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Citations de Michel Moutot (82)


La sueur me brûle les yeux. Je ne supporte plus ces lunettes de soudeur, ce masque, j’étouffe. Mais si je les enlève Dieu sait ce que je vais avaler. Cette poussière, ces fumées sont toxiques. Elles étaient farcies d’amiante et de saloperies ces tours. Mon oncle disait que les structures d’acier étaient recouvertes de flocage et de peinture au plomb. Il y avait des cabinets de dentistes dans les étages, des stocks de produits chimiques dans les sous-sols du World Trade Center, le gaz fréon des climatiseurs géants, le kérosène des avions. On respire du poison.
Mais s’il y a des survivants dans ce magma, ce mikado d’enfer, c’est le seul moyen de les trouver. Découper l’acier, sectionner les poutres, ouvrir des passages, faire des voies, des tunnels pour avancer, explorer les cavités, peut-être des refuges. Encore cinq minutes. Cinq minutes et J aurai fini de brûler cette section de métal. Je pourrai accrocher le câble et la grue la soulèvera. Attention aux éboulements. Où est le crochet ?
Les fumées s’épaississent, l’odeur est atroce, je vois à peine mes mains. Les rampes d’éclairages lèvent un halo de poussière lumineuse. La poutre sur laquelle je suis en équilibre tremble, elle est chaude, je sens la chaleur à travers mes chaussures, les semelles fondent. Il faut bouger de là. Andy devrait être sur ma droite mais dans ce brouillard je ne le vois plus. Je l’entends. Le souffle du chalumeau, là derrière, les étincelles, ce doit être lui. Merde ! La flamme de ma torche à découper faiblit… Plus d’oxygène !… Bon, j’enlève le masque. Le ciel pâlit sur l’Hudson, c’est bientôt l’aube.
Hier matin, je suis arrivé tôt sur le chantier d’un hôtel à la pointe sud de Manhattan. Pour nous, les ironworkers – les Québécois disent monteurs d’acier -, qui connectons entre elles les structures des gratte-ciel, le travail était presque terminé. Quelques poutres à boulonner et souder, les dernières, tout en haut, et, dans une semaine, ce devait être la cérémonie d’achèvement du squelette de l’immeuble, le topping-out. Un autre gratte-ciel sur la ligne d’horizon à Manhattan.
Et sur celui-ci, comme sur tous les géants de la ville, nous sommes là. Indiens mohawks : Canadiens ou Américains, descendus de nos réserves près de Montréal ou sur la frontière avec les États-Unis. New York est monté à l’assaut du ciel grâce à la sueur et au sang de nos pères. Pas un chantier en hauteur, pas un pont métallique ou un grand building sans que ne résonnent, là-haut, ordres, consignes ou jurons dans notre langue. Pour leur bravoure, leur expérience, leur fiabilité, les charpentiers du fer mohawks sont réputés dans toute l’Amérique du Nord et au-delà.
À quarante-trois ans je suis la sixième génération de monteurs d’acier. Je m’appelle John LaLiberté, dit Cat. Mon vrai nom : O-ron-ia-ke-te, «Il porte le ciel. (Premières pages du livre)
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La Route One arrive de Los Angeles, d'où elle est partie il y a plusieurs années, pour rallier San Francisco, dans le cadre des grands projets du président Roosevelt. Pour les Californiens des villes, c'est un symbole de progrès, le point final à l'épopée de la conquête de l'Ouest ; les ouvriers au chômage depuis le début de la crise de 29 et tout juste embauchés sur le chantier y voient la fin de leur cauchemar, un retour au travail, la satisfaction d'empoigner un outil ; les fermiers de la région l'opportunité d'exporter plus facilement récoltes et bétail, l'armée une voie nécessaire à la protection de la côte, les politiques une réalisation prodigieuse à mettre à leur actif.
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Je parle une demi-heure ; raconte le feu, la chaleur, la fumée, les odeurs, le danger, la flamme bleue qui mord l'acier, le masque dans lequel tu étouffes mais qu'il garder pour ne pas t'intoxiquer, les semelles qui fondent, les mains brûlées à travers les gants, les lames d'acier qui déchirent les vêtements et parfois la peau, les pinces géantes des pelles mécaniques, le grondement des bulldozer, la poutre découpée qui se cabre, la sirène des alertes quand il faut tout lâcher et détaler pour revenir au même endroit une demi-heure après, la peur quand tout s'effondre autour de toi, la camaraderie qui te fait serrer dans les bras des inconnus, les aboiements des chiens, l'horreur des corps morcelés que nous voyons avant les pompiers parce que nous sommes devant eux pour ouvrir la voie, les images qu'on ne peut chasser quand, le soir à l'hôtel, on essaie de dormir, les larmes qui creusent des sillons sur les visages mangés de poussière, les mains si douloureuses qu'on ne peut les fermer, le dos en feu, la toux qui te prend et ne te lâche plus, la bouteille d'eau comme une délivrance ; la fatigue, la colère, la frustration de ne trouver aucun survivant.
