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Citations de René Daumal (312)


N’est-ce pas un grand réconfort pour la chenille d’apprendre qu’elle n’est qu’une larve, que son état de tube digestif semi-rampant est temporaire, et qu’après sa réclusion mortuaire dans la nymphe elle renaîtra papillon – et cela, non pas dans un paradis imaginaire inventé par une philosophie chenillarde et consolatrice, mais ici même, dans ce jardin où elle broute laborieusement sa feuille de chou ? Or, nous sommes chenilles, et notre malheur est que, contre nature, nous nous cramponnons de toutes nos forces à cet état, à nos appétits chenillards, nos passions chenillardes, nos métaphysiques chenillardes, nos sociétés chenillardes. Seule notre apparence physique extérieure ressemble, pour un observateur atteint de myopie psychique, à celle d’un adulte ; tout le reste est obstinément larvaire. (p. 164-165)
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Les gens ne cherchent pas à comprendre, à résoudre les énigmes proposées par le sphinx, ils se complaisent dans le mystère, dans ce flou, le résultat est qu’ils sont mangés par le sphinx.
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Je suis mort parce que je n’ai pas le désir,
Je n’ai pas le désir parce que je crois posséder,
Je crois posséder parce que je n’essaye pas de donner ;
Essayant de donner, on voit qu’on n’a rien,
Voyant qu’on n’a rien, on essaye de se donner,
Essayant de se donner, on voit qu’on n’est rien,
Voyant qu’on n’est rien, on désire devenir,
Désirant devenir, on vit.

René Daumal, mai 1943
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Après

Je vais renaître sans coeur,

toujours dans le même univers,

toujours portant la même tête,

les mêmes mains,

peut-être changées de couleurs,

mais cela même ne me consolerait point.

Je serai cruel et seul

et je mangerai des couleuvres

et des insectes crus.

Je ne parlerai à personne,

sinon en paroles d'insectes

ou de couleuvres nues,

en mots qui vivront et riront malgré moi.
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LA GUERRE SAINTE



extrait 5

     Des autres guerres — de celles que l'on subit — je ne parlerai pas. Si j'en parlais, ce serait de la littérature ordinaire, un substitut, un a-défaut, une excuse. Comme il m'est arrivé d'employer le mot « terrible » alors que je n'avais pas la chair de poule. Comme j'ai employé l'expression « crever de faim » alors que je n'en étais pas arrivé à voler aux étalages. Comme j'ai parlé de folie avant d'avoir tenté de regarder l'infini par le trou de la serrure. Comme j'ai parlé de mort, avant d'avoir senti ma langue prendre le goût de sel de l’irréparable. Comme certains parlent de pureté, qui se sont toujours considérés comme supérieurs au porc domestique. Comme certains parlent de liberté, qui adorent et repeignent leurs chaînes. Comme certains parlent d'amour, qui n'aiment que l'ombre d'eux-mêmes. Ou de sacrifice, qui ne se couperaient pour rien le plus petit doigt. Ou de connaissance, qui se déguisent à leurs propres yeux. Comme c'est notre grande maladie de parler pour ne rien voir.

     Ce serait un substitut impuissant, comme des vieillards et des malades parlent volontiers des coups que donnent ou reçoivent les jeunes gens bien portants.


     Ai-je donc le droit de parler de cette autre guerre — celle que l'on ne subit pas seulement alors qu'elle n'est peut-être pas irrémédiablement allumée en moi ? Alors que j'en suis encore aux escarmouches ? Certes, j'en ai rarement le droit. Mais « rarement le droit », cela veut dire aussi « quelquefois le devoir » — et surtout « le besoin », car je n'aurai jamais trop d'alliés.


     J'essaierai donc de parler de la guerre sainte.



/Prose poétique publiée dans la revue Fontaine n° 11 (1940)
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LA GUERRE SAINTE



extrait 4

     Ce ne sera pas non plus une invocation magique, car le magicien demande à son dieu : « Fais ce qui me plaît », et il refuse de faire la guerre à son pire ennemi, si l'ennemi lui plaît ; et pourtant ce ne sera pas davantage une prière de croyant, car le croyant demande à son mieux : « Fais ce que tu veux », et pour cela il a dû mettre le fer et le feu dans les entrailles de son plus cher ennemi, — ce qui est le fait de la guerre, et la guerre est à peine commencée.

     Ce sera un peu de tout cela, un peu d'espoir et d'effort vers tout cela, et ce sera aussi un peu un appel aux armes. Un appel que le feu des échos pourra me renvoyer, et que peut-être d’autres entendront.


     Vous devinez maintenant de quelle guerre je veux parler.



