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Citations de Timothée Demeillers (63)


Mon échappatoire durant toutes ces années. Mon réservoir à pensées sereines ; les parties de pêche de bonne heure avec Jonathan, les apéros entre collègues certains vendredis soirs d’été, les deux week-end de 2006 avec Laetitia, les barbecues avec Jo, Audrey et les filles les dimanches après-midi. M’évader le week-end, pour oublier un peu l’usine, pour oublier le tintamarre de la chaine
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Mes journées de l’autre côté de ce qu’on nomme la liberté, à partager mon ennui avec Mirko, que je n’ai pas choisi, qui ne m’a pas choisi non plus, comme je n’avais pas choisi Didier, mon binôme des frigos. Ici, je tue le temps comme je peux, à repenser à tout ça, à Laëtitia, à mon frangin Jonathan, à ma belle-soeur Audrey, qui viennent me voir avec les petites une fois tous les mois ou tous les deux mois, parce que ça leur fait de la route jusqu’ici, jusqu’à Rennes, enfin Vezin plutôt, de chez eux, à Saint-Melaine-sur-Aubance, ça en fait des heures de trajet, des kilomètres pour me parler une heure, avec les petites qui me disent mais tonton pourquoi t’es là, et à qui j’essaie de tout expliquer, mais les mots ne sortent pas de ma bouche, peut-être parce que je ne suis pas en mesure moi non plus de comprendre totalement ce que je fais ici.
Il faudrait remonter loin, très loin, des années en arrière, à l’époque de la liberté, à l’époque de l’usine, de ma vie d’avant, mes quinze années d’usine.
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Tout est plus difficile aujourd’hui, c’est sûr, enfermé à double tour dans cette geôle de béton et de barbelés, à entendre les cris, à entendre les claquements des lourdes portes métalliques, à entendre tout ce vacarme, comme un rappel de l’usine, des hurlements des scies sauteuses, des clacs, les clacs de la chaîne, si distants mais si familiers, à ressasser ce qui m’a amené ici, ce qui m’a fait plonger dans ce cauchemar alors que rien ne m’y prédestinait, ou peut-être tout, au contraire, à passer des journées avec les souvenirs pour compagnons, comme du temps des frigos, comme du temps où tout a commencé, comme du temps où je devais accompagner mon silence, mon ennui, ma peine de belles histoires pour nourrir le vide.
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Moi, j’en connaissais des types avec qui je bossais, du jour au lendemain, qui se sont retrouvés agents de maîtrise. On sait que c’est la fin d’une période. Qu’on ne pourra plus jamais partager nos déjeuners. Beaucoup ne tiennent pas. Ils demandent à la direction de les remettre sur la chaîne. De retourner à leurs postes d’avant. Mais ce ne sera jamais plus pareil non plus. On a trahi. On a voulu trahir. On a voulu s’élever de sa condition d’ouvrier, prendre le dessus sur les collègues et toute la chaîne de production s’en souviendra. Les patrons aussi, d’ailleurs. Parce qu’on n’a pas eu assez de cran.
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Le directeur commercial export vient dans mes frigos inspecter sa marchandise, son bétail mort. Le directeur commercial export. Il me serre la main, molle, froide, mécanique. Je lui rends sa poignée de main et je baisse les yeux. Salut, ducon. Il vient parader dans mon domaine. Dans mon frigo dont il prend soudain possession. Il me dit ce serait bien que tu évites de mettre les Van Eck et les Charolux ensemble. Oui. D’accord. Ça m’était sorti tout seul de la bouche. Oui. D’accord, je lui avais répondu. Et je m’étais exécuté, bien sûr. Je m’étais tu. J’avais écouté ses réprimandes. J’avais obéi. Et je lui avais de nouveau serré la main. Froide et mécanique. Comme mon environnement. Froid et métallique. De la tôle. Des générateurs. Des rails bruyants. Des lames de scie qui crient leur peine. Qui rugissent au contact des os des bêtes. Qui résonnent entre les parois. Dans nos têtes. Des lames. Des crochets. Tout est fait pour faire mal. Pour blesser. Pour tuer. Du bruit. On peut tuer avec le bruit, aussi. On peut tuer avec ses mains, aussi. Avec cette main que je viens de serrer. Qu’il essuie discrètement sur son tablier. Et le directeur commercial export repart vers ses jeunes bovins d’à peine vingt mois qui n’auront jamais vu le jour, aux muscles gonflés artificiellement par le gavage en élevage, ou vers ses vaches rachitiques. Vieilles et usées. Tirées pendant des années pour du lait. Génitrices de veaux à la pelle. De dizaines de veaux. Âgées de dix ans et plus bonnes à rien. Juste à l’abattoir, maintenant.
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Il me hèle de loin. Alors le planton des frigos. Pas trop chaud à l’extérieur ? Je m’arrête et m’approche. Quoi, je lui dis, qu’est-ce qu’il y a ? Je voudrais qu’il me le répète en face. Mais il se tait, il me dévisage agacé et me demande ce que je fabrique là, si j’ai besoin de quelque chose, si j’ai une réclamation à faire. En compagnie des autres commerciaux et de jeunes stagiaires. Que dissimulent leurs rires, détournent les yeux, cachent leurs bouches de peur de révéler des rictus incontrôlables. Et moi qui les fixe bêtement, la démarche hésitante, sans savoir quoi répondre. Et moi qui repars vers ma voiture et les rires peuvent enfin exploser. Salut, le planton des frigos, j’entends dans mon dos. Salut, ducon.
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Clac, clac, clac, chante le chaîne.
Clac, clac, clac, chantent les dents des ouvriers frigorifiés.
Clac, clac, clac, résonne la faux que tapote la mort avec désinvolture, et c’est elle qui nous attend au coin, à l’arrêt suivant, à l’horizon de nos vies, qui n’auront pas rimé à grand-chose.
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Incipit :
Tout est plus difficile aujourd’hui, c’est sûr, enfermé à double tour dans cette geôle de béton et de barbelés, à entendre les cris, à entendre les claquements des lourdes portes métalliques, à entendre tout ce vacarme, comme un rappel de l’usine, des hurlements des scies sauteuses, des clacs, les clacs de la chaîne, si distants mais si familiers, à ressasser ce qui m’a amené ici, ce qui m’a fait plonger dans ce cauchemar alors que rien ne m’y prédestinait, ou peut-être tout au contraire, à passer des journées avec les souvenirs pour compagnons, comme du temps des frigos, comme du temps où tout a commencé, comme du temps où je devais déjà accompagner mon silence, mon ennui, ma peine de belles histoires pour nourrir le vide.
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C’est un titre qui a de la gueule, c’est sulfureux, décapant. On se fera remarquer, avec ça, parce qu’aucun artiste oserait dire “Fuck you Yu”, et nous, on va le hurler, fuck you Yugoslavia, fuck you la Yougoslavie, comme les Sex Pistols, et non seulement notre chanson est géniale, mais en plus on va briser un tabou…
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Tous nos étés se ressemblaient. Nous dormions. Nous nagions. Nous jouions de la musique. Et c’était à peu près tout. Des vacances paradisiaques dans un coin tout aussi idyllique, loin du tumulte pollué de Zagreb pour Jimmy et moi. Loin des plaines céréalières de Vukovar pour Nada.

La plage se vidait en cette fin d’après-midi. Il ne restait que les indécrottables, une poignée de retraités greffés à leurs transats en plastique blanc, qui dormaient là comme oubliés par le temps, comme échoués sur le rivage, le corps tanné par le soleil, leur peau huilée prenant la teinte du caramel, leur ventre rond celui de l’ambre brillant, et nous trois, nous trois, les inséparables, qui observions ces formes figées, momifiées par le soleil et l’air marin.

Nada portait un maillot deux-pièces mauve, encore détrempé par sa récente baignade. La mer Adriatique avait laissé une pincée de sel dans le duvet blond au-dessus de ses lèvres, comme des graines de pissenlit, fragiles et figées, comme une morsure légère. Elle avait noué ses cheveux mouillés et s’était assise en tailleur sur les galets de la crique, face à moi et ma guitare, face à Jimmy, torse nu
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Et je dois vivre avec ces souvenirs heureux de l’avant, qui me laissent aujourd’hui un sale goût en bouche, un goût rance et avarié, parce que je sais maintenant pour sûr que ce bonheur de l’époque, que ces souvenirs enfantins n’étaient pas la réalité, que la réalité c’est ce qui s’est produit ensuite, c’est ce à quoi tous ces souvenirs ont mené, et il n’y a plus qu’une seule vérité aujourd’hui, c’est ce cataclysme qui nous a écrasés. Mon histoire est l’histoire d’une lente mais inéluctable descente aux enfers.
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Ses yeux se sont plongés dans les miens. Ses grands yeux verts. Un océan émouvant. Au fond duquel irradiait un éclat jaune. Une veilleuse fascinante. J’ai frissonné. Il m’a prise dans ses bras pour une longue accolade. « Ça te dit d’aller faire un tour ailleurs ? » il a susurré. Comme une évidence. Je l’ai suivi. Aimantée. M’éloignant amusée d’Aymeric qui a levé les deux bras en l’air dans un geste théâtral, depuis l’autre bout de la pièce, qui voulait dire : « Tu pars déjà ? Mais reste, bordel ! »
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J’ai repensé à Pierre-Yves. À son regard. Je nous imaginais ensemble. Notre première étreinte, cette tension qui montait, ses mains qui cherchaient sur mon corps, ses caresses qui se rapprochaient. Nos corps emmêlés. Nos fluides échangés. Lui qui m’embrassait. Moi qui l’enlaçais de mes jambes. Nos intimités livrées. Les rêveries ardentes m’ont noué l’estomac, m’ont fait fourmiller le bas-ventre à mesure que je me jouais notre première étreinte.
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Moi, dans mon lit, la tête aussi brumeuse que le ciel de novembre, je pensais à Pierre-Yves.

