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Critiques de Rosa Montero (441)
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La bonne chance

Avec La bonne chance, Rosa Montero m’a entraîné dans une histoire extraordinairement émouvante et surtout captivante.

Cette autrice espagnole dont le livre a été retenu pour le Prix des Lecteurs des 2 Rives 2022, excelle dans l’art d’intriguer, de garder le mystère jusqu’au bout, attisant ainsi de plus en plus mon impatience.

Pourtant, bien que désireux de savoir, de décrypter ces informations distillées tout au long du roman, je prenais bien le temps d’apprécier, de vibrer, de trembler en lisant La bonne chance.

Tout commence donc dans le train AVE Madrid-Málaga, un TGV qui s’arrête dans toutes les gares… Un homme, près de la fenêtre, est devant son ordinateur mais ne semble pas très concentré. À Cordoue, il descend et fait tout pour revenir à la gare précédente : Pozzonegro où il avait aperçu un panneau « à vendre » accroché au balcon d’un appartement, en face de la gare.

Pozzonegro, « le patelin le plus laid du monde », comme le dit Rosa Montero, rassurez-vous, n’existe pas, c’est précisé en notes de fin d’ouvrage. Ici, c’est une ville minière qui fut prospère mais, depuis la fermeture de la mine, c’est la décrépitude.

Notre homme, Pablo Hernando, achète cash l’appartement à un certain Benito Guttiérez, drôle de bonhomme qui brille ensuite par sa bêtise et sa cupidité. L’appartement est miteux, sale, mal fichu et, quand un train passe, tout tremble et c’est assourdissant. Qu’importe, cet homme attendu à Málaga pour un cycle de conférences, fondateur d’un atelier d’architectes à la renommée internationale, s’y installe.

Débute alors une ronde infernale qui réserve, heureusement quelques respirations salutaires avec Raluca, voisine de Pablo, qui tente de s’occuper de lui. Elle est caissière au supermarché local, le Goliat, et réussit même à le faire embaucher.

Dans cette ronde, j’entends parler de police, d’un certain Marcos dont le nom terrorise Pablo qui va avoir cinquante-cinq ans. Felipe, autre voisin, est sous oxygène. Il fait partie des relations que noue Pablo qui entend, chaque soir, à l’étage au-dessus, des coups, des cris, des pleurs. Quand il tente de savoir ce qui se passe, c’est le silence.

Au Goliat, Raluca s’inquiète parce qu’une superviseuse semble vouloir réorganiser le magasin où Pablo met en rayons jusqu’à une heure tardive.

Dans ce bourg sinistre, en pleine chaleur torride de l’été, peu à peu, Pablo est rattrapé par son passé, par tout ce qu’il tentait d’oublier. Enfant battu par un père alcoolique, il a réussi sa vie d’adulte mais Clara, sa femme, est morte, et leur fils, mystère…

Quant à Raluca, elle a été abandonnée à la naissance puis a été internée en soins psychiatriques avant de mener une vie quasi normale jusqu’à ce qu’elle rencontre Pablo. Femme courageuse et belle, elle ne laisse pas cet homme insensible mais pourquoi a-t-elle de la peine à garder un œil ouvert ?

Au passage, Rosa Montero complète son roman de terribles faits divers démontrant la folie humaine que ce soit des sévices intrafamiliaux ou un massacre aveugle, aux États-Unis par exemple.

J’ai dû aller tout au bout de ce roman social qui flirte avec le thriller pour savoir enfin qui bénéficie de La bonne chance. Rosa Montero, bien traduite par Myriam Chirousse, raconte bien, donne régulièrement la parole à ses personnages, même à l’horrible Benito et j’avoue qu’elle m’a fait vibrer jusqu’au bout.

La bonne chance, finalement, c’est moi qui en ai bénéficié en lisant cet excellent roman !


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La bonne chance

Un homme qui semble de pas être parvenu à un accord avec la vie, un train, un paysage navrant et un narrateur qui nous esquisse cinématographiquement cette désolation avec une économie de détails exquise. Cet homme qui s'appelle Pablo Hernando Berrocal, cinquante-quatre ans, l'architecte de l'intensité, comme l'a baptisé un journaliste dans une phrase qui a fait florès, récompensé par d'innombrables prix internationaux, va descendre à une station erroné, reprendre un bus pour se rendre dans une autre ville, " le Trou du Cul du Monde ", où en une heure et même pas, acheter un petit appartement horrible et délabré en face de la gare à 42000 euros cash et disparaître de sa vie officielle, du moins va tenter. Ceux sont les premières pages, et je dois dire que déjà je crève de plaisir en lisant cette prose et ce sujet qui m'attirent aussi sûrement que le miel les abeilles.



Un livre d'une psychologie dense, où Montero va nous élucider peu à peu, d'une lenteur sadiste 😁, le mystère de cet homme très silencieux, une habitude défensive apprise dans l'enfance afin de survivre. Pourquoi cet homme fuit-il son passé ? Et peut-on jamais fuir son passé, dont on ne peut se débarrasser comme on enlève une veste. Dans ce roman choral, à travers le personnage de Pablo et ceux qui vont entrer dans sa nouvelle vie, l'écrivaine nous met face aux évidences de la Vie, tout ce qu'on accepte comme allant de soi, et en faites en sont bien loin de l'être. Toutes ces choses dont on passe à côté, trop occupé à atteindre un but qui n'en est pas un, et dont on s'en aperçoit trop tard. Des vies construites sur des préjugés nourris par l'apparence , laquelles une fois que la différence entre notre vrai moi et celui de l'apparence n'arrivent plus à cohabiter, ne sont plus gérables. Pablo a toujours eu des facilités à gérer sa Vie du pouvoir, mais dans la vie réelle il est un désastre. Rosa Montero corse l'histoire en y rajoutant des éléments extrêmement dérangeants, Pablo qui collectionne depuis des mois des histoires d'horreur familiales , des néonazis inquiétants, des enfants maltraités, un certain Marcos recherché par la police, un fils mystérieux dont le destin change selon les versions que débite Pablo, des recettes pour survivre à des catastrophes....Bref entre amour, amitié , violence et désespoir, à travers son personnage de Pablo elle nous laisse entrevoir, "la réalité du monde : l'immensité de toute cette souffrance dénuée de sens, cette agitation de fourmis des êtres humains, le vide ténébreux de la vie." Ca a l'air pessimiste, mais c'est sans compter sur le personnage féminin du récit, Raluca qui irradie d'énergie, d'optimisme, de gentillesse et d'amour et illumine l'histoire et la vie de Pablo. Et l'ensemble finit par déboucher sur une situation inattendue, du moins pour moi, et sur une profonde réflexion sur le Mal gratuit. Une réflexion qui me touche personnellement vu que c'est une des rares choses qui m'a toujours fait peur justement à cause de cette combinaison , le Mal, la cruauté faite par pur plaisir sans aucune raison , ni logique, du moins apparente. Un livre bien écrit, une intrigue bien structurée foisonnant de thèmes intéressants accompagnés de riches réflexions sur la Vie, le Mal et le Bien. En un mot, Grandiose ! Première rencontre avec Rosa Montero, et j'en sors subjuguée !



"....il faut apprendre à aimer dans l'enfance, comme on apprend à marcher ou à parler.....des enfants sauvages de l'amour, qui n'ont jamais vu dans leur enfance deux personnes s'aimer...sont incapables de reconnaître l'alphabet amoureux, qui leur est aussi étranger que si les gens parlaient en tagalog."

"Le Mal possède des ressources que le Bien ignore."



Un grand merci aux Éditions Metailié et NetGalleyFrance pour l'envoie de ce livre.

#LaBonneChance #NetGalleyFrance

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La bonne chance

Un homme parti en train de Madrid vers Málaga descend en gare de Cordoue, repart pour la station précédente de Pozzonegro, en autocar cette fois, car il veut y arriver vite et ne peut se permettre d'attendre le train du lendemain. Arrivé dans le village, il appelle aussitôt le numéro indiqué sur le panneau de vente d'un appartement situé près de la voie ferrée pour l'acheter comptant. Or Pozzonegro, un ancien centre minier à l'agonie, en dehors du supermarché de la chaîne Goliat à l'entrée du village et la station-service qui se trouve à côté est « déprimant, sombre, indéfini, sale, en demande urgente d'une couche de peinture et d'espoir ».

Qu'est-ce qui peut pousser cet homme qui pourrait être séduisant mais dont on dirait qu'il n'est pas parvenu à un accord avec la vie, un accord avec lui-même, à descendre du train à l'improviste et à se cacher dans ce patelin qui pourrait être le plus laid du pays ? Que ou qui fuit-il ?

Nous apprendrons que cet homme se prénomme Pablo Hernando, est un architecte renommé, et qui, s'il pouvait, formaterait sa mémoire et recommencerait à zéro.

Il pense pouvoir se couper du monde et se terrer dans cette petite localité au passé minier, cet appartement devenu sa tanière. Mais ses quatre associés inquiets préviennent la police ; celle-ci le localisera bien vite étant donné qu'elle le surveille depuis l'évasion de prison d'un certain Marcos Soto, l'inspecteur en chef demandant d'ailleurs à son second, « s'il ne trouve pas cela bizarre que ce dénommé Pablo Hernando soit parti vivre tout à coup, à… à… dans ce patelin de merde, en laissant tout, peu après que Marcos s'est enfui ».

Mais qui est donc ce Marcos, quel lien a-t-il avec Pablo, quels secrets porte-t-il ?

Obligé de sortir pour faire quelques provisions, Pablo va alors croiser sa voisine d'immeuble, Raluca, une jeune femme énergique, généreuse, un peu cabossée par la vie mais tellement solaire.

C'est elle qui va le prendre sous son aile et le ramener peu à peu à la vie, bien que ce ne soit pas gagné d'avance.

Cet homme dont le chagrin est immense n'hésite pas à s'inventer des vies pour donner le change, pour fuir ses responsabilités. Peur, culpabilité et honte lui deviennent insupportables. Mais Raluca par sa simplicité, sa spontanéité réussit à lever les doutes et les hésitations qui l'obsèdent.

