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EAN : 9782918767718
160 pages
Asphalte (31/08/2017)
3.7/5   101 notes
Résumé :
Erwan est ouvrier dans un abattoir près d’Angers. Il travaille aux frigos de ressuage, dans un froid mordant, au rythme des carcasses qui s’entrechoquent sur les rails. Une vie à la chaîne parmi tant d’autres, vouées à alimenter la grande distribution en barquettes et brochettes. Répétition des tâches, des gestes et des discussions, cadence qui ne cesse d’accélérer… Pour échapper à son quotidien, Erwan songe à sa jeunesse, passée dans un lotissement en périphérie de... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (45) Voir plus Ajouter une critique
3,7

sur 101 notes
5412.5413.5414.....clac,clac,clac, les carcasses qui défilent..... « Me perdre dans le boulot. Dans le bruit. S'abrutir de bruit. S'abrutir de sang. S'abrutir de froid. Se glisser entre les vaches mortes. Se faufiler parmi les cadavres...... », un boulot, une ambiance glauque à subir quinze ans, une parenthèse « Laëtitia », «  l'événement », et la chute dans un treize mètres carrés......Erwan, ex-ouvrier dans un abattoir près d'Angers est en taule, condamné à dix-huit ans, dont il en a purgés deux. Des pensées fixées sur son passé, des cauchemars sans fin, le temps qui semble immobile.

Encore en toile de fond, un père tyran, une mère soumise et deux garçons qui essaient d'y survivre par tous les moyens. Pas d'amour, beaucoup de solitude et zéro communication. de l'enfer de la famille à celui de l'abattoir, du travail à la chaîne froid et métallique, il n'y a qu'un pas, « emportés par le désespoir, par l'alcool,par la cigarette...Emportés par le vide. Par l'absurdité de nos existences. Par nos gestes machinaux et répétés. Par l'impression de n'être personne. de ne servir rien. ». Humiliation, frustration, un travail vampire qui colle comme une seconde peau ......mais tout a une fin, une fin qui va malheureusement lui faire perdre même cette vie qui ne servait à rien......

Vous avez compris, c'est noir, même s'il y a ici et là quelques étincelles de semblant de bonheur. L'abattoir, l'auteur le connaît. Sa mère y travaillant, le temps d'un été de sa vie d'étudiant, il en a aussi fait l'expérience. Avec une prose simple et aérée de brefs digressions, de courtes phrases cinglantes comme des claques, il nous raconte l'histoire poignante d'un homme pris dans l'engrenage de la vie, du mauvais côté. Il dénonce l'extrême souffrance humaine générée par la déshumanisation du travail au profit du Profit pur, à tout prix. Un roman engagé, fort qui ne peut laisser indifférent.

Ce livre est en lice pour le prix littéraire « Hors concours », je lui souhaite beaucoup
de chance.
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Ouvrir ce livre, c'est rencontrer une plume. Une écriture particulière. Qui gronde comme un torrent, grossit percute les roches, emporte des morceaux de pierres, retourne la terre. Un tsunami qui emporte tout sur son passage qui malmène le lecteur jusqu'à la nausée. Des phrases courtes qui claquent au milieu d'un flot de pensées qui s'emballe pendant des pages avant d'être brusquement interrompu par les bruits de l'usine, les images de l'usine, l'odeur de l'usine, par ce monstre aux multiples visages qui habite l'esprit tout entier. Ce monstre qui soumet vos sens. C'est un bruit un souvenir qui fait renaître le monstre à qui les journées sont consacrées.L'odeur du sang, le bruit des crochets qui s'entrechoquent, les images de la viande suspendue, le froid qu'on ressent jusqu'aux os. L'usine vous possède, vous hante, vous habite. Même une fois la porte refermée l'ouvrier ne la quitte jamais tout à fait.

Le Fordisme ou comment transformer les êtres humains en automates efficaces et rentables. Charlie CHAPLIN dans Les temps modernes dénonçait déjà ce travail répétitif et déshumanisant. Mais les hommes ne sont pas des automates et ce travail les tue à petit feu.