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Un sentier serpente en remontant entre les massifs de pieds de sorcière, les lupins, touffes d'armoise, broussailles à fleurs jaunes et bleues. Il mène à un vallon creusé par un torrent qui chante entre les rochers avant de tomber en cascade dans l'océan. L'homme et sa monture cheminent plus d'une heure à flanc de colline, en direction d'une forêt de séquoias qui se dresse dans un repli, à mi-pente, comme les colonnes d'un temple naturel.
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Sur Canal Street, dernier barrage, nous n'irons pas plus loin. Il faut continuer à pied. À partir d'ici, la chaussée, les trottoirs, les voitures, les arbustes, les lampadaires, les panneaux, les poubelles, tout disparaît sous dix centimètres de cendres grises, fines comme du talc. Un paysage d'hiver nucléaire, un film de science-fiction. Un Pompéi moderne. Comme les jours de neige sur New York, la rumeur de la ville a disparu.
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En descendant vers le Pacifique, la voie traverse des vallées splendides et des forêts aux arbres immenses, trois ou quatre fois plus gros que les plus grands arbres du Québec. Ce sont des séquoias : il suffit par endroits d'en couper quatre pour faire un pont ! Ils font penser à des géants, des piliers du ciel, comme des dieux qui pourraient sortir leurs racines de terre et marcher vers l'océan.
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Entre eux, les Mohawks s'appellent Kanienkehaka, le "Peuple du silex". Mohawks vient d'un terme utilisé par leurs ennemis ancestraux, les Algonquins : ils les appelaient Mohowawogs, "Mangeurs d'hommes"...Quand ils sont arrivés, les premiers colons anglais et hollandais ont transformé Mohowawogs, qu'ils avaient du mal à prononcer, en une version phonétique : Mohawks. Ils sont une des Six Nations iroquoises, confédération de tribus de la côte Nord-Est qui avait organisé un mode de fonctionnement quasi démocratique bien avant l'arrivée des premiers colons. Iroquois est aussi une simplification des Blancs. Entre eux, ils s'appellent Haudenosaunee, "Peuple des longues maisons".
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Il entend la machine avant de la voir. Le souffle rauque d’une bête de fer et de charbon, toutes les trois secondes. Grincements de chenilles, grognements mécaniques, craquements de roches, volutes de fumée et de poussière au-dessus du canyon. L’écho du bulldozer se mêle à la rumeur du Pacifique, la couvre par moments. C’était donc vrai.
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"Un banc de thons vient à leur rencontre, juste sous la surface, flèche d'argent qui se divise en deux pour passer sous la barque. Une heure plus tard, ils arrivent à l'entrée d'une cavité ronde, au pied d'une falaise de roches blanches où s'accrochent des chènes liéges et du thym. Le vent d'Ouest est chargé d'odeurs de garrigue et de figuiers. Les eaux sont si claires que sur le fond l'ombre de la banque danse avec les poissons."
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Ce parfum de mort, de plastique en fusion, de poudre de béton, de papier calciné, de fer brûlé, de gazole, de terre sale, de trouille et de sueur qui a imprégné nos vêtements, nos cheveux et nos vies, qui nous a accompagnés, effrayés, empoisonnés, a fait place à celui de la boue humide et du tabac. Il nous manque presque.
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Sous dix mètres de ferraille, je devine la carcasse d'un camion : seul le sigle FDNY – Fire Department New York – reste visible sur une portière. Il a été réduit à quatre-vingts centimètres de hauteur. Autour de moi résonnent des dizaines de bips stridents. Je croise un policier : «C'est quoi, ces bruits ?
– Les balises individuelles des pompiers. Elles se déclenchent quand ils sont ensevelis. On les entend mais on ne peut pas les voir. Je ne sais pas comment on va les sortir de là. S'il y a des survivants ... vous avez vu tout ça ? Ça m'étonnerait.»
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ls n’ont aucun document d’identité, aucune existence légale, descendants des premiers habitants de ces montagnes Transformée par l’arrivée des conquistadors en clandestins, fuyards perpétuels, proscrits sur les terres de leurs ancêtres. S’ils connaissent chaque sentier, chaque ruisseau et chaque séquoia géant, qu’ils traitent et honorent comme des divinités, s’ils prédisent l’arrivée d’une tempête ou quand se lèvera le brouillard de mer, ils n’ont aucun droit face à l’administration naissante de l’État de Californie.