J'ai particulièrement apprécié comment, à chaque fois que Pablo est saisi par la panique, il réussit, en se souvenant de notions de survie, de conseils pittoresques qui peuvent sauver des catastrophes, à affronter le danger.

J'ai trouvé également très intéressante la description des différents styles d'architecture que Pablo réalise et d'apprendre que Rosa Montero a emprunté ces éléments à différents architectes qu'elle cite en fin d'ouvrage.

Un peu d'humour se mêle à la gravité du propos lorsque Pablo qui se désespère de ne pouvoir aimer, se sentant incapable de reconnaître l'alphabet amoureux, persuadé qu'il faut apprendre à aimer dans l'enfance comme on apprend à marcher ou à parler. « En résumé : Pablo ne sait pas le tagalog. Et il ne se croit pas capable de pouvoir l'apprendre ». le tagalog étant une variété linguistique du rameau des langues philippines dans laquelle se trouve « une débauche de g » !

Un des signes de sa transformation et de son retour à la vie est manifeste lorsqu'il découvre au milieu de vieux livres anciens un manuel de tagalog pour débutants et qu'il se décide à en apprendre un peu à ses heures perdues !

L'auteure sait magnifiquement restituer l'ambiance sombre de cette ville, aujourd'hui désertée et agonisante, les infrastructures abandonnées, où tentent de s'accrocher encore, et de survivre, quelques familles, dans des maisons miteuses ou des blocs d'appartements de quatre ou cinq étages misérables, avec en toile de fond, ces trains qui grondent la nuit, véritables ouragans métalliques. C'est également le monde du travail et les grands magasins sans oublier cette chaleur écrasante que l'auteure peint avec brio.

C'est au coeur de ce décor que des sentiments aussi divers que contradictoires vont se révéler. La gentillesse côtoie la méchanceté, comme la bonté, la méchanceté, ou encore l'amour, la haine ; un roman qui parle du Bien et du Mal, qui montre qu'un homme à terre peut retrouver le goût de vivre un roman où l'amour et l'espoir sortent vainqueurs !

La bonne chance, de Rosa Montero est à la fois une sorte de fable, un thriller psychologique avec un suspense maintenu jusqu'au bout, un roman social, un splendide roman d'amour et surtout une ode à la vie. Elle nous rappelle que la vie peut être belle, pas complètement belle, certes, mais c'est la Vie, et avant tout un cadeau !

La bonne chance était le premier roman que je lisais de Rosa Montero. J'ai été conquise et subjuguée par l'écriture de cette auteure. Une belle découverte, et ce, grâce à ma médiathèque attitrée qui a proposé cet ouvrage pour le Prix des lecteurs des 2 Rives 2022 qu'elle organise chaque année.


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Le danger de ne pas être folle

Dans cet “artefact littéraire ", une oeuvre à mi-chemin entre l'essai, l'autobiographie, la biographie et la fiction., Montero entre en trombe dans le vif du sujet , « La vie est une réécriture constante de l'hier….. Une des choses bien que j'ai découvertes avec les années, c'est qu'être bizarre n'est pas du tout bizarre, contrairement à ce que le mot semble indiquer. En fait, ce qui est véritablement bizarre, c'est d'être normal. »

“Take a walk on the wild side “ chante Lou Reed, qui reçu des électrochocs dans son adolescence ; un petit tour du côté sauvage peut aussi avoir des avantages comme devenir plus emphatique et plus sage, nous dit Montero qui a déjà fait l'aller-retour 😊.

Certaines de ses affirmations pour qui s'est déjà intéressé au sujet des maladies mentales et psychiques ne sont pas nouvelles, mais la façon qu'elle les déploie dans le texte à partir de sa propre expérience est intéressante. Ici le coeur de son débat étant le duo, la création et la folie, les neurosciences de la création littéraire, dont elle en est la protagoniste. Elle s'y fait accompagner des grands noms de la Littérature, Virginia Woolf, Tove Ditlevsen , Clarice Lispector, Sylvia Plath, Janet Frame….En faites « folie » est employée ici dans un sens générique, se référant à tout les troubles du corps, de l'esprit et de l'âme perturbant nos vies, dont les origines sont souvent liées à une naissance ou enfance traumatiques, comme venir au monde en trainant le fantôme d'un proche décédé , souvent un frère.

On peut se retrouver dans certains des cas que déploie ici Montero, à travers nos multiples identités reconnues ou non, selon notre niveau de conscience qui dans les cas extrêmes touchent même à l'imposture, la dualité qui se manifeste quand on veut se préserver de soi-même et d'autres cas moins graves 😊, où même moi je me reconnais facilement 😁 « Quand je me sens en grande confiance avec quelqu'un, assez pour être vraiment à l'aise, je suis parfois en train de raconter quelque chose et soudain je me tais pour toujours au beau milieu, embarquée mentalement dans quelque idée parallèle que mes paroles ont allumée (je faisais ça souvent à Pablo, mon mari, et le pauvre s'énervait comme un beau diable 😊). »

La Montera remonte la barre avec sa propre histoire de victime d'imposture. Vérité ou fiction ? Difficile de le savoir 😊, mais en tout cas l'histoire est hallucinante. Elle y parsème les aventures rocambolesques de son imagination, là je reste encore plus perplexe 😊, appartiennent-elles vraiment à son imagination ou est-ce de la pure invention pour renforcer le côté fiction de ce livre ?….Et aussi un clin d'oeil à son dernier roman La bonne chance, décidément elle les emboîte sans trêve comme des poupées russes, sans manquer d'humour 😊, “Comme je ne fais aucune confiance à la réalité et que je considère que le monde est un leurre, j'aime jouer dans mes romans avec l'ambiguïté, avec les limites glissantes entre le vrai et l'imaginaire, avec les strates d'ombres qui nous entourent.”! J'ai aussi apprécié son style particulier où elle s'adresse directement au lecteur, mettant en valeur qu'effectivement elle écrie pour un public , la reconnaissance étant essentielle pour sa survie et de tout ceux et celles qui écrivent , ce qu'elle déclame tout au long du livre.

Bref un « artefact littéraire » intéressant qui certifie que la créativité va de paire avec des troubles psychiques et l'usage de divers psychotropes, alcools et drogues, l'histoire de la grande romancière Janet Frame en étant un exemple édifiant …et la morale qui en découle fait sourire 😊 : ÊTRE SAINT D'ESPRIT EST DANGEREUX ! , titre de la version originale, inspiré d'un vers d'un poème de la grande poétesse Emily Dickinson elle aussi sujette aux qualifications de Montero :



I think I was enchanted (…)

The Dark—felt beautiful(…)

'Twas a Divine Insanity—

The Danger to be Sane

Should I again experience—

Tis Antidote to turn

To Tomes of solid Witchcraft….



Un livre que je conseille absolument !





« Écrire est une forme de survie . »

« Après avoir vu avec quelle lucidité et quelle cohérence logique certains fous justifient, à leurs propres yeux et à ceux des autres, leurs idées délirantes, j'ai perdu à jamais la pleine confiance dans la lucidité de ma lucidité. »

Fernando Pessoa



« “Je m'aventure à conjecturer qu'un jour viendra où l'on saura que l'homme est une simple société dont les multiples habitants sont indépendants et incompatibles entre eux.”

Dr Jekill



Un grand merci aux éditions Metaillé et NetGalleyFrance pour l’envoie du livre !

#LeDangerdenepasêtrefolle #NetGalleyFrance









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L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir

Avec L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir, Rosa Montero a-t-elle conscience d'avoir atteint un sommet. Et Piatka, qui m'a fait découvrir cet auteure et ce livre, sait-elle ce que je lui dois ?



Par où commencer et où s'arrêter dans son commentaire pour justement rendre compte de cette lecture ?

Je me garde quelques pages finales à lire pour être sûr de ne pas me laisser gagner par la tentation de tout dévoiler au lecteur, et, d'ailleurs, comment le pourrais-je, quand je vois l'infinité d'interrogations et de conclusions qui naissent sous la plume de Rosa Montero au fil du récit. Prenez ce livre, toutes affaires cessantes, il est d'une richesse, qui ne peut que venir grossir le fleuve des rencontres les plus marquantes que l'on puisse imaginer entre gens de lettres et lecteurs.



Le premier chapitre, L'art de dissimuler la douleur, plante le décor à l'aide de faits, de constats, de questions, de certitudes et de doutes, toutes choses différemment et "mêmement" éprouvées, qui jalonnent les parcours de vie rapprochés et comparés de l'auteure et de la très célèbre savante Marie Curie (1867-1934). C'est l'occasion pour l'auteure de se livrer à une réflexion sur les rapports qu'entretiennent en nous les phénomènes de la vie et de la mort. Premier constat : les naissances et les morts, ces deux bornes, font rupture dans la vie de ceux qui en sont témoins, et donc dans le fil continu du temps. Chacun est unique, et Marie Sklodowska le fut excellemment et simplement aussi, avec ses deux Prix Nobel, un en physique et un en chimie, excellemment car elle fut et est encore la seule femme (44 Prix Nobel pour les femmes toutes matières confondues contre 786 pour les hommes jusqu'en 2011) et surtout la seule personne à en avoir reçu deux dans des disciplines scientifiques différentes, et simplement parce qu'elle parvint à cette consécration par ses seules forces, puisées en elle-même et dans la relation qui l'unit à peine plus de douze ans à Pierre Curie (1859-1906). A quoi donc ces deux-là attachèrent-ils leurs noms ? A la radioactivité pour ce qu'elle peut de bien et ce qu'elle fait de mal dans leurs vies d'abord et dans les nôtres depuis. Pressentaient-ils ces effets ? Savaient-ils ce qu'ils faisaient et ce que cela entraînerait. Que ce soit oui ou non, tout cela est le fruit de notre temps. Passons par-dessus le cas des femmes qui auraient pu engranger des Prix Nobel et qui se firent voler le résultat de leurs travaux par des hommes - bien que tout cela ne soit pas anodin ! : Lise Meitner, Rosalind Franklin, Jocelyn Bell -, et venons-en à ce qui sert de point de départ au livre de Rosa Montero, le projet de préface au Journal de Marie Curie. La lecture de ce dernier l'a entraînée bien plus loin, et nous avec elle, grâce a cela. Un journal personnel qui a directement à voir avec l'accident mortel de Pierre, qu'une voiture à cheval a renversé dans Paris en 1906. Rosa Montero s'appuie sur ce texte et des biographies de Marie, mais elle sent la nécessité de relier celles-ci à autre chose, de les mettre au service d'une histoire où sera explorée la place de la femme dans la société. Première femme à être honorée par le Nobel puis doublement, Marie Curie-Sklodowska avait d'abord ouvert la voie en étant la première femme diplômée en sciences à la Sorbonne et la première à occuper une chaire. Et la première aussi à se faire une place au Panthéon, parmi les Grands Hommes, rejointe depuis par quelques autres femmes qui furent elles aussi remarquables dans leurs vies et leurs engagements.



