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Critiques de Philippe Rahmy (40)
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Béton armé

Nul n'ignore que les voyages sont faits pour les gens bien portants. Les autres ne partent pas, ne partent plus. Ils se contentent de rêver les départs.

Philippe Rahmy est né avec la maladie des os de verre. Enfant, il se brisait au moindre choc. Enfermé dans son corps, prisonnier de ses douleurs, il n'a pour ainsi dire jamais quitté la Suisse. Mais en 2011, quand l'Association des écrivains de Shangai l'invite en résidence pour deux mois, il décide de relever le défi et s'envole pour la Chine. C'est un voyage long et dangereux pour sa santé mais il brûle de découvrir ces terres lointaines qui l'ont si souvent fait rêver.

Seulement, parfois, il y a loin des fantasmes à la réalité et Philippe Rahmy ne retrouve pas le Shangai qu'il s'était imaginé.



"Shangai n'est pas une ville. Ce n'est pas ce mot qui vient à l'esprit. Rien ne vient. Puis une stupeur face au bruit. Un bruit d'océan ou de machine de guerre. Un tumulte, un infini de perspectives, d'angles et de surfaces amplifiant le vacarme."



C'est une surprise, un saisissement. Mais très vite, la déception laisse place à l'envie de se jeter dans l'inconnu, dans la houle de cette ville mouvante et inquiétante.



"La Chine. Shangai. Rien n'est à la mesure de l'individu. On perçoit un mouvement circulaire. On se laisse emporter. Cet infiniment grand passe de l'ombre à la lumière. La nuit tombe, on est sous terre. le jour se lève, on est au ciel. Mais jamais on ne touche le sol."



"Béton armé" est avant tout un récit de voyage. Philippe Rahmy s'est jeté à corps perdu dans la découverte de Shangai, ville magique et monstrueuse. le sous-titre "Shangai au corps à corps" illustre à quel point l'individu doit faire effort pour exister face à ce corps urbain gigantesque et destructeur de toute individualité. Pas de verdure ici mais des barres d'immeubles en béton, des néons qui clignotent toute la nuit. Shangai ne dort jamais et bruisse de millions de vies qui s'ignorent. Si l'on veut vraiment savoir qui elle est, il faut lâcher prise et se laisser engloutir par ses rues et ses échoppes pour en saisir la pulsation.

Mais tout voyageur sait que se perdre est parfois le meilleur moyen de se trouver soi-même. Ainsi, au hasard des promenades et des rencontres, Philippe Rahmy découvre son corps en mouvement pour la première fois et se grise aux mille sensations qui viennent l'envahir.



Bienveillant mais aussi critique envers les chinois, l'auteur les croque avec un talent de caricaturiste qui, j'en conviens, les ferait sûrement rire jaune. Mais loin de moi l'idée de chinoiser là-dessus car je me suis beaucoup amusée en lisant certains passages. Ce sont de petits instantanés du présent qui font parfois ressurgir des images du passé, des questions qui restaient en suspens. L'émotion est là, portée par une écriture magnifique, nous faisant vite passer du rire aux larmes.



"Combien de fois mourir de son vivant, quelle place faire à la mort en soi pour écrire? (...) Quelque chose se termine. Cette chose, je veux essayer de la raconter, sachant que Shanghai n'aura de cesse de me harceler parce qu'elle est belle et capricieuse..."



Ecrire "Béton armé" c'était vouloir raconter Shangai, bien sûr, mais c'était aussi témoigner d'une belle expérience humaine. Sortir de soi, aller à la rencontre de l'autre, de l'étranger, c'est revenir riche d'un bagage qui ne se voit pas mais qui s'entend dans la petite musique de l'écriture. Alors, par son voyage en Chine, Philippe Rahmy a fait bien plus que défier sa maladie. Il a peut-être même réussi là son plus grand pari, en prouvant qu'un auteur de l'intériorité pouvait aussi projeter son écriture sur le monde.

Et si certains lecteurs n'ont apparemment pas reconnu Shangai dans ces pages, je serais tentée de leur dire "Et alors?" Car pour la précision il y a les guides touristiques et pour le rêve il y a la littérature. Que le lecteur soit donc prévenu, "Béton armé" n'est pas une description de la Chine mais une écriture de la Chine.



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Mouvement par la fin : Un portrait de la do..

La douleur est une absence au monde, comme une respiration suspendue. Certes, quand vous souffrez vous êtes vivant et tout votre corps le crie à travers mille petites terminaisons nerveuses. Mais vous ne pouvez plus vraiment profiter de la vie. Vous êtes comme au fond d'un puits étroit et profond. Si la douleur est passagère alors la lumière revient et la vie reprend. Mais comment faire quand le mal s'installe durablement? Pour échapper à cet enfermement qui rend fou, il faut pouvoir sublimer sa douleur, l'accueillir et l'accepter jusqu'à ce qu'elle fasse partie de soi.



Ce chemin difficile qui mène à l'acceptation, Philippe Rahmy l'a fait. Atteint de la maladie des os de verre, il a très tôt connu la souffrance et les hôpitaux. Une enfance alitée, soignée, protégée. Une enfance volée. A 41 ans, il écrit son premier ouvrage, "Mouvement par la fin, un portrait de la douleur", un journal poétique en forme de fragments. Il y témoigne de cette expérience propre à chacun d'entre nous, l'invasion du corps par la douleur, l'isolement et le repli sur soi.

"Un portrait de la douleur est un récit d'absence. L'expérience incommunicable, à la fois la plus intime et la plus partagée, qui oppose celui qui souffre au reste de l'humanité..."



Les premières images sont violentes, où l'on voit l'auteur gisant dans une chambre d'hôpital, le bras traversé par des broches, tel un crucifié. Mais dans cette chambre qui sent l'éther et le désinfectant, le soleil entre largement par la fenêtre, entraînant bien loin celui qui se prête au voyage. Dans cette échappée belle, les phrases alternent, mélangeant les champs lexicaux de la douleur et du voyage, ouvrant grand l'espace des forêts et des océans. Car si le corps est immobile, emprisonné dans une raideur qui le fige dans la glaise, l'esprit, lui, peut avoir la légèreté de l'oiseau et ne pas connaître de limites.

"La lumière attire un papillon qui me rappelle au contact physique de l'air libre. Ma pensée, métaphore de la vie, se détache de la terre."



"Mouvement par la fin" aurait pu s'appeler mouvement jusqu'au fond de soi tant il faut trouver d'intimes ressources pour mettre sa souffrance à distance. Mais "Mouvement par la fin" est aussi l'histoire d'un lâcher-prise. Pour Philippe Rahmy, la douleur fait partie de sa vie, et même, elle est la vie. Rien ne sert de la nier. Tout au contraire, sa poésie décrit cette lente possession du corps jusqu'à l'ultime abandon.

"Heureux qui donne son assentiment à sa douleur, il fait de sa mort une prière."

Cette phrase laisse entrevoir toute la gravité et la profondeur de ce journal. Par delà les doutes et les renoncements, des fulgurances d'espoir nous bouleversent.

"Mouvement par la fin" est l'histoire simple, dans sa vérité nue, d'un homme qui avait trouvé la juste distance avec sa douleur et qui savait profiter de chaque instant de répit pour en faire un instant de vie. Un homme aussi qui prenait tout ce que la vie peut offrir de liberté à ceux qui ont le corps cloué au sol, l'imagination, le rêve et l'écriture.

Philippe Rahmy est mort en 2017. Il nous laisse une belle œuvre littéraire et ce témoignage qu'en dépit d'un corps souffrant, le cœur peut conserver sa lumière.



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Monarques

À la mort de son père Adly, Philippe Rahmy ressent le besoin de raconter l'histoire de sa famille et celle d'une figure qui le fascine, sans qu'il comprenne vraiment pourquoi : Herschel Grynszpan, jeune homme juif ayant fui l'Allemagne nazie en 1936 et qui, âgé de dix-sept ans, révolté par la déportation de sa famille et souhaitant venger tout le mal fait au peuple juif, tire cinq coups de revolver sur Ernst vom Rath, secrétaire de l'Ambassade d'Allemagne à Paris, le 7 novembre 1938. On considère que ce fait est à l'origine d'actes de répression vis-à vis des juifs et notamment de la fameuse Nuit de Cristal.

