Citations de Nathalie Kuperman (229)
Nous nous méfions de nous-mêmes, craignant de nous le pire : pourrions-nous devenir autres si l'occasion se présentait ?
Éventrer les cartons, que bonheur, éventrer les projets foireux, éventrer les chefs, éventrer les décisions arbitraires, les représailles, les abus de pouvoir, les entretiens dont on sort la queue entre les jambes alors que ça fait vingt ans qu'on est dans la boîte et que l'on s'entend soudain dire qu'on n'est plus bon à rien, éventrer la bêtise, éventrer ce rien qui tient lieu de tout et devant lequel on doit s'agenouiller. On aime notre métier et notre métier ne nous aime plus.
J'entendrais les bruits de la cuisine et je lirais Le bateau incassable avec les larmes de ceux qui ne redoutent pas que la malédiction les touche.
On pleure mieux quand on est à l'abri du chagrin des autres.
"Personne n'a jamais cru en moi, et je vais prouver à tout le monde que "personne" avait raison." Il s'était mis à boire, comme les autres, parce que sa mère buvait, ses frères et ses soeurs buvaient, youpi ! on boit tous à la santé de cette chienne de vie qui nous fera la peau à tous mais vivons-là pleinement ! Les verres s'entrechoquaient de toutes parts, on ne sait pas qui trinquait avec qui, mais les ventres étaient remplis, les foies s'égosillaient et dégueuler était l'étape qui permettait de s'y remettre. (p. 101-102)
Nous ne pouvions plus rien faire de nos jambes, de nos mains, de nos cerveaux. Nous avancions en tâtonnant, et la présence de celui qui était devant rassurait celui qui le suivait. Nous voulions profiter le plus longtemps possible d’être un groupe, une entité, un ensemble. Nous ignorions encore la douleur d’être seul devant les questionnaires du pôle emploi, à devoir prouver que nous recherchions un travail d’une façon hardie. Nous allions vite devenir coupables de n’avoir pas su conserver notre poste. Nous devrions expliquer à nos amis comment notre société avait été condamnée du jour où elle avait été vendue. Les gens feraient mine de comprendre ; en ce moment, c’est partout pareil… Et pourtant, non, ce n’est pas partout pareil. C’est partout singulier, c’est partout une seule personne à la fois qui soudain perd pied, hallucine, voudrait que ce soit un rêve, mais, par pitié, pas elle, oh non, pas elle. Partout c’est elle, qui espérait une récompense parce qu’elle s’était tenue bien sage, avait fait tout ce qu’elle pouvait, avait mis des bouchées doubles comme on le lui avait demandé (ah, les bouchées doubles !), toléré les humiliations et accepté d’humilier à son tour pour sauver une place qu’elle a de toute façon perdue.
Je n'ai pas la chance - ou le malheur selon certains - d'avoir vécu le moindre repas dit de famille. J'aurais aimé que ça saigne, que ça crie, que ça s'écharpe, que ça quitte la table parce que le père et l'oncle votaient de façon diamétralement opposée, que ça règle des comptes, que la sœur chiale en vidant son dixième verre, que Grand-père et Grand-mère se réfugient dans la cuisine en attendant que l'orage passe, et qu'on leur reproche de ne jamais prendre position. Je n'ai pas pu partager avec d'autres la détestation des repas en famille ; j'en ai été frustrée.
Tu sauras tout, tu pourras tout dire, j'en ai rien à foutre. Du moment que c'est la vérité, on peut tout dire, j'ai pas honte, puisque c'est la vérité.
Juste pour voir, je ferme les yeux. Le monstre me sourit de toutes ses dents, qui sont jaunes comme ses yeux et envahies de petits trous noirs. Pour avoir autant décaties, le monstre ne doit pas se laver les dents bien souvent. C'est vrai que, sous mes paupières, je n'ai pas pensé à installer une salle de bains!
J'étais prise de panique : mon rêve tentait de m'apaiser pour mieux me trahir.
Papa me disait toujours : L'existence te sera plus douce si tu ne te mêles pas de ce qui ne te regarde pas. Je ne me mêle de rien et n'en veux à personne.
Nous sommes sortis un à un de la salle, le visage fermé. nous ne savions pas quelle direction prendre. Nous ne voulions pas rentrer sagement dans nos box. Nous ne pouvions plus rien faire de nos jambes, de nos mains, de nos cerveaux. nous avancions en tâtonnant, et la présence de celui qui était devant rassurait celui qui le suivait. Nous voulions profiter le plus longtemps possible d'être un groupe, une entité, un ensemble. Nous ignorions encore la douleur d'être seul devant les questionnements du pôle emploi, à devoir prouver que nous recherchions un travail d'une façon hardie. nous allions vite devenir coupables de n'avoir pas su conserver notre poste. Nous devrions expliquer à nos amis comment notre société avait été condamnée du jour où elle avait été vendue. Les gens feraient mine de comprendre ; en ce moment, c'est partout pareil. C'est partout singulier, c'est partout une seule personne à la fois qui soudain perd pied, hallucine, voudrait que ce soit un rêve.
Je suis débordé, dit-on. Mais l’on aime que ça déborde, que ça nous dépasse, que ça nous inonde. Avoir du temps serait presque l’aveu de notre inutilité.
J'adore surprendre mon interlocuteur et lui prouver que je ne suis pas celle qu'il croit.
Ma cousine m'empoisonne, me guette et me surprend. Le même sang coule dans nos veines, le même poison, la même saloperie d'exister.
Je crois qu'un jour j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas. Et ce jour-là, j'ai eu peur que mes parents ne veuillent plus être mes parents.
Désespérant et inquiet, autoritaire et veule, il a tenté chaque jour d'enfiler son costume de chef et l'a usé jusqu'à la corde sans jamais obtenir la reconnaissance attachée à sa fonction. (p.104)
Finalement, ne plus se parler a du bon. ça évite les malentendus, les interprétations, les non-dits, et toutes ces choses qui, à force, vous rendent fou.
Aujourd'hui, manoeuvrer, dénoncer, flatter, faire preuve de cynisme et jouer les forts en thème suffit pour accéder au rang de supérieur. Les compétences passent au second plan.
Le soir, je suis entrée chez moi en fermant les yeux. J'attendais tant et tant de Marta qu'un instant j'ai imaginé qu'elle avait pu faire de notre appartement un endroit autre, un lieu où chaque chose serait telle que je l'aurais voulue, sans pour cela avoir besoin de réfléchir, de trancher. (...) Fermer les yeux, c'est ce que j'ai fait en entrant, mais quand je les ai rouverts, ce que j'ai vu c'est du ménage, rien d'autre. Marta me décevait.
Je suis le genre de fille à parler tout haut dans les toilettes.
Je ne prononce pas de phrases importantes (tandis que sous la douche, il peut m'arriver d'avoir des fulgurances) ; je pratique plutôt la litanie. L'une des phrases qui revient souvent, et que je répète à l'envi, c'est : Mais quel connard ce mec. Je ne veux pas me perdre dans les calculs, mais je pense que c'est une phrase que j'ai dû énoncer pas loin de dix mille fois depuis que je connais le sens du mot "mec".