Au début ce n'est qu'un boulot, un peu glauque certes mais un gagne pain. Et puis peu à peu insidieusement il prend de la place. Les gestes répétés bousillent les muscles, les articulations les os, alors on change de poste et on va bousiller d'autres muscles, d'autres articulations d'autres os. Et puis pour travailler à la chaîne c'est qu'on est un peu con, pas bien malin, qu'on n'a pas bossé à l'école, qu'on n'est pas foutu de faire autre chose. Alors il y a les autres qui vous regardent de haut, les commerciaux, ceux des bureaux et puis comme on n'a pas grand-chose à dire pour leur tenir tête on fait le dos rond on se soumet et on commence à se détester. Nous avec nos fringues crasseuses eux avec leurs costards. Nous avec nos mains sales jusque sous les ongles, eux avec leurs mains de bébés immaculées. Faut dire que les discussions à l'usine elles cassent pas trois pattes à un canard. Entre les blagues sur les arabes et les blagues salaces y'a parfois une discussion politique mais elles mènent toutes à la même conclusion : nos voix elles comptent pour que dalle et là haut ils s'en foutent si on crève.

Parce que oui on crève ! On crève de faire les mêmes gestes tous les jours, on crève d'entendre les mêmes blagues tous les jours, on crève de voir les mêmes têtes, au même moment, au même endroit, d'entendre le bruit des bêtes qu'on égorge, de patauger dans le sang, de découper la barbaque, d'entendre le clac des machines, le bruit assourdissant des scies, des cadences qu'on augmente et de la chaîne qui jamais ne s'arrête. On crève d'entendre nos rêves se briser, de voir nos espoirs se noyer, de voir nos vies nous échapper. On crève de nos existences qui n'ont ni sens si but. On crève et on attend la retraite parce que peut être que là on pourra vivre un peu. Pour de vrai. Pas une parenthèse entre deux semaines à l'usine, pas une parenthèse au milieu d'un cauchemar. Un an. Peut être deux. Parce que la retraite elle ne sera pas longue l'usine elle a bien préparé le terrain pour la grande faucheuse. Parce que quand on crève comme ça à petit feu, quand le corps s'épuise qu'à 20 ans on a l'air d'en avoir 40, qu'on picole et qu'on clope comme un crevard, qu'on n'est plus que l'ombre d'un être humain notre âme aussi se fait bouffer. Et quand l'humain a été rongé, qu'on est allé jusqu'à la bête il n'y a plus de retour en arrière possible. C'est dans les faits divers qu'on finit. Et là tout le monde s'étonne, personne n'a rien vu venir. Quand on est ouvrier on crève en silence jusqu'à ce que la bête prenne le relais.

J'ai lu ce livre la gorge serrée. Parfois j'ai étouffé et l'écriture m'a semblé trop dense, trop intense, voire trop lourde. Mais sur le fond ce livre est essentiel car il traite d'un sujet peu abordé dans la littérature. La souffrance morale des ouvriers à la chaîne est souvent méconnue. On se conforme au droit du travail et on prend en compte les accidents corporels mais le reste est ignoré. Voire méprisé à coup de « ils ont un boulot c'est déjà bien » « au moins ils ont de quoi vivre » « s'il n'en veulent pas ils n'ont qu'à laisser la place aux autres » « c'est des fainéants c'est tout ils ne veulent pas bosser ». Des clichés, des préjugés qui ont la vie dure. Un livre qui va me hanter encore longtemps.
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« Comme une bête »

D'abord, il y a le bruit. Celui de la chaîne de production. Les « clacs » qui claquent au mouvement des bovins dans leur danse macabre sur les rails qui les transportent le long des différentes étapes de leur transformation.
Et puis, il y a la chair. Que l'on transperce, que l'on coupe, que l'on incise au moyen des lames que tiennent les ouvriers.
Enfin, il y le sang. Qui coule. Partout. Sur tout.

C'est un rythme. C'est celui de la machine. Celui qui transforme les bêtes en viande prête à consommer.
Suivre la cadence, qui augmente sans cesse pour plus de productivité, plus de profit. Une cadence qui augmente sur la décision de quelques hommes, « les patrons ». Ceux qui ont le pouvoir. Ceux qui ont les moyens de choisir. Une cadence que l'on fait subir aux hommes qui produisent, « les ouvriers ». Ceux qui n'ont pas le pouvoir et pas les moyens de choisir. Toujours plus. Peu importe les conséquences.
C'est un rythme qui transforme les corps en viande.

Le bruit. La chair. le sang. La mort au bout du couteau. Pour les bêtes. Pour les hommes ?

Timothée Demeillers, dans son deuxième roman, « Jusqu'à la bête », découpe la vie d'Erwan, jeune employé d'un abattoir près d'Angers pour nous plonger dans les tréfonds de son âme et de sa condition d'ouvrier, en France, aujourd'hui.
Son écriture est comme une lame. Elle incise sans pitié, ni pathos. À travers une atmosphère, que j'ai tenté simplement de restituer dans cette chronique, elle montre une condition humaine que l'on voudrait ne pas connaître.
Car plus des bêtes, il s'agit des hommes dans ce livre. de leur condition sociale. Et de leur transformation au rythme de l'usine, au rythme des « clacs » de la machine qui tombent comme des couperets.
« Jusqu'à la bête » ?

