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Citations de René Daumal (312)


Et alors, au dernier moment, la parole éclata par sa bouche, vociférant :

Aux armes ! À vos fourches, à vos couteaux,
À vos cailloux, à vos marteaux,
vous êtes mille, vous êtes forts,
délivrez-nous, délivrez-moi !
Je veux vivre, vivez avec moi !
Tuez à coups de faux, ruez à coups de pierres !
Faites que je vive et moi, je vous ferai retrouver la parole !

Mais ce fut son premier et son dernier poème. Le peuple était déjà bien trop terrorisé. Et pour avoir trop balancé pendant sa vie, le poète se balance encore après sa mort. Car c'est souvent le sort, ou le tort des poètes, de parler trop tard, ou trop tôt.

1944.
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Il se disait en lui-même :
Voici donc mon premier et mon dernier poème. Un mot à dire, simple comme d'ouvrir les yeux. Mais ce mot me mange du ventre à la tête, je voudrais m'ouvrir du ventre à la tête et leur montrer le mot que je renferme. Mais s'il faut le faire passer par ma bouche, comment franchira-t-il l'orifice étroit, ce mot qui me remplit ?
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Le poème qui n'est pas écouté devient un œuf pourri.
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Et j'aurais sombré dans ma propre philosophie si, au bon moment, quelqu'un ne s'était trouvé sur ma route pour me dire : Voici, il y a une porte ouverte, étroite et d'accès dur, mais une porte, et c'est la seule pour toi.
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Ce que je vais faire ne sera pas un vrai poème poétique de poète, car si le mot "guerre" était dit dans un vrai poème - alors la guerre, la vraie guerre dont parlerait le vrai poète, la guerre sans merci, la guerre sans compromis s'allumerait définitivement dans le dedans de nos cœurs.

Car dans un vrai poème les mots portent leurs choses.
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- Épinard, qu'est-ce que Dieu ? dit le Curé d'une voix vide.

L'enfant se presse au-dedans de lui-même comme une éponge, il lui sort deux œufs de cristal de chaque côté du haut du nez, et il dit dans un soupir :

- C'est une baffe.
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et je coulais déjà dans la mer, avec la mer,
les passants de la rue n’allaient plus me voir
dans cette toute transparence, cristal sans bulle…
tout à coup tout fut perdu dans un haut-le-cœur,
mes multiples faces renaissaient à m’assourdir,
je n’avais pas voulu, j’avais crié peut-être,
serpent de mer, cercle d’or des sables où mûrissent tes œufs,
le soleil ton frère couve ta graine,
ta gloire et ta boue, mes mains,
et tu dis que je vais pourrir !
et tu dis que je vais renaître!
et tu tournes le chapelet de mes cadavres
au fil des tourbillons d’heures et d’astres en haut
et d’océans en bas ;
et qui a dit que je vais mourir ?
Destitué de mon rôle d’étoile par un fantôme,
ce bouche-trou vain,
trompé, toujours trompé, je cours dans ta gueule, frère,
et tes dents de marbre m’arrêtent
et tu dis :
C’est fini, c’est fini pour ce tour,
tu n’as pas voulu,
tu n’as pas voulu,
va-t’en vivre avec tes millions de faces, les miennes,
et vis et creuse comme une plaie à mon front,
sème le rire du serpent
au bord des mers ;
mords la sirène qui te caresse la nuque,
saigne et mords et retourne,
tu n’as pas voulu, c’est fini pour ce tour,
on ne t’a pas trompé.
Et puis écoute pour toujours
et pour tout le chapelet de chapelets de chapelets
de tours et pour toujours c’est moi qui suis
et tourne, trou, faux vide en moi, et crève
quand tu pourras.
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- Vous voyez ce que je dois faire pour gagner ma croûte, me dit-il. J’aurai voulu vous recevoir mieux...
- Je croyais que vous travailliez dans la parfumerie, interrompis-je.
- Pas seulement. J’ai aussi à faire dans une fabrique d’appareils ménagers, une maison d’articles de camping, un laboratoire de produits insecticides et une entreprise de photogravure. Je m’engage partout à réaliser les inventions jugées impossibles. Jusqu’ici, cela a réussi, mais comme on sait que je ne puis rien faire d’autre, dans la vie, que d’inverter des absurdités, on ne me paie pas gros. Alors, je donne des leçons d’escalade à des fils de famille fatigué du bridge et des croisières. Mettez-vous donc à votre aise et faites connaissance avec ma mansarde. (p. 23-24)
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“Pour qu’une montagne puisse jouer le rôle de Mont Analogue, concluais-je, il faut que son sommet soit inaccessible, mais sa base accessible aux êtres humains tels que la nature les a faits. Elle doit être unique et elle doit exister géographiquement. La porte de l’invisible doit être visible.”
Voilà ce que j’avais écrit. Il ressortait en effet de mon article, pris à la lettre, que je croyais à l’existence, quelque part sur la surface du globe, d’une montagne beaucoup plus haute que le mont Everest, ce qui était, du point de vue d’une personne dite sensée, une absurdité. Et voici que quelqu’un me prend au mot ! Et me parle de « tenter l’expédition » ! Un fou ? Un farceur ?… Mais moi ! me dis-je tout à coup, moi qui ai écrit cet article, est-ce que mes lecteurs n’auraient pas le droit de me poser la même question ? Allons, suis-je un fou, ou un farceur ? Ou tout bonnement un littérateur ? - Eh bien, je peux l’avouer maintenant, tout en me posant ces questions peu agréables, je sentais qu’au fond de moi, malgré tout, quelque chose croyait fermement à la réalité matérielle du Mont Analogue. (p. 18-19)
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Et ce qui définit l’échelle de la montagne symbolique par excellence - celle que je proposais de nommer le Mont Analogue -, c’est son inaccessibilité par les moyens humains ordinaires. Or, les Sinaï, Nebo et même Olympe sont devenus depuis longtemps ce que les alpinistes appellent des « montagnes à vaches » ; et même le plus hautes cimes de l’Himalaya ne sont plus regardées aujourd’hui comme inaccessibles. Tous ces sommets ont donc perdu leur puissance analogique. Le symbole a dû se réfugier en des montagnes tout à fait mythiques, telles que le Mérou des Hindous. Mais le Mérou - pour prendre cet unique exemple - , s’il n’est plus situé géographiquement, ne peut plus conserver son sens émouvant de voie unissant la Terre au Ciel ; il peut encore signifier le centre ou l’axe de notre système planétaire, mais non plus le moyen pour l’homme d’y accéder.
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Après avoir décrit un monde chaotique, larvaire, illusoire, je me sens engagé à parler maintenant de l'existence d'un autre monde, plus réel, plus cohérent, où existent du bien, du beau, du vrai - dans la mesure où les contacts que j'ai pu avoir avec un tel monde me donnent le droit et le devoir d'en parler. J'écris en ce moment un assez long récit où l'on verra un groupe d'êtres humains, qui ont compris qu'ils étaient en prison, qui ont compris qu'ils devaient d'abord renoncer à cette prison (car le drame, c'est qu'on s'y attache), et qui partent à la recherche de cette humanité supérieure, libérée de la prison, où ils pourront trouver l'aide nécessaire. Et ils la trouvent - car quelques amis et moi en avons réellement trouvé la porte. A partir de cette porte seulement une vie réelle commence. (Ce récit sera sous une forme de roman d'aventures intitulé le Mont Analogue : c'est la montagne symbolique qui est la voie unissant le Ciel et la Terre ; voie qui doit matériellement, humainement exister, sans quoi notre situation serait sans espoir.)

