Citations de Robert Neuburger (138)
Le couple, l'enfant, la famille sont des paris sur l'avenir.
Nul ne connaît par avance le destin de ces aventures, sinon qu'elles sont risquées. Et c'est ce risque qui donne du goût à la vie, qui fait oublier que nous sommes mortels. (...)
C'est la nécessité d'un défi vital qui impose ces changements. (...)
Le défi est ce qu'il y a de plus humain, ce qui fait reculer l'idée que notre existence est limitée. Que serait la vie sans défis ?
Rappelons ceci : pour savoir se faire exister, il faut d'abord avoir reçu de l'amour à la naissance et avoir été reconnu, essentiellement par sa famille. Ce capital inestimable fournit une sécurité de base.
Mon sentiment, évidemment assez rapide, est qu'il n'est pas facile d'être heureux quand on a eu des parents qui ne l'étaient pas.
Le mot "crise" n'est pas négatif, il signifie :
"Le passé est mort et le futur n'est pas encore né" (Antonio Gramsci)
Les crises sont engendrées par des changements qui nécessitent une redéfinition des relations entre les humains.
Un des changements les plus importants qui soit intervenu est, à mon sens, la liberté de choix considérable dont dispose actuellement chacun de nous en ce qui concerne ses investissements en matière de couple et de famille.
Quels sont les changements qui permettent d'affirmer ce point ? Ils sont nombreux.
En quelques décennies, notons la moindre dépendance de chacun à sa famille d'origine qui, de ce fait, autorise des choix plus personnels de sa ou son partenaire, également celui de se marier ou non, de créer une famille ou non.
La pression sociale a diminué, le divorce s'est banalisé, donnant la possibilité de rester ou non dans un couple, et ce, sans risquer l'opprobre du contexte social dans lequel chacun vit.
Une tolérance à l'égard de l'homosexualité rend acceptable le choix d'un partenaire du même sexe, voire de la constitution d'une famille homoparentale.
La maîtrise de la fertilité essentiellement par les femmes permet l'exercice de la sexualité sans préoccupation de procréation, donc d'engagement. De même pour la possibilité, certes encadrée, d'obtenir une interruption de grossesse.
Le concept de l'égalité homme/femme autorise des prises d'initiative dans ses choix quel que soit le sexe de la personne, choix également des techniques d'engendrement, la plupart légales dans de nombreux pays, choix majeur également de la formule de vie :
couple sans famille, couple avec famille, famille sans couple ...
Tous ces changements se sont opérés dans le cadre d'une idéologie dominante valorisant l'individu, son autonomie, ses libres choix.
Solliciter une reconnaissance de ses malheurs passés n'est pas une démarche évidente. C'est risquer d'avoir à se justifier et s'exposer au risque de ne pas être cru. C'est pourquoi l'expression de la souffrance et le besoin de reconnaissance passent souvent par l'écriture. Un écrit ne peut être effacé. Les injustices, les humiliations trouvent là un moyen d'expression qui protège contre le scepticisme. C'est la phrase de Primo Levi :«J'écris ce que je ne pourrais dire à personne... » Derrière cette écriture, il y a le besoin d'être cru, d'être reconnu dans son histoire, dans sa souffrance.
Là où l'on ne s'aime plus, germent en effet les paroles perverses. Dans un couple, seul l'amour partagé protège.
Une façon de se donner le sentiment d'exister ou de le réparer est de laisser des traces. Si ce n'est produire une oeuvre d'art, cela peut-être faire un enfant, construire une maison, planter un arbre, laisser une fortune... C'est ce qui explique la prolifération extraordinaire de livres, de mémoires, de blogs, de productions de toutes sortes qui ont comme fonction de nous faire exister dans le regard des autres,de nous donner une place sociale reconnue. Tout création est séparation. Le problème est donc la séparation. Une fois que l'oeuvre est produite, quel qu’elle soit, enfin, livre, tableau, elle ne nous appartiens plus, elle mène une vie autonome...
