Citations de Pascale Quiviger (117)
Les ossements s'émaillaient à l'air libre. Six cents moutons, une fosse commune, sécheresse et harmattan ; des cages thoraciques, des mâchoires et des crânes, des centaines de pattes, des milliers de vertèbres ; une nécropole incendiée par le soleil couchant. Arash s'y avança avec l'impression troublante de marcher sur le squelette de la terre elle-même. Appauvrie, exploitée jusqu’à l'os, allait-elle s'éroder jusqu'à son noyau incandescent ?
Les séparations, les frontières, ce sont aussi des inventions. Je vais te donner un exemple. Plus loin, là-bas, quelque part dans le sable, un autre empire commence. On a planté un poteau de métal pour marquer la frontière. Il est là-bas. Debout. Tout seul. Il invente la frontière. Un peu partout dans ta pensée, il y a des poteaux comme celui-là. Des frontières entres les pouvoirs, entre les races, entre le générations, entre les genres, entre les mondes, entre les temps. Entre les morts et les vivants. Entre aujourd'hui et demain. C'est la peur qui met des poteaux partout.
Selim avait honoré deux formes de pouvoir - politique et religieux. Elle avait complètement occulté celui qui les précédait et les rendait possibles : la nature. La nature devant laquelle, tôt ou tard, nous devrons tous nous incliner.
L'origine, il faut s'en souvenir. Parce qu'autrefois, Vizir, l'humain pouvait penser un monde qui continue après lui. Il pouvait endurer faim et soif pour les enfants encore à naître. Il craignait leurs guerres à venir, il voulait à tout prix leur laisser un monde habitable.
- Le temps court malgré tout, tu sais.
- Il court, c'est vrai, mais il est différent pour toi et pour moi. Toi, il te sert de sac. Dans le sac, tu ranges tes activités. Pour moi, c'est le contraire. Le temps existe à travers mes activités. Je marche, je mange, je parle, j'écoute. J'habite le jour, j'habite la nuit. Tu mets des choses dans le temps, alors que moi, je mets du temps dans les choses.
" Examine le mal. Apprends à le connaître. Cherche sa racine. Comprends ce qu'il veut, d'où il vient. D'un désir frustré ? D'une blessure inguérissable ? D'un adieu mal formé ? Souvent la racine n'est pas mauvaise en soi. Elle n'est pas le mal, non, non. Elle a mal, plutôt. "
- Je pense que c'est inutile de te faire des scénarios. La passé est déjà loin. Le futur va venir en temps et lieu. Ta seule option, c'est le présent.
page 101.
- Je me demande seulement ce qu'il y a dans sa tête.
- Ah, ça, tout le monde il se le demande, mais c'est difficile de savoir, tempère Sollers en s'appuyant à un chariot qui se met à rouler.
- Moi, docteur, ça me donne l'impression que vous vous acharnez sur une enveloppe sans vous donner la peine de lire la lettre.
page 86.
Caroline renoue si bien avec l'insomnie que ce soir elle n'essaie même pas de dormir.
Elle se demandait si la mort avait d'autres formes de vie dont il faudrait aussi mourrir.
Madeleine, qui avait dévoué sa créativité aux coiffures d’Ema, devait maintenant la raser. Elle qui l’avait habillée dans le respect de ses goûts, elle allait la dénuder. Elle qui avait dissimulé ses cicatrices sous des rubans choisis, elle s’apprêtait à la menotter. Elle qui lui avait promis quatre enfants grâce à son aiguille infaillible, elle la retrouvait veuve. Elle n’y comprenait rien.
D'une certaine manière son patient avait prouvé à Lucas qu'un être humain est beaucoup plus qu'un corps et qu'une partie de chacun demeure intouchable, même dans l'extrême dépendance. Sa mort contenait le même enseignement : il l'avait reçue digne et lucide, comme on dit " tôt ou tard, pourquoi pas maintenant ? "
-Ils ont saboté le tunnel, dit Thibault, le visage enfoui dans le creux de son coude. Ils en ont fait une trappe à souris.
-À rats, corrigea Lysandre.
Il venait d’entendre les couinements.
-À roi, soupira Thibault.
La pluie revenait toutes les nuits, généreuse, excessive. Pour quelques heures, les routes se liquéfiaient, des charrettes tombaient à la mer et le sol se gonflait, complètement saturé. Dès le chant du coq, tout rentrait dans l'ordre. Le jour se levait sur un soleil sublime, une lumière de miel enroba it le monde et les pêcheurs remorquaient les charrettes flottantes.
Il avait dit : "Ton enfance fut mon plus beau voyage." (p. 45)
Quand on les console, les peines peuvent s'envoler. En revanche, si on les refoule, elles se cristallisent et s'enfoncent de plus en plus creux. Il faut des fouilles archéologiques pour les retrouver.
"Examine le mal. Apprends à le connaître. Cherche sa racine. Comprends ce qu'il veut, d'où il vient. D'un désir frustré ? D'une blessure inguérissable ? D'un adieu mal formé ? Souvent la racine n'est pas mauvaise en soi. Elle n'est pas le mal, non, non. Elle A mal, plutôt."
On ne règle rien sans regarder les choses en face.
La chenille qui fait encore pousser des ailes est-elle déjà un papillon ? Non. Sans roi, Emma ignorait comment être reine.
Le fait est que ma mère a toujours cru que je serais libre. A cause d’une fleur blanche, sur mon front, quand j’étais bébé. Une fleur de lumière. Elle voyait que c’était un signe de bonheur et pour elle il n’y avait pas de bonheur sans liberté.