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Critiques de Émilienne Malfatto (427)
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Le colonel ne dort pas

Le colonel ne dort pas. Ses heures nocturnes s’étirent, rythmées par des ombres, pesant de tout leurs poids sur son âme.



Les ombres, ses victimes, devenues ses bourreaux. Car le colonel est un spécialiste.



Un spécialiste de la guerre mais surtout de la torture, des moyens de maintenir un corps en vie, de le briser pour en connaître tous les secrets.



Mais voilà, même si c’est son devoir (quoiqu’il n’ait pas rechigné à un changement de camp), le colonel se trouble, grisonne, se dématérialise.



Comme la Ville où il opère, noyée sous la pluie, comme le général qui réalise la précarité de son statut, comme le subalterne qui ment sur les réussites militaires, comme l’ordonnance qui pense à tout sauf au spectacle morbide auquel il doit assister.



Ce récit d’Emilienne Malfatto est encore une très belle réussite. J’ai lu qu’elle avait écrit ce court roman avant « Que sur toi se lamente le Tigre » et cela se ressent un peu. J’ai trouvé ce récit peut-être un peu moins abouti, un peu moins percutant mais tout aussi émouvant.



Il interroge sur la guerre et sur la vacuité de celle-ci, où les atrocités sont, au final, commises par tous les protagonistes. Une situation où tous subissent cette déshumanisation, cette désespérance et ce, peu importe les raisons du combat.



Un roman qui interroge, interpelle, déstabilise le lecteur et qui ne s’oublie pas après la dernière page tournée.
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Que sur toi se lamente le Tigre

Une lecture unique, troublante et fascinante. Ce court récit auréolé du Goncourt du premier roman nous transporte dans un Irak sanglant, où se mêle à la couleur rouge l’horreur de la guerre. Il y a la condition des femmes Irakiennes, merveilleusement incarnée par l’auteure, il y a l’honneur plus fort que la vie, l’injustifié plus fort que la justice. On pénètre dans une société noire, ombragée, au sens propre comme au figuré, où le masculin règne en maître. Ce fragment d’histoire est d’un tragique sans nom, mais Émilienne Malfatto nous envoûte avec un langage poétique puissant. Son talent d’écrivaine est indéniable, elle porte sur l’Irak un regard authentique, comme si elle y était née. Les descriptions nous transcendent, comment tout cela peut-il être réel ?

Lire ce texte vous prendra une heure au plus, mais il fera écho longtemps. Une lecture qui remue, qui étreint, qui étouffe même.

La place de ces femmes est insoutenable. Malgré la peur qui dicte leurs pas, c’est l’amour qui les fait vivre, tenir, mourir.

Nous n’avons plus qu’à relativiser, et à prier le Tigre de veiller autant qu’il le pourra, et malgré le chaos, sur ces âmes esseulées.



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Le colonel ne dort pas

Le colonel ne dort pas. Et insomniaque, on le serait à moins. Car toute la journée, dans une cave, au milieu d’un cercle de lumière, le colonel mène des interrogatoires sur les ennemis de la Reconquête.

Mais ce militaire aguerri, pourtant consciencieux et discipliné, n’arrive plus à chasser de son esprit les corps déshumanisés de ses victimes. Alors il ne dort plus.

Car dans cette Longