Kazechiro travaille dans une banque, où il gère les portefeuilles de gros clients. Il a toute la confiance de son supérieur qui le convoque un jour pour déjeuner dans un endroit raffiné. Il pense qu’il va recevoir une promotion et au lieu de cela, le patron le licencie.
Il cherche à comprendre quelle faute il a pu commettre pour expliquer la situation et fouille dans ses dossiers. Il comprend bientôt que ce n’est pas lui qui a commis des erreurs mais qu’on le soupçonne d’avoir mis à jours des actions frauduleuses, comme le confirme les menaces qu’il reçoit des Yakusas.
Il décide de disparaître en emportant ses dossiers et devient ainsi un « évaporé » Johatsu en japonais. Il quitte tout, famille, maison change de nom. Sa femme inquiète appelle leur fille Yukiko partie, il y a plusieurs années en Californie.
En même temps, Akainu, un adolescent de quatorze ans qui a fui le nord du Japon à la suite du tsunami où sa famille a disparu, est témoin d’un meurtre : le gérant d’un magasin qui ne voulait pas payer la « protection » des Yakusa se fait assassiner. Akainu est obligé de fuir car sa vie est en danger. Il s’évapore lui-aussi et fait la connaissance de Kaze (la nouvelle identité de Kazechiro.
Yukiko décide de revenir au Japon et emmène avec elle son ancien petit ami toujours amoureux d’elle, poète et détective Richard B pour qu’il l’aide à retrouver son père.
Nous allons donc suivre le destin de cet homme et du jeune garçon et leur aventure vers la recherche de la vérité sur fond de Mafia japonaise, tsunami catastrophe nucléaire tandis que Richard B essaie de les retrouver……
Ce que j’en pense :
Ce roman est époustouflant à plus d’un titre. D’abord la notion d « évaporation » qui serait impossible chez nous. On peut d’évanouir dans la nature sans que personne ne fasse quoi que ce soit : la police ne fait pas de recherche car la famille se sent déshonorée donc ne demande pas d’aide. C’est une solution qui permet d’échapper aux dettes pour les personnes qui ont tout perdu lors du tsunami et ont encore les traites de la maison à payer alors qu’ils n’ont plus rien.
On peut faire le parallèle avec le deuil : peut-on oublier quelqu’un qui a disparu, on ne sait rien il peut être vivant ou mort donc comment entamer un travail de deuil.
Il y a le deuil de l’identité : un évaporé n’est plus rien, il a changé de nom, tout un pan de sa vie est partie et sa famille avec.
Reverdy évoque aussi les fugues des adolescents : celle de Yukiko qui a quitté la maison de ses parents quand elle était ado mais aussi sa grande fugue quand elle est partie vivre en Californie. En parallèle la fuite d’Akainu, il pense que se parents sont morts, donc il part loin des lieux du drame pour survivre et aussi pour ne pas connaître la vérité. « il faut que vous sachiez d’abord, qu’ici, au Japon un adulte a le droit de disparaître… c’est comme une fugue. On dit « yonige », ça veut dire « fuite de nuit ». Dans le fond, c’est une sorte de déménagement, mais sans laisser d’adresse. » P 173
D’un autre côté, qui n’a pas été tenté dans son existence de disparaître ainsi, sans laisser de traces, abandonnant un part de sa vie dont on ne veut plus. Mais, ici c’est une question de vie ou de mort, de survie alors qu’en Occident, c’est échapper à un mode de vie qui ne convient plus, donc deux univers totalement différents.
L’auteur décrit très bien l’évolution du Japon après le tsunami qui a emporté tout sur son passage, les biens matériels mais aussi le mode de vie, la culture, une civilisation qui s’envole elle-aussi. Les habitants qui ont tout perdu sont devenus des réfugiés dans leur propre pays.
Il y a d’un côté la gestion catastrophique du tsunami, car le gouvernement a tout minimiser, le nombre de morts, de disparus, mais aussi les malversations, les aides détournées, les spéculations. Le pays croule sous l’eau, la boue, les ruines et certains ne pensent qu’à s’enrichir. Il y a aussi ceux qu’on envoie nettoyer, débarrasser les maisons et qui reçoivent des irradiations dont le taux rappelle Tchernobyl.
On note l’omniprésence des Yakusas que certains défendent car ils représentent une forme d’ordre, de famille toute puissante. (C’est tellement rassurant quelqu’un qui se conduit en dictateur et fait régner la terreur. «Au Japon, les sociétés de crédit sont détenues par les Yakusas. Quand les gens ne peuvent plus payer, ils exercent des pressions, ils menacent. E ne sont pas des banquiers, les gars… Les Yakusas sont partout. Les politiques leur ont vendu le pays. P 218
On pense toujours au Japon, comme à la patrie de la sagesse : les temples, les grands Maîtres de méditation (Deshimaru, Dôgen…) la cérémonie du thé, la lenteur et là on trouve la violence.
Il y a des chapitres savoureux par exemple un rêve de Kyoto où toute l’histoire du Japon défile, les Samouraïs, les femmes en Kimono… Ou un rêve de Fukushima, chapitre superbe sur la désolation les détritus la vision apocalyptique de fin du monde.
L’auteur nous montre l’évolution de Yukiko, avec son immense chevelure noire qui la recouvre comme une vague. Il y a une belle scène d’amour entre elle et Richard, mais y a-t-il un avenir pour eux. Le détective fait des rencontres savoureuses en cherchant Kaze, il rencontre un journaliste qui a fait un travail sur « les évaporés » et également un vieux Fraçais qui lui explique la genèse des Yakusas.
Enfin, je retiendrai le clin d’œil de Thomas B. Reverdy à un écrivain qu’il admire : le nom de notre détective américain Richard B fait référence à Richard Brautigan dont il cite au passage quelques vers qui sont écrits en italique dans le texte.
C’est le premier roman de Thomas B. Reverdy que je lis et c’est un festival, une pépite, tant il est plein de poésie malgré la violence de la situation. L’écriture est belle, déliée. Il nous entraîne avec lui dans ce Japon en ruine qui ne sait plus bien où son ses repères et quel son avenir. Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur ce roman, donc foncez, lisez-le, vous ferez un voyage magnifique.
J’avoue une fascination pour ce pays, depuis que j’ai découvert les grands Maîtres de méditation et Kawabata mais que je connais si mal et l’auteur m’a confortée dans mon désir d’approfondir sa culture et son histoire.
Note : 9/10
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