Dans le chapitre : L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir, Rosa Montero explore le territoire de l'après-disparition et de l'absence, temps du "retenir" et de la sidération. Pierre est parti, à jamais, et Marie s'enferme dans le silence. Mutisme presque complet. Que se passe-t-il et que cache ce refus de parler ? Un abasourdissement ? "Plus jamais", deux mots inconcevables, qui vous mettent à la torture. Mais non, c'est une illusion. Il va revenir, il est là. Ne croit-on pas les voir ces morts, ces "vivants" qui nous sont chers et indispensables ? Et comme Marie-Madeleine et Marie, mère de Jésus, qui s'en vont au tombeau soigner le corps du crucifié (la pierre n'était-elle pas roulée ? L'a-t-on déplacée pour leur permettre d'entrer ?), une autre Marie utilise un mouchoir en pensant soigner le visage meurtri et ensanglanté de Pierre. Que signifie ce geste de soignante ? Pierre n'est-il pas censé être mort ? Il faut l'insistance de la sœur de Marie, Bronya, pour que la veuve accepte de brûler les vêtements du défunt, récupérés le jour de l'accident. Comme nous n'acceptons pas que l'être que nous voulons serrer dans nos bras s'en aille, notre société voudrait oublier la mort, la cacher, la taire. Et pourtant, elle est là !!! Nous la tolérons si peu que nous prenons le deuil comme si nous tombions malades. "Parce que ça se dit précisément comme ça, écrit fort justement Rosa Montero : Untel ne s'est pas encore rétabli de la mort d'Unetelle". Et d'ajouter, tout aussi finement : "La vie se fraie un chemin avec la même opiniâtreté qu'une plante minuscule capable de fendre un sol en béton pour sortir sa tête. Mais en même temps, la peine suit aussi son cours. Et c'est ce que notre société ne gère pas bien : aussitôt nous cachons ou nous interdisons tacitement la souffrance". Dans cet océan de douleur, Marie a dû chercher sa planche de salut et l'a peut-être trouvée grâce à la tenue de son Journal intime, et ce fut pour elle le meilleur moyen de faire son deuil, même si elle ne réussit jamais à le faire complètement. Au moins trouva-t-elle avec la page blanche un moyen de continuer le dialogue avec le défunt, et un autre dans l'œuvre scientifique poursuivie. Tout prit alors d'autres couleurs pour elle, et la mémoire de Pierre et des années passées avec lui furent ainsi embellies. Et Rosa Montero d'écrire : "Nous avons tous besoin de beauté pour que la vie soit supportable. Fernando Pessoa l'a très bien exprimé : "La Littérature, comme toute forme d'art, est l'aveu que la vie ne suffit pas"."



Dans le chapitre : Une petite étudiante polonaise bien sage, visite et interroge le passé de Marie (Manya) Sklodowska, et part pour cela de son apparence physique connue, au travers des photos où nous la voyons apparaître, en notant tout de suite qu'elle a l'air toujours grave sur tous les clichés. "Ce qui prédomine dans ses portraits, écrit Rosa Montero, c'est un front volontaire, des sourcils froncés, une bouche serrée par l'effort". Au total, on lui voit une morphologie à laquelle elle va infliger pendant des années, de par son travail, des radiations qui vont la miner mais qu'elle tentera de supporter stoïquement. On parle aussi de sa frugalité, de son mauvais régime alimentaire. Légende ? Non, cela est réel. Faut-il parler d'anorexie ou de mœurs de jeune fille sportive qui souhaita, devenue femme et mère, la même chose pour ses filles ? N'oublions pas non plus qu'avant de rencontrer Pierre, elle a vécu dans le dénuement et qu'elle a connu les vaches maigres. Que peut-on dire de la partie polonaise de l'existence de Marie ? Qu'elle traversa des moments de privation, fort difficiles, dans une patrie éclatée en morceaux par les ennemis héréditaires, Russes, Autrichiens et Prussiens. Sa mère mourut de la tuberculose lorsqu'elle avait onze ans. En tirera-t-elle la leçon qu'il faut tout faire pour préserver les "siens" des maux destructeurs ? Quand elle se saura malade, atteinte par les effets de la radioactivité, elle s'efforcera, trait caractéristique mais révélateur de souffrance partagée, de ne plus toucher ses filles, qui ne comprendront pas immédiatement ou peut-être jamais. Mais si l'on évite les contacts qui peuvent faire des dégâts chez les vivants lorsqu'on est atteint d'un mal, ou que l'on va l'être, on redouble ceux qui nous relient à nos parents après leur décès. Marie honora sa mère défunte en faisant la carrière que celle-ci n'avait pas pu faire (le sacrifice des femmes mesurable dans le temps, dans les choix durables, dans les gestes du quotidien !) et elle honora son père, qui ne sut pas reconnaître ce geste à sa juste valeur, en s'occupant elle aussi de physique. Elle met tout au service de cette ambition, et renonce aux frivolités et en n'accordant qu'une place très réduite à son apparence. Elle le portait aussi physiquement, comme on l'a noté, et comme le remarquera Einstein, qui ne craindra pas de parler de froideur. Toujours ce masque qui, en réalité, cache beaucoup de sensibilité. Et dans ce personnage sévère qu'elle se compose, et que d'autres femmes qui chercheront à se faire connaître par leur savoir, sculpteront à leur tour, comment éviter le piège de la ressemblance avec un homme ?



Question à laquelle Rosa Montero apporte peut-être un début de réponse dans le chapitre qui suit : Des oiseaux aux ventres palpitants. On y voit Marya Sklodowska adhérer aux idées d'Auguste Comte qui, comme l'écrit Rosa Montero "s'écartait de la religion et consacrait la science comme voie unique pour connaître la réalité et améliorer le monde" (rêve utopique). Mais cela donne des ailes à Marie, qui a de l'ambition. Elle se donne le droit, bravant les interdits et les schémas tout faits, d'être ambitieuse comme un homme peut être ambitieux. Pour les autres, à l'époque, ce n'était "pas naturel", ce n'était pas le rôle d'une femme, qui devait laisser ce rôle aux hommes et se sacrifier pour leur succès et le bonheur familial (homme et enfants compris). Manya a bien failli tomber elle-même dans ce panneau en devenant amoureuse d'un homme pour la première fois de sa vie. L'heureux élu se nommait Casimir Zorawski, et il était étudiant en mathématiques à Varsovie. Marya était institutrice et prenait des risques en donnant des cours de lecture et d'écriture aux paysans (ce qui était alors interdit et sanctionné par une peine de prison qu'heureusement la jeune fille ne connut pas). Très - ou trop - beau, Casimir, était-ce possible avec une jeune fille aussi sérieuse que Manya, faillit bien réussir à détourner la future Marie Curie du noble travail de l'esprit et de sa destinée, n'eût été l'opposition catégorique des parents du jeune homme au projet que ce dernier formait de convoler en justes noces avec elle. Casimir se plie aux volontés de ses parents, et c'est la déception et le désenchantement pour Marya, qui semblait rongée par la passion, une fois n'est pas coutume. Manque de chance et véritable torture : Manya continuera à travailler pour cette famille en étant la préceptrice des autres enfants des Zorawski. Elle se sait "faible" alors notre Marya : comme elle aimerait ne se consacrer qu'à la science et être plus forte ; aura-t-elle jamais raison de cette fragilité (si c'en est une) ? Elle est alors victime d'une "véhémence dans l'autoflagellation", note Rosa Montero. Les dégâts provoqués par un échec amoureux nous font remettre en question beaucoup de choses et nous rendent excessifs dans la réaction.



C'est sur une note différente que commence le chapitre suivant : Le feu domestique de la sueur et de la fièvre. "L'enfance est un lieu auquel on ne retourne pas, mais qu'en réalité on ne quitte jamais", écrit Rosa Montero, qui ajoute : "Ce que nous sommes aujourd'hui plonge ses racines dans le passé". Qui ne souscrirait à cela, à ces accents de la vraie nostalgie venue de loin, du paradis perdu de notre enfance, que ce souvenir soit "paradisiaque" ou "infernal". Et tout regret se nourrit du souvenir de ce loitain rivage jamais retrouvé et pourtant jamais quitté. A quel souvenir d'enfance, de bonheur fugace, renvoyait chez Marie le souvenir idyllique de ce week-end avec Pierre à Saint-Rémy-lès-Chevreuse, peu avant l'accident qui ôta la vie à son mari ? Mais si les contes des Mille et une Nuits sont un jeu avec la Parque, le silence peut être une façon de s'éviter de raviver la blessure. Car c'est bien par peur de souffrir que Marie interdit à ses filles de parler de leur père défunt. Mais, quoi que l'on fasse, ils sont marqués ces visages de la veuve et des orphelines de père sur cette photo de famille que décrit Rosa Montero et qui a été prise deux ans après le départ de Pierre pour l'autre monde. Et, volonté consciente ou pas, l'une des filles, celle qui est la plus instruite des deux, Irène, est mise dans l'obligation de marcher sur les traces de son père pour obéir à ce que souhaite sa mère. Et Irène occupera en effet la place que l'on a voulu lui assigner. L'occasion pour Rosa Montero de souligner qu'elles sont complexes et néanmoins fort belles les relations qui se tissent entre parents et enfants. Des parents qui voudraient, quoi qu'ils s'en défendent, tel avenir pour leurs enfants et qui donneraient leur vie, leur sang pour cela. Et des enfants qui mettent leurs parents si haut qu'ils ne peuvent un jour qu'être déçus de ne pas les voir habiter sur ces sommets de la divinité où ils pensaient les trouver dans la réalité, dans la confusion qui était la leur de l'imaginaire et du réel. Et des adultes enfin qui réinventent leur vie, comme des enfants, quand le destin l'a brisée. Car devenir veuf ou veuve est l'occasion, souvent (mais pas toujours) d'embellir la relation interrompue, le rapport que l'on a eu avec le conjoint défunt, en lui donnant les couleurs du mythe, quand bien le chemin n'était pas toujours semé de roses sans épines du vivant du cher disparu.