Lu en octobre 2017.

Mon article sur Fnac.com/Le conseil des libraires
Lien : https://www.fnac.com/Jusqu-a..
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Clac, clac, clac...

Le bruit sec, froid et sans émotion de la lame qui coupe, tranche, sépare et dépèce les bovins dans les abattoirs rythme ce livre atypique. Comme il rythme sans aucun répit la vie des femmes et des hommes qui y travaillent.

Comme Erwann, entré à l'abattoir pour un job d'été, puis de CDD en CDI, qui n'en est jamais ressorti. Mais qui est aujourd'hui en prison, la vie désormais rythmée par d'autres clac, clac, clac. Que s'est-il passé ?

Timothee Demeillers nous offre une plongée très noire et réaliste dans le monde ouvrier contemporain, celui du travail déshumanisé, de la cadence qui rend fou, du travail qui n'offre plus de sens aux vies qu'il absorbe.

Chapitre après chapitre, on découvre par bribes des morceaux de la vie d'Erwann qui constituent autant de pièces du puzzle de son inexorable descente aux enfers : l'enfance sans amour, l'amour sans lendemain, le futur sans avenir, le travail qui rend fou...

Jusqu'à la bête m'a toutefois laissé un sentiment ambigu, avec une toile de fond noire et réaliste que j'ai particulièrement appréciée, mais une structure de narration hachée et nerveuse (alternance du court et du - très - long) qui a fini par me lasser avec, parfois, un sentiment de répétition de certains thèmes.

Mais l'ensemble reste original et l'auteur prometteur.
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De tous les personnages que j'ai croisé dans mes lectures, j'ai rarement eu droit à un qui bosse dans un abattoir aux environs d'Angers. On peut même dire que c'est assez rare dans la littérature.

Erwan bosse à la chaîne, baigne dans le sang des bovins qui arrivent dans son frigo et son boulot est répétitif, sans embellie aucune pour cet jeune homme qui a quitté l'école trop tôt que pour lui donner accès à d'autres professions plus lucratives et moins abrutissantes.

Bosser dans un abattoir, au milieu de toutes ces carcasses de viande, de leurs tripailles, de leur sang, fait que lorsque vous rentrez chez vous, malgré la douche, malgré le savon, vous ne sentez pas la rose printanière. Cette odeur est engoncée dans vos narines et elle vous poursuit partout.

Erwan va nous conter sa vie, une partie de son enfance, son boulot abrutissant, ses chefs narquois, sa recherche de l'amour et sa déchéance car dès le départ, nous savons qu'il est en prison, mais sans savoir le délit ou le crime qu'il a commis.

Non, ce roman noir n'est pas un manifeste vegan ou végétarien, loin de là, ce serait réducteur de l'accuser de cela. Il est un fait que durant sa lecture, on grincera des dents en découvrant le travail dans les abattoirs et on ne regardera plus la barquette de viande dans un hypermarché de la même manière et sans avoir une pensée pour tous les Erwan qui ont trimé pour que nous l'ayons au rayon froid.

Lors de ma lecture,j'ai repensé à une de mes connaissances qui est devenue végétarienne et qui avait un jour, fait une charge assez virulente sur les employés d'un abattoir, les accusant d'être des assassins.

Lorsque je lui avais souligné que s'ils faisaient ce métier, c'était plus de manière alimentaire, parce qu'ils n'avaient sans doute pas le choix d'un autre métier et que les cadences devaient être infernales, elle n'avait rien voulu entendre. Trop jeune elle était, avec une vision du Monde en noir et blanc, sans nuances aucune.

Si ce roman ne fera pas de moi une végétarienne, il pousse tout de même à la réflexion de savoir qui est responsable de toute cette merde dans les abattoirs.

Est-ce de la faute des ouvriers qui sont sans coeur, ou est-ce la faute des directions qui veulent toujours pousser plus fort la chaine pour arriver à des rendements de malade, quitte a pousser ses travailleurs jusqu'à ce qu'ils tombent ?

Ou tout simplement est-ce la faute à la société de con-sommation qui consomme toujours plus, qui consomme mal, qui ne vit que par la consommation de masse, voulant toujours plus alors qu'elle n'en a pas un besoin vital ?

