Citations de Pascal Bruckner (582)
Chacun de nous pourrait remonter dans son arbre généalogique et trouver, qui un exploité, qui un serf ou un pendu pour expliquer sa misère présente. Le principe de la démocratie, c'est que la faute comme la blessure s'arrêtent à celui qui l'a commise ou subie : le fils d'un gangster n'est pas un gangster, le fils d'un déporté n'est pas un déporté, même si la mémoire des traumatismes reste vive. Aucun enfant ne nait coupable ou victime du fait de ses aïeux. L'humanité recommence avec chacun de nous et je ne porte pas sur moi les stigmates de mes ascendants. J'ai une histoire familiale, je ne suis pas cette histoire, il est en mon pouvoir de l'emmener ailleurs.
Nous avons gardé les habitudes et la mentalité de la prospérité. Notre angoisse vient d'une réussite qui nous a engourdis. Nous sortons à peine du cocon délicieux des Trente Glorieuses et nous abordons une période de tempête avec un esprit hérité d'une époque d'opulence. Nous vivons la tragédie des cultures repues, inaptes à affronter l'adversité.
Il se passe toujours quelque chose dans mon smartphone : il regorge de nouvelles intéressantes, de surprises, de jeux, d'applications, lui seul semble pouvoir relever la fadeur des jours du piment de l'inédit. Il est moins une épice qu'une distraction perpétuelle. Ce petit animal tintinnabulant est un vrai lasso électronique qui me convoque à son chevet au moindre frémissement et m'intime de répondre à tout bout de champ. Tout attendre d'un écrin miniature, c'est renoncer à vivre au profit d'un outil à qui nous déléguons nos envies, nos passions. Il devrait être une simple machine, nous sommes à son service.
Quand elle [la vie] se réduit au repli dans sa carapace, au simple visionnage de jeux vidéo, de séries en rafales ou d'achats compulsifs, a-t-elle encore la moindre valeur ? Que l'on veuille ralentir le temps ou l'accélérer, se prémunir du danger ou s'exposer, quelque chose doit se passer dans le cœur des hommes qui soit de l'ordre du bouleversant, de la grâce. Pour connaître le choc du changement, il faudrait commencer par rompre la somnolence des jours identiques, par éprouver la puissance de révélation du nouveau, ce que la vie calfeutrée ne permet pas.
Si chaque homme est coupable par nature d'être affublé d'un pénis, si chaque garçon doit être non pas éduqué mais rééduqué pour expier cette tare fondamentale, si chaque jeune fille doit être persuadée que tout rapport amoureux hétérosexuel est un viol masqué potentiel, comment s'étonner que les jeunes générations s'orientent vers la continence ou la chasteté ?
Nous vivons la concurrence des épouvantes, lesquelles se présentent toutes comme des priorités absolues, mais aussi la concurrence des fins du monde qui s'additionnent plus qu'elles ne s'annulent : nous avons le choix entre mourir de maladie, de chaleur extrême, d'attentats ou sous les bombes ennemies.
Quand les jeunes générations en France ou ailleurs demandent un travail qui ait du sens, elles oublient, dans cette noble requête, de considérer l'intendance, l'humble tâche qui permet à nos rues de rester propres, à nos restaurants de fonctionner, à nos enfants d'être gardés. Les métiers difficiles sont réservés aux étrangers qui ne mesurent pas leur peine. Il faut des esclaves aux enfants gâtés qui répugnent à se salir les mains tout en proclamant leur solidarité avec les exploités.
L’hédonisme dominant, tout à son escamotage du négatif, renforcé ce qu »il voulait dissimuler : la terreur omniprésente de la douleur physique et morale. La société du bonheur obligatoire est aussi celle qui parle en permanence le langage de la détresse.
Ce qui a changé par rapport aux siècles précédents n’est pas la somme des fléaux dont nous pâtissons mais notre disposition d’esprit vis vis d’eux.
La tragédie commence dès la Renaissance avec l’espérance d’un monde meilleur, à la seule charge de l’homme qui devient comptable de ses échecs. Cette promesse de construire un Eden raisonnable avec les armes de l’Etat-providence, de l’Instruction et du Droit reste, par nature inachevée donc décevante.