Nous voici au chapitre intitulé : Éloge des gens bizarres. Marya arrive à Paris et fait connaissance avec Pierre en 1894. Elle a vingt-sept ans. Quelque chose se passe dès les premiers regards échangés, dès la première conversation, par l'entremise d'un Polonais. "Quand j'entrai, consigne Marie dans son Journal, Pierre Curie se trouvait dans l'embrasure d'une porte-fenêtre donnant sur un balcon. Il me parut très jeune, bien qu'il fût alors âgé de trente-cinq ans. J'ai été frappée par l'expression de son regard clair et par une légère apparence d'abandon dans sa haute stature". Enfant, il a d'abord été, semble-t-il, dyslexique, comme le furent Einstein et Rutherford. Un tuteur s'occupe de son éducation jusqu'à ses seize ans. Il s'adonne à la recherche scientifique et se fait inventeur avec son frère, mais il redoute encore d'aller jusqu'au doctorat, mais cela va changer au contact de Marie. C'est peu de dire qu'il a eu le coup de foudre : il sait, par intuition, que son avenir est avec Marie. "Ce serait une belle chose, écrit-il dans une lettre à Marie, que de passer la vie l'un près de l'autre, hypnotisés dans nos rêves". "Façon géniale de lui proposer une vie à deux", commente Rosa Montero. Marie ne paye pas immédiatement cet amour de retour. Mais elle ne va cependant pas résister bien longtemps. Ils allaient si bien ensemble, ces deux rêveurs, ces deux idéalistes. Certes, elle semblait être rigide et austère et tendait sa volonté comme un arc en tirant toutes ses flèches au service de la recherche. Mais, nous l'avons vu, c'est une carapace sous laquelle elle cache une profonde sensibilité. Avec le temps, l'armure se fend, et elle apprend, et se met à vivre et à aimer, tous les petits plaisirs lui paraissant être des cadeaux du ciel et des effets de la grâce. Même si cela ne se devine pas au premier abord, il y a bien chez elle, Rosa Montero est en certaine, une sensitive sensuelle. Pierre disparu, saura-t-elle se ressourcer à ces souvenirs ? Elle ne craint rien tant que la trahison de la mémoire, qui n'est jamais très fidèle lorsqu'on la convoque - ou quand on oublie de la solliciter sérieusement. Et pourtant, il suffit d'un lieu, d'un détail, d'un objet et... Boum ! "La bombe du souvenir explose dans votre tête", conclut dans ce chapitre Rosa Montero.



Radioactivité et confitures, tel est le titre du passage suivant. Et 1895 est une année pas comme les autres, car Pierre et Marie se marient civilement en juillet. Pierre a fait le bon choix : avec Marie pour épouse, il partage le même goût pour la science, et sait qu'il n'aura pas à renoncer pour elle à son travail scientifique. C'est le miracle de l'harmonie qui se produit, et celui de l'égalité dans cette vie vouée à la recherche. 1895 est aussi l'année où Wilhelm Rontgen découvre fortuitement les rayons x et radiographie la main de son épouse. Et l'année suivante, Becquerel fait le constat que les sels d'uranium projettent des radiations invisibles. Ces deux découvertes vont orienter les recherches de Marie qui ne chôme pas à ce moment-là, car Pierre et Marie partagent tout, hormis les tâches domestiques, qui restent essentiellement féminines. Il n'y a donc pas de mari parfait. Ajoutons que, par souci d'économie, le couple s'interdit toute aide extérieure. Marie s'occupe de tout, avec abnégation. Elle est sur tous les fronts, et elle fait front. Et si, comme si cela ne suffisait pas, la voici enceinte d'Irene en 1897. Par chance pour Marie, son beau-père, devenu veuf, aida sa bru à s'occuper d'Irène. Du coup, Marie peut préparer soigneusement son doctorat. Si, comme le père de Manya le prétendait, Marie manquait d'équilibre, on veut bien être tous comme elle, et cumuler les déséquilibres, tant Marie nous paraît être forte.



Dans La sorcière au chaudron, on voit Marie étudier le degré de conductivité électrique de l'air, et Pierre se mettre sur le coup et lui prêter main forte. Trop accaparée par ses travaux et sa manipulation de la pechblende, minerai qui nous semble tout droit sorti d'un atelier d'alchimiste, elle ne mange que fort peu. Et la voici qui extrait le radium, sans bien le comprendre au début. Le couple ne saura qu'il a réussi à l'isoler qu'en 1902. C'est le polonium qui est d'abord identifié. Tout cela est bien sûr largement plus radioactif que l'uranium. Mais les Curie n'y prêtent pas attention et font leur première communication à l'Academie des Sciences le 26 décembre 1898. Immédiatement, on se mit à chercher des applications possibles dans le monde médical. De nos jours, on a, en médecine, la radiothérapie pour traiter les cancers, mais le cobalt a maintenant remplacé le radium. Cependant, ce dernier servit d'abord à tout, par exemple en cosmétique. Comme si le radium avait des vertus sanitaires. Avant le radium, d'autres produits dangereux avaient aussi été utilisés par les femmes pour se rendre belles, et ce fut le cas du sulfure de mercure, du sulfure de plomb et de la chaux vive, que l'on utilisa pour les poudres à joue et les rouges à lèvres. Et vint le radium, que l'on allait utiliser partout et pour tout, avant que le pétrole ne vienne le supplanter, même si c'était en faible quantité. Et heureusement qu'il était coûteux d'utilisation, car on imagine le résultat si tel n'avait pas été le cas. Mais l'on fit ainsi pendant plus de trente ans, avant qu'un charlatan ne prescrivît, en 1925, une potion douteuse, le Radithor qui envoya ad patres un champion de golf millionnaire, Ében Byers, qui avait englouti des litres de ce breuvage. L'événement fit grand bruit et porta un rude coup à l'industrie qui faisait usage du radium dans nombre de produits commercialisés, tels des vêtements pour bébés et pour enfants. Mais l'on n'en était pas encore là, et c'est à son risque seul - un risque permanent et qui sera toujours menaçant - qu'en 1902, Marie parvint à mesurer la masse du radium. Son père mourut peu après, sans savoir que sa fille allait acquérir la célébrité avec cette découverte dont il mesura mal l'intérêt sur le moment. "Quel dommage que ce travail ne présente qu'un intérêt théorique", avait-il déclaré en mauvais prophète.



Après son père, Marie a donc perdu son époux. Pierre est mort le 19 avril 1906. Il avait 47 ans et elle 38. Ils vivaient ensemble depuis onze ans et, bien sûr, elle n'avait pas vu venir cet événement. L'inhumation de la victime renversée en plein Paris par une voiture hippomobile est relatée dans un quotidien où l'on dépeint une Marie Curie au "regard constamment fixe et dur". Ici, c'est pour Rosa Montero le moment de réfléchir sur ce point : l'ignorance de ce qui va venir, de
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L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir

Coup de coeur et - chez moi c'est souvent lié - coup au coeur. Rien que le titre... On y ressent toute l'incrédulité, le déni, la détresse face à la mort de l'être aimé.

En l'occurrence, le point de départ de ce livre est la réédition du journal de Marie Curie, qu'elle a tenu après la mort de son époux, Pierre Curie. L'éditrice de Rosa Montero lui a demandé d'en écrire la préface, dans un moment où celle-ci ne s'était pas encore remise du décès de son mari après une longue maladie. Rosa Montero, plongée dans cette douleur depuis quatre ans, n'arrive plus à écrire. Mais le journal de Marie Curie, d'effet miroir en coïncidences, va l'entraîner dans un flot d'émotions et d'interrogations sur la mort et le deuil mais aussi l'amour, la vie, la culpabilité, le devoir, la science, les relations hommes-femmes, le pouvoir des mots et de l'imagination. Elle reprend alors la plume et retrace le parcours hors du commun de Marie Curie, une femme brillante et courageuse, souvent bridée par le sexisme de son époque. Elle raconte son amour indéfectible pour Pierre, qui le lui rend bien, et du deuil insurmontable qui la frappe quand celui-ci meurt absurdement, renversé par une carriole. Mais ce livre est bien plus qu'une biographie, parce que Rosa Montero nous parle aussi de sa propre histoire, de la perte terrible qu'elle subit à la mort de Pablo, de ses propres étapes de deuil (qui ne correspondent pas forcément à celles que ses amis ou les bouquins de développement personnel expliquent en théorie), des souvenirs qui ne s'effacent jamais mais qui, avec le temps, font doucement une place à la légèreté, à la joie de vivre, même si "dans ma tête, il est tout entier".

Dans ce parallélisme entre les deuils subis par Rosa Montero et Marie Curie, ce livre vogue donc entre les souvenirs personnels de la première et la biographie d'une scientifique exceptionnelle. Loin de larmoyer sur son sort, l'auteure ne reste pas coincée dans sa douleur, elle avance, désormais bien consciente de la mortalité de l'être humain et de la brièveté de la vie dont, par conséquent, il faut s'efforcer de jouir avant qu'il soit trop tard.