/Prose poétique publiée dans la revue Fontaine n° 11 (1940)
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LA GUERRE SAINTE



extrait 3

     Et ce ne sera pas non plus œuvre de science. Car pour être un savant, pour voir et aimer les choses telles qu'elles sont, il faut être soi-même, et aimer se voir, tel qu'on est. Il faut avoir brisé les miroirs menteurs, il faut avoir tué d'un regard impitoyable les fantômes insinuants. Et cela, c'est le but et la fin de la guerre, et la guerre est à peine commencée, il y a encore des masques à arracher.

     Et ce ne sera pas non plus un chant enthousiaste. Car l'enthousiasme est stable quand le dieu s'est dressé, quand les ennemis ne sont plus que des forces sans formes, quand le tintamarre de guerre tinte à tout casser, et la guerre est à peine commencée, nous n'avons pas encore jeté au feu notre literie.



/Prose poétique publiée dans la revue Fontaine n° 11 (1940)
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LA GUERRE SAINTE



extrait 2

     Ce que je vais faire ne sera pas un vrai poème poétique de poète, car si le mot « guerre » était dit dans un vrai poème —

     alors la guerre, la vraie guerre dont parlerait le vrai poète, la guerre sans merci, la guerre sans compromis s'allumerait définitivement dans le dedans de nos cœurs.

     Car dans un vrai poème les mots portent leurs choses.

     Mais ce ne sera pas non plus discours philosophique. Car pour être philosophe, pour aimer la vérité plus que soi-même, il faut être mort à l'erreur, il faut avoir tué les traîtres complaisances du rêve et de l'illusion commode. Et cela, c'est le but et la fin de la guerre, et la guerre est à peine commencée, il y a encore des traîtres à démasquer.



/Prose poétique publiée dans la revue Fontaine n° 11 (1940)
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LA GUERRE SAINTE



extrait 1

     Je vais faire un poème sur la guerre. Ce ne sera peut-être pas un vrai poème, mais ce sera sur une vraie guerre.

     Ce ne sera pas un vrai poème, parce que le vrai poète, s'il était ici, et si le bruit se répandait parmi la foule qu'il allât parler —

     alors un grand silence se ferait, un lourd silence d'abord se gonflerait, un silence gros de mille tonnerres.

     Visible, nous le verrions, le poète ; voyant, il nous verrait ; et nous pâlirions dans nos pauvres ombres, nous lui en voudrions d'être si réel, nous les malingres, nous les gênés, nous les tout-chose.

     Il serait ici, plein à craquer des mille tonnerres de la multitude des ennemis qu'il contient — car il les contient, et les contente quand il veut —

     incandescent de douleur et de sacrée colère, et pourtant tranquille comme un artificier,

     dans le grand silence il ouvrirait un petit robinet, le tout petit robinet du moulin à paroles,

     et par là nous lâcherait un poème, un tel poème qu'on en deviendrait vert.



/Prose poétique publiée dans la revue Fontaine n° 11 (1940)
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René Daumal
Le prophète



extrait 3

« Vous riez, vous riez, lui dit-il,
– et les vieux montraient leurs crocs jaunes –
votre rire n’est pas l’aumône
que réclame la Gueule céleste.

Il lui faut vos nourrissons,
vos nez fraîchement coupés,
il lui faut une moisson
d’orteils pour son souper.



Elle rit, elle rit, la grande Gueule,
elle brille, elle grésille,
vous riez, vous riez, épouvantable aïeule,
mais bientôt, grand-mère, vos fils et vos filles
ne riront plus, ne riront plus.
Vous riez sous vos parasols de nuit,
ils vont craquer, ils vont craquer,
entendez rire la grande Gueule,
car bientôt vous ne rirez plus. »


/Revue Le grand jeu N° II Printemps 1929
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René Daumal
Le prophète



extrait 2

L’enfant qui parlait au nom du soleil
dit : « N’écoutez plus le chant du coq stupide »,
et les hommes aux longues lèvres se tapaient
le derrière sur les pavés.

L’enfant dit : « Vous riez, vous riez,
mais lorsque vous vous éveillerez
avec du sang plein les oreilles,
alors, vous ne rirez plus ».

Sa tête tomba, écrasante et chaude
sur l’épaule d’une jeune femme ;
elle crut qu’il voulut l’embrasser
et se mit à rire d’effroi.



/Revue Le grand jeu N° II Printemps 1929
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René Daumal
Le prophète



extrait 1

L’enfant qui parlait au nom du soleil
allait par les rues du village mort,
les rats couraient vers ses pieds nus
lorsqu’il s’arrêtait aux carrefours.

L’enfant appela d’une voix pleine de galères,
de voiles blanches et de poissons volants,
et les hommes changés en pierre
s’éveillèrent en grinçant.