Un peu de tout ça, bien que je classe les ouvriers des abattoirs en fin de liste car j'ai l'impression qu'ils ne sont que les symptômes résultant de notre société malade et de cette course au profit puisque la réserve de bras est inépuisable. L'un tombe ? Il y en a d'autres qui attendent sa place.

Ce roman noir est sanglant, non pas à cause d'un crime, mais à cause de cette société qui consomme trop et qui se fiche de savoir si d'autres trinquent derrière pour arriver à produire cette masse ou si les éleveurs vendent à un bon prix leurs bêtes vivantes (et là, je vous assure que non, ils ne gagnent pas assez, les intermédiaires s'en foutent plein les poches, mais pas les agriculteurs).

Un roman social dérangeant, qui gratte là où ça fait mal, qui pique, nous offrant un personnage principal dont le portrait tourmenté est plus que réussi, qui suscite l'empathie et on le plaint car sa déscolarisation a fait qu'il n'a pas eu de nombreuses possibilités d'embauches, la crise n'ayant pas arrangé le reste non plus.

Un roman social noir troublant… Horrible… Beau et puissant. Une écriture qui n'a pas puisée son encre dans les bas morceaux de la bête, mais dans son arrière-train, là où se trouvent les plus nobles quartiers de barbaque.

Un roman social qui laisse un goût amer en bouche, un goût de sang.

Lien : https://thecanniballecteur.w..
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critiques presse (1)
LeFigaro
11 septembre 2017
Ce second roman coup de poing, qui nous plonge au cœur d'un abattoir d'Angers, est tout en gris, en rouge et en noir.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (29) Voir plus Ajouter une citation
15h37, encore trois heures à trimer,

15h46, putain ça fait que neuf minutes,

16h05, mais merde la montre est bloquée aujourd’hui ou quoi,

18h07, allez plus qu’une vingtaine de minutes, plus qu’une vingtaine de minutes les mecs,

mais vingt minutes, est-ce-qu’on se rend compte ce que ça signifie au fond des abattoirs, au cœur de la paralysie du temps, c’est tellement long qu’on l’échangerait volontiers contre une année de retraite parfois, si elles pouvaient filer comme ça ces vingt minutes, qu’elles deviennent volatiles et légères, sauf que rien n’est léger là-bas, que ce ne sont pas les quelques verres de vin rouge à midi qui y changent quoi que ce soit, d’ailleur, à part peut-être nous alléger momentanément de 14h à 15h, pendant une heure, la tête ailleurs, on peut se laisser divaguer, penser à autre chose, et le temps passe alors presque normalement, tic tic tic, rime avec clac, clac, clac, mais bientôt la légère ivresse s’évapore et comme s’il fallait compenser cette brusque accélération du temps, les secondes se font soudain bien plus lentes, bien plus fatiguées, bien plus pénibles, le temps s’étire, s’étiole, les cerveaux se ralentissent, la lente descente de l’alcool, et alors les clacs, clacs, clacs [chaîne de l’usine] se feront plus forts, plus réguliers, plus bruyants, viendront davantage marteler mon crâne et le crâne de tous ceux autour de moi.

Alors, si tout devient trop bruyant, il y a toujours moyen d’alle fumer un joint, se planquer quelques minutes avec Paul, un petit jeune qu bosse aussi sur la chaîne d’abattage. Pour échapper à cet endroit. Aux gestes répétés à l’infini. Paul et moi juste à côté de la guérite des fumeurs, adossés au hangar, un peu en retrait, un peu planqués, un joint fumé en silence, en aspirant de grosses bouffées pour faire monter l’effet plus vite. L’odeur qui se répand jusqu’à la guérite. Personne n’est dupe. Mais on n’irait pas dénoncer. Chacun sa technique pour rendre l’environnement supportable. Tout le monde a sa solution.