Ce livre génial, bourré de réflexions magnifiques sur la vie, la place des femmes, la douleur, respire l'authenticité : dans son propos, Rosa Montero est désarmante de simplicité, de sincérité, de fougue et de tendresse. Pour elle, l'écriture est vitale : "un satané enfer, parce qu'en perdant l'écriture, j'avais perdu le lien avec la vie". Ou encore : "Pour vivre, nous devons nous raconter. Nous sommes un produit de notre imagination". Quand un écrivain (se) raconte avec une écriture qui vient du coeur, moi c'est là que ça me touche.
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Des larmes sous la pluie

Cesser de se rappeler détruit le monde !



Un polar espagnol version science-fiction par une auteure de littérature blanche et de littérature noire…Une histoire d'humanoïdes prétexte à de profondes questions philosophiques. Une réussite !



Cela fait un moment que je souhaite découvrir Rosa Montero. La littérature espagnole, que je connais très mal, m'a apporté ces derniers mois de belles surprises (avec notamment l'incroyable Sud d'Antonio Soler, gros coup de coeur l'an passé). Parmi ses livres, souvent édités aux superbes éditions Métailié, j'hésitais entre « La bonne chance » publié en 2020 dont j'avais lu de belles critiques, le tout récent « L'inconnue du port », l'énigmatique « La fille du cannibale », le médiéval « le roi transparent ». Entre autres. Lorsque j'ai découvert que l'auteure avait développé un polar dans une trilogie de science-fiction inspirée de Philip K. Dick, le choix a été rapide, la curiosité piquée. Cette auteure semble savoir se renouveler constamment tant ses livres abordent des littératures très diverses. Bien m'en a pris, ce premier tome publié en 2011, « Des larmes sous la pluie », s'avère être un roman prenant, riche, déstabilisant et intelligent en terme scénaristique. Il mêle subtilement l'ambiance polar avec une vision futuriste inspirée de Blade Runner qui devrait plaire même aux lecteurs non férus de SF tant les questions soulevées nous font écho et tant cet avenir imaginé est troublant de réalisme.



Un réalisme intelligent servi par de nombreux détails passionnants, parfois glaçants, qui rendent le futur proposé par l'auteure totalement crédible et vertigineux ! Plantons donc le décor avant de raconter l'histoire. 2109. le réchauffement climatique a modifié considérablement nos conditions de vie. L'air non pollué est devenu payant (les pauvres sont relégués dans de terribles ghettos pollués), les villes côtières enfouies sous les eaux font l'objet d'un tourisme d'un genre particulier : le « tourisme humide » permettant aux personnes de visiter dans des bulles subaquatiques des villes comme Manhattan, Amsterdam, Venise, qui n'existent plus. L'eau douce est un luxe et les douches sont essentiellement des douches de vapeur. Dans les villes, la végétation n'existe plus mis à part quelques arbres artificiels regroupés dans des parcs appelés « parcs-poumons ». de nombreuses espèces animales ont disparu de sorte que la viande est remplacée par un ersatz. La finitude des ressources a trouvé sa solution via l'exploitation d'espaces extraterrestres, l'homme a d'ailleurs découvert également des peuples extra-terrestres.

Quant aux innovations technologiques elles sont nombreuses sans être omniprésentes et complexes. Elles sont même présentées avec un certain humour éloignant le récit définitivement d'une hard SF austère, comme par exemple la téléportation :



« Tout organisme téléporté subit une altération atomique : le sujet qui est reconstruit à destination n'est pas exactement le même que je sujet d'origine. En général, ces mutations sont minimes, subatomiques et inappréciables. Mais un nombre significatif de fois, les changements sont importants et dangereux : un oeil qui se déplace sur la joue, un poumon défectueux, des mains sans doigts et même des crânes dépourvus de cerveau ».



Des conditions de vie changées mais une mentalité qui n'a, hélas, guère évolué. le racisme est toujours présent et s'exprime désormais contre les réplicants, des techno-humains, des androïdes dont la principale mission est de prendre en charge les tâches qui ne sont plus réalisés par les humains : ils sont ainsi exploités dans les dures conditions atmosphériques des mines dans l'espace, dans les fermes marines abyssales, mais aussi pour les combats, pour le calcul et pour le plaisir (même si cette dernière spécialité a été interdite au bout de quelques années). Des travailleurs esclaves, fabriqués par l'homme, exempts de droits qui a abouti, dans le passé, à des révoltes. La Constitution de 2098 va leur reconnaitre les mêmes droits qu'aux humains.

Racisme aussi contre les aliens, appelés avec un certain mépris « bestioles ».

L'extrême-droite manipule les foules, les informations officielles sont corrompues et falsifiées comme en atteste l'intégration d'éléments faux par une main anonyme au sein même des Archives centrales de la Terre, sorte d'Encyclopédie narrant l'histoire de l'humanité, engendrant paranoïa et méfiance, et renforçant ainsi l'intolérance et le racisme. Cette réécriture de l'Histoire, l'histoire de l'Histoire, touche à des questions récurrentes dans l'histoire de l'Humanité. J'ai aimé la façon dont l'auteure aborde ce sujet.





Nous suivons Bruna Huski, une réplicante de combat, détective de métier, seule et malheureuse. Cette réécriture de l'histoire de l'humanité qui la rend manipulable, ainsi que la mort violente de certains réplicants, l'interpelle, aussi décide-t-elle de tenter de comprendre ce qui se passe. Elle mène une enquête à la fois sur les meurtres et sur elle-même, sur le mémoriste qui a créé les souvenirs qu'elle porte en elle et qui la rapprochent des humains. Aux prises avec le compte à rebours de sa mort programmée- les réplicants ont en effet une « date de péremption » et savent qu'ils ont dix ans à vivre- elle n'a d'alliés que marginaux ou aliens, les seuls encore capables de raison et de tendresse dans ce tourbillon répressif de vertige paranoïaque.

Soulignons que Bruna a un comportement très humain. Elle consulte un psychanalyste, a du désir, s'interroge sur sa sexualité, se soule, se réveille avec la gueule de bois. Elle vit tant bien que mal avec le deuil douloureux de la mort de Merlin, son compagnon, et est obnubilée par sa propre mort. A chaque réveil elle égrène tel un mantra le nombre d'année, de mois et de jours qui lui restent, décompte funèbre. Cela en fait un personnage très attachant. Elle a un physique particulier, crâne rasé et tatouages et, comme tous les réplicants, à des yeux avec une fente améliorant sa vision, des yeux félins propres aux androïdes. Enfin, comme tous les androïdes, un mémoriste lui a implanté une mémoire fabriquée à partir d'un certain scénario de son enfance, les réplicants, lorsqu'ils naissent, ont en effet un âge physique et mental de vingt-cinq ans pour une vie approximative de dix ans. Pour qu'ils s'intègrent convenablement dans la société, comme des humains, il semble que des racines, des souvenirs de l'enfance, soient indispensables d'où le rôle des mémoristes. Or, la mort de certains réplicants semble être corrélée avec l'implantation en eux de mémoires nocives…Un trafic de mémoires adultérées qui va lui donner du fil à retordre…(le terme de mémoires "adultérées" est bien le terme utilisé par l'auteur, aussi surprenant soit-il).



« Tout comme les paraplégiques rêvent de marcher lorsqu'ils utilisent des lunettes virtuelles, les reps rêvaient d'avoir des racines quand ils regardaient les pièces artificiellement vieillis de leur équipement. Et dans les deux cas, tout en sachant la vérité, ils étaient heureux. Ou moins malheureux. Même Bruna, si rétive aux effusions émotionnelles, n'avait pas été capable de se séparer de tous ses souvenirs préfabriqués ».



Le récit ne manque pas d'allusions et d'humour venant donner de belles respirations à l'enquête menée. Impossible de ne pas penser à Blade Runner bien entendu mais aussi à Asimov dont il est fait référence. « Un jour, Yiannis avait fait voir à Bruna, ce vieux film culte du 20ème siècle où l'on parlait pour la première fois des réplicants. Il s'intitulait Blade Runner. »



Touchant également la façon de décrire les personnages gravitant autour de Bruna, depuis la femme-publicité, en passant par le mémoriste Pablo, le sage Yannis, ou encore l'alien Maio qui m'a particulièrement émue devenant, au fur et à mesure du récit, d'une tendresse et d'une humanité faisant écho à l'absence d'humanité des terriens…



« le plus troublant avec les extraterrestres, c'était leur aspect à la fois si humain et si étranger. L'impossible ressemblance de leur biologie. L'Omaa était grand et musclé, une version robuste d'un corps masculin, avec ses bras, ses mains et ses ongles au bout de ses…Bruna s'arrêta pour compter…de ses six doigts. Mais sa tête, avec ces cheveux hirsutes et ces sourcils épais, ce nez large qui ressemblait à une truffe et ces yeux tristounets, rappelait trop celle d'un chien. Et ensuite venait le pire, qui était la peau, à moitié bleutée, verdâtre dans les rides, et surtout semi-transparente, si bien que, selon les mouvements et la lumière, elle laissait entrevoir des bouts des organes internes, des soupçons rosâtres de viscères palpitants ».







Part belle est faite aux réflexions sur la mémoire, la mémoire fabriquée des réplicants mais aussi la mémoire infidèle des humains.



« Qu'elle était faible, mensongère et infidèle la mémoire des humains. Yiannis savait qu'au cours de ces quarante-neuf années écoulée la moindre cellule de son corps s'était renouvelée. Il ne restait pas même une miette organique originelle de ce Yiannis qu'il avait un jour été, rien, à l'exception de ce souffle qui traversait ses cellules et le temps, et qui était sa mémoire, ce fil désincarné qui tissait son identité. Mais si ce fil se rompait lui aussi, s'il n'était pas capable de se souvenir de lui-même dans une pleine continuité, qu'est-ce qui différenciait son passé d'un rêve ? Cesser de se rappeler détruit le monde ».