[Lettre à Raymond Chrisoflour, le 24 février 1940]
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Je ne parlerais pas de la montagne, mais par la montagne. Avec cette montagne comme langage, je parlerais d’une autre montagne, qui est la voie unissant la terre au ciel, et j’en parlerais non pas pour me résigner, mais pour m’exhorter.
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Nous avions l’air de plus en plus pensifs, mais en fait nous l’étions de moins en moins.
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Le territoire cherché doit pouvoir exister en une région quelconque de la surface de la planète (…) il pourrait très bien, théoriquement, exister au milieu de cette table, sans que nous en ayons la moindre notion.
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Ils nous avaient ouvert la porte, ceux qui nous voient alors même que nous ne pouvons nous voir, répondant par un généreux accueil à nos calculs puérils, à nos désirs instables, à nos petits et maladroits efforts.
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Note bien dans ta mémoire les circonstances de ta chute, mais ne permets pas à ton corps d’en remâcher le souvenir. Le corps cherche toujours à se rendre intéressant par ses tremblements, ses essoufflements, ses palpitations, ses grelottements, ses sueurs, ses crampes. Mais il est très sensible au mépris et à l’indifférence que lui témoigne son maître. S’il sent que celui-ci n’est pas dupe de ses jérémiades, s’il comprend qu’il n’y a rien à faire pour l’apitoyer, alors il reprend sa place et accomplit docilement sa tâche.
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Souvent, d’ailleurs, aux moments difficiles, tu te surprendras à parler à la montagne, tantôt la flattant, tantôt l’insultant, tantôt promettant, tantôt menaçant ; et il te semblera que la montagne répond, si tu lui as parlé comme il fallait, en s’adoucissant, en se soumettant. Ne te méprise pas pour cela, n’aie pas honte de te conduire comme ces hommes que nos savants appellent des primitifs et des animistes. Sache seulement, lorsque tu te rappelles ensuite ces moments-là, que ton dialogue avec la nature n’était que l’image, hors de toi, d’un dialogue qui se faisait au-dedans.
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En même temps que nous laissions sur le littoral nos encombrants appareils, nous nous préparions aussi à rejeter l’artiste, l’inventeur, le médecin, l’érudit, le littérateur. Sous leurs déguisements, des hommes et des femmes montraient déjà le bout de leur nez.
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Encore une fois, ne médisons pas de ces gens qui, découragés par les difficultés de l’ascension, se sont installé sur le rivage et en basse montagne et s’y sont fait leur petite vie ; leurs enfants, au moins, grâce à eux, grâce aux premiers efforts qu’ils ont fait pour venir jusqu’ici, n’ont pas ce voyage à faire. Ils naissent sur le rivage même du Mont Analogue, moins soumis aux néfastes influences des cultures dégénérées qui fleurissent nos continents, en contact avec les hommes de la montagne, et prêts, si le désir en eux se lève et si l’intelligence s’éveille, à entreprendre le grand voyage à partir du lieu où leurs parents l’ont abandonné.
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La croyance chrétienne en une vie unique sur cette terre, au bout de laquelle l’homme sera jugé définitivement et sans appel, est vraie si le fidèle, en conséquence, comprend qu’il n’a pas une seconde à perdre pour travailler à son perfectionnement, elle est fausse s’il en conclut que, Dieu sachant tout, son sort est prédestiné et qu’il n’a rien à faire qu’attendre, dans l’inertie et le laisser-aller […].
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