À ce dernier regard plein d’espoir.

Et au désespoir de ce dernier regard.

Parce que bien sûr, l’euphorie de l’alcool envolée, je me disais que jamais il ne viendrait à la soirée où je l’avais invité, jamais il ne s’en souviendrait, l’avènement d’un nouveau jour lui ferait relativiser son attirance pour moi. Je deviendrais à ses yeux ce que j’étais en réalité : une petite lycéenne qui jouait à la grande fille et voulait se faire passer pour ce qu’elle n’était pas.
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Nous nous sommes souri et j’ai entraperçu quelque chose dans ses yeux, un éclair malicieux, une résonance, une osmose entre nous. Au cours de la soirée, je ne l’avais jamais vu adresser un sourire comme ça à quelqu’un d’autre, et ça m’a réconfortée.
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Il incarnait ce à quoi je voulais ressembler, sans avoir le courage d’aller jusqu’au bout. L’effluve de soufre. L’aura de la vie libre. Une posture en décalage avec le monde. Décalée même de la norme anticonformiste que nous avions créée. Il dégageait une sorte de rayonnement jusque dans ses postures, ses doigts qui jouaient délicatement avec l’anse de sa tasse de thé, ses jambes élégamment croisées, ses pattes d’oie rieuses au coin de ses yeux, sa voix enrouée par son tabac brun, l’Ajja 17, dont le paquet bleu chiffonné reposait sur le formica de la table, les cigarettes épaisses qu’il roulait d’une main et dont il s’emplissait les poumons de larges bouffées, qu’il conservait de longues secondes avant de les recracher en volutes violacées, en l’air pour ne pas nous importuner, et puis les mystères qu’il semblait traîner derrière ses paroles rocailleuses.
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Je hurlais. Je braillais. Au fond, je ne savais pas grand-chose sur quoi que ce soit mais ça n’avait aucune importance. Le mal-être que nous ressentions était véritable, lui. Nous, les « cocus de l’histoire », les lycéens trompés par toutes les convictions auxquelles avaient cru nos parents. On nous taxait d’individualistes. On nous taxait d’égoïstes. On nous taxait de nihilistes. Mais était-ce notre faute si nous avions assisté à l’écroulement de toutes les idéologies ? S’il semblait ne rester aucun idéal pour lequel s’engager ?
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Je me glissais dans mon lit. Je me saisissais de mon carnet pour écrire des textes que j’avais la prétention d’appeler des poèmes, je filais les mots au rythme du stylo Bic, qui débordait parfois des petits carrés blancs de la page, et je me persuadais qu’un jour ces carnets seraient retrouvés, et qu’ils seraient exhumés et publiés et que, comme Kafka, mon œuvre serait érigée au rang des chefs-d’œuvre posthumes de la littérature française alors que je n’osais même pas les soumettre au journal de mon lycée et puis, tandis que j’écrivais au rythme de mon ébriété, j’entendais les petits pas de souris de ma mère qui se relevait pour aller aux toilettes, ma mère qui ne pouvait fermer l’œil avant mon retour et que j’imaginais si fluette, se retournant dans son lit toute la nuit, aux côtés des cent kilos inamovibles et ronflants de mon père, ma mère, attendant nerveusement le cliquetis de la serrure de la porte d’entrée qui viendrait la délivrer, ma fille n’a pas été renversée, ni violée, ni assassinée ce soir !
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Mais malgré notre maire, ministre des Finances de la France entière, malgré la télévision, Nevers restait Nevers, l’ennui gonflait à mesure de mes rêves d’émancipation, de mes envies de liberté, à mesure que je prenais conscience que mes poèmes ne sortiraient jamais des quatre murs de ma chambre et que je n’insufflerais jamais le vent de la révolution punk sur la scène poétique française.
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Je fumais. Je buvais. Et chaque verre bu, chaque cigarette fumée l’était en essayant d’imiter mes héros, les Clash et leurs quatre gueules d’ange, anguleuses et blanchâtres, drapés dans leurs perfectos brillants. Je voulais leur ressembler. Je voulais devenir comme eux. Je rêvais que ma vie soit la leur.

J’étais entre deux âges.

J’avais dix-huit ans.
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