Rosa Montero choisit un thème a priori très classique, voire battu et rebattu. En lieu et place de l'affrontement classique entre humains et androïdes auquel nous nous attendons et qui fait certes l'objet de quelques développements, l'auteure nous parle en réalité de ce qui fait notre humanité, développe avec brio les facettes de notre mémoire et de notre identité, les questions relatives à la certitude de notre mort et de celle de ceux que nous aimons. Ses personnages sont des survivants qui s'accrochent à la morale politique, à l'éthique individuelle, à l'amitié et à l'amour. Elle construit pour nous un futur cohérent pas si éloigné du monde actuel et de nos problématiques et de nos maux, une intrigue vertigineuse et prenante, jamais ennuyeuse, jamais technique, sans aucunes longueurs, pour nous parler de notre mort et de l'usage que nous faisons du temps qui nous est imparti, le tout dans une enquête pleine de rebondissement et d'humour qui fait du livre un vrai page-turner ! J'ai très hâte de découvrir le tome 2 de cette trilogie « le poids du coeur » !

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L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir

Le 30 avril 1906, Marie Curie désespérée par la mort accidentelle de Pierre, son mari, commence la rédaction d'un journal sous forme de lettres qu'elle lui adresse pendant une année environ, façon pour elle d'exorciser la douleur, d'atténuer l'absence après onze années de vie commune. Il avait 47 ans et elle 38.

" Cher Pierre que je ne reverrai plus ici "



Un siècle plus tard, l'éditrice de Rosa Montero lui demande de rédiger une préface pour ce même journal, court document d'une vingtaine de pages d'une densité manifeste. Commence alors pour l'écrivain une quête singulière puisqu'elle vient elle-même de perdre son compagnon et se trouve aussi confrontée au dénuement violent causé par la perte d'un être cher.

Mais, " Ce livre n'est pas un livre sur la mort. "



Bien sûr, l'écrivain s'est documentée sur la vie de pionnière de Marie Curie.

" J'ai toujours trouvé cette femme fascinante, comme pratiquement tout le monde d'ailleurs, car c'est un personnage hors norme et romantique qui semble plus grand que la vie. Une Polonaise spectaculaire qui a été capable de remporter deux prix Nobel, le Nobel de physique en 1903 avec son mari, Pierre Curie, et le Nobel de chimie en 1911 en solitaire. "

" La seule personne que la gloire n'ait pas corrompue. " disait d'elle Albert Einstein.



Ce livre, loin d'être une nième biographie de la célèbre physicienne est un récit intime croisé de deux chemins de vie, de deux vies de femmes à des époques différentes. À partir d'extraits du journal de Marie, Rosa évoque tour à tour la chercheuse mais aussi ses propres souvenirs, elle s'interroge sur l'évolution de la place des femmes dans la société, sur les relations au sein d'un couple.

C'est ce qui rend ce récit original et intéressant, même si j'admets que par moments certains passages personnels de Rosa ne m'ont pas autant intéressée que ceux concernant Marie, qui s'est révélée être, sous la plume alerte de Rosa, une amoureuse passionnée, une personnalité engagée et combative.



Loin de sombrer dans la tristesse et le renoncement, ce texte souvent tendre est truffé de magnifiques réflexions sur le pouvoir des mots, de l'amour, de l'inaltérable flamme vitale qui anime chacun. Marie et Rosa l'ont intuitivement compris :

" Pour vivre, nous devons nous raconter. Nous sommes un produit de notre imagination. "

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Instructions pour sauver le monde

Ce livre fait du bien, vraiment, en profondeur. En tout cas c'est l'effet qu'il a eu sur moi. Parce que le destin croisé de ces 4 personnages cabossés forme une fable philosophique pleine d'espoir, de douceur et d'amour, à tout le moins pour ceux qui sont capables de les accueillir...



Au début du roman, tout n'est pas rose, loin de là, pour Matias, Daniel, Cerveau et Fatma. Disons qu'ils ont été confrontés au tragique de la vie et en ont perdu le goût de vivre... ou presque. Matias a vu mourir Rita, sa femme, son amour, dans des conditions dramatiques. La vieille 'Cerveau' se soûle dignement et méthodiquement toutes les nuits. Fatma est une pute magnifique, victime désignée des puissants depuis longtemps. Et Daniel ? Aucun événement terrible, mais il végète dans une vie sentimentale et professionnelle minable.



Le roman raconte comment ils souffrent, se croisent, se rencontrent, essaient de rester humains et y arrivent, ou pas. Tout ça avec beaucoup de souffrance bien sûr, mais aussi beaucoup de générosité et d'optimisme sous-jacents, de sorte que le livre réconforte, donnant envie de sourire, d'aller vers les autres et de vivre. Un peu comme si 'Ensemble c'est tout' d'Anna Gavalda avait déménagé à Madrid, chez les pauvres et les paumés...



Je ne sais pas si les instructions de Rosa Montero permettront de sauver le monde, mais j'ai bien envie d'essayer de les suivre !
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Des larmes sous la pluie

Un livre dur, âpre, mais fascinant...

"Des Larmes sous la pluie" est un polar de science-fiction qui développe et infléchit l'univers de "Blade runner" ; les "réplicants" vivent parmi nous, ils remplissent de multiples fonctions, ils pensent comme nous, ils ont des sentiments comme nous, mais leur vie artificielle est limitée dans le temps : ces techno-humains sont des condamnés à mort.

Ils sont souvent considérés avec méfiance par les humains "naturels", le racisme trouve de nouvelles voies d'expression.

Madrid, 2109 : la situation se dégrade, les discours de haine se multiplient quand certains réplicants commettent des actions de plus en plus graves, automutilations, assassinats de d'autres réplicants, assassinats d'êtres humains... Ils ont été manipulés. Par qui ? Pourquoi ?

C'est une réplicante, nommée Bruna Husky, qui mène l'enquête, un personnage particulièrement attachant que nous suivons pas à pas puisque le récit est à la première personne.

Oui, vraiment attachant, car nous vivons sa tragédie personnelle, nous éprouvons ce qu'elle ressent : comment vivre quand on connaît la date de sa mort ? Comment être soi-même quand on sait que la plupart de nos souvenirs sont faux, imaginés par des "mémorialistes" ? En quoi suis-je un être humain ?

Au cours de son enquête, nous découvrons ce que nos descendants verront peut-être, un univers tragique et labyrinthique où tous les faux semblants et toutes les manipulations sont possibles.

Philip K. Dick aurait aimé ce livre.
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L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir

J’aime depuis ses premiers livres, la fougue, la joie de vivre, la sensualité de Rosa Montero, sa sincérité et l’impression qu’elle donne d’écrire sans fards, directement. Et ma foi, malgré la perte douloureuse de son compagnon Pablo, douleur qui rien ne peut s’effacer, elle reste une auteure qui, dans des moments où l’on peut avoir envie de baisser les bras, vous redonne le désir de continuer, désir de vivre et d’aimer encore.

Elle parle avec émotion mais sans larmoiement, de la douleur mais aussi de l’espèce de paix, du gain d’un regard plus serein, plus ouvert et d’une grande acuité sur le monde qui l’entoure suite à la perte de l’amant et l’ami, du complice.



Elle a traversé une période stérile après le décès de Pablo Liscano

« j’ai passé presque quatre ans sans pouvoir écrire. Un satané enfer, parce que en perdant l’écriture j’avais perdu le lien avec la vie. Je ressentais une atonie, une distance avec la réalité, une grisaille qui éteignait tout, comme si je n’étais pas capable de m’émouvoir de ce que je vivais si je ne l’élaborais pas mentalement à travers des mots. »



Période dont elle sortira grâce à Elena Ramírez, directrice éditoriale chez Seix Barral, qui lui demande une préface à une réédition du journal de Marie Curie tenu suite au décès brutal de son mari, Pierre : “J’ai pensé à toi parce que ça reflète avec un dépouillement cru le deuil lié à la perte de son mari. Je crois que si le texte te plaît tu pourrais faire quelque chose de formidable, sur le personnage ou sur le dépassement (si on peut appeler ça comme ça) du deuil en général. Je crois aussi que, selon comment tu te plongeras dans le livre et comment tu te sentiras en écrivant, ce pourrait être une préface ou bien le corps central du texte, et le journal de Curie un complément… Je laisse la porte ouverte à toutes surprises.”

J’ai lu le texte. Et il m’a impressionnée. Mieux : il m’a happée. »





Et l’envie revient : « L’envie d’utiliser sa vie comme un mètre étalon pour comprendre la mienne, (…) L’envie d’écrire comme on respire. Avec naturel, avec #Légèreté.



Au gré du journal de Marie Curie elle revisite la vie de cette femme géniale et courageuse que l’on découvre en même temps qu’elle avec l’impression qu’elle écrit pour nous. Ce livre est un mélange de tout ce qui jalonne une vie, réflexion sur la difficulté d’être femme et de se faire entendre dans un milieu dominé par les hommes, de concilier sa vie de femme, ses enfants et sa vie de chercheuse au côté de Pierre Curie, puis d’affronter après sa mort les critiques et la hargne du milieu scientifique auxquels s’ajoutera la calomnie quand elle devient la maîtresse de Paul Langevin.

On sent une osmose entre Rosa Montero et Marie Curie mais elle reste très pudique sur sa propre douleur qui reste sous-jacente, n’envahissant pas ses propos.

Ce n’est qu’à la fin qu’elle parle directement de Pablo Lizcano :

« Dans ma tête, il est tout entier.

Mais la littérature, ou l’art en général, ne peut pas atteindre cet espace intérieur. La littérature s’applique à tourner autour du trou. Avec de la chance et avec du talent, peut-être qu’on parviendra à jeter à l’intérieur un coup d’œil rapide comme l’éclair. (...) plus vous vous approchez de l’essentiel, moins vous pouvez le nommer. La moelle des livres se trouve aux coins des mots. Le plus important des bons romans s’amasse dans les ellipses, dans l’air qui circule entre les personnages, dans les petites phrases. C’est pour ça, je crois, que je ne peux rien dire de plus sur Pablo : sa place est au centre du silence.