Avec beaucoup de sensibilité, Philippe Rahmy tente de comprendre ce qu'il est à travers l'évocation des siens et la figure d'Herschel Grynszpan. Il lui faudra des années de recherches, d'enquêtes, de réflexions pour tenter de s'approcher de ceux qui ne sont plus, de retracer l'odyssée de sa famille à travers l'Histoire.

Il décide notamment de voyager car il a besoin de voir les paysages qu'ont traversés ceux qu'il aime, de sentir l'air qu'ils ont respiré, d'entendre la langue qui fut la leur.

C'est une histoire peu commune qui est la sienne, au croisement de différents pays, de différentes religions, il est l'enfant d'un métissage, d'êtres qui se sont aimés malgré tout ce qui les opposait.

Un grand-père paternel, Ali Rahmy, qui fait un voyage en Suisse afin d'acheter des vaches pour son exploitation agricole de Moyenne-Égypte. C'est là qu'il rencontre Yvonne Plumard, fille d'agriculteurs : contre l'avis de ses parents, elle abandonne ses études et suit son futur mari en Égypte : Adly, le père de Philippe, naîtra là-bas.

Et puis il y a, fantôme omniprésent, compagnon de route, Herschel Grynzpan qui, avant de commettre son attentat, a laissé cette lettre à ses parents : « Mes chers parents, je ne pouvais agir autrement. Que Dieu me pardonne. Mon coeur saigne lorsque j'entends parler de la tragédie des douze mille Juifs. Je me dois de protester pour que le monde entier entende mon cri et cela, je suis contraint de le faire. Pardonnez-moi. Herschel. »

Il fallait pour l'auteur aller en Israël afin de comprendre Herschel et s'approcher de celui qui n'a jamais atteint la Terre Promise. Mais là-bas, aussi étrange que cela paraisse, c'est de son père, le musulman, qu'il sent la présence : « Oh, père! Toi l'Égyptien dont j'ai recueilli le dernier souffle, je t'aime, coeur battant. Je poursuis Herschel Grynszpan en Israël mais c'est toi que je sens à mes côtés, dans cette froide lumière d'aéroport.» « Il n'est pas innocent que je trouve, à la fois, le lieu et les mots pour raconter mon père, ici, en Israël, où je me suis rendu pour écouter un autre silence, pour raconter une autre histoire, celle d'une famille juive, celle d'Herschel Grynszpan. J'ignore comment ces deux silences se répondent, ces deux royaumes complémentaires, quête biographique et quête littéraire, monde musulman et monde juif, s'ils s'ignorent au fond de moi, ou s'ils ont même conscience l'un de l'autre. Peu importe. Herschel me hante comme me hante mon père, comme l'histoire des Juifs et des musulmans ne cesse de s'écrire, mêlant les voix des morts à celles des vivants. » Deux histoires s'enlacent, se mêlent, s'entremêlent : celle du juif et celle du musulman, deux histoires qui sont la sienne et dont il est le fruit.

En effet, sa grand-mère maternelle, Gertrud, renie le judaïsme et se convertit au protestantisme pour épouser son grand-père Martin, médecin membre du parti nazi.

Rejetée par les siens, elle s'installe à Berlin tandis que Charlotte, sa grand-tante, part en Terre Sainte.

« Peut-être n'aurais-je pas éprouvé la même tendresse pour Israël, si je n'avais pas entendu ma mère me parler de sa tante Charlotte Wolff. J'avais décidé de ne pas évoquer cette jeune fille portant une tresse de cheveux noirs… Je voulais rester l'Arabe Rahmy qui s'adresse au Juif Grynszpan par-dessus un mur infranchissable. Que les camps soient bien délimités. Lui d'un côté et moi de l'autre.»

Mais les deux territoires sont poreux, perméables : Philippe Rahmy EST le juif et l'arabe, il appartient à l'un et à l'autre peuple, il est la tresse qui unit tous ces fils.

Voilà où se trouve Philippe Rahmy, à la croisée de ces chemins, au carrefour d'histoires, de croyances et de terres différentes. Je me dis qu'être porteur de toute cette lignée incite forcément à s'interroger sur la question de l'identité et de la fraternité.

Qui est celui qui est issu de ces mondes, de quel héritage est-il porteur, quelle route doit-il emprunter, dans quelle direction doit-il poursuivre son chemin ?

Ce livre, comme un puzzle, comme un entrelacs de voix, retrace la destinée de chacun des membres de cette famille, effleure leurs secrets qui le resteront à jamais, évoque ce que furent leur vie et leur mort.

Comme des monarques, ces papillons qui traversent plusieurs pays, plusieurs continents, toujours groupés, la famille de Philippe Rahmy, issue de différents peuples, a su rester une malgré les divergences d'origines, de croyances et de pensées. C'est peut-être précisément le message que l'auteur nous livre ici à mi-voix : les frontières n'arrêteront jamais personne car, au fond, elles n'existent pas, n'ont rien de réel, de tangible. Elles ne séquestreront jamais les hommes qui de tout temps ont traversé les continents, les océans pour vivre ensemble.

Leurs enfants en sont le fruit.

Philippe Rahmy le sait, il est l'un d'eux.

Un très beau texte empreint de sensibilité, d'humanité et de générosité… Une voix rare et sensible à découvrir absolument.



Alors que je terminais cet article, je découvre par hasard une chronique qui m'apprend que Philippe Rahmy est décédé le 1er octobre 2017 à l'âge de 52 ans de la maladie des os de verre.

Je n'ai rien changé à ce que j'ai écrit. Je n'en ai pas le coeur. Un écrivain dont on partage l'intimité, même le temps d'un livre, ne peut pas ne plus être...
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Monarques

Ce livre, sous une apparence de simplicité – simplicité de l’écriture, du style, de la construction – est en réalité extrêmement complexe. S’il s’agissait d’un page-turner à l’américaine, toutes ces bribes d’histoire s’agenceraient petit à petit pour former un dessin plus vaste, la mosaïque s’ordonnerait sous nos yeux. Cela serait extrêmement satisfaisant, nous pourrions y retrouver un sens.



Mais non. Rien de tout cela ici. Le seul lien entre ces différentes histoires, c’est la vie, les hasards de la vie. Et vouloir trouver du sens au hasard, n’est-ce pas, déjà, le sur-interpréter ? L’auteur lui-même hésite entre les deux, comme le montre la scène finale où, à l’heure de reprendre l’avion après avoir été humer la piste de Herschel Grynszpan à Tel-Aviv, il tombe par inadvertance, dans le journal posé sur le siège du taxi, sur un article consacré, justement, à l’histoire d’Herschel, faisant dire à Philippe Rahmy :



« Je ne crois pas aux signes. Pourtant certains hasards objectifs ont valeur de vérité. »



Comment entrer dans ce livre alors ? Je ne garantis pas que ma clé de lecture soit la bonne, mais ce livre est pour moi le récit de la solitude de l’homme. Solitude dans sa vie, solitude dans sa mort, solitude parmi les autres parce que chacun a ses secrets. Ainsi, la grand-mère de Philippe Rahmy, est un mystère : revenue en Europe avec son fils, après l’assassinat de son mari, confie-t-elle l’enfant à ses parents, en Suisse, pour partir s’installer à Paris, puis en Grèce ? Adly, le père de Philippe Rahmy, a, lui aussi, un secret. Dont on ne saura finalement pratiquement rien, parce qu’il ne s’agit pas d’une enquête policière, mais d’un fait de vie. Mais, de façon générale, chacun de nous est un mystère pour les autres. Cette solitude est parfois triste, parfois douloureuse, parfois violente, parfois désespérante. Parfois, elle souligne le cynisme du destin, comme lorsque l’on découvre, parmi d’autres, sur la table du secrétaire Ernst vom Rath le passeport Nansen – document qui, entre 1922 et 1945, permettait à des réfugiés apatrides de voyager – au nom d’Herschel, qui vient de le tuer, mais n’en profitera jamais…



Chacun gardant ses secrets, nous n’avons pas d’autre choix que d’apprendre à vivre avec ce fait incontournable que nous ne saurons jamais tout des motivations de ceux qui nous entourent. Herschel Grynszpan ne sait rien des motivations réelles d’Ernst vom Rath, et réciproquement ; Philippe Rahmy ne connaitra pas les motivations de son père ; de même que ce dernier n’aura jamais eu accès aux motivations de sa mère. La seule chose qui soit à notre portée, c’est de décider, chacun, individuellement, ce que nous allons faire de ces faits dont la compréhension nous échappe.