Pages 60-61, Asphalte, 2017.
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On est déjà foutu, le coeur, les poumons, le foie, les articulations, les muscles, les os, tout ça salement amoché, et on revient s'amocher tous les lundis, retour au poste, comme aimantés, enimeux et destructeur. Qui s'infiltre dans les pores de nos peaux. Dans les fibres de nos muscles. le temps nous faisant vieillir alors que l'horloge tourne à peine. Les secondes interminables. Infinies. Le temps sans répit. Sans lueur. On n'attend plus que la mort. Et elle est la seule à nous attendre. Personne d'autre. Rien d'autre. D'ailleurs, pas besoin de grandes études pour voir le nombre de ceux qui nous ont déjà quittés. Emportés par le désespoir, par l'alcool, par la cigarette, nos drogues de destruction massive à nous. Emportés par le vide. Par l'absurdité de nos existences. Par nos gestes machinaux et répétés. Par l'impression de n'être personne. De ne servir à rien. D'être des muscles. Des bras. Des mains. Des prolongements de la machine. Qui nous impose son rythme. Auquel on s'adapte. Sur lequel on se calque. Sans même plus s'en rendre compte. Heureusement. Heureusement. Heureusement.
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On commente les élections sans trop y croire. T’as vu la Marine ? T’as vu l’autre, le nabot, le Sarko ? T’as vu Hollande ? Personne n’est dupe. On ne vote plus. Ou alors Marine. Mais c’est la même chose. C’est le vote de la dernière chance pour ceux qui prennent encore la peine de se déplacer. Le seul parti qu’on ait pas essayé. Alors on se dit qu’ils ne peuvent pas être pires. Et puis que les solutions sont concrètes au moins. Des communistes, il n’en reste qu’une poignée à l’usine. Ils se font chambrer. "Alors les cocos. Alors les rouges. On partage son paquet de clopes, les soviétiques." Ils essaient de nous dire que Marine, ce n’est pas là solution. On n’en sait rien, de toute façon, ce que c’est la solution. Ce qui est sûr, c’est qu’aucun des autres n’est la solution. Surtout pas les communistes et leurs 1,5%. Marine, on n’y croit pas plus que ça, mais on se dit "on sait jamais". On sait jamais. Tous des pourris. Tous des pourris. C’est ça qu’on commente le plus quand la discussion parvient à décoller. Les affaires. Les scandales. Enfin ce qui nous sert de prétexte pour ne pas voter. Ou voter Marine. Tous des pourris.

Page 65, Asphalte, 2017.
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Deux mondes hermétiques côte à côte. L’administration et la production. L’administration avec leurs belles affiches d’ouvriers heureux, qui ouvrent de belles bouches remplies de belles dents bien blanches. Qui rient de bon cœur. Personne n’a des dents comme ça, sur la chaîne. Tous ont la dentition amochée. Les dents noircies par des années de tabac. Les dents jaunies par les abus d’alcool. Les trous béants dans le sourire. On remplace jusqu’aux prémolaires, et après tant pis. C’est pour ça qu’on ne rie jamais à gorge déployée, à l’usine. On serre les lèvres. Qui cachent les trous. Qui cachent la misère. Mais c’est l’image que les patrons se font de leurs travailleur. Des ouvriers heureux. Des ouvriers joviaux. Des ouvriers blagueurs. Mais ici, dans cette petite salle, pas d’ouvriers radieux.

Pages 128-129, Asphalte, 2017.
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Au moins deux ou trois ans de retraite. Je ne demande pas vraiment plus. Deux ou trois ans. Et être suffisamment en forme pour en profiter. Pour oublier tout ça. Après, je peux crever. Mais qu’on me donne au moins ça. Au moins ces quelques années de retraite. C’est ce qui se dit, à l’abattoir. Pour les rares qui réussissent à l’atteindre intacts. Ceux que les mêmes gestes répétés à l’infini sur quarante ans n’ont pas trop amochés. Les mêmes gestes. Les mêmes mouvements du corps. Les mêmes muscles qui travaillent. Les mêmes tendon, les mêmes os. Les mêmes os, qui au fil du temps se déforment, se calcifient. On devient des sortes de mutants, à travailler à la chaîne. On devrait étudier ça en anatomie. Le corps d’un ouvrier à la chaîne. Les transformations du corps d’un ouvrier à la chaîne. Les douleurs. Les maux. La journée, ça va encore. Parce que les muscles sont chauds. Parce que les tendons sont chauds. Mais une fois au repos. La nuit. Les douleurs apparaissent. Les sales douleurs de trop répéter les mêmes mouvements mécaniques. Avec l’angoisse croissante de se dire que demain ça n’ira que plus mal. Parce qu’il faudra y retourner. Il faudra recommencer. Il faudra altérer son corps un peu plus encore. Et ne rien dire. Et se taire. Jusqu’à ce qu’on craque. Jusqu’à ce que le corps dise stop. Jusqu’à ce que la tête dise non. Les mêmes gestes heure après heure. Jour après jour. On demandera peut-être un changement de poste. Un changement de poste qui veut juste dire un changement de geste. Aller abîmer un peu l’épaule après avoir bousillé le poignet. Quand le muscle, le tendon, l’os devient trop irrécupérable. Alors terminer sans encombre jusqu’à la pleine retraite, c’est l’aspiration de tous.
Tout comme quelques années de paix après l’usine.
Juste quelques années de retraite.

Pages 49-50, Asphalte, 2017.
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