur leur promise « colonie agricole » qui se résume en fait à des alignements de tentes militaires, où plusieurs familles devront cohabiter, affronter les éléments, et des autochtones armés de yatagans qui refusent la soumission.

.

Mathieu Belezi est crédible aussi bien lorsqu'il prend la voix de Séraphine convaincue par son mari de venir tenter « l'aventure algérienne » et qui se retrouvera face à d'inimaginables épreuves, que lorsqu'il prend celle d'un soldat français qui exécute les ordres sans faillir à la pitié ou à quelconque remise en question malgré de subtils « commentaires » en italique qui semblent tels un petit ange de conscience qui essaie en vain de s'agripper à son oreille.

Les choix typographiques rythment l'écriture de l'auteur, italiques, absence de point et donc absence de majuscules, les paragraphes sont livrés comme un déversement de parole sans fin. J'ai pensé avec un petit agacement à un simple effet de style, au départ, une recherche de modernité qui sonnerait creux. Et puis j'ai changé d'avis au fur et à mesure de ma lecture. Cette absence de points sert le style dans le sens où les témoignages de ces gens semblent livrés bruts, sans chercher quelconque effet justement. Les peines comme les joies fugaces. La soumission au capitaine comme la hargne d'éventrer. Les mots s'égrènent, les personnages vident leurs sacs, font une confession . Et pour le lecteur, l'émotion monte devant ce flux de mots ininterrompus, devant ce flux de violence et de tristesse.

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Attaquer la terre et le soleil

Le 14 juin 1830, l'armée française débarque en Algérie sur ordre du roi Charles X. L'Algérie est alors une province de l'Empire ottoman. La prise d'Alger par les Français marque le début de la colonisation de l'Algérie. Mathieu Belezi fait alterner les voix de Séraphine arrivée avec sa famille pour travailler sur cette terre de sauvages et celle d’un soldat venu de France pour pacifier ce foutu pays et le nettoyer de sa vermine.



Un récit court qui vous prend aux tripes. Une réflexion sur cette colonisation d’une extrême violence, avec une plume très réaliste l’auteur nous décrit les exactions, les massacres, les ravages du choléra et d’autres maladies infectieuses, la famine, le sang qui ne cesse de couler, les têtes qu’on coupe, les morts qui s’accumulent. Mathieu Belezi nous raconte cette barbarie et ces atrocités avec une écriture simple et poétique qui nous emporte.





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Un faux pas dans la vie d'Emma Picard

"Tu te souviens, Léon?"



Une mère, harassée, veillant dans l'ombre son dernier fils, retrace en monologue et incantations de malheurs répétés, les épouvantables années de l'installation familiale comme colons agricoles sur terre algérienne.



Les colons de la première heure: forts de leur bon droit de propriétaires de terres françaises, ils font face hargneusement, armés de courage à revendre, de volonté de se battre et de résister à la chaleur infernale des étés, à la sécheresse, au froid glacial des hivers neigeux et venteux, à la vitrification de leur champs par les sauterelles, au déluge, aux tremblements de terre et aux maladies.



Mais le combat semblait perdu d'avance pour la jeune veuve Emma Picard, et ses quatre fils, venus d'Alsace, confiants dans le discours du gouvernement français du second Empire qui leur offre 20 hectares de terres dans un pays de cocagne.



"Seigneur Dieu qu'avions nous fait nous autres pour être punis de la sorte?"

Un Dieu enragé pour une femme pétrie de culpabilité.



Avec le lyrisme d'une tragédie antique, Mathieu Belezi clôt ici sa trilogie sur l'Algérie Française et fait revivre les débuts de la colonisation, dans les destins bien différents des grands propriétaires terriens venus exploiter le pays. Une vie de chien et de misère assez proche de celle des autochtones, une vie de malheurs due à l'entêtement, à la persévérance destructrice et à l'attachement viscéral à la terre. Une tragédie humaine dans une période où le pays subit famine et catastrophes naturelles majeures.



La narration ne lâche pas un instant le lecteur, oppressante, sans chapitre et paragraphe, partagée entre les souvenirs de femme vieillie avant l'âge, qui ressasse à la frontière de la folie, et le récit vibrant et dramatique du quotidien de la ferme dans les collines.



Dans la nuit africaine, tout est dit... Le fils n'a pas prononcé un mot et la femme s'est tue.



Sombre et magnifique!

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Attaquer la terre et le soleil

Ce roman a été multi primé, encensé par de nombreux lecteurs et lectrices de babelio et pourtant, moi je ne lui attribue que 3,5 étoiles....

Je me suis donc interrogée, est-ce un mauvais moment pour le lire ? Ai-je raté quelque chose ?

.

L'histoire. la colonisation de l'Algérie (ultra violente) par les troupes de soldats et par les colons installés pour cultiver cette nouvelle terre. Oui mais voilà cette terre est habitée.

On est donc au 19e siècle. On va suivre deux personnages : Séraphine, colon (désolée mais comme possesseur, colon n'a pas de féminin : une femme ne peut pas posséder ni coloniser selon la langue française) et un soldat lambda, non nommé. Séraphine subit la violence des Algériens qui eux-mêmes subissent la violence des soldats dont notre narrateur non nommé. Cercle vicieux, aberrant, réaliste, tristement d'actualité....

.

Le style de l'auteur est original, mais un peu sec, distant. C'est sans doute cela qui m'a posé problème. Si ce style correspond aux scènes d'ultra violence racontées par le soldat, il m'a manqué un je ne sais quoi du côté de Séraphine. Ou alors peut-être le point de vue des habitants algériens....

Je me suis sentie étrangère, comme si je regardais d'en haut.

Une petite déception pour moi.

Dommage....
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