Les métiers difficiles sont réservés aux étrangers qui ne mesurent pas leur peine. Il faut des esclaves aux enfants gâtés qui répugnent à se salir les mains tout en proclamant leur solidarité avec les “exploités“, surtout quand ce choix professionnel va de pair avec celui de ne pas faire d’enfants pour ne rien sacrifier de son confort
La liberté, la capacité propre à chacun de conduire sa comme il l’entend est surtout la permission accordée à tous de se lamenter sur leur sort.
La quête frénétique du bonheur s’inverse en obsession frénétique du malheur. La souffrance annexe à son empire des territoires sans cesse plus étendus. La promesse démocratique, toujours déçue, exacerbe l’insatisfaction et installe la plainte au centre du psychisme contemporain.
Combien d’états indépendants invoquent l’ancienne métropole pour continuer à exploiter leurs peuples ? La pente naturelle de tout persécuté, une fois arrivé au pouvoir, est de se métamorphoser en persécuteur.
Le souci des humiliés, telle est la grandeur de l’humanisme. La victimisation comme chantage sur autrui, tel est l’envers de ce progrès. Son stade ultime, c’est l’effacement des vrais malheureux au profit des parias de carnaval qui s’emparent de la langue des opprimés , et des réseaux, pour s’imposer.
Le message des Lumières et de la Révolution, celui d’un monde meilleur débarrassé du fatalisme et du fanatisme, aboutit à une société du sanglot et de la fragilité, c’est à dire de la démission.
Le statut de paria permet de détenir potentiellement tous les droits, surtout ceux d’accuser et d’opprimer au nom de sa blessure.
La peur ne tue pas, elle empêche de vivre.
Chaque fois qu’une nation ou un peuple veulent se mettre en toute bonne conscience hors du droit, ils invoquent leurs hauts faits, leur souffrances passées pour affirmer tranquillement qu’ils méritent cette petite entorse aux normes internationales !
C’est une vocation que d’être un héros une fois les combats terminés, cela vous donne un lustre de franc-tireur dans vous exposer au moindre risque.
L'islam fait partie du paysage français et européen, il a droit à cet égard à la liberté de culte, à des lieux de prière corrects et au respect. A condition qu'il respecte lui-même les règles républicaines et laiques, ne réclame pas un statut extra-territorial, droits spéciaux, dérogation de piscine et de gymnastique pour les femmes, enseignement séparé, faveurs et privilèges divers. Ce qu'on peut lui souhaiter de mieux et dans l'intérêt de tous, ce n'est pas la « phobie » ou la « philie » mais l'indifférence bienveillante dans un marché de la spiritualité ouvert à toutes les croyances.
Les idéologies laïques ont, au nom de l’humanité, surchristianisé le christianisme et renchéri sur son message.
Le divin enfant
Un enfant qui ne veut pas sortir du ventre de sa mère
C'est les autres qui nous renvoient en permanence à notre âge.
----
à 4.40
https://www.youtube.com/watch?v=DwIhRxVHecU
Les vieillards aiment à penser que le monde s'effondre parce qu'ils vont le quitter et ne veulent pas le regretter. Mais il nous survivra et les jeunes gens se moquent de nos malédictions. ( p 75 )
... une personne n'existe que si elle peut se raconter, monnayer son ordinaire sous forme d'anecdotes, si dérisoires soient-elles. ( p 67 )
Prendre de l'âge n'est tolérable que si l'on reste décent de corps et d'esprit. ( p 29 )
Savez-vous d' où vient le terme "cocooning" ?
" le fondateur de ce concept est l'écrivain britannique Edward Foster dans sa nouvelle La Machine (1909) où il imagine une humanité composée de monades * isolées, chacune dans sa cellule et ne communiquant avec les autres que par des appareils électroniques.
Impossible de dire aujourd'hui si nous allons vers une société de solitudes juxtaposées ou vers un réveil collectif, une Europe remobilisée après le cauchemar du Covid et celui de la guerre en Ukraine. "
Pascal Bruckner in " le sacre des pantoufles" @editionsgrasset
* Chez le philosophe Leibniz, Substance indivisible qui constitue l'élément dernier des choses.