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Citations de Pierre Bergounioux (358)


Elle ne pouvait prendre la couleur qui la rendrait visible aux yeux de la mémoire, le poids qu'il faut aux vestiges du temps pour composer, tout au long du chemin qui s'estompe, des ruines fidèles et même parfois une auberge où l'on s'est reposé.
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Sa pensée s'engageait sur les chemins qui mènent infailliblement à l'abîme.
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Les petits plaisirs, se sentir propre, éprouver des succulences, il faut, pour les avoir, que nous soit accordée d'abord cette élémentaire satisfaction : se supporter soi-même.
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Une heure vient où nous avons à regarder en arrière,à y mettre de l'ordre,sous peine de ne pouvoir plus aller de l'avant.
On se dit qu'il aurait été et bon de posséder l'usage entier de notre raison dès le poiint de notre naissance.
On aurait su aussitôt.
Être et connaitre seraient un. On n'aurait jamais été enfant.
Mais d'abord il y le monde,les hommes âgés,diminués qui déjà s'éloignent,les hautes,les muettes figures d'airain,le présent inexorable,la douce déraison des origines et plus tard,seulement,le besoin d'y remédier,le souci d'accorder,s'il se peut, s'il en est encore temps,ce qu'il y a et ce qu'on est.
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Depuis une trentaine d'années, nous fixons, mon frère et moi, un jour que nous passerons à écumer les librairies d'ancien et d'occasion d'une région, d'une ville de province, d'un arrondissement de Paris. Nous avons manqué de livres, au commencement, et dans nos vies antérieures, et cette privation nous a laissé un insatiable appétit de papier. L'adulte sert, on le sait, à exaucer les désirs inassouvis de l'enfant qu'il a été et peut-être de ses hypostases antérieures. Les manants qui nous devançaient n'ont pu lire les ouvrages de leur temps. Alors nous lisons, mon frère et moi, pour les vivants que nous sommes mais pour les morts, aussi, qui en furent empêchés.

Concrètement, nous partons à la première heure, de préférence le 20 juin, avec de grands sacs, la liste des boutiques et un plan de ville. Nous nous interrompons, le soir venu, hagards, fourbus, accablés du poids du vieux papier rapporté de la journée. Nous avons réparé le préjudice dont nous avons été victimes dans la grande temporalité. Nous avons renversé l'axe du temps, offert, magiquement à nos ancêtres, les biens dont ils avaient été spoliés et c'est pour ça aussi, indépendamment du solstice d'été, que c'est un jour de fête
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Si grande est la disproportion entre ce qu'il y a et ce qu'on est qu'on se sent pris, quand on s'en aperçoit, d'un grand désarroi.
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Une seule occupation avait la vertu d'éclipser toutes les autres, une partie de Labenche la capacité d'annuler, pour tout un après-midi, non seulement le restant de l'édifice mais l'espace compris au creux des collines, le cercle de la réalité : c'était la bibliothèque municipale, le samedi, après le déjeuner. L'emprise qu'un bâtiment à l'inconfort monumental a pu exercer sur les années du commencement contenait un antidote dont j'ai usé du jour, sans doute, où j'ai su lire à celui où je suis parti pour ne plus revenir. Je ne me rappelle pas avoir poussé le battant de la porte grise à bouton de laiton qui ouvrait sur la vaste salle sombre, toujours froide, aux murs couverts de volumes imprimés. Celle-ci précède en moi les premiers souvenirs. Mon père a dû m'y conduire un dimanche matin, mais c'est de mon propre chef, seul, que j'y suis tourné, par la suite, tous les samedis.
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Nous nous sommes enfermés dans la chambre bleue. J’ai ouvert le bocal. Les sphinx ont jailli vers la lumière mais nous les avons repris l’un après l’autre, sans difficulté, dans les plis du rideau. Michel les a transpercés tous les deux et piqués au fond du carton. Ils vrombissaient toujours, immobiles, flamboyants, autour de l’épingle. Nous pouvions effleurer du doigt leur petit toupet d’oiseau, la substance ductile et plumeuse du temps. Mais un remords se mêlait à notre joie secrète et nous évitions de trop nous regarder.
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Nous avions vu croître à quelques pas de nous et si haut qu’à la fin elle nous cachait le ciel la créature à la gueule déchirante. J’avais dû vaincre le froid intense, l’épouvante dont je gardais le goût aigrelet dans la bouche, me dresser contre l’arbre de fonte, porter la main gauche en avant, l’index tendu, en guise de canon, lever la droite sous le menton, l’index replié sur l’invisible détente. Puis j’avais crié de toutes mes forces pour rendre la balle aussi pointue et rapide que je pouvais, afin qu’elle atteigne sous l’épaisse toison fauve le cœur sauvage.
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C’est au pied de l’escalier, au bout du corridor, que j’ai entendu la voix de maman. Je dis de maman parce que nous la reconnaîtrions toujours, quelque altérée qu’elle soit, de si loin qu’elle nous parvienne, malgré le fracas de l’ouragan, de la bataille ou de la fin du monde et parce que je la voyais, maman, par la porte entrebâillée, agenouillée aux pieds de grand-père qui, lui, dans le fauteuil, nous faisait face, nous voyait, aurait dû nous voir rassemblant notre courage devant la première marche. Mais nous étions encore diaphanes, transparents au regard vide que j’avais croisé. Le chuchotement liquide, la voix de petite fille – de maman – nous parvenait toujours par la porte entrouverte du bureau. C’est la troisième marche qui nous a trahis. Le filet clair s’est brisé.