C’était l’aube annoncée par les flèches sifflantes
des joyeux archers du voisinage,
les hommes venaient, chacun portant sa nuit
comme on porte une ombrelle.

Ils s’accroupirent autour de l’enfant,
et leurs gros yeux rouges riaient,
et leurs larges bouches crachaient
du sable à travers les dents.



/Revue Le grand jeu N° II Printemps 1929
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Nous mangeâmes en silence. Mon hôte ne se croyait pas obligé de bavarder en mangeant, et je l’en estimais beaucoup. Il n’avait pas peur de se taire quand il n’y avait rien à dire, ni de réfléchir avant de parler. En rapportant maintenant notre conversation, je crains d’avoir donné l’impression qu’il discourait sans arrêt ; en réalité, ses récits et ses confidences étaient entrecoupés de longs silences, et souvent aussi j’avais pris la parole ; je lui avais raconté, à grand traits, ma vie jusqu’à ce jour, mais cela ne vaut pas la peine d’être reproduit ici ; et quant aux silences, comment raconter des silences au moyen de mots ? Seule la poésie pourrait le faire. (p. 35-36)
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« Monsieur, j'ai lu votre article sur le Mont Analogue. Je m'étais cru le seul, jusqu'ici, à être convaincu de son existence. Aujourd'hui, nous sommes deux, demain nous serons dix, plus peut-être, et on pourra tenter l'expédition. Il faut que nous prenions contact le plus vite possible. Téléphonez-moi dès que vous pourrez à un des numéros ci-dessous. Je vous attends.

Pierre SOGOL, 37, passage des Patriarches, Paris.  » (p. 14)
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- Quand il est seul, le microbe (j'allais dire : l'homme réclame une âme sœur, comme il pleurniche, pour lui tenir compagnie. Si l'âme sœur arrive, ils ne peuvent plus supporter d'être deux, et chacun commence à se frénétiser pour devenir un avec l'objet de ses tiraillements intestins. N'a pas de bon sens : un, veut être deux ; deux, veut être un. Si l'âme sœur n'arrive pas, il se scinde en deux, il se dit : bonjour mon vieux, il se jette dans ses bras, il se recolle de travers et il se prend pour quelque chose, sinon pour quelqu'un. Vous n'avez pourtant qu'une chose en commun, c'est la solitude ; c'est-à-dire tout ou rien, cela dépend de vous. (p. 14)
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Pour qu’une montagne puisse jouer le rôle de Mont Analogue, concluais-je, il faut que son sommet soit inaccessible, mais sa base accessible aux êtres humains tels que la nature les a faits. Elle doit être unique et elle doit exister géographiquement. La porte de l’invisible doit être visible.
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D’autres jouaient à se laisser tomber la tête la première d’en haut d’une échelle, et celui qui, tombant de la plus grande hauteur, arrivait à se relever dans les dix secondes, recevait le titre de champion et beaucoup d’applaudissements.
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Un soir, l'homme se penche à sa fenêtre et regarde la campagne.
Des choses pâles et grouillantes, brumes ou spectres, sortent des terres labourées et glissent vers les maisons ; un chat imite le chant de mort d'un enfant qu'on étrangle, et les chiens dans le clair de lune retrouvent au fond de leurs gorges la grande voix des loups sur la steppe.
L'homme, à sa fenêtre, sent grandir en lui monstrueusement un sauvage désir animal d'aller lui aussi hurler et danser au clair de lune, de courir en grelottant sous la lumière glacée, et de s'aventurer jusqu'aux maisons pour épier le sommeil des hommes, et peut-être enlever un enfant endormi.
Un animal, un loup renaît en lui et grandit, gonfle sa gorge et son cœur. Il va se mettre à hurler. Non ! Il est fort ! D'un geste brusque il se rejette en arrière, ferme la fenêtre et veut se convaincre qu'il ne faisait que rêvasser.
Pourtant quelque chose se crispe au creux de son estomac, comme autrefois, dans son enfance, lorsqu'il pensait à la mort. Il a peur.
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************ JE SUIS MORT ***********

Je suis mort parce que je n'ai pas le désir ,
Je n'ai pas le désir parce que je crois posséder ,
Je crois posséder parce que je n'essaye pas de donner ;
Essayant de donner , on voit qu'on a rien ,
Voyant qu'on a rien , on essaye de se donner ,
Essayant de se donner , on voit qu'on est rien ,
Voyant qu'on est rien , on désire devenir ,
Désirant devenir , ON VIT .
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RAISON, subst. Fm., mécanisme imaginaire sur lequel on se décharge de la responsabilité de penser.
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