Virginie Grimaldi

La vie est comme un château de cartes. On met un temps infini à le construire, on essaie de poser des bases solides, on monte un étage après l'autre, et puis, un jour, tout s'effondre et quelqu'un les range dans une boîte.

L'année qui vient de s'écouler a été une succession de murs qui ont fragilisé ma carrosserie. Je dois trouver le courage de regarder dans le rétroviseur. Je dois trouver la force d'avancer sans craindre le moindre caillou sur la chaussée.

La mémoire est un dessin au crayon à papier. Sans les vidéos, je ne serais plus sûre du son de sa voix. Sans les photos, j'aurais des doutes sur son regard. On devrait pouvoir transférer nos souvenirs sur une clé USB.

Tu verras, mon petit. Tout au long de ta vie, tapis au fond de toi, tu garderas les mêmes besoins. Être aimé, rassuré, ne pas être seul, avoir toujours à manger et à boire, te distraire, qu'on s'occupe de toi et avoir à tes côtés une personne qui t'aime plus qu'elle-même. Comme un bébé.

Je savais bien qu'elle avait un double visage, il faut se méfier de la cruche qui dort.

Quand ma mère est venue me chercher dans le bureau de Mme Laroche, elle avait la même tête que quand elle va éternuer. Faut dire qu'elle ne m'a ps loupé, la Manon, je lui demanderai la marque de ses ciseaux. Ça fait comme une frange deriere la tête. ,

- J'ai peur d'oublier tous mes souvenirs. Je me fiche d'oublier ce que j'ai mangé une heure avant, mais j'ai peur d'oublier la joie intense que j'ai ressenti à la naissance de chacun de mes enfants, j'ai peur d'oublier combien j'ai aimé les câliner, les rassurer, les voir sourire... j'ai peur d'oublier les visages heureux de mes petits-enfants quand ils jouaient sous le cerisier de mon jardin, j'ai peur d'oublier la tendresse dans les yeux de mes parents. Je vais m'accrocher à ces souvenirs-là de toutes mes forces, en espérant que la maladie prendre d'abord les autres, puisque je n'ai d'autre choix que de les lui donner.

DE plus en plus petite. Voilà comment je perçois mon existence. Microscopique, insignifiante, égarée. Si ma mère me savait si près d'elle, elle viendrait me voir chaque jour, insisterait pour que je m'installe chez elle, me couverait comme le bébé que je suis restée à ses yeux. C'est tentant, l'idée de me pelotonner dans mon lit d'adolescente, entre les posters des Spice Girls et ma collection de peluches, me séduite assez. Mais j'ai trente-deux ans, je ne suis plus un bébé, il faut que j'apprenne à me débrouiller seule.

- Mais qu'est-ce que vous voulez que je vous raconte, ma petite ? Vous êtes jeune, vous avez la vie devant vous, vous voulez vraiment savoir que tout ça ne rime à rien, que la vie est un combat perdu d'avance ? Vous voulez vraiment entendre que même les souvenirs heureux deviennent douloureux, quand on perd ceux qu'on aime ? Vous voulez vraiment que je vous dise que j'étais chanceux, entouré de personnes qui m'étaient chères, de ma femme dont je ne pouvais me séparer une seule journée, de ma fille qui m'écrivait des poèmes à chaque occasion, de mon fils qui riait si fort à mes blagues, de mes frères et sœurs, de mes amis, et qu'aujourd'hui je suis seul ? Vous voulez que je vous raconte comment la maladie a déformé le corps de ma femme, puis son visage, avant de l'emporter ? Vous voulez que je vous répète les mots du policier qui m'a annoncé que mon fils n'avait pas entendu la voiture arriver ? Vous voulez que je vous dise que ma fille ne pense à moi que pour son anniversaire, que mes frères et sœurs ont tous disparu, que mes amis aussi, que je n'ai plus personne ?
Vous voulez que je vous confie que je ne comprenais pas comment on pouvait finir sa vie tout seul, que j'étais persuadé que ça n'arriverait pas à moi, que c'était impossible ? J'étais tellement entouré... Vous voulez vraiment savoir tout cela, Julia ? Et bien moi, je n'ai pas envie de vous l'apprendre. Je préfère rire, je préfère vous faire rire. Parce que, voyez-vous, la vie est une histoire drôle. Sinon, qu'est-ce qui pourrait bien expliquer cette chute si absurde ? Ce n'est pas pour rien si l'acronyme de "maison de retraite" est MDR...

Il y a eu Anne et Camille, qui sont dans presque tous ses souvenirs. Sa rencontre la plus inattendue, mais aussi la plus importante. Elle a souvent envié les amitiés de ses héros du petit écran. Elle avait fini par se dire que c'était comme le grand amour : un truc qui n'existait pas. Aujourd'hui, elle sait avec certitudes qu'elle a deux amies. Elles étaient toutes les trois à une période charnière en se rencontrant. Fragilisées, en quête de bonheur. ça crée des liens forts.

-Didier,tu veux vraiment nous faire croire que tout cela n'a aucun rapport avec ce qui s'est passé?

Parfois j'aimerais avoir une caméra vissée sur le front, pour immortaliser à jamais de jolis petits morceaux de vie et me les repasser les jours de petit moral.

Votre plus grande peur, c'est vous. Si vous étiez ma petite fille, je vous dirai que, si vous vous débarrasser de cette peur vous-même, vous n'aurez plus peur de personne.

Mon arrière-grand-daron, il a cent deux ans, et mon petit frère, il est mort quand il avait trois ans. on peut pas savoir combien de temps ça va durer. La vie, elle est là, elle est pas hier, elle est pas demain...

Quand je vois les jeunes de maintenant, qui se séparent au premier obstacle, je me dis que nous avons de la chance d'avoir vécu à cette époque. Sinon, nous serions sans doute devenu des étrangers et je ne serai même pas à côté de quel bonheur je serais passé.

Tout le monde n'a pas la chance de trouver la personne qui va l'accompagner toute sa vie et de l'aimer encore comme au premier jour alors qu'on arrive au dernier.

À chaque fois, ne jauge vont être entamées, mais des bonus «bonheur» vont nous aider à la recharger. Le bonus «Mariage», le bonus «Naissance d'un enfant», le bonus «soirée en famille». Ces bonus son précieux, ce sont eux qui déterminent la qualité de la partie, parfois même sa durée.

Ne pleurez pas trop, sinon je vais pleurer aussi et vous allez vous plaindre de la météo.

Je croyais qu'on pouvait décider de ne plus aimer, comme on peut décider de ne plus manger de sucre. J'ai fait un régime de lui. Je me suis sevrée de ces mots,j'ai résisté à ses souvenirs, je me suis tenu loin de sa voix. Et me voilà, face à lui, prête à plonger de nouveau. Les médecins ont raison : si on se prive trop, on finit toujours par reprendre.

Ils ont été jeune et aussi. Ils ont mon âge point ils ont eu des projets, des fous rires, des galères, ils ont fait l'amour, ils ont eu des parents, des amis, des bébés. Ils ont eu une vie. Il y a cinquante ans, eux aussi ne pensaient pas être vieux un jour.