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Nous savions bien qu’elle ne dirait pas non, qu’elle ne pourrait pas nous empêcher de replonger dans l’eau bleutée du soir, à la porte ouverte, où elle avait laissé la grande valise noire et le carton à chapeau pour saluer grand-père, l’ombre indécise dans la pénombre du vestibule.
(Incipit)
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On s'arrache les yeux depuis qu'on a atteint le continent pour surprendre l'éclat imperceptible, lointain, qui trahira la chasse, diluée, encore, dans le ciel doré. Les mitrailleurs du sabord ne cessent de se pencher sur la culasse de leur arme pour scruter l'espace au-dessus du linteau. Le hurlement de tempête, à la fenêtre, se mêle au grondement des moteurs, taraude les tympans malgré les coques des écouteurs. Les tourelles pivotent lentement, régulièrement, comme des têtes d'insectes translucides, de termites guerriers interrogeant de leurs antennes l'azur où se prépare l'essaim de guêpes prédatrices.
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Ils sont dix à endosser leur équipement avec la peur au ventre et le souci de la contrôler, de refuser la moindre liberté au gosse qu'ils étaient à quelques heures d'ici et qui, s'il avait voix au chapitre, dirait non, se roulerait dans l'herbe en pleurant, s'enfuirait pesamment, sans espoir, à cause des grosses bottes qui pèsent aux pieds.
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Nous sommes sensibles au style.
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Il y avait, dans l’après-midi lumineux, une aridité à quoi un cœur sensible pressent la fin lointaine, les grandes lessives de l’automne, l’ombre recueillie de décembre.
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La cuisine ouvrait directement sur l'extérieur dont elle recevait le bois, les légumes et les visiteurs. C'est par là que Baptiste arrivait, au sortir de la forêt, fatigué, farouche, ses chaussures pleines de terre, ses vêtements mouillés, incrustés d'écorce et d'aiguilles. Mais Berthe, la sœur de Jeanne, y passait, vers la fin, ses journées à lire. Jeanne mobilisait la grande table pour la confection des pâtés, des gâteaux et des confitures ainsi que pour les travaux de couture d'une certaine ampleur et Baptiste lui-même s'y reposait, dans une chaise longue, après déjeuner. Bref, c'était un lieu partagé, une portion du dedans où le dehors avait ses entrées.
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Mais l'important ne va pas forcément de pair avec l'agitation, le bruit, ce qui se voit, le temps. C'est parce qu'on tend à les confondre que des tas de gens se montrent beaucoup, parlent d'abondance. Tout l'effet que ça fait, c'est celui d'un rideau dont le vent s'empare ou qu'un enfant agite dans ses jeux. Alors que le silence, quand il est fait des mots amers qu'on a tus, les larmes ravalées, l'absence pratiquée dès le temps qu'on est présent au monde parce qu'on y fut contraint et forcé, c'est le contraire. On en tient compte. On n'agit pas comme on ferait si cela n'avait pas été, n'était plus. C'est pour ça que l'air, la lumière ne sont pas, comme on croit, inhabités, vides mais, parfois, par endroits, vibrants, vivants, chargés de présences éminentes.
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Les temps sont finis où l'homme, aidé ou non de l'animal, devait imprimer la force motrice à l'outil qu'il guidait.
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Le patron portait sur le bras droit, en équilibre, de la betterave rouge, l’assiette de blanquette et une corbeille de pain. La main gauche tenait un petit carafon de vin, un verre et les couverts. Il remercia, mit de côté la betterave rouge qu’il n’aimait pas et attaqua vigoureusement un morceau de veau. Manger de la viande et du pain lui procura un tel plaisir qu’il en oublia un instant toute vergogne, occupé seulement à se bourrer les joues puis à sentir descendre la boule compacte. Il avait vers le genre humain, la paysannerie, les bouchers, la femme du patron, invisible dans la cuisine, un grand élan de gratitude. Ce n’est qu’un peu réconcilié avec la nourriture et le vin qui lui chauffait la figure qu’une gêne lui vint d’être seul, dans son coin, comme un chien auquel on a donné sa gamelle. Le besoin que nous avons régulièrement de nous remplir est aussi honteux que les autres.
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La pluie avait cessé. Les arbres s’égouttaient pesamment dans le silence. Il eut un regard morne, écœuré, pour les cartons fermés, sous l’abat-jour vieillot d’épais verre bleu. Cela n’avait plus de sens, à l’orée des bois, dans la nuit campagnarde. Il faut un appartement en ville, des toits, de vieilles avenues avec des ormes, des bibliothèques et, tout autour, la rumeur des gens qui vont et passent. Quand l’univers est un cube de cinq mètres sur cinq, le ciel un étroit rectangle que visite parfois le soleil, on se convainc facilement qu’on existe et que ça n’est pas dénué d’importance. On peut vivre de papier imprimé. On s’imagine qu’il serait terrible que cela finisse un jour. On craint la mort. Les forêts, les rivières – les vraies – sont loin, à peine réelles. On n’a pas l’espoir de les atteindre. Tandis qu’ici ! Que je sois ou non dans le tableau cesse de présenter beaucoup d’intérêt.
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