Patrice Gain

J'ai fermé les yeux. Ce monde est vraiment étrange. Il cache sa violence derrière des scènes attendrissantes, des animaux à l'allure débonnaire et un calme apparent. C'est ce qui fait sa force. J'avais en tête : une nature traîtresse. Je me demandai combien de temps j'allais pouvoir tenir et quels types de combats j'allais devoir livrer.

La glace émettait des sons étranges. Une musique de cordes tendues.

Ils étaient homophobes, craignant l'homosexualité comme on craint de croiser le virus Ebola, ponctuaient leurs phrases d'insultes salaces, mais portaient en eux la douceur, la chaleur et la fraternité des hommes auxquels il ne reste qu'une branche à laquelle s'agripper : l'amitié.

Le brouillard dégoulinant masquait tout ce qu'il y avait à voir au-delà des barres d'immeubles frappées du sceau de l'ex-URSS.

Enfin il neige. Il vente un air vif et froid. L’été avait fauché l’automne et semblait déterminé à poursuivre sa moisson avec l’hiver.

Assise près du poêle, Elena chantonne. Ses mains remontent à contre-courant la fourrure dense du chien. Elle regarde les poils s'écouler entre ses doigts. Il ne bouge pas. Il lui lance de temps à autre un regard tendre. C'est un refuge. Son refuge. Un gros husky qui craint moins la férocité des ours, le froid abominable de la longue nuit polaire que la brutalité des hommes. Il sait ça, le chien, qu'il faut les craindre. Son corps se crispe dès qu'il croise un bipède, moi comprise. Mais pas Elena. Ces deux-là ont des choses à se dire, des douleurs à partager.

C'est drôle comme on idéalise un projet, en oubliant, dans les promesses d'une aventure, que la nature humaine ne change guère, quel que soit le lieu.

Les vagues ne courent jamais seules à la surface des océans, pas plus que les épreuves sur le fil de la vie.

« … du courant y en a plus beaucoup, à cause du réchauffement climatique et de la fonte des glaces. Alors les eaux se refroidissent et les températures suivent le mouvement. Un jour elles seront ici aussi basses que celles de la baie d’Hudson, du sud du Groenland ou de Iakoutsk, en Sibérie. Tous ces endroits sont situés à la même latitude (…) Les poissons qui fréquentent ces eaux tempérées vont aller frayer ailleurs et toute l’économie de la pêche va s’en trouver perturbée. »

Envoie des photos récentes de Maude aussi. Je ne sais même pas si je pourrais la reconnaître.

Toute cette noirceur qui s'abattait sur moi. Qu'est-ce qui la faisait pousser ? De quelle graine avait-elle germé ? Grand-mère aurait aimé que je me rapproche de Jésus. Elle me disait qu'il était bon. J'aurais aimé qu'il le montre un peu plus. Il venait de laisser partir ma mère dans la souffrance et l'indifférence.

On peut faire dire ce que l'on veut aux mots, pas au silence. Il ne ment pas.

On ne refait pas sa vie, on la poursuit, avec d’autres horizons parfois, d’autres personnes souvent, mais on n’efface pas le passé. Une vie n’est que l’empilement de tout un fatras de choses, bonnes ou mauvaises, goûteuses ou fades, et la dernière que l’on pose sur le tas fait s’écrouler l’ensemble et elle s’arrête là.

Je disais à Luna, qu’avec Alex, nous charpentions un monde meilleur pour vous. Nous voulions tellement vous faire monter dans la sève des arbres...

J'ai lu quelque part "tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort". Quelle connerie. Il n'y a rien de plus mensonger. Le mec qui a écrit ça devait s'appuyer sur son expérience d'apprentissage de la bicyclette.

On ne refait pas sa vie, on la poursuit, avec d'autres horizons parfois, d'autres personnes souvent, mais on n'efface pas le passé"

J'aime quand le temps passe sans faire de vagues.

Les montants de la porte d'entrée étaient sculptés comme des totems indiens. Ça donnait un côté "nature", "trappeur" à cette demeure qui devait valoir plusieurs centaines de milliers de dollars. Un truc de riches pour faire perdurer un style de vie, une idéologie depuis longtemps enfouie sous des tas de billets verts.

Un peu avant la fin du repas qui s'était éternisé, ses paupières sont devenues lourdes et ses épaules se sont voûtées. Je me suis levé et je lui ai proposé de rentrer en lui présentant ses béquilles. Il a pris une fourchette dans la main droite. Sans lever les yeux, il m'a dit: "Je vais me lever. Si vous esquissez le moindre geste pour m'aider, je vous la plante dans le cou."

C'est drôle comme on idéalise un projet, en oubliant, dans les promesses d'une aventure, que la nature humaine ne change guère, quel que soit le lieu.