Tel est le drame du créateur : sa création ne le soulage que temporairement, car elle ne lui est pas destinée. Une fois produite, il n'y a plus qu'à recommencer.
Deux piliers, deux "désirables" rendent donc le couple attirant :
l'amour relationnel, le fait d'une relation amoureuse, mais aussi le besoin d'un autre amour, celui de l'institution couple, la maison-couple.
Le couple est censé combler deux attentes, deux désirs, la relation amoureuse, celle qui nous constitue en tant qu'homme ou femme chacun dans le regard de l'autre, et la relation d'appartenance qui concerne l'ensemble qui réunit deux êtres face au monde extérieur, ce petit monde à deux, cette intimité protégée.
Certains couples sont en conflit du fait de divergences éducatives et en déduisent qu'ils ont un problème de couple alors qu'ils n'ont qu'un problème de parents !
De plus, l'art n'est-il pas essentiellement un art de la séparation ? L'art, c'est ce qui fait signe, et le signe signifie la séparation. Le premier trait sur une toile, la première touche de couleur, la première lettre sur le papier sont des séparations. Que représente créer pour un artiste, sinon séparer, c'est-à-dire tenter l'impossible : représenter la séparation, autrement dit l'irréversible, l'irréparable, l'irrémédiable. Mais toute création échappe à son créateur, s'en sépare, car elle nous est offerte.
Le sentiment d'exister est fragile, car il repose sur une construction qui dépend étroitement des relations avec d'autres qui nous l'accordent ou pas. Comme l'écrit Hannah Arendt, « la dignité est le droit à la vie octroyé par la société ». Cela signifie qu'une société peut refuser ce droit ou le dénier. Ce pouvoir de reconnaissance, donc éventuellement de destruction, est également aux mains de tous ceux que nous aimons et des groupes qui nous acceptent en leur sein ou que nous avons contribué à construire.
Je distinguerai deux situations problématiques, celle où un être humain n'a pas reçu à sa naissance ou dans son enfance ce capital de confiance qui lui est dû, d'être reconnu, identifié, aimé. Puis celle où des événements survenus dans la vie ont pu déstabiliser, remettre en question cette construction personnelle qui est le sentiment d'exister.
Ce n'est pas le but qui confère l'existence, c'est le fait de se sentir exister qui permet d'imaginer que l'existence a un but.
Cette séance m'a permis aussi d'avoir moins peur de la psychanalyse. Je me dis que j'(aurais dû consulter plus tôt, que cela m'aurait sûrement aidée à aller plus vite. Aujourd'hui, je n'en ai plus besoin. Mais la prochaine fois que j'ai un souci ou si je tourne en rond, je n'hésiterai plus. [Sylvia, 42 ans]
Le contraste est impressionnant entre des parents qui semblent être des éducateurs de bonne qualité dans un climat de bonne entente conjugale et la gravité des transgressions de l'adolescent(e).
Comment comprendre ce phénomène de plus en plus répandu et qui pose des problèmes de prise en charge ardus ?
Aujourd'hui, les grossesses sont le plus souvent programmées.
On choisit le moment favorable, lorsque le couple est établi professionnellement et que les conditions de logement s'y prêtent.
Ce sont donc des enfants en principe désirés, mais surtout rationnellement décidés. Cela entraîne comme conséquence logique une responsabilité parentale plus importante que dans le passé, où les enfants en quelque sorte s'imposaient (...) Avoir un enfant aujourd'hui ressemble beaucoup à un processus d'adoption en ce sens qu'il s'agit dans les deux cas d'enfants dont on a décidé de l'arrivée. Cela n'est pas un mal en soi.
Mais parfois l'on observe des difficultés qui auparavant étaient constatées dans certaines familles adoptantes, quand l'adoption se passait mal. (...)
Ce type de relation ressemble plus à ce que l'on peut attendre d'une famille d'accueil que d'une famille. Parmi les conséquences de cette façon d'envisager la relation à l'enfant, l'une est particulièrement dommageable. (...)
