Citations de Sandrine Collette (1597)
- J'en ai assez. J'en peux plus. C'est pas une vie tout ça.
- Je sais Moe, mais qu'est ce qu'on y peut ? Faut pas ruminer comme ça, tu vas te faire du mal.
- Mais comment vous faites pour tenir depuis des années ?
- On s'habitue... Et puis on rêve toutes de s'en aller.
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Je lève une main immédiatement - l'autre me fait trop souffrir - , en signe de soumission.
- Vous vous trompez, je dis d'une voix basse pour le calmer. Vous devez me prendre pour quelqu'un d'autre.
Il me parcourt du regard de haut en bas, hausse les épaules. Un sourire méchant lui étire les lèvres.
- Mais non. Tu es le chien de Base. Il te cherche depuis deux jours.
Il y a trop de problèmes dans cette tête-là, trop de choses qu'il n'arrive pas à gérer, la blessure à soigner, les terres qui ne viennent pas, les pleurs de sa petite sœur qui lui vrillent le sang. p.267
L’estancia, leur vie et leur tombeau. (p. 299.)
De toutes mes forces, je chasse l'image de cet homme qui a cru faillir pour la première fois, passant au bord du gouffre, joyeux te celui qui a pensé mourir et qui, au dernier moment, a trouvé une corde pour se retenir.
L'enfant est assis sur ses genoux, ne réclame rien. Tous les deux le même regard droit devant eux, et Moe l'observe en coin, à quoi pense-t-il le petit, dans les bras de sa mère incapable de garder un travail, s'il devine, s'il attend quelque chose. Il la cherche des yeux, l'entend l'appeler au-dessus de lui. Renverse la tête sans réussir à la voir et elle le rattrape en riant, le tourne vers elle, son cri de joie, son sourire chavirant quand il la trouve enfin, et elle cet élan qui ne peut s'empêcher, elle le serre contre elle, s'y agrippe.
Six kilos de bonheur face à la dureté du monde.
Ils réclament. Font les comptes, surtout Joaquin qui a plus de facilités avec les chiffres et qui explique à Mauro — et vrai, ça lui fiche la rage de calculer combien la mère se fait sur leur dos à les exploiter quinze heures par jour et à leur rincer le gosier six bières la soirée, une fois par mois, il serait bien bête de ne rien dire. Lui aussi a envie de vivre, le monde il l’a au bout des doigts, juste au bout, et ça le rend dingue de ne pas pouvoir le toucher pour de bon, ça lui donne des fourmis sous les ongles, il sent pulser le sang là-dessous. Rien que d’imaginer qu’ils vont rentrer vaincus une fois encore, essayer de noyer leur frustration en coinçant les pattes des brebis dans leurs bottes pour les empêcher de bouger, ça le fait vomir lui Joaquin, des culs de mouton il n’en veut plus, ils ont droit à autre chose, il faut que la mère comprenne.
Si je le pouvais, je rentrerais chez moi oublier dans l'alcool le cri des bêtes que je jette dans l'abîme, et chaque fois, je repense au regard de mon grand-père sur moi, il le disait déjà, j'étais bon mais trop sensible malgré mon allure de combattant.
J’en ai vu défiler, des détraqués, en vingt ans d’exercice. Tous m’ont prouvé, les uns après les autres, que les histoires vraies dépassent l’imagination dans ce que l’homme peut avoir de déséquilibré et de dangereux.
- Vous êtes comme Elvis, intelligente. Vous avez tout préparé, tout décidé par avance. Vous avez agi de sang-froid.
- De sang chaud, j'ai agi. Le sang bouillait dans mes veines.
Il entre dans la chambre, se glisse sans un bruit. Il ne fait rien. Il la regarde elle, pas les autres. Elle finit par s'éveiller, elle ouvre les yeux, la chambre est vide.
"L'éclair qui illumine une fraction de seconde la forêt autour de moi me ramène brusquement à la réalité.Les silhouettes des arbres, affolées par le vent,se tendent vers moi pour m'agripper.
Le vent brame dans les arbres., on dirait une bête mourante .."
Je ne sacrifie jamais en vain...
Tuer est un art qui se maîtrise, une communication avec la nature, l'animal et les dieux. Pas un acte barbare, non : un présent pour consacrer un mariage, un anniversaire, un baptême, un départ. Une requête. Une prière. Avec la conscience que rien ne nous est dû, mais que derrière l’offrande, nous attendons un retour. Pauvre équilibre dont nous sommes toujours les dupes. Du sang pour un peu de bonheur.
Dans deux ou trois semaines.
Je serai un demi-être qui se tient debout quinze heures par jour au travail, et qui se moque de s'écrouler avant ou après. Il n'y aura plus de fierté, plus rien.
Juste le sentiment extrême de vivre, de tenir. De continuer.
Aujourd'hui il n'a pas de place pour la tristesse, pas de force, et la blessure lui prend tout, ses pensées et ses efforts, et son envie de vomir.
Il a fallu du temps pour que ce petit coin de pays se défasse de l'effroyable fait divers qui l'a marqué au cours de l'été 2002.
« Elle les déteste tout le temps, tous. Mais ça aussi, c’est la vie, elle n’a pas eu le choix. Maintenant qu’ils sont là. Parfois elle se dit qu’elle aurait dû les noyer à la naissance, comme on le réserve aux chatons dont on ne veut pas ; mais voilà, il faut le faire tout de suite. Après, c’est trop tard. Ce n’est pas qu’on s’attache : il n’est plus temps, c’est tout. Après, ils vous regardent. Ils ont les yeux ouverts. »
Des quatre fils, il [Rafael] est le meilleur cavalier. C'est pour cela que la mère lui confie de plus en plus souvent la surveillance des bêtes, pour cela, et parce qu'elle peut l'envoyer seul, lui que ne demande jamais que ses frères l'accompagnent...
Au début Mauro le suivait à cheval, étrier contre étrier jusqu'à la grande barrière. Un silence effrayant, de ceux qui précèdent les tempêtes. Son regard brutal sur Rafael, sur le porte-fusil sanglé à la selle_ à croire qu'il allait s'en saisir, épauler. Tirer. Pan.
Après, il n’y a plus que deux corps meurtris qui regagnent la chambre, et la douleur, et les sanglots qu’on étouffe. Steban gémit en se tenant la mâchoire. Le petit dans son coin se fait saigner les lèvres à force de les mordre pour se retenir de pleurer. Les jumeaux cognent fort. L’humiliation, la rage d’avoir été surpris. Ils achètent le silence à coups de pied dans le ventre.
De ce jour, la violence des grands s’accroît. Depuis des semaines, Rafael et Steban ont cessé de les guetter dans le pré des brebis. En vain. La morsure de la honte ne s’efface pas. Se guérit le temps d’une bagarre, de muscles tendus pour faire mal.
Les aînés frappent là où cela ne se voit pas, épargnent les visages. Que la mère ne se doute pas, surtout. Elle pourrait remarquer la démarche courbée des plus jeunes, certains matins, la façon dont ils baissent les yeux en croisant les jumeaux. Pas même. Elle donne les consignes de la journée sans les regarder, n’interrompant jamais la tâche qui l’occupe. Mauro et Joaquin ricanent.
Dans sa tête embrouillée, elle fait l’amalgame : les absents sont morts — sa façon à elle de voir les choses, la mort ce n’est pas forcément être mort, c’est disparaître voilà tout.