Citations de Olivier Descosse (237)
Aucune trace de Thomas.
La corde repartait sur la gauche, le long de l’à-pic. Jean continua de la suivre. Un mauvais pressentiment l’habitait. Cette intuition se renforça lorsqu’il crut distinguer, intriquée dans la nappe de pétrole, une autre nappe, plus légère et d’une couleur écarlate.
Il fronça les yeux.
Et là, il comprit.
Du sang. Il y en avait partout. Jean progressait au cœur d’une vapeur rouge. Un grand bain d’hémoglobine dont les cristaux scintillaient dans la lumière de sa torche.
Des traînées sombres, gluantes, dérivant dans l’eau tel du varech en suspension. Le pétrole remontait petit à petit vers la surface, semblable à une humeur nauséabonde pulsée par un malade.
Dans le faisceau des torches, les prémices de la marée noire se faisaient déjà sentir.
Comme à chaque fois, Jean savoura l’instant. Plus de haut, plus de bas. Trois brasses de visibilité et les bulles pour seul repère. Un retour aux sources au cœur de la matrice originelle, avec au fond du ventre une puissante sensation de liberté.
— On allume.
Des rayons blancs jaillirent des lampes frontales. Un halo de vie dans un monde mort, à l’intérieur duquel évoluaient deux silhouettes épaisses, pataudes, engoncées dans les scaphandres isothermes et alourdies par les blocs de secours. L’image, étrange et féerique, faisait penser à des insectes mutants flottant dans les limbes des grands fonds.
Un soubresaut. L’immersion reprenait, guidée par les câbles qui soutenaient la cage.
Très vite, la lumière naturelle disparut totalement. À la place, une cape de ténèbres secrétée par les eaux. En une fraction de seconde, le noir pélagique des abysses s’était refermé sur eux.
Tout en descendant, il repensa aux raisons qui l’avaient conduit à faire équipe avec cette tête brûlée.
Jean lui tapota l’épaule. Une façon de calmer ses ardeurs. Thomas devait impérativement se contrôler, sans quoi c’étaient leurs vies à tous les deux qui seraient hypothéquées.
Jean vérifia la profondeur. Quarante-cinq mètres. Ils avaient bientôt accompli la moitié de leur descente et atteindraient l’objectif dans deux minutes, une des conduites d’acier plongeant sous la plateforme et remontant le pétrole à la surface.
Deux jours plus tôt, un raccord du pipe s’était déboîté au niveau du plateau sous-marin. La canalisation, d’un diamètre qui avoisinait la taille d’un homme, balançait son poison dans la mer de Barents depuis quarante-huit heures. Cerise sur le gâteau, elle menaçait maintenant de se rompre.
Les couleurs s’estompaient.
Le bleu limpide du ciel, la brillance dorée du soleil, le rouge vif des scaphandres… Sous l’eau, tout se confondait en une seule teinte grisâtre. Un monde uniforme, sans relief, comme enveloppé à l’intérieur d’un voile de tulle. Dessous, partout, aspirant la lumière tel un quasar géant, s’ouvrait le néant aveugle d’une nuit perpétuelle.
Un terminal pétrolier tel une sauterelle géante.
Un géant de papier dont la vie ne tenait plus qu’à un fil.
En prison, le principal ennemi n'est pas le manque de confort ni même l'enferment. L'adversaire numéro un, c'est le temps.
Question boulot, les magistrats n’avaient pas de soucis à se faire. Le combustible se renouvelait sans cesse.On le prélevait dans le fumier d’une société de plus en plus violente , une source , qui contrairement au pétrole n'était pas prêt de se tarir.
Cette journée n'en finissait plus.
Elle ressemblait à un caramel mou dont la substance s'étire jusqu'à ne former qu'un fil ténu, presque invisible, et pourtant incapable de se rompre.
J’adorais ma mère. Elle était belle, intelligente, rayonnante. Sa douceur m’apaisait. Sa force me rassurait.
Je sais que tous les petits garçons idéalisent leur mère. Ce n’était pas mon cas. Ses qualités, j’en prenais la mesure dans le regard des autres.
Quand elle arrivait quelque part, les hommes se retournaient. Jeunes ou vieux, mariés ou pas, ils tentaient tous d’entrer dans sa lumière. Mais la vie est mal faite. Elle ne voyait que mon père qui lui, passait son temps à travailler.
Je songe à Ulysse, aux sirènes de l’Odyssée. Leurs chants, plus stridents qu’un mensonge, poussent vers les récifs des légions de naufragés.
Personne ne se bouche les oreilles.
Les bruits du dedans sont devenus insupportables.
Je remonte mon col. Mes doigts sont gelés. La rue Jacob se replie sur elle-même. Quelques ombres égarées croisent ma route, solitudes s’ajoutant les unes aux autres pour tisser une maille impénétrable.
Curieux, cette impression de vide. L’amour pourrait se définir comme ça. En creux. Par le manque qu’il fait naître.
J’allume la télé. Les chaînes débitent en continu leur propagande de bonheur convenu. Noël est une période atroce. Elle vous cingle le cœur d’une joie surfaite, ces rêves de mômes recouverts de décombres et qui nous serrent encore les tripes.
Après une dizaine de zap, je jette l’éponge. Léa débarque dans deux jours. J’aurai tout le temps de me rouler dans le mensonge.
Faire semblant. Une fois de plus. Parce qu’elle a six ans et qu’à cet âge, on ne choisit rien.
Il voyait la masse sombre des arbres défiler avec appréhension et se remémorait l’épisode étrange vécu quelques instants plus tôt. Ce froid soudain, cette oppression. La certitude qu’une présence hostile l’observait. L’intuition qu’il s’agissait du Voleur d’Âmes. Puis les lucioles, grâce auxquelles il avait retrouvé ses esprits, son chemin.
Le jeune homme eut la conviction que c’était Lui. Le monstre de son cauchemar. Celui qui retenait Daddy.
Le Voleur d’Âmes.