Ce livre n’est pas un roman, c’est une histoire de vie. C’est ce que nous percevons de la vie, par morceaux épars, avec des pièces qui ne forment jamais un puzzle complet. Certaines pièces manquent, certaines ont été retaillées au couteau. Rien ne s’assemble. Et, comme le dit Philippe Rahmy dans la citation figurant en tête de cette chronique, il n’y a ni début ni fin. Il y a des questions, auquel il a cherché des réponses, consciemment ou non, pendant les 30 ans qui séparent la mort de son père, fin 1983, de cet exercice d’écriture. Ces questions n’ont pas porté uniquement sur son entourage, mais également sur tout ce qui fait la trame, le tissu, de sa propre existence.



Et les monarques, dans tout cela ? Eh bien, chacun pourra y voir ce qu’il veut. Moi, j’y vois une métaphore supplémentaire de cette inaccessibilité de la compréhension. Ils sont encore autant de « pourquoi » qui resteront sans « parce que » : certains migrent, d’autres non, certains forment de petits groupes, d’autres de véritables nuages, sans que l’on sache expliquer ni la raison, ni la périodicité de ce choix. Mais, par leur couleurs mélangées, ils sont aussi représentatifs de cette mosaïque que décrit ce livre : couleurs, nationalités, religions, tout est multiple…



Je l’ai dit en commençant : il s’agit d’un livre complexe. N’en attendez pas un simple divertissement, l’occupation de quelques heures à tuer : ce serait passer à côté de ce qui fait sa singularité… Mais je vous recommande de le lire, d’abord pour (re)découvrir le personnage de Herschel Grynszpan, et pour la réflexion qu’il suscite…
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Béton armé

Philippe Rahmy, atteint de la maladie des os de verre, a grandi dans un carcan, cloué au lit par des fractures dans toutes les parties de son corps, traversé de clous et de broches, enferré dans la douleur. Il s’en est sorti par les mots et la littérature, qui lui ont permis de se lever et de vivre, et lui tiennent lieu de charpente corporelle.



Invité en résidence d’écriture à Shanghai à l’automne 2011, il part pour la première fois en voyage, à l’autre bout du monde, et nous livre dans « Béton armé » les notes de ce séjour, le récit des lieux, des rencontres, par un homme qui tout à coup s’immerge dans cette ville, organisme aux dimensions et aux pulsations colossales dans lequel il se reconnaît.



« Shanghai et moi avons le même goût pour la violence. Nous nous sommes construits et nous continuons de grandir par accidents successifs. Jamais je n’ai vu autant de corps meurtris qu’à Shanghai. Il n’y a ni guerre ni famine. Les gens semblent heureux. Mais chaque rue résonne de chocs et de cris. »



Toujours habité par les douleurs de son corps, qui l’a doté d’une acuité de bête sauvage au-delà de toute norme, Philippe Rahmy rend compte, racontant des rencontres, des scènes de rue ordinaires, dans un texte traversé de fulgurances d’une force inouïe, de cette incandescence d’humanité que sont la Chine et Shanghai.



« "Qui refuse sa nuit, vit en aveugle." J’écris cette phrase dans ma main. J’ai bu. Je ne connais pas ce quartier. Je n’ai plus d’argent. Je suis perdu. Je suis heureux. Je suis chinois. »



Philippe Rahmy se fond dans la foule, ayant tellement rêvé de devenir banal et d’être accepté. Toujours avec les échos de sa propre histoire, il s’imagine ici en chinois modeste et convenable, et raconte la ville à hauteur de passants, hommes et femmes jeunes ou vieux, grand-mères ou prostituées. Il est le témoin de la façon dont l’homme consume son milieu, «la défaite de la nature et le triomphe des cités».



«Jamais je n’ai vu se dessiner comme ici, l’avenir du monde. Shanghai est le chemin le plus court entre hier et demain.»

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Allegra

D'une écriture agréable, Philippe Rahmy nous entraîne sur les pas d'Abel dans les rues d'un Londres écrasé de chaleur, à quelques semaines des Jeux Olympiques (2012). Abel est tourmenté, sur le fil. Il s'est disputé avec Lizzie sa compagne, son ami et patron, le mystérieux Firouz, le poursuit et lui, Abel ne semble plus très bien savoir où il en est. Petit à petit, sa personnalité et son passé se dévoilent. Une enfance française auprès de parents venus d'Algérie comme tant d'autres, des études brillantes de mathématiques et un job prestigieux dans la finance, à Londres... Alors, comment en est-il arrivé là ? Sur le point de tout perdre, il devient une proie facile pour ceux qui s'appuient sur les faiblesses des uns pour les transformer en armes de destruction massive. Va t-il céder ?

L'auteur mène plutôt bien son intrigue pendant une bonne moitié du livre, réussissant à accroître l'intérêt du lecteur pour le personnage d'Abel et ses mystères. Par contre, la seconde partie est un peu moins convaincante (j'ai deviné très vite le fin mot de l'histoire). Il n'en reste pas moins une agréable impression de qualité, une lecture fluide et une question qui n'a pas fini d'être débattue : jusqu'où peut mener le sentiment de culpabilité ?
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Béton armé

Philippe Rahmy est invité par l'Association des écrivains de Shanghai. Il sait, qu'en raison de sa maladie, se rendre à Shanghai constitue une sorte de défit. Ce serait comme descendre les chutes du Niagara dans un tonneau. Dès le premier chapitre, dès les premiers mots il nous fait sentir le tourbillon, la frénésie qui anime la ville, sorte de maelstrom dans lequel il va se laisser emporter.



Il n'est pas toujours tendre avec cette ville, ses habitants. On est loin de la vision de carte postale. La première impression qu'il nous donne, est celle d'une ville sombre, ramassée sur elle-même. On cherche un peu d'humanité, de douceur, une parcelle de quiétude.



« Quelle est la voix du monde ? Celle qu'on trouve dans les livres ou la parole de la rue ? La rue dit la vérité. Elle parle comme un enfant de douze ans »



Car c'est cette Shanghai là, qu'il nous fait découvrir, violente, sombre. Bien que blessé par la vie, il se précipite dans ce déferlement de vie, de violence. Rien ne le laisse indifférent, rien ne doit ou ne veut se cacher à sa vue. Car la ville se met à nue devant lui. Il nous révèle, en elle, ce qu'elle possède de plus humain, même s'il s'agit de ce qu'elle a de plus dur.



« Aux tourbillons de feuilles mortes, de papiers gras qui envahissent les rues, s'ajoute cet autre tourbillon plus sombre, incroyablement sombre de la foule coulant à la vitesse du fleuve en contrebas ».



Parce que loin de fuir cette masse grouillante, il la cherche, il s'y plonge avec délectation. Elle ranime en lui des souvenirs d'enfance tout aussi durs. C'est un affrontement entre lui et ce qu'il est, un être fragilisé par la vie, mais qui désir plus que tout la prendre à bras le corps.



« J'aime la foule bruyant, serrée. J'aime la populace. J'aime l'odeur de la poudre. J'aime la couleur du sang. J'aime ce plus beau souvenir d'enfance ».