Et le lecteur le sent, toujours présent au long de ce beau livre comme il l’était dans la fiction « Des larmes sous la pluie » écrit pendant les mois où elle l’a accompagné dans sa maladie et qu’elle lui avait dédié.



Je regrette que, dans la version française du livre électronique, soient supprimées les photos qui accompagnent le texte espagnol ce qui donne l’impression de détenir un carnet de note et donne encore plus de vie, de proximité. De même à la fin le journal de Marie Curie est fourni en intégralité. Peut-être ces éléments sont-ils gardés dans la version papier…

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L'inconnue du port

Écrit sur le modèle des cadavres exquis des surréalistes, mais avec extension aux chapitres au lieu d’un simple mot, Rosa Montero et Olivier Truc nous font voyager entre Barcelone et Lyon.

Barcelone, là où, par hasard, un veilleur de nuit frileux aidé de son chien découvre un container rempli de… migrants en fin de course ? Non, fausse route : dans ce container, se trouve « seulement » une femme menottée, ligotée …et amnésique.

Container dont la destination est inconnue, et qui provient de Lyon.

Lyon, donc, où nous faisons connaissance avec Zapori, un flic qui garde sur son bureau un cendrier plein, alors qu’il ne fume plus, rien que pour faire chier.

Il a de plus les bœufs-carottes sur le poil, et ne demande pas mieux que d’éviter l’inspection en partant pour Barcelone. Il ne peut pas supporter ce petit con de Flachelle, le nouveau, qui la ramène avec ses mocassins à trois cent euros: il a beau prétendre faire le voyage, ben, il ne parle pas espagnol, alors, c’est Zapori qui se place avant celui qu’il appelle Falafel.

Revenons à Barcelone, où l’amnésique, que Rosa Montero a décidé d’appeler Maria, est soignée par un neurologue « qui lui sourit avec l’optimisme d’un chien joyeux. Il ne manquerait plus qu’il remue la queue», dit-elle

Puis les chapitres alternés se suivent, en respectant l’histoire du précédent, contrairement aux cadavres exquis, cette suite de mots à l’aveugle.

Chacun des deux auteurs respecte même tellement le partenaire, qu’il est difficile de deviner qui a écrit quoi.



Je ne voulais pas laisser Magie Micheline, @magielivres sans suivre ses conseils où elle nous recommandait de lire ce livre.

Et j’ai bien fait, car j’ai bien ri et suivi les rebondissements.

Oui, Micheline, j’espère que ta chronique ne restera pas sans suiveurs lecteurs, car ce livre nous fait passer un très bon moment, avec le petit bémol que tu indiques : un des malfaiteurs est décelable très vite, heureusement, il n’est pas seul.

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La bonne chance

Pablo Hernando, un quinquagénaire, voyage en train de Madrid à Malaga, lorsqu’il prend subitement la décision de descendre du train et de rejoindre en autocar la station d’avant, le village déshérité de Pozonegro et d’y acheter immédiatement, sans négocier et sans même l’avoir visité, un petit appartement lugubre dans un immeuble des plus laids longeant la voie ferrée, dont il avait repéré le panneau « A vendre » accroché au balcon. Que vient-il faire là ? Que cache cet étranger qui arrive dans l’ancien bourg minier en complète décrépitude ? ● Rosa Montero conduit de main de maître une intrigue au cordeau qui nous plonge du côté désespéré de l’Espagne, entre misère noire et groupes d’activistes néonazis. ● Les informations nous sont distillées au compte-gouttes, avec un sens aigu de la divulgation progressive des secrets des personnages, et sans que cela soit le moins du monde artificiel. On apprend peu à peu à connaître le personnage principal, Pablo, et tous ceux qui gravitent autour de lui, comme la lumineuse Raluca, sa voisine au grand cœur, Roumaine qui fut abandonnée à la naissance, ou encore Benito, le beauf grossier, magouilleur et stupide qui vend l’appartement à Pablo. Ces deux personnages ont le privilège de prendre la parole en tant que narrateurs à la première personne à plusieurs reprises. ● L’autrice fait merveille lorsqu’elle décrit ou suggère l’ambiance mortifère de ce village agonisant, et l’absurdité de la vie : « Une peine infinie tombe comme un voile sur l’architecte, c’est une tristesse inattendue et tellement profonde qu’il en a brusquement froid. Ses entrailles se sont couvertes de givre parce qu’il a cru voir, dans un instant aveuglant, la réalité du monde : l’immensité de toute cette souffrance dénuée de sens, cette agitation de fourmis des êtres humains, le vide ténébreux de la vie. » ● Dans le récit sont insérés des faits divers authentiques et horribles, qui renforcent l’idée désespérante que l’humanité est sous l’emprise du mal et l’ironie du titre. ● Mais ce roman noir est aussi un roman d’amour et, malgré tout, il reste un peu d’espoir.
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La bonne chance

Jusque là, on pouvait affirmer sans trop de risque de se tromper que la vie souriait à Pablo, la cinquantaine, beau gosse, architecte à la renommée mondiale (donc riche). Pourtant, ce jour-là, en chemin pour un énième rendez-vous professionnel, il débarque subitement du train, pour se rendre à Pozonegro ("puits noir"), quelque part entre Madrid et Cordoue, bled perdu et misérable, oublié du monde. Sur un coup de tête, il y achète un petit appartement crasseux, en bordure du chemin de fer, et s'y installe aussitôt, campant à même le sol douteux. Pourquoi agit-il de la sorte ? Il ne le sait pas lui-même, il sait juste qu'il fuit, quelqu'un ou quelque chose, à moins que ce ne soit carrément son ancienne vie.



Mais rien n'est jamais aussi simple, et n'est pas ermite qui veut. Son arrivée et l'acquisition au prix fort de la bicoque ne passent pas inaperçus à Pozonegro, petite ville où tout le monde se connaît et sait tout, et si pas, l'invente. Pablo ne peut éviter les contacts, les questions. Il y a Raluca, sa jeune voisine un peu inculte mais à la poitrine intéressante, abandonnée par ses parents à la naissance mais au tempérament optimiste et un peu envahissant ; Felipe, l'autre voisin, vieux et malade qui ne se déplace pas sans sa bonbonne d'oxygène ; une mère et sa fillette dans un autre appartement, d'où ne proviennent que leurs cris; les collègues de Raluca, jalouses ou gentilles, des truands de pacotille, des flics plus ou moins compétents ou pourris. Pablo doit composer avec son nouvel entourage et se retrouve impliqué malgré lui dans cette petite communauté étriquée. Sans compter que ceux qu'il fuyait ont vite fait de retrouver sa trace, et l'obligent à se confronter au lourd secret familial qui le ronge depuis des années.



Présenté comme une lutte entre le Bien et le Mal, "La bonne chance" se lit facilement. L'histoire est sympathique, l'intrigue est habilement menée, les péripéties s'enchaînent, le style est agréable. Mais au vu de ce que Rosa Montero est capable d'écrire ("L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir", pour citer le meilleur de ses livres, à mon humble avis), celui-ci m'a déçue : les personnages sont stéréotypés, les thèmes (violences envers les femmes et les enfants, différences de classes sociales, paternité) ne sont  qu'effleurés, les coïncidences improbables : tout est bien qui finit trop bien, trop vite et trop facilement. J'aurais préféré une fin plus complexe, où tout ne s'emboîte pas aussi parfaitement, plus crédible et moins romantique, mais dans ce cas le roman n'aurait pas pu s'intituler "La bonne chance".



En partenariat avec les Editions Métailié.



#LaBonneChance
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Instructions pour sauver le monde

Les mondes de Matias, de Daniel, de Fatma et de Cerveau ont bien besoin d'être sauvés.

Les destins de ces deux hommes et ces deux femmes, qui ne se connaissent pas, qui ont vécu ou vivent des choses terribles, ou qui ne vivent pas vraiment, vont s'entrecroiser par la volonté du hasard, à moins que le hasard n'ait rien à voir là-dedans.

Quant aux instructions pour les sauver, ces mondes, elles sont tout sauf explicites, et chacun se débat comme il peut avec son passé, son énergie (ou son absence), ses addictions, ses idées fixes.

Matias, chauffeur de taxi, ne se remet pas de la mort de la femme de sa vie, emportée par un cancer. Daniel se perd dans les dédales de Second Life, un jeu virtuel qu'il trouve plus excitant que sa vie, vraie et misérable. Fatma, sublime prostituée africaine, est coincée dans un lupanar de luxe, et Cerveau, vieille scientifique alcoolique, noie on-ne-sait-quoi dans les bouteilles de rouge qu'elle écluse nuit après nuit.

Dit comme cela, ce livre ne semble pas très réjouissant, et pourtant. Pourtant il y a toujours chez Rosa Montero quelque chose qui illumine les histoires les plus moches et les plus atroces, comme s'il y avait toujours un brin d'espoir auquel s'accrocher, une étincelle au bout d'un tunnel, qu'on s'obstine à ne pas quitter des yeux alors que tout nous pousse à les fermer et à renoncer.

J'ai du mal à expliquer pourquoi l'écriture de Rosa Montero me touche, m'émeut autant. Peut-être parce qu'elle est réconfortante malgré toute la douleur et les difficultés qu'affrontent ses personnages. Peut-être parce qu'elle est bourrée d'humanité et de générosité, d'une sincérité (que les mauvaises langues qualifieraient de naïveté) qui (me) va droit au coeur. Je ne sais pas si ce roman sauvera le monde, mais il réchauffe l'âme, c'est déjà beaucoup.
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Le territoire des barbares

Jusqu’où Sofía Zarzamala, ou « Zarza », va-t-elle aller dans l’enfer de cette journée ?

Jusqu’où va-t-elle aller dans l’enfer de sa vie ? Ou plutôt dans l’absence de paradis, d’émotions, de sursauts qu’elle a voulu faire de sa vie ?





Ce roman remarquable me plonge dans l’enfer.

