Citations de Matthieu Mégevand (88)
Comment cette femme, belle et jeune, a t-elle pu succomber aux avances de ce crapoussin lubrique ? Par quelles bizarreries, selon quelles déviances ? Nul ne le sait.
Mais après quelques séances dans l'atelier, il devint admis que Lautrec et Maria étaient devenus amants.
L'empathie apaise, mais nourrit sans le savoir les craintes les plus enfouies.
Que les mots, comme des voleurs qui chamboulent tout dans une maison, bouleversent l'ordre bien agencé de ma mémoire pour ne laisser que de pauvres images, d'imparfaites esquisses dont on se demande à quoi elles peuvent bien servir.
Je me sens fragile. Guidé par ce qui compte, par ce qui est juste, oui, mais timide et incertain. C’est une étape nouvelle pour moi. Aller aussi loin dans le rapport à l’autre, avec un être aussi cher qui plus est, être présent, juste là, pour tenir la main et ne jamais rompre le lien invisible qui nous unit, jusqu’à la fin, nous inonder d’amour, voilà qui m’est totalement neuf. J’espère être adéquat. Il me semble que oui, mais qui sait. Il n’y a pas d’enjeu plus important.
À vrai dire, ce qu’il regarde surtout à s’en éclater l’iris, c’est la chevelure vénitienne de la jeune femme. Cette masse embrasée qui recouvre un visage allongé, presque chevalin, obnubile le peintre : il marmonne « la carne, la carne ! » en donnant de furieux coups de pinceaux carotte, citrouille, corail, tangerine, il penche la tête, observe encore, renifle, retourne à la toile, revient au modèle, scrute, s’épuise.
"Une vie faite d'éclats et de noirceur, de belles gens et de chiffonniers. Une vie pour prouver au monde que dis petits doigts sur un clavier peuvent changer le plomb en or."
.. passe au bistrot suivant ou rentre à son atelier, débouche une nouvelle bouteille, l'avale d'une traite, dégobille, s'effondre, la nuit qui devient le jour et le jour qui redevient nuit, outre gonflée, barrique toujours pleine - mais cela, ce n'est rien, juste une brûlure, un vertige : tout plutôt que de se retrouver face au gouffre que la succube a creusé.
Lautrec a encore passé du temps au Mirliton à boire, des bocks et des bocks, un verger d'eaux-de-vie, à raconter des blagues graveleuses ou potaches et à offrir des tournées à une petite foule d'inféodés qui lorgnaient sa bourse pleine.
Cette silhouette courtaude, ce visage boursouflé, ces yeux humectés, les grosses mains, le gros nez, les grosses lèvres ;partout où il passe, Lautrec fait sensation et subit le regard intrusif, moqueur, méchant des hommes et celui, plus pénible encore, écoeuré des femmes.
Il s'approche de Carmen, son petit corps et ses courtes jambes de bouc, il a le nez à la hauteur des seins, et sans doute à cet instant, débarrassé de son obsession et dévoré par une autre, il voudrait plonger sa tête dans cette poitrine fraîche et qui pointe, mordiller les tétons, engloutir les deux poires, renifler l'odeur musquée des aisselles, lécher le sexe poilu ; mais il dit seulement : " Tu viens ? C'est moi qui offre !" ...
Tu ressembles à la tour de Londres un soir de bruine! Faut te d'étendre un peu, mon gars... Vas-y bouge tes jambes, tes bras, pense à autre chose.
Le poète est celui qui inspire beaucoup plus que celui qui est inspiré.
Eluard
" Alors, ça t'a plu, mon avorton d'amour ?!" dit-elle d'une voix grasse et éraillée.
" T'étais sublime ! Une garce sublime ! Tiens, regarde !"
Le petit homme tend alors son carnet de croquis à la danseuse qui jette un oeil, fronce les sourcils, puis sourit.
" Cà, y a pas à dire, tu sais les saisir, tes bonnes femmes !"
Il est à ce point obnubilé par Maria qu’il oublie les surnoms moqueurs dont on l’affublé. " Qu’importe, je l’ai et il ne l’ont pas. " ( page 71 )
L'écriture, ce n'est rien, juste un miroir pour se composer une figure.
Tout ce qui importe, c'est de manger dans un seul élan notre conscience, c'est d'avaler Dieu, pour en devenir transparents - jusqu'à disparaître !
Nous écrivons pour nous reconnaître. Rien d'autre !...
Au lieu de nous enfermer dans les tours d'ivoire jaunies du passé, nous cherchons à construire avec nos corps ou nos cadavres une monstrueuse Babel de chair qui escaladera le ciel.
En attendant, hors des murs familiaux ou scolaires, pendant les longues heures laissées libres, que faire ? Rien, si ce n'est arpenter les rues de Reims, le parc de la Patte-d'Oie, la place d'Erlon, l'hôtel Crystal, la guinguette du Cosmos ou dancing Aquarium pour y tromper l'ennui et expérimenter - déjà - ce qui peut s'écarter de l'ordre et de l'ordinaire.
Ce jour-là, Daumal chuchote : il a racheté à un ancien soldat de l’opium qu’il propose de fumer le soir même. Murmures de surprise, excitation, on se concerte et le groupe choisit le parc de la Patte-d’Oie ; rendez-vous est pris pour minuit.
"Dès la confirmation du diagnostic, quelque chose dans ma mémoire se fractionne."
Je suis finalement rentré, passant par Lavaux, par ces routes lovées dans les vignes qui surplombent le lac et sont parmi les plus belles du monde. Montagnes qui plongent dans l’eau, lumières dorées, rayons enfumés ; couleurs de miel, de curcuma, les pentes abruptes dégoulinant de grappes et de sarments. Au ciel de beaux nuages bien dodus, et le soleil inextinguible.