Dans ces situations où les familles se comportent comme des familles d'accueil, l'enfant semble un éternel invité, quelqu'un dont on doit prendre soin sans rien attendre en retour.
On assiste à une véritable inversion de la dette transgénérationnelle : ce n'est plus l'enfant qui est redevable, mais les parents qui se sentent en dette vis-à-vis de l'enfant du fait qu'ils ont décidé de sa naissance. L'enfant ainsi traité peut avoir compris que ses parents sont à son service et que la dette à son égard sera éternelle.
Ce qui donne du sens à notre existence, ce sont deux piliers.
D'une part, les relations que nous créons avec d'autres êtres, relations réciproques et de différentes natures : fraternelles, amoureuses, filiales, parentales.
Et d'autre part, des relations d'appartenance, qui sont des supports d'identité. Celles-ci concernent les groupes humains auxquels nous décidons d'appartenir. Cela signifie également un rapport de réciprocité : nous nous sentons reconnus comme appartenant à ces groupes qui deviennent des support d'identité et, en échange, nous contribuons à les faire exister par notre participation. Ces groupes peuvent être de différentes natures : groupes fraternels comme la bande d'amis, groupes familiaux comme ce qui peut être ressenti dans des groupes idéologiques tels une famille politique, religieuse ou sportive.
Enfin le couple et la famille qui comportent certes des relations entre les membres, mais aussi une dimension institutionnelle, support d'identité.
Cette différence majeure a été repérée en premier par Emile Durkheim, qui opposait l'amour relationnel et l'amour de l'appartenance : il disait aimer son épouse car il l'avait choisie, et aimer sa sœur car ils appartenaient à la même famille. (...)
L'enjeu de ces différents types de relations, relations d'être à être et relations à des groupes d'appartenance, est d'être nos supports d'existence. Sans ces derniers, nous sombrons aisément dans ce qu'on appelle aujourd'hui la dépression.
Le pouvoir démocratique, c'est "l'un après l'autre" et non pas "tous ensemble." Je préconise dans ces cas l'alternance : par semaine ou par quinzaine, chaque parent est responsable de toutes les décisions concernant le ou les enfants. Cela ne signifie pas que l'autre soit déchargé de toutes les tâches concernant les enfants, mais qu'il est en "vacance" de décision.
Le plus souvent, nous prenons conscience de ce qu'est le sentiment d'exister lorsque celui-ci vient à manquer. Se sentir exister n'est pas une donnée biologique, c'est une construction.
8. « Les catastrophes qui ont détruit tous les territoires d'intimité nécessitent, pour leur restauration, la participation d'au moins trois générations. La première, nous l'avons vu, permet de restaurer l'intimité personnelle. La deuxième est chargée de constituer les premiers stades d'un intime de couple et d'une intimité familiale. Cette génération, nous l'appelons la génération du silence : ceux qui ont appris à ne pas poser de question. […] Dans un passage très saisissant, Anny Duperey raconte que son fils qui a huit ans, son âge à la mort de ses parents, la voit travailler sur son livre et, alors qu'elle lui parle de son contenu, il a cette réplique : "Il faudrait arrêter d'y penser, maintenant." Il s'agit d'une parole fondatrice qui s'adresse plus à lui-même qu'à sa mère : le mythe d'une famille, c'est la transmission de l'oubli, ou, du moins, la transmission de ce qu'il faut oublier pour la faire exister. […] Cette catastrophe ne peut en aucun cas fonctionner comme mythe constitutif d'une intimité familiale. » (pp. 172-173)
Aujourd'hui le couple est en danger ! A force de non-dits, et parce que la parole ne circule pas, il devient une sorte de partenariat qui met les personnes dans une position fraternelle l'une par rapport à l'autre. Or, s'il y a trop de fraternité, il n'y a plus de sexualité puisque la sexualité naît de l'altérité, et l'altérité s'exprime par le langage.
Dans le hors série du magazine "Psychologies" n°74 de décembre 2022 et janvier 2023
Lorsqu'on touche au désespoir, on n'est pas loin du sublime, qui en est le double caché.