Mais au milieu de ce tourbillon de vie, il distille ça et là des parcelles de douceur et de tendresse. A la première lecture on peut être effrayé par cette description de la ville. On n'a pas rêvé de Shanghai ainsi. Où est la Shanghai de carte postale, la ville touristique brillante de mille feux la nuit, illuminée de mille couleurs, ville cosmopolite. On se laisse prendre au jeu, à cette ville, qui se livre tout crue, sans fard, presque laide, mais que l'on se prend à aimer. Ce n'est plus une ville mais une explosion de sentiments.



« Toujours ce bruit impossible à décrire qui se double, à intervalles irréguliers, d'un mystérieux carillon à quatre tons. Shanghai aux milliers de sirènes ».



Ville étrange et dérangeante, Philippe Rahmy nous montre que l'on ne va pas à l'autre bout du monde pour chercher une carte postale, mais justement, ce qu'elle ne vous montre pas. Et peut être qu'alors c'est vous même que vous découvrirez.



« Pensée du jour : manger avec des baguettes est comme courir dans un cauchemar, une suite de mouvements précipités qui ne font pas progresser d'un pas ».



Bon voyage.
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Béton armé

Livre issu d'une résidence d'écrivain de Philippe Rahmy, invité par l'Association des Ecrivains de Shanghai.

Livre issu d'un voyage improbable de celui que sa fragilité tient à l'écart des voyages, de la confrontation avec cette ville improbable.

Modernité, beauté et souffrance - l'oeil incisif, parfois caustique sur les réunions officielles - le pas de côté par rapport à ce qu'il doit voir - la saisie des fragilités, des blessés, de la vie grouillante, de la dureté de la ville - des retours sur lui, son histoire, sa famille.

Une méditation élaborée au fil des visites, des rencontres, rédigée comme pour faire le point, pour comprendre ce que fut pour lui ce voyage, son rapport à cette ville. Méditation intime et intense, regard en coulée dans la foule.

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Mouvement par la fin : Un portrait de la do..

Je suis restée scotchée par la justesse de ce livre, même si parfois secouée par la brutalité de son propos. Mais la douleur aussi peut être brutale, je ne le sais que trop, moi qui souffre de la même maladie que Philippe Rahmy et il en parle si bien, de la douleur ! Superbe... quoi ? roman ? essai ? Difficile à dire.

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Béton armé

Béton Armé a reçu la Mention Spéciale du jury du Prix Wepler-Fondation La Poste, le 11 novembre 2013.



Béton Armé ou l'impossible tâche de noter un texte extraordinairement beau, mais dans lequel je n'ai pas reconnu Shanghaï : où se situe la limite entre fantasmes et désinformation ...

Après la découverte de ses livres ("Mouvement par la fin - un portrait de la douleur", ou "Demeure le corps - chant de l'exécration") beaucoup de lecteurs savent déjà que Philippe Rahmy est un écrivain talentueux.

Pour "entrer" dans le texte de Béton Armé, il faudrait à mon avis faire table rase de tout ce que l'écrivain a livré de lui-même dans ses précédents écrits, et découvrir ce nouveau livre en oubliant le sévère handicap dont il souffre en permanence. Car on plonge en effet brutalement dès les premières lignes dans le vif du sujet et à aucun moment, volontairement, Rahmy ne nous préviendra que c'est un homme fragilisé qui part ainsi à la découverte d'une mégapole effrayante dans sa fureur, dans ses vacarmes "de machine de guerre".La maladie, on la découvre lentement, au fil de ses souvenirs, de son enfance racontée par petits retours en arrière. Mais jamais il n'en est question lorsqu'il nous raconte Shanghaï : d'ores et déjà, ce "dieu" comme il la nomme, a fait de lui un homme debout, prêt à se battre pour, au terme de son apparente errance, aboutir à une délivrance à laquelle, on le comprendra plus tard, il aspirait dès son arrivée à Shanghaï.

Mon avis est qu'il serait dommage d'ouvrir le livre et le lire au hasard des pages, sans respecter le fil d'Ariane que Rahmy nous tend dès la première ligne, même si on ne le saisit pas immédiatement : car le texte, sublime dans sa limpidité, ne se laisse pas si facilement appréhender ! Certes cela reste possible puisqu'il est construit en paragraphes courts apparemment indépendants les uns des autres. Mais se livrer à une telle lecture séquencée serait amputer le livre de son rythme inexorable, lui ôter son "âme", ce mouvement lent mais sûr qui le porte en avant, page après page, jusqu'à l'épilogue : le but ultime vers lequel finalement on se sentait happé sans le réaliser, depuis la première page.

"Béton Armé" n'est donc pas pour moi "une succession de fragments organisés en 42 chapitres", comme on peut le lire dans l'Humanité. Je l'ai ressenti au contraire comme un lent cheminement harmonieusement rythmé par la découverte de Shanghaï, un affrontement permanent qui, devenant peu à peu quête initiatrice, labyrinthe, poussant inexorablement Rahmy et son lecteur vers ce que j'appellerai le "Saint Graal" devant lequel Rahmy (redevenant ainsi européen, puisque rendu au terme de sa quête) s'agenouille : la Belle Pudong. L'Oeil du Cyclone, l'Ultime But, la mort sacrificielle, à genoux .

"Pudong domine. Quelque soit la volonté qu'on oppose à cette beauté froide, on s'agenouille. Quel que soit le régime capable d'un tel prodige, on l'aime. Et puis on se sent mourir de toutes parts". (page 182).



Voir Pudong et mourir. Mourir pour mieux renaître de ses cendres, et tel le Phoenix revenir à la vie, dépouillé de ses anciennes souffrances, des morts que l'on porte toujours en soi et qui nous entravent dans l'amour qu'ils nous vouent encore, eux aussi. "Ami, frère, je t'ai cherché dans la foule chinoise comme si je marchais dans le royaume des morts". (page 203). Mais à l'inverse d'Orphée, c'est un homme délivré, apaisé, qui rentrera en Europe : l'ami tant aimé et mort tragiquement dans son enfance restera dans les mystérieuses limbes de Shanghaï pour mieux se sublimer, et Rahmy se délivrera de l'anathème "jeté sur le monde indifférent et sur la vie impuissante. Mon voyage prend fin et le tien commence, ami, frère, une ascension au milieu des étoiles. Je te rends ta liberté. Je rentre chez moi parmi les vivants". (page 203).

"Jamais je n'ai vu se dessiner, comme ici, l'avenir du monde. Shanghaï est le chemin le plus court entre hier et demain". (Page 148).

Voilà : le chemin esquissé par petites touches, tel un tableau surgissant des pensées de Rahmy, se termine ici sur l'autel dédié à Pudong, et se refermera sur l'hier, pour mieux lui ouvrir demain. Shanghaï acceptera l'offrande, celle de l'ami, du frère que Rahmy aura enfin le courage d'arracher à lui-même avec cette violence qui le lie à son âme soeur, celle de Shanghaï : "ce visage aux cheveux noirs ne m'a pas quitté. Est-il celui d'un ange, d'un démon, est-il l'image de ma muse ou de ma folie ? Je le dépose à tes pieds. Je le déchire aux quatre coins de Shanghaï. Je le répands aux carrefours comme on disperse des cendres, comme j'ai produit et reproduit, la nuit de ta mort, l'anathème que j'ai jeté". (Page 203).

Le livre refermé, revient en un lointain écho une autre quête, un autre labyrinthe, une autre ville : une ville Janus, qui, telle Shanghaï, aspira dans le passé un autre héros : c'est Venise, solaire, éclaboussée de lumière avec ses murs peints à la chaux pour rejeter loin la mort qui rôde ; noire et délétère dans ses mystères, venimeuse et morbide, tortueuse, retenant un homme qui par amour aussi, lui, prendra la décision contraire : celle de rester quand il faudrait partir et renouer avec la vie : oui, Béton Armé me ramène à Venise, et cet homme qui voudrait fuir mais qui finalement restera pris dans les filets de la Ville, c'est Aschenbach.

Mais là où Rahmy triomphera en s'arrachant au souvenir de l'ami perdu , Aschenbach lui, se délitera dans la morbidité de Venise, et en quête d'un amour impossible, y perdra son âme et sa vie. Voir Venise et mourir ; voir Shanghaï et revivre.

