Citations de Michel Houellebecq (3702)
Tout trait psychologique trop accusé contribuerait à gauchir leur témoignage, à lui ôter un peu de sa transparence ; nous sortirions du domaine de l'épouvante matérielle pour entrer dans celui de l'épouvante psychique.
Ce n'est que progressivement qu'il en vient à reconnaître l'inutilité de toutes psychologie différenciée. Ses personnages n'en ont guère besoin ; un équipement sensoriel en bon état de marche peut leur suffire. Leur seule fonction réelle, en effet, est de percevoir.
« Seule la littérature peut vous donner cette sensation de contact avec un autre esprit humain, avec l’intégralité de cet esprit, ses faiblesses et ses grandeurs, ses limitations, ses petitesses, ses idées fixes, ses croyances avec tout ce qui l’émeu, l’intéresse, l’excite ou lui répugne […]. Jamais on ne se livre dans une conversation comme on le fait avec une feuille blanche vide, avec un destinataire inconnu ».
« Il est bien difficile de comprendre les autres, à voir ce qui se cache au fond de leur coeur et sans l’assistance de l’alcool, on y parviendrait peut-être même pas du tout ».
« Ces humains étaient mes semblables mais c’est justement cette ressemblance qui me faisait les fuir »
Lorsque la vie amoureuse est terminée, c’est la vie dans son ensemble qui acquiert quelque chose d’un peu conventionnel et forcé. On maintient une forme humaine, des comportements habituels, une espèce de structure ; mais le cœur, comme on dit, n’y est plus.
Les nuits passent sur moi comme un grand laminoir
Et je connais l'usure des matins sans espoir
Le corps qui se fatigue, les amis qui s'écartent,
Et la vie qui reprend une à une ses cartes.
Je tomberai un jour, et de ma propre main :
Lassitude au combat, diront les médecins.
(dans Renaissance)
Aucune nouvelle de Lovecraft n'est close sur elle-même.
Chacune d'entre elles est un morceau de peur ouvert, et qui hurle.
j’avais envie de toutes les femmes, sauf de la mienne.
l y avait également deux Arabes isolés, à la nationalité indéfinissable ‑leur crâne était entouré de cette espèce de torchon de cuisine auquel on reconnaît Yasser Arafat dans ses apparitions télévisée.
J’ai passé ma dernière journée de congé dans différentes agences de voyages. J’aimais les catalogues de vacances, leur abstraction, leur manière de réduire les lieux du monde à une séquence limitée de bonheurs possibles et de tarifs, j’appréciais particulièrement le système d’étoiles pour indiquer l’intensité du bonheur qu’on était en droit d’espérer. Je n’étais pas heureux, mais j’estimais le bonheur, et je continuais à y aspirer.
« On cherche toujours en réalité à minimiser la souffrance. Tant que la souffrance de la confession paraît moins forte, on parle : ensuite on se tait, on renonce, on est seul » (p. 170-171).
« Une des caractéristiques les plus étonnantes de l’amour physique est quand même cette sensation d’intimité qu’il procure, dès qu’il s’accompagne d’un minimum de sympathie mutuelle. Dès les premières minutes on passe du vous au tu, et il semble que l’amant, même rencontrée de la veille, ait droit à certaines confidences qu’on ne ferait à aucune autre personne humaine » (p. 147).
« De petits nuages flottaient, comme des éclaboussures de sperme, entre les pins » (p. 108).
Il n’y a plus rien après Pattaya, c’est une sorte de cloaque, d’égout terminal où viennent aboutir les résidus variés de la névrose occidentale.
L’absence d’envie de vivre, hélas, ne suffit pas pour avoir envie de mourir.
La première chose dont je pris conscience en posant le pied sur le sable, c’est que Valérie avait enlevé son haut de maillot. Pour l’instant elle était couchée sur le ventre, mais elle allait se retourner, c’était aussi inéluctable qu’un mouvement planétaire.
Je n’avais toujours pas envie de dîner avec les autres. C’est dans le rapport à autrui qu’on prend conscience de soi ; c’est bien ce qui rend le rapport à autrui insupportable.
C’est ça la culture, me disais-je, c’est un peu chiant, c’est bien ; chacun est renvoyé à son propre néant.
- S’il se proposait dans son principe de préparer au voyage en Thaïlande, le Guide du Routard émettait en pratique les plus vives réserves, et se sentait obligé dès sa préface de dénoncer le tourisme sexuel, cet esclavage odieux. En somme ces routards étaient des grincheux, dont l’unique objectif était de gâcher jusqu’à la dernière petite joie des touristes, qu’ils haïssaient. Ils n’aimaient d’ailleurs rien tant qu’eux-mêmes, à en juger par les petites phrases sarcastiques qui parsemaient l’ouvrage, du genre : « ah ma bonne dame, si vous aviez connu ça au temps des z’hippies !… » Le plus pénible était sans doute ce ton tranchant, calme et sévère, frémissant d’indignation contenue : « Ce n’est pas par pudibonderie, mais nous, Pattaya, on n’aime pas. Trop, c’est trop. » Un peu plus loin, ils en rajoutaient sur les « Occidentaux gras du bide » qui se pavanaient avec des petites Thaïes ; eux, ça les faisait « carrément gerber ». Des connards humanitaires protestants, voilà ce qu’ils étaient, eux et toute la « chouette bande de copains qui les avaient aidés pour ce livre », dont les sales gueules s’étalaient complaisamment en quatrième de couverture. Je projetai l’ouvrage avec violence dans la pièce, ratant de peu le téléviseur Sony, et ramassai avec résignation La Firme, de John Grisham.
Trente ans plus tard, il ne pouvait une fois de plus qu'aboutir à la même conclusion : décidément, les femmes étaient meilleures que les hommes. Elles étaient plus caressantes, plus aimantes, plus compatissantes et plus douces; moins portées à la violence, à l'égoïsme, à l'affirmation de soi, à la cruauté. Elles étaient en outre plus raisonnables, plus intelligentes et plus travailleuses.
Le catalogue 3 Suisses, pour sa part, semblait faire une lecture plus historique du malaise européen. Implicite dès les premières pages, la conscience d'une mutation de civilisation à venir trouvait sa formulation définitive en page 17. Michel médita plusieurs heures sur le message contenu dans les deux phrases qui définissaient la thématique de la collection : "Optimisme, générosité, complicité, harmonie font avancer le monde. DEMAIN SERA FEMININ."
Bruno n'avait toujours pas réellement pensé à la mort; et il commençait à se douter qu'il n'y penserait jamais. Jusqu'au bout il souhaiterait vivre, jusqu'au bout il serait dans la vie, jusqu'au bout il se battrait contre les incidents et les malheurs de la vie concrète, et du corps qui décline. Jusqu'au dernier instant il demanderait une petite rallonge, un petit supplément d'existence. Jusqu'au dernier instant, en particulier, il serait en quête d'un ultime moment de jouissance, d'une petite gâterie supplémentaire. Quelle que soit son inutilité à long terme, une fellation bien conduite était un réel plaisir; et cela, songeait aujourd'hui Michel en tournant les pages lingeries (Sensuelle ! la guêpière) de son catalogue, il aurait été déraisonnable de le nier.
Juste avant de sortir du cercle lumineux, il eut la vision fugitive de la catholique en train de se faire peloter les fesses par une sorte de moniteur de ski. Il lui restait des raviolis en boîte sous sa tente.