Citations de Richard Ford (420)
La mort se met en route bien longtemps avant d'arriver. Et au cœur de la mort elle-même, il y a encore de la vie à vivre jusqu'au bout. Ce que nous avons fait.
Il se peut qu'être un enfant de la ville (en ville c'est le temps qui passe qui compte le plus) transplanté du jour au lendemain dans un lieu désert inconnu, parmi des gens dont je ne savais pas grand-chose, m'ait assujetti davantage aux forces naturelles qui se faisaient l'écho de mon vécu intime et me le rendaient plus tolérable. Par rapport à ces forces - Terre qui tourne, Soleil qui traverse le ciel plus bas dans sa course, vents gonflés de pluie, arrivée des oies -, le temps du calendrier, invention humaine, passe à l'arrière-plan, et c'est bien ainsi.
- Les ennuis, on n'a pas besoin de les chercher, a dit Brenner. Tu as beau te cacher, ils te trouvent.
On prend très tôt conscience que rien ne vous arrachera jamais à vous-même.
Personnellement j'ai pris le parti de ne plus me regarder dans la glace; ça revient moins cher que la chirurgie esthétique.
Ce que je sais, c'est qu'on a plus de chances dans la vie, plus de chances de survivre, quand on tolère bien la perte et le deuil et qu'on réussit à ne pas devenir cynique pour autant, quand on parvient à hiérarchiser, à garder la juste mesure des choses, à assembler des éléments disparates pour les intégrer en un tout où le bien a sa place, même si, avouons le, le bien ne se laisse pas trouver facilement. On essaie. On essaie, tous autant que nous sommes. On essaie.
La vie est une forme qu'on nous tend vide. A nous de la remplir de bonheur. (p.336)
Des années plus tard à la fac, j'ai lu que, d'après le grand critique Ruskin, la composition est l'art d'agencer des éléments disparates. Ce qui veut dire que c'est au compositeur de décider ce qui est égal à quoi, ce qui prime et ce qui peut être laissé de côté, pour dégager la voie à l'existence qui fonce comme un bolide.
Si je pouvais faire durer ce moment - perdu dans l'attente excitante d'un voyage agréable, d'un accident fatal, d'un succès hors du commun, d'un échec cuisant -, je le ferais, je ne quitterais jamais cet aéroport, je couperais volontiers tous les autres fils de ma vie, je ne saurais jamais ce qui va suivre, ces choses qu'il faut toujours anticiper, bien que ce soit toujours les mêmes, et le même "vous" qui les attend.
"Nous sommes pour toujours en quête d'absolu que nous ne trouverons pas. On se découvre une soif d'authenticité sans être soi-même authentique. L'amour, en revanche, me semble tout à fait permanent."
"La vie, c'est fait de choses insignifiantes. Il faut s'y accrocher."
Le Manasquan est un bar sommaire, obscur, lambrissé de pin, qui sent le goudron, vraiment l’un de mes endroits préférés avant d’entamer un bref voyage. En tout autre occasion, je n’aurais pas rechigné à m’y trouver. Il y a un long comptoir en teck décoré de motifs marins, et personne ne fait le moindre effort pour s’y montrer amical, bien que les verres soient remplis correctement et coûtent un prix raisonnable pour une région touristique.
Les Américains souffraient de constipation intellectuelle, ils étaient incapables de soutenir une conversation digne de ce nom - et a fortiori de chanter une chanson -, ils ne savaient pas boire, n'avaient pas de second degré et on les entendait rarement rire de bon coeur. Mais ils étaient authentiques et ouverts.
L'humanité ne perd rien lorsqu'un écrivain décide de se taire. Quand un arbre tombe dans la forêt, qui s'en préoccupe sinon les singes ?
Ça fait drôle, quand on y pense : ce conducteur au volant d'une voiture qu'on dépasse sur une route de campagne déserte ; ce voisin de table avec lequel on échange quelques mots au restaurant ; ce client qui arrive devant vous à la réception d'un motel ; cet homme sympathique avec son sourire engageant et ses yeux noisette pétillants qui vous raconte sa vie et cherche à vous plaire... ça fait drôle de penser qu'il se balade avec un pistolet chargé et qu'il est en train de jeter son dévolu sur une banque à braquer.
Les événements qui vous changent une vie ne se présentent pas toujours comme tels.
Il faut savoir s'adapter. Les gens qui ne savent pas le faire ne vont pas loin dans la vie.
Mais on aurait tort de vouloir passer à la trappe des événements même néfastes, car ils sont la seule voie qui nous mène au présent.
Mieux vaux, autant que possible, regarder bien en face ce qui saute aux yeux. En définissant son propre lien à ce que l'on voit, on a toutes les chances de comprendre le monde et d'apprendre à l'accepter.
Les gens le savaient. Ils savaient qu’on n’allait pas rester, alors pourquoi prendre la peine de nous connaître ?