Ce livre confirme l'immense talent de Philippe Rahmy.

Mais malgré ma vive admiration je resterai marquée par ce que l'on peut prendre pour des fantasmes, mais qui sont pour moi et pour des étudiants chinois en langue française à qui j'ai fait lire le livre, comme des clichés sur la Chine et ses habitants.

Là où finit le fantasme commence la désinformation.

De par mon travail étant appelée souvent à vivre à Shanghaï, je n'ai absolument pas reconnu la mégapole. Shanghaï est en fait la plus européenne des villes chinoises, la plus occidentale. L'âme chinoise est vive, toujours prompte à s'intéresser aux scènes de rue. En chine, à Shanghaï comme ailleurs, en quelques minutes une centaine de personnes peuvent se rassembler dans une rue, sur une place, pour n'importe quel petit fait divers, et discuteront vivement "l'événement" entre eux. Rien ne les laisse indifférents. Et surtout pas un accident, une chute, une dispute, une rixe ...Ils sont la vie-même. Et pas du tout ces hommes et ces femmes fatalement indifférents et repliés en eux-mêmes que nous décrit le livre.

Personne en Chine ne passe devant un malade sans lui porter secours.

L'auteur nous parle de l'indifférence des Chinois face à une personne accidentée, et nous explique qu'en Chine, devant payer les frais d'hôpitaux si l'on vient en aide à un blessé, personne ne bronche :

Je connais, comme tout Shanghaï d'ailleurs, ce cas juridique d'un homme ayant amené à l'hôpital une vieille dame trouvée inconsciente sur la chaussée, suite à un accident dont il n'avait même pas été témoin : il fut contraint de régler les frais de santé. Il s'agit d'un cas unique bien connu, et qui a divisé Shanghaï en 2011. L'affaire fit grand bruit à l'époque : une vieille dame chinoise victime d'un accident de la circulation fut trouvée inconsciente par un automobiliste, qui bien sûr par civisme l'emporta à l'hôpital où elle fut soignée. Ne pouvant régler les frais des soins, la vieille dame assigna en justice son sauveur, l'accusant de l'avoir lui-même renversée. Faute de preuves tangibles (la femme était inconsciente et ne pouvait reconnaître le chauffard), la justice chinoise fit son travail en condamnant l'automobiliste à payer une partie de la facture, mais pas sa totalité puisque aucune preuve ne pouvait être apportée ... rien ne prouvant le contraire non plus. Ce cas est encore dans toutes les mémoires là-bas. En Chine, un homme amenant à l'hôpital une personne blessée n'a pas à payer la facture. J'ai vu devant le campus de Jiao Tong un cycliste chuter sur la route. En quelques secondes un attroupement s'était formé, cinq minutes plus tard l'ambulance arrivait, appelée par la foule, et embarquait prestement le cycliste qui n'en demandait pas tant, ayant semble-t-il simplement mal à la jambe.

On peut par ailleurs et sans problème en quelques clics, comme en France, se connecter aux sites littéraires, et Babelio est à la portée de tous aussi facilement qu'en France. Les journaux également, le Monde comme le Figaro. Les réseaux sociaux sont bloqués, sauf les réseaux sociaux type Linkedln. Cependant il suffit d'un VPN à 3 ou 5 euros par mois pour facilement outrepasser ces blocages.

Beaucoup de fausses informations, participant aux clichés qui circulent, au moment où les Chinois s'ouvrent enfin à l'étranger. Les étudiants FLE chinois qui ont lu le texte ont été émus par sa beauté, mais blessés, choqués par l'image qu'il renvoyait de leur ville, de leur âme. "Laissons faire le temps, un jour, on nous comprendra", m'a confié sagement un des étudiants...

"Béton Armé" est un livre que l'on n'oublie pas. Mais je regrette de ne pas y avoir retrouvé le peuple shanghaïen ...
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Allegra

Très prenant.
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Demeure le corps : Chant d'exécration

«rien ne distingue l’œuvre de l’agonie ; une seule et longue phrase regarde le soleil»



Atteint de la maladie des os de verre, Philippe Rahmy, qui a grandi perclus de douleur dans un lit, la plupart du temps à l’hôpital, heurte et sonde un corps malade avec les mots nus, sans stratégie de dissimulation ni d’apitoiement. La vie qui se vide de ce corps toujours brisé remplit le texte d’une intensité radicale.



«voici septembre, j'espère encore le temps d'un livre; les crises agrippent le ciel



lorsque j'ouvre les yeux, je me crois natif de la lumière, lorsque je les ferme, j'ai peur de mourir; une extrémité du regard cherche les anges, tandis que l'autre se perd dans les intestins



il existe entre la nécessité d’étreindre et celle d’être libre, une profonde blessure qui ne peut être guérie, où l’espérance s’épuise à chercher un passage ; le chemin de la plus grande souffrance est devenu impraticable ; la violence, une réponse possible ; je suis pris d’un désir incontrôlable de pleurer»



Tuteurs d’un corps en morceaux, drogué, appareillé et cloué à un lit d’hôpital, échappatoires au cauchemar de la douleur, les mots tiennent lieu à Philippe Rahmy de charpente physique et émotionnelle, et de lien intense avec le désir du monde.



«bien que la drogue ait tout transformé, je crois me souvenir du muguet séché sur le gravier ; juin finissait, j’étais coulé dans le plâtre ; trois tanches suffoquaient dans la fontaine aux roseaux ; les laurelles collantes attiraient les moucherons ; quelqu’un a claqué les persiennes ; j’ai hurlé ; un point bleu a gelé au bord de l’été ; parler de surprise sonnerait faux pour dire la stupeur de ce jour ; je n’étais pas triste, mais assommé par la chaleur ; mes os s’effilochaient pour me griffer ; je me rappelle encore m’être demandé si la douleur provenait de ces rais d’ombre et de lumière qui passaient sur moi»



Sous forme d’instantanés de la souffrance, violents et organiques, «Demeure le corps, Chant d’exécration» va directement toucher l’épicentre de nos émotions.

Ce deuxième livre de Philippe Rahmy a été publié en 2007 dans la collection Grands fonds du Cheyne éditeur.

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Béton armé

Je connaissais Philippe Rahmy pour sa poésie en prose. Je découvre aujourd'hui "Béton armé", un récit et un poème écrit durant un séjour de l'auteur à Shanghai. Je suis tout à fait emballée par ce texte.



Je connais la Chine pour y avoir séjourné cinq ans entre 2007 et 2011, et j'ai passé 3 ans à Shanghai. J'avoue avoir été bouleversée par ce livre qui m'a donné le sentiment de saisir la réalité chinoise avec beaucoup de tendresse, de désespoir aussi, parfois d'exaspération face au régime, aux privations de liberté dont la société civile est l'objet. Ce livre est sévère envers le pouvoir, et tendre envers les gens. Il ne donne pas une image de la Chine comme le ferait un guide touristique, ou un récit de voyage classique. Moi non plus, je n'ai pas retrouvé la Chine que je connais, car la Chine que je connais (j'ai également enseigné le Français à Shanghai), la Chine que connaissent mes amis chinois, ou mes étudiants, ne ressemble pas à un livre. Seul la littérature a le pouvoir de déformer la réalité pour produire une réalité alternative, pour produire une émotion, pour recréer le monde selon la sensibilité de l'écrivain. L'écrivain ne doit pas dire la vérité. Il crée une autre réalité avec ses textes.



J'ai aussi aimé ce livre qui articule la grande et la petite histoire. Il met face à face la Révolution chinoise et ses massacres, et la seconde guerre mondiale qui a ravagé l'occident. Ce face à face permet de montrer qu'il n'existe pas de société parfaite, que la tragédie humaine est notre lot commun, un héritage que "Béton armé" de Philippe Rahmy nous restitue avec grande finesse et pudeur. Il est bon que ce livre heurte les jeunes Chinois qui le lisent, il est bon qu'il bouscule et qu'il fasse réagir. Je terminerai en disant que je rentre d'un séjour à Hong Kong. J'ai passé "Béton armé" à plusieurs amis francophones sur place, qui l'ont adoré, le trouvant "trop doux" avec la Chine... je pense que ce livre trouverait un réel lectorat à Hong Kong, où les gens savent quel est le prix de la liberté d'expression, et quelles sont les contraintes que leur impose le gouvernement de Beijing. "Béton armé" est un vibrant appel à la liberté de penser et de ressentir.