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Ils ont été engagés au printemps 1905 sur le projet le plus grandiose et le plus prestigieux d'Amérique du Nord : un ouvrage géant, avec une portée libre en son milieu pour laisser passer les paquebots qui remontent ce que l'explorateur français Jacques Cartier a baptisé " la rivière du Canada". Montréal a désormais deux ponts sur le fleuve. Québec rêvait depuis vingt ans de s'affranchir de cet obstacle et de relier par voir ferrée l'intérieur des terres aux grands ports libres de glaces en hiver.L'emplacement entre deux falaises, était évident : en algonquin, Kebec signifie "là où le fleuve se rétrécit".
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« J’ai trouvé des corps, des morceaux de corps. Ils ne me laissent pas creuser là où il est, près de la deuxième tour. Ils disent que c’est trop dangereux, que ça brûle encore, que ça peut s’effondrer. Ils disent qu’il y a des sous-sols, quatre ou cinq étages, et qu’il pourrait être dedans. Mais ça fait trois jours. J’ai toujours l’espoir, il faut garder l’espoir, mais personne n’est sorti de là depuis mercredi. ? Je veux retrouver mon fils, mort ou vivant. Entier ou en morceaux, je le trouverai. Mon fils est fort… Il est fort. Je ne peux pas rentrer sans lui. Je ne pourrai jamais rentrer et regarder sa mère dans les yeux si je le laisse là. Je n’ai plus de larmes, j’ai mal partout, au dos, aux bras, je ne peux plus fermer les mains, rien avaler. Je creuse, je creuse toute la journée comme un taré parce que je veux retrouver mon fils. »
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l n’a ni peur ni vertige, ou du moins le vertige il l’a comme les autre, mais il parvient à le surmonter, à faire semblant d’être à l’aise pour impres­sionner les copains. C’est ce que ses oncles disaient : respecter sa peur, dialo­guer avec elle, peu à peu l’amadouer, apprendre à la connaître pour l’apprivoiser. Serrer les fesses, faire comme s’il était normal de poser un pied devant l’autre sur trente centi­mè­tres de métal au dessus du vide. Tous n’y parve­naient pas, loin de là, mais ceux qui le peuvent semblent avoir un don unique.
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"Dedans" c'est dur, épuisant, effrayant, dangereux, mais nous nous sentons plus qu'utiles : indispensables, admirés, investis d'une mission patriotique, sacrée, presque divine !. "Dehors", une fois passée la joie de retrouver les siens, la vie ordinaire semble fade, mièvre, médiocre, sans importance. "Ils ne savent pas, ne peuvent pas comprendre. Il faut avoir vu." (p. 224)

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Les reflets du soleil couchant teintent d'or des cathédrales de nuages, font cracher à un banc d'orques des jets de feu, nimbent plages et récifs d'une lumière irréelle.
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Derrière lui, les sommets arides de la chaîne de montagnes Santa Lucia accrochent les nuages, dans un ciel céruléen. Un paysage de cyprès couchés par les vents du large, bosquets de pins Douglas dans les vallons, maquis impénétrable où les nuances de vert se marient au jaune des genêts, prairies salées par les embruns, sentiers millénaires des Indiens Esselen, ravins profonds où chantent des torrents, falaises sombres en à-pic sur les flots, chutes d'eau douce sur des plages de sable clair. Au loin, l'infini du Pacifique, son bleu cobalt, ses caps, ses récifs, ses îlots couverts d'oiseaux, ses forêts d'algues géantes, ses rouleaux couronnés d'écume, ses horizons mouvants où courent les tempêtes.
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Le fleuve descendu des Rocky Mountains déchire ses oripeaux de torrent de montagne, se teinte de rouge des filons de cuivre et de fer qu’il éventre depuis des millénaires, devient le maitre du Sud-Ouest, la source de vie, l’artère que des hommes intrépides, des rêveurs ou des fous ont décider de fermer ou d’exploiter.
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Elles auraient dû être ici , avec moi, en robes du dimanche pour descendre la rivière et aller prendre livraison de notre fellucca. Mamma aurait préparé le pique-nique, Giovanna aurait fait les yeux doux à son mari ; Amella, aussi belle qu'un soleil, aurait fait tourner la tête des garçons. Mais non. Elles pourrissent dans la terre de cette île maudite, de ce pays de mort et de malheur. Je ne peux parler d'elles à personne. Comme si elles n'avaient jamais existé. Notre nom, Bevilacqua, a disparu. Quand Fratelli nous a dit que le bateau était terminé et que nous pouvions en prendre livraison, j'ai pris ma décision. Pendant des semaines, j'ai ruminé des projets de vengeance. Mais leur culte de la vendetta, tuer, inspirer la crainte et le dégoût, ce n'est pas pour moi. Je porterai toujours la honte de ne pas avoir vengé ma famille, mais ma vie est désormais ici . Il n'y a plus rien pour moi, en Sicile.
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