Ce roman maitrisé jusque dans l’explication de romans comme « Le Chevalier à la Rose » de Chrétien de Troyes m’a saisie brusquement à la gorge dès la première page pour me faire vivre une journée dans la vie de Zarza. Une journée épouvantable, infernale. Une plongée dans son passé lui aussi épouvantable, infernal.





« Respirer, continuer ».

C’est ce qu’elle a fait, après le coup de téléphone reçu à l’aube avec pour tout message : « Je t’ai retrouvée ».

C’est ce que j’ai fait aussi. Embarquée dans un suspens psychologique bien contrôlé (peut-être un tout petit peu trop), j’ai découvert le passé atroce à tous points de vue de Zarza. Une mère dépressive qui n’est plus jamais sortie de son lit, un père pervers, une grande sœur indifférente, un petit frère attachant handicapé mental, un frère jumeau dominateur : voilà la composition de sa famille à partir de laquelle sa vie dérape.

Je n’en dis pas plus, car la découverte de cet enfer a été un véritable plaisir pour moi, d’autant plus que Rosa Montero, l’auteure espagnole, y mêle des réflexions sur la vie, sur la lâcheté et la trahison, sur la souffrance et le mensonge à soi-même, sans jamais être catégorique.





« Jusqu’où quelqu’un peut-il se protéger dans le malheur pour se laisser aller, n’aspirer à d’autre paysage que celui de sa propre brutalité ou de sa propre souffrance, pour vivre enterré dans le bois informe, sans la moindre conscience des limites ? Ou bien, jusqu’où peut-on échapper à son propre destin, à une vie aussi rétrécie et mutilante que les dents en acier d’un piège à ours ? Les enfants des ivrognes deviennent alcooliques, les enfants des déments deviennent fous, les enfants battus battent à leur tour leurs enfants.

Ou peut-être pas ».





A chacun de creuser son propre chemin.

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L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir

Bazar génial, ce livre mêle une biographie de Marie Curie, des réflexions sur le deuil, le couple ou la place des femmes dans la société et le témoignage de l'auteure sur la mort de son amour à elle, comme un miroir à la souffrance de son héroïne lors du décès de Pierre Curie.



Il est foisonnant, toujours passionnant, parfois déroutant. Quelques semaines après ma lecture, je n'en garde pas le souvenir d'un tout uniforme, mais de certaines bribes particulièrement chatoyantes : sur la vie de couple toute en tendresse et en douce routine des Curie, sur toutes les femmes spoliées de leur Prix Nobel au cours du temps, sur les dérapages passionnés de la scientifique privée de son équilibre en même temps que de son mari, sur son féminisme disons modéré, elle qui fut pionnière en de nombreux domaines, et pourtant en charge de toutes les tâches ménagères et jamais trop ostensiblement brillante en présence de son mari...



Les passages sur l'auteure et son homme sont intéressants également, mais plutôt dans la retenue et la pudeur. Pas de scènes de maladie, de douleur ou de mort comme je m'y attendais, ni de grandes démonstrations de sentiments. Juste une absence, un portrait en creux, quelqu'un qui devrait être là et n'y est plus... Et une grande empathie pour Marie Curie qui a vécu ça également et a pourtant réussi à poursuivre sa vie et ses recherches.



Il y a mille choses à découvrir ici, et mille raisons de lire ce livre. Alors s'il vous plait n'ayez pas l'idée ridicule de ne jamais le lire...



Challenge PAL et challenge Petits plaisirs 34/xx
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Le temps de la haine

Troisième (et dernier?) volet des aventures de Bruna Husky, réplicante de combat, androïde programmée pour faire la guerre, reconvertie depuis quelques années en détective privée.



Programmée également, comme tous ses semblables, pour « naître » à l'âge de 25 ans, dotée de souvenirs artificiels mais de vrais sentiments, et pour mourir 10 ans plus tard, dans les affres de la TTT, la tumeur techno totale.



Au début de ce roman, an de grâce 2110, à Madrid, il reste à Bruna trois ans, trois mois et seize jours à vivre, et moins de deux semaines pour retrouver le commissaire Lizard, enlevé avec 13 autres personnes. Les preneurs d'otages font partie d'un groupe d'écoterroristes extrémistes, qui décapiteront un otage par jour tant que leurs revendications ne seront pas entendues.



Le pire, c'est que ces revendications sont légitimes : avoir accès gratuitement à une eau et un air purs. Car aux Etats-Unis de la Terre, planète désormais ultra polluée, ces deux éléments sont un luxe auquel les plus démunis ne peuvent plus prétendre.



Au travers de ce tome, la toujours aussi attachante Bruna, râleuse et méfiante mais loyale et sincère, va tenter de protéger les siens, le vieux Yannis, la petite Gaby, Bartolo l'animal extraterrestre aussi stupide qu'affectueux, et surtout son cher Lizard. Elle évolue dans un monde fait d'humains, d'androïdes et d'extraterrestres, vivant sur Terre, d'autres planètes ou des colonies spatiales. Entre les scènes d'action et les multiples rebondissements, on s'interroge avec elle sur l'ultralibéralisme, le nationalisme, la religion, la technologie et leurs dérives, la démocratie, l'écologie, la place des femmes, et surtout sur ce qui constitue l'essence de l'être humain.



Passionnée de science et d'anticipation, Rosa Montero est parvenue à créer un univers SF abouti et cohérent, inquiétant et même glaçant tant il paraît de moins en moins éloigné du nôtre. Mais l'auteure, qui est aussi terriblement humaine et incorrigiblement optimiste, insuffle dans sa saga des doses d'amour et d'amitié telles qu'elles arrivent à susciter l'espoir. Ajoutez-y un brin d'humour et d'autodérision quand elle se met elle-même en scène dans le roman, et vous obtiendrez un cocktail bien agréable à lire en cette fin d'année.



Et à quatre jours de la nouvelle année, je vous envoie mes meilleurs voeux pour 2023.
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La Chair

Soledad Alegre ("Solitude joyeuse") porte moyennement bien son nom. Seule, elle l'est, célibataire sans enfants et sans parents. Joyeuse, elle ne l'est pas, en tout cas elle n'a de cesse de courir derrière la joie, qui pour elle se confond avec l'amour, le sexe et le fait de ne pas être seule. Elle porte encore moins bien son âge, 60 ans tout juste. Non pas qu'elle soit en mauvaise santé (même si elle est "un peu hypocondriaque"), ni ratatinée comme une vieille prune (on lui donnerait même dix ans de moins), le problème est que dans sa tête, elle a toujours 16 ans. Et qu'elle croit dur comme fer que son âge physique l'empêchera de plus en plus d'obtenir la joie susmentionnée. C'est dans cet état d'esprit entre rage et désespoir qu'elle décide de se venger de son dernier ex-amant, plus jeune qu'elle et qui vient de la larguer, pressé d'aller fonder une famille avec sa légitime. Soledad engage un escort boy de la moitié de son âge et l'étrenne à l'opéra. Mais sur le chemin du retour, un grave incident se produit et amorce une relation trouble voire menaçante entre les deux faux tourtereaux.

N'allez pas croire que le personnage de Soledad (et le livre) soit superficiel. Certes obsédée par l'apparence physique et la peur de vieillir seule, la dame gagne cependant en profondeur quand on découvre peu à peu son histoire familiale et sa relation avec sa soeur jumelle Dolores ("douleurs"), malade mentale. Par ailleurs, Soledad est la commissaire d'une future exposition sur les écrivains maudits, ce qui donne à l'auteure l'occasion de glisser des anecdotes au sujet de quelques-uns d'entre eux, et à Soledad celle de se comparer à certaines de ces femmes artistes escamotées par une société machiste.

"La chair" est un roman à la fois léger et profond, loufoque et sérieux, dans lequel les mésaventures de Soledad sont parsemées de réflexions sur la vie, l'amour, le désir, la mort, la folie, la solitude, le féminisme. Ironique et impétueux, il interroge sur une question vitale : comment composer avec l'absence d'amour et le temps qui passe ?
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La fille du Cannibale

Lucía, 41 ans, attend son mari Ramón à la porte d'embarquement de l'aéroport de Madrid. Ils ont décidé de passer le Nouvel An à Vienne. Mais Ramón est parti aux toilettes et ne revient pas. Après recherches dans tout le terminal, il est toujours introuvable. Où est-il donc passé ? Disparition volontaire ou kidnapping ? Fugue, pense la police, qui ne se préoccupe guère de l'affaire. Lucía prend alors les choses en mains, avec l'aide de deux de ses voisins, Félix, 80 ans, et Adrián, environ quatre fois moins. L'enquête démarre réellement quand arrive une demande de rançon, réclamée par une organisation inconnue, "Fierté ouvrière". S'ensuivent des péripéties plus rocambolesques les unes que les autres, où l'on voit Félix et Adrián s'imposer lentement mais sûrement dans le quotidien de Lucía, le premier avec la sagesse et l'expérience d'une vie passée, l'autre avec l'insouciance et l'ardeur d'une vie qui reste à vivre. Entre les deux, Lucía, un peu perdue dans sa crise de la quarantaine, se demande si, à son âge, elle a sa vie devant ou derrière elle.

Ce livre commence comme un roman policier, mais il est loin de se réduire à cette catégorie : par le biais des souvenirs de Félix, c'est un pan de l'histoire d'Espagne qui nous est livré : le mouvement anarchiste avec son leader Durruti, la guerre civile, le monde des toreros. Et la tension amoureuse qui se crée entre Lucía et Adrián donne lieu à des réflexions existentielles sur la vie, l'âge, le désir, les sentiments. Si l'enquête qui sert de trame est assez laborieuse, elle permet néanmoins de dénoncer la corruption qui règne (régnait?) à tous les échelons de l'administration espagnole. Burlesque et un brin tragique, ce roman au rythme chaotique met en scène des personnages hauts en couleurs, un peu stéréotypés, qui évoluent entre secrets, mensonges et trompe-l'oeil. Des ingrédients qu'on retrouve (peut-être mieux agencés qu'ici) dans certains livres postérieurs de Rosa Montero.
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