Je souhaite vous faire partager mon enthousiasme pour ce texte qui réinvente le récit de voyage. Il n'est plus question, pour l'auteur, de "rendre justice" ou même de faire aimer le pays ou la société qu'il découvre. Il lui importe, à mon sens, de traduire l'immense diversité d'un peuple, le peuple chinois, la population de Shanghai, au moyen d'une langue magnifique dont la seule obsession est la littérature, et surtout pas la vérité.



Un livre à lire, à faire circuler. Bon voyage dans les livres, bon voyage sur notre petite planète commune!
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Monarques

MONARQUES de Philippe RAHMY



Monarques est une fresque prégnante. Monarques nous embarque. On part de Suisse, on passe par Paris, puis on bifurque vers Tel Aviv et Le Caire.

Je reçois à chaque fois les belles phrases de Philippe Rahmy de plein fouet, j’ai la sensation que son écriture me fonce dessus et je garde longtemps l’histoire en moi. Je me souviens de l’étoffe d’Allégra comme si j’avais lu le roman hier.

Monarques est tissé de fils en sommeil. Ils se sont enfilés au décès du père de l’auteur et ils ont brodé une trame pendant trente ans. Philippe Rahmy a assemblé les pièces durant sa résidence d’auteur au château de Lavigny en Suisse.

Monarques, c’est plusieurs histoires imbriquées les unes dans les autres. J’en ai dénombré cinq, mais j’ai peut-être mal lu. Tout ça n’a aucune importance, il n’y a qu’une seule histoire en réalité, elles s’empilent toutes dans le même carton. L’auteur nous invite dans sa famille et en même temps, il lie son destin à celui d’Herschel Grynszpan. Mes lacunes sont immenses, je n’ai jamais entendu parler d’Herschel Grynszpan, Philippe Rahmy va m’initier.

Herschel est un jeune juif qui a commis un attentat en 1938, à Paris, contre Ernst Vom Rath, le secrétaire de l’Ambassade d’Allemagne.

Philippe Rahmy porte l’histoire d’Herschel en lui, comme un coup de tampon qu’il se doit de laver dans l’écriture.

L’auteur a suivi la piste d’Herschel, il a remonté la trace du jeune juif. Il nous relate son parcours tout en se racontant lui : Philippe Rahmy, né dans une ferme suisse ; la Moraine.

En 1913, Ali, riche exploitant agricole égyptien, vient en Suisse pour acheter des vaches. Il fait affaire avec les grands parents maternels de Philippe Rhamy. Ali rentre en Egypte avec les vaches mais aussi avec Yvonne, la fille des fermiers suisses. Yvonne est enceinte. Elle met au monde Adly, le père de Philippe. Vous imaginez sans peine les heurts et les divergences qui ont bouleversé cette famille. L’auteur nous les confie, et on s’enfonce profondément dans le récit de cette tribu hors norme.

La quête d’Herschel et de lui-même conduit Philippe Rahmy en Egypte et en Israël.

Il y a un motif qui pousse l’auteur à calquer son destin sur celui d’Herschel mais pour le comprendre, il faut avancer dans la lecture.

Puis l’histoire, la grande, rattrape le lecteur. Elle lui murmure à l’oreille qu’il y a toujours eu des mouvements libéralismes immédiatement suivis d’autres plus sectaires. Monarques est plein de symboles ; l'avènement de Trump au moment où l’auteur rassemble les pans de son récit, puis les monarques sont ces papillons qui se déplacent en nuées de millions d’individus. Ils partent d'Afrique du Nord, traversent la Méditerranée par le détroit de Gibraltar ou via l’Italie pour échouer en Europe. L’auteur nous rappelle que l’idée d’un mouvement migratoire continu est inscrit dans nos gènes, un mouvement qu’il est vain, stupide et prétentieux de vouloir stopper. Monarques est haut en couleur, en odeurs et en émotion. C’est un récit dense, riche et attachant.

Voilà, c’était les dernières griffes de la plume de Philippe Rahmy. Des griffes à l’image de l’auteur, profondes et sans venin.

Il nous manquera.



Annick FERRANT

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Allegra

Nous vivons des temps troublės: Charlie, Bataclan, montée des nationalismes, de l'extrême-droite, du refus et de la haine de l'autre, mise à bas des acquis sociaux, etc, et l'onde de choc de ces turbulences se propage au monde entier. Personne n'est épargné, où qu'il se trouve. Le roman témoignant de cette réalité a donc un rôle primordial à jouer, et, peut-être même, est-il investi d'une mission, comme il l'était au 19e siècle, quand l'humanité a été profondément transformée par l'industrialisation. Nous vivons aujourd'hui une mutation aussi profonde, aussi radicale, mais qu'il nous est difficile d'appréhender, de nommer. Tout juste parvenons-nous à articuler la violence avec laquelle cette mutation s'opère.



Dans un tel contexte, que peut le roman, quels sont ses moyens et quel est son but? Le but n'a pas changé: plaider en faveur des faibles, donner la parole aux victimes, rétablir, autant que faire se peut, l'injustice sociale, proposer une alternative au triomphe de la force brute dont Simone Weil dit qu'elle est la puissance qui transforme les êtres humains en choses. Quant aux moyens du roman, ils ont subi une profonde transformation. Il ne s'agit plus de nommer une classe, la classe laborieuse, pour lui permettre d'exister sur le devant de la scène. Le libéralisme sauvage, le capitalisme financier, malgré les progrès des sciences et techniques, du recul de la famine, malgré l'accroissement de la richesse mondiale globale, ont produit de nouvelles inégalités, creusé de nouveaux fossés entre les humains, nivelant les sociétés, neutralisant les classes et les états, tous soumis à la rapacité des banques et des conglomérats. Les sociétes se sont fragmentées, ravivant les nationalismes, les peurs ont envahi les coeurs et les esprits, peur de l'autre et peur de soi-même. Un tel contexte fragmenté appelle de nouveaux instruments pour être appréhendé au moyen de la littérature. Le roman doit désormais produire l'effort de recenser tous ces fragments à la dérive, mais il doit faire davantage: les articuler pour inscrire à nouveau les individus dans la vie.



Comment? La question ne peut être tranchée, mais elle s'inscrit dans l'héritage du siècle précédent, siècle de la grande guerre, puis de la seconde guerre mondiale, de la Shoah, de la destruction systématique de l'être humain. Il va sans dire que la littérature, et, a fortiori le roman, ne se sont pas relevés indemnes d'une telle boucherie. S'il est possible de nommer l'une des plus profondes mutations affectant le roman, ce sera celle signant la fin de l'histoire telle qu'elle se concevait auparavant, autrement dit, une impossibilité de raconter, à laquelle les romanciers sont maintenant confrontés. Il n'est en effet plus possible d'envisager le monde comme un tout à saisir par le langage, car le monde a été brisé, et il ne s'est pas relevé : mort de la vérité sous toutes ses formes, y compris en littérature (du moins telle qu'elle m'importe), fin du pouvoir de raconter quelqu'histoire que ce soit. Les romans ne racontent plus d'histoires, il racontent la malédiction qui frappe les histoires.



Il en découle un nouvel âge, une ère du soupçon, une esthétique du fragment. J'assume et j'embrasse cet héritage, plaidant en faveur d'une littérature morcelée, refusant de produire des textes aproblématiques. Le tradition à laquelle je me réfère, dans laquelle je m'inscris, est aussi nourrie par l'esthétique de l'insistance sur le même, par une obsession stylistique, en somme, si chère, par exemple, à Claude Simon, dont les romans déclinent des motifs récurrents produisant des pauses narratives dans le chaos de l'écriture, incapable de recoller les morceaux de son histoire (celle de l'expérience des tranchées).



