Ce roman de Rebecca Lighieri débute dans les années 80, au milieu des laissés-pour-compte de la ville de Marseille, au sein d’une famille où règne la pauvreté et la violence. Si les deux ainés de la famille, Karel et Hendricka, en bavent tous les jours à cause de leur connard de père, ce n’est rien comparé au petit dernier, qui a eu le malheur de naître avec de multiples malformations et qui n’était de surcroît même pas désiré au départ…
« Qui a tué mon père ? Personne et beaucoup de gens. Ou plus exactement, beaucoup de gens auraient voulu tenir la pierre qui lui a fracassé le crâne, réduisant son occiput en bouillie puis s’acharnant méthodiquement sur son visage, massacrant ce qui lui restait de beauté, ce qui n’avait pas été excavé par l’héro, jauni par la clope, bouffi par l’alcool. Beaucoup de gens auraient voulu tenir cette pierre, mais une seule l’a fait et son nom est personne. »
Le récit s’ouvre sur l’assassinat du père et remonte ensuite le temps afin de découvrir ce milieu familial défaillant dépourvu d’amour, où l’enfance se retrouve immédiatement brisée, privée d’avenir et sans véritable échappatoire possible. L’intérêt principal du roman n’est évidemment pas de découvrir qui a tué le père car, au fil des pages, le lecteur irait bien lui-même lui faire la peau, mais de livrer une chronique sociale qui met les mots justes sur une situation familiale et sociale totalement injuste…
« Je ne saurai jamais quel malheur vient de frapper ces deux hommes. J’ai juste la certitude qu’ils vivent un moment dramatique de leur existence, et qu’à leur insu j’en ai été le témoin. Mais ce qui me terrasse, là, dans mon fauteuil club, ce n’est ni leur chagrin ni leur bouleversement : c’est qu’il y ait eu précisément un ordre à bouleverser, une harmonie, un bonheur qui vaille qu’on le pleure sans pudeur dans un hall d’hôtel. Ce qui me coupe littéralement les jambes, le souffle, et même toute possibilité de réflexion suivie, c’est de savoir que je vis pire malheur que le leur, qui est de ne rien avoir eu, jamais, à regretter et à pleurer aussi amèrement. »
L’autre grande force de ce roman sont ces personnages finalement assez mal dans leur peau, qui ne peuvent laisser le lecteur indifférent. De ce père alcoolique, toxicomane et violent totalement abjecte à ces trois enfants qui se lient d’un amour qui leur a tant fait défaut, en passant par cette mère incompréhensiblement soumise, Rebecca Lighieri dépeint une cellule familiale étouffante où l’enfance laisse des traces indélébiles.
« L’espérance de vie de l’amour, c’est huit ans. Pour la haine, comptez plutôt vingt. La seule chose qui dure toujours, c’est l’enfance, quand elle s’est mal passée, on y reste coincé à vie »
Vous l’aurez compris, ce livre n’est pas à ranger au rayon « feel-good », mais plutôt dans le genre « feel-bad ». Abordant des thèmes forts, tels que la maltraitance familiale, l’enfance volée, la misère sociale, la drogue, le poids du passé et le racisme, Rebecca Lighieri propose un roman foncièrement noir, dur et parfois insoutenable, sans devenir glauque ou écœurant pour autant.
Si vous avez aimé le Prix Goncourt 2018 (Nicolas Mathieu – Leurs enfants après eux), foncez sur celui-ci car il est du même acabit !
Un immense coup de cœur !
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