Obsession sur le même et refus d'un ensemble textuel homogène font loi. En tant qu'écrivain, il m'importe de faire l'inventaire de notre monde brisé, de nos peurs, de nos refus, de produire un ensemble de fragments imparfaitement articulés, pour provoquer chez le lecteur une frustration et un manque, pour lui proposer un texte qui ne vient pas soulager ses propres incohérences, angoisses, errances, voire satisfaire ses quelques espérances. Ce travail est celui des politiciens, des curés, des publicitaires. Je veux faire résonner l'incomplétude du roman dans celle de nos existences quotidiennes, en produisant un cercle vicieux où ces deux sphères se confondent.



Je n'écris pas pour distraire ou pour faire voyager le lecteur. On ne voyage pas dans les livres que j'aime ou que j'écris. On fait l'expérience d'une étrangeté. D'une radicalité. D'une chute. D'une tentative. Voilà ce que peut et doit faire le roman. Se coltiner le monde tel qu'il est.



La même obsédante question se pose: comment? Pour avancer, inscrivons cette question dans un cadre plus large. Quelle était l'invention majeure du roman réaliste? À mon sens, elle concernait la voix d'auteur, si populaire aux siècles précédents, qui s'invitait dans les histoires pour les commenter. Le commentaire d'auteur s'amenuisa au profit de l'avènement des personnages. Mais pas n'importe quels personnages: personnages laborieux, marginaux, incarnations de la misère du peuple, des luttes sociales et du désir d'ascension. Les personnages étaient identifiables, assignés à une classe.



La question qui se pose aujourd'hui peut désormais être reformulée: comment faire, une nouvelle fois, muter le roman, autrement dit, comment écrire un roman réaliste de nos jours? La réponse, une fois encore, ne peut être que fragmentaire, frustrante, inaccomplie. Mais cette réponse doit être recherchée avec l'énergie du désespoir pour ne pas laisser le champ libre aux adorateurs du veau d'or du réalisme politique, comme les appelait Camus.



Revenons aux personnages. Le roman réaliste ne peut plus s'appuyer sur le motif de la classe sociale. Il n'y a plus de classes clairement identifiables, elles entremêlent aujourd'hui leurs difficultés et leur misère: la société, dans son ensemble, a été décaptitée, toutes classes confondues, par le capitalisme financier. Le personnage du roman réaliste contemporain subit cette mutation. Il se trouve catapulté d'une classe dans l'autre.



Ainsi, Abel, mon personnage, est issu d'un milieu modeste, il s'élève à la manière de Rastignac, devient banquier et riche, puis il connaît le chômage, chômage qui ne va pas sans bouleversements familiaux ni sans effondrement nerveux. Ce personnage est "lost in translation", il erre entre plusieurs fragments de vie qu'il a laissées derrière lui, comme autant de peaux de serpent. Il est incapable de se stabiliser, il glisse, il tombe d'une case dans une autre, comme le personnage d'une bande dessinée qui trouerait les zones graphiques, dégringolant la page, sans pouvoir se récupérer. Il tombe. Cette chute, et non pas la psychologie ou les actes du personnage, constitue l'histoire, lui donne corps. La chute du personnage met le texte en mouvement. Chute du présent dans le passé, chute du présent dans le présent, chute d'un contexte dans l'autre, chute d'une isotopie dans l'autre, entre ville et campagne, travail et chômage, misère affective, folie, migration, terrorisme, etc, etc... La translation d'Abel donne mouvement au texte et finit par constituer une "espèce d'histoire", une histoire paradoxale, fragmentaire, dans laquelle il n'y a rien à "deviner", rien à "approfondir", une histoire comme l'histoire de tant d'individus, pleine d'approximations, de blancs et de certitudes passagères.



La chute d'Abel n'est pas expliquée, elle se produit, mais elle est amplifiée par celle des réfugiés qui entourent Abel et qui universalisent sa petite histoire de bouts d'histoires... Il en va de même avec les personnages secondaires. Ils sont fils et filles des personnages de Robert Pinget, il transitent sans vraiment se constituer, ils sont présences de chair, ils forment une résille, une humanité de phrases qui se lient et qui se délient.



J'ajoute, enfin, que, contrairement aux personnages du roman réaliste du 19e siècle, saisis par les textes à la troisième personne, emblématiques de l'individu-marchandise broyé par l'industrialisation, le personnage central d'Allegra s'exprime à la première personne. Jamais, cette subjectivité ne recoupe celle de l'auteur. Il s'agit, au contraire, d'affirmer l'héritage, une fois encore, des guerres mondiales. Ce ne sont pas des personnages qui ont été massacrés, des individus à la troisième personne, des noms et des prénoms, ce sont des sujets incarnés. Abel, la victime, est donc un sujet incarné, mais tout aussi impuissant, livré pieds et poings liés aux rouages qui meuvent l'époque.



Voilà ce qu'est Allegra. Qui est Allegra. Un roman qui se présente sous l'apparence d'une histoire, capable de produire l'illusion d'une destinée, faisant usage de certaines ficelles (suspense, actualité, facilité d'accès, etc) d'une tradition romanesque, d'abord soucieuse d'efficacité, et nourrissant une certaine attente chez la lectrice et le lecteur. Mais le coeur profond de mon texte est avant tout littéraire. Il cherche désespérément à concilier l'impossibilité de raconter une histoire, cette fin des certitudes, telle que la définissait Prigogine, avec la nécessité de témoigner, d'articuler, malgré tout, une histoire. Voilà mon seul impératif. Produire l'équation, pour part incompréhensible, même pour moi, témoignant de mon temps, un temps à la fois ramassé sur une tête d'épingle et dilaté à dimension de l'univers, une équation de phrases qui s'appelle "roman", contre laquelle se cogne aussi bien celui qui écrit que celui qui lit, se cogne et grogne, mais trouve aussi de la chaleur dans la froide nuit du langage, et dans la folie de chaque jour.
Lien : http://www.rahmyfiction.net
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Allegra

Je commence cette chronique en adressant mes remerciements à BABELIO et aux Editions de LA TABLE RONDE pour m'avoir adressé ce livre dans le cadre de l'opération Masses Critiques.



Ce roman se déroule dans le LONDRES de l'été 2012, juste avant le début des Jeux Olympiques. Il met en scène un couple, Abel et Lizzie, tout jeunes parents d'une petite Allegra et dont les relations ne cessent de se dégrader depuis la naissance de leur fille. On sent très vite qu'au-dessus d'eux, outre la canicule de cet eté-là qui rend les tensions électriques, plane aussi l'ombre inquiétante d'un certain Firouz; c'est à lui qu'Abel doit sa carrière de trader et on comprend qu'il lui est redevable de bien plus que ça. Un jour, au cours d'une dispute, Lizzie a le mot de trop et Abel le geste de trop; la jeune femme le chasse de l'appartement et lui refuse tout contact avec sa fille. Dans le même temps, Firouz le vire de la banque dans laquelle il l'a fait entrer. Abel se retrouve dans un hôtel miteux qui abrite des migrants et bascule dans un projet qui pourrait bien lui être funeste.



A lire ce résumé, on se rend compte que Philippe RAHMY avait tous les ingrédients pour une histoire intéressante. Mais en ce qui me concerne la sauce n'a pas pris. L'histoire est décousue, donnant l'impression d'un récit confus où on a souvent le sentiment de ne pas avoir les clés pour comprendre ce qui n'est que sous-entendu, effleuré dans le roman. Le personnage de Firouz manque de consistance alors qu'on le devine déterminant dans l'effondrement de la vie d'Abel et dans le projet dans lequel celui-ci va s'investir. Il en est d'ailleurs de même de ce projet, qui tombe un peu "comme un cheveu sur la soupe", sans qu'on comprenne comment et pourquoi Abel en arrive à de telles extrémités. La fin est surprenante et démontre qu'il y avait vraiment "matière à " dans ce roman, mais là encore je dirais que justement la conclusion du récit est peut-être trop surprenante, pas assez amenée, trop brutalement assénée.



Dommage...En réalité, j'en aurais voulu plus, j'aurais voulu que Philippe RAHMY prenne davantage son temps pour nous parler d'Abel et de ses complexités. Le roman aurait gagné à croiser les lignes plutôt que de les dérouler de manière parallèle.


Lien : http://cousineslectures.cana..
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Mouvement par la fin : Un portrait de la do..

Un homme dans un lit d’hôpital va subir une opération chirurgicale. « Le sternum est découpé pour une intervention sur le coeur qui bat un rythme de métal. Un tuyau jaune-guêpe est planté dans la gorge, il crache des antibiotiques à l’intérieur d’un ventricule ». Dans une longue plainte le patient, l’homme blessé, met en mots ses perceptions sensorielles. La souffrance, le concubinage avec la douleur, la maladie, l’eau et le feu cohabitant dans un corps fatigué.



Tel un pénitent, le narrateur analyse la douleur, la voit à la fois comme une fatalité et un être proche, l’accepte comme une compagne, une bien-aimée, de celles qui partagent une vie. Dehors, au-delà des vitres de la fenêtre, la verdure, la vie, la vraie, sans contraintes, tandis que le narrateur apprivoise le mal, le dilue dans ses prières, dans ses exhortations. « Si simple, l’agonie. Réconfort de savoir que je souffrirai jusqu’à la fin. La douleur est un amour qui me rapproche vivant de l’éternité. Vide clarté qui se donnant à moi ravit qui je suis. Combien d’hommes ont subi le mal leur vie durant sans être consumés ? Combien ont cru voir Dieu ? ».



Poésie emplie de religiosité, pour se tourner déjà vers l’au-delà, vers l’après. Recroquevillement du malade, vie intérieure en ébullition, l’imagination bouillonnant malgré l’épuisement et les drogues administrées pour soulager. Recherche des ressources au fond de l’âme, continuer coûte que coûte, la foi contre le désespoir, la douleur dans la lumière, ou plutôt la lumière malgré la douleur, cette compagne, la seule. « Venez-moi en aide, j’ai mal ».



Dans une poésie sensible en prose et en de brefs paragraphes puissants, Philippe RAHMY tente d’exorciser le mal, ce mal qui le ronge depuis toujours, dans un texte en forme de supplique. L’auteur suisse décédé en 2017 était atteint de la maladie des os de verre, aussi il a côtoyé la mort, l’enfermement médical durant son existence, en a fait des partenaires imposés.



Ce texte est un partage, celui de la sensation éprouvée au-delà de la douleur physique ou morale, afin de tenter de lui attribuer un rôle finalement positif malgré l’envahissement, les rechutes. « Je suis celui qu’une naissance inachevée abandonne sans être et sans corps définis dans la réalité des autres. Encore et encore. Qui s’enivre sans boire, guérit sans remède, s’offre sans cause, aime et souffre pour toujours ».



Poésie violente, à fleur de peau, déchirée, épurée, à la fois fragile et d’une force extraordinaire, elle est cet antidote pour ne pas sombrer. Texte aussi bref que brutal, sorti en 2005 dans la collection Grands fonds de chez Cheyne, il est accompagné d’une postface de Jacques DUPIN qui colle au plus près à ce récit à la fois désespéré, résigné et combatif. Sous-titré « Un portrait de la douleur » comme pour plonger le lectorat avant même la première page dans une ambiance de maladie, planter un décor d’hôpital et de traitements médicamenteux, ce « Mouvement par la fin » nous retourne et nous secoue.



https://deslivresrances.blogspot.fr/
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Monarques

Ce roman est très émouvant car l’auteur en fait une longue confession. Il parle de lui mais à différentes époques. Cela donne même l’impression de lire un roman à plusieurs voix, à plusieurs âges d’une même voix. C’est toujours Philippe qui parle. Il parle d’aujourd’hui, d’hier, de sa famille, d’un fantôme de l’Histoire qui le suit (ou qu’il poursuit). L’auteur nous plonge dans son intimité, la plus véritable et la plus sincère. Il est déjà très touchant d’être placé à cet endroit en tant que lecteur. Cela se renforce par l’utilisation des temporalités. Ici, pas question de créer une sorte de montage alterné pour créer un suspens. Nous sommes dans une sorte de long voyage, d’une forme d’autobiographie libérée de toute information factuelle. Il y a de la géopolitique, de la littérature, des papillons, des morts, des choix et des non-dits. Philippe Rahmy ne nous appâte pas avec un secret mais en racontant un événement qui l’habite, le hante, le gêne, le nourrit. Par ce roman, on comprend l’importance de cette confession et les différentes manières que l’auteur a du la gérer et la digérer. C’est un roman passionnant et délicat.
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Allegra

Je remercie tout d'abord Babelio puisque c'est grâce à la masscritique que j'ai eu ce livre et donc les Editions La table ronde de me l'avoir envoyé.



En premier lieu, j'ai été enchantée de l'objet en lui même, le livre est de bonne qualité avec une couverture "enrobée" de papier photo (d'habitude c'est du papier tout simple qui se déchire...) donc déjà, d'un point de vue pratique, ce livre à été très agréable à lire.

Ensuite, lorsque j'ai commencé ma lecture, j'admets que je n'ai pas trop bien compris... Au chapitre 4 j'avais la sensation que le personnage principal était aussi paumé que moi... Ca m'a rassurée et même amusée...

A la fin du 5ème chapitre, j'avais envie de connaître la suite mais je devais vraiment interrompre ma lecture...

Je l'ai donc reprise le lendemain soir, et là, je l'ai fini d'une traite.

Je ne m'attendais vraiment pas à ce genre de livre, le sujet traité est en réalité très délicat, surtout en ce moment... Je n'en dirais pas plus Parce que je ne veux pas spoiler... Mais vraiment, c'est un ouvrage que je conseillerai à beaucoup de monde.

Vraiment, j'aimerais pouvoir dire quelque mots sur l'histoire mais je préfère que vous la découvriez vous même parce que j'avais vraiment pas vu venir cette histoire :)
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Béton armé

Dans la préface, Jean-Claude Rufin écrit ceci : " Peu de textes, en nous transportant aussi loin nous ramènent aussi profondément en nous-mêmes". Car si ce livre est un récit de voyage, il renferme beaucoup plus.

En 2011, Philippe Rahmy est invité en résidence d'écriture à Shanghai. Et c'est la première fois qu'il voyage, lui qui est atteint de la maladie des os de verre. Il nous livre ses impressions, des notes sur ce qu'il voit, la ville et les individus.

Shanghai la sirène lui dévoile ses multiples facettes. Philippe Rahmy se mélange à la foule pour être au plus près de la population et s'immerger dans cette ville. Et ce sont autant de situations, de scènes étonnantes, paradoxales dans différents lieux que son regard nous transmet. Mais ce livre va plus loin que de simples descriptions. De façon complètement naturelle, il revient aussi sur ce qu'il a vécu comme son enfance où sa mère lui faisait la lecture, son rapport à la littérature : "ces textes ne m'ont pas seulement ouvert l'esprit. Ils sont aussi devenus mon corps. Comment la littérature, toutes de nuances et de faux-fuyants qui ne nous aide pas à comprendre la vie, mais à en faire notre demeure, qui nous désoriente avec bonheur, multipliant les chemins des écoliers et les occasions de faire l'école buissonnière sur la ligne droite qui mène du berceau à la tombe, aurait-elle le pouvoir de commander la matière ? Je l'ignore. J'en ai fait l'expérience. Je m'en émerveille chaque jour".



L'homme au corps fragile décrit sans tabou la ville. La beauté côtoie la fragilité, la modernité d'une ville grouillante presque insaisissable avec ses contradictions, sa violence, sa politique. Avec une écriture singulière, très belle, il met à nu la ville. Il nous transmet le pouls de cette ville, par ses réflexions, ses ressentis mais aussi également son autoportrait sans fard avec intelligence et sincérité.

Un texte d'une puissance rare, un livre qui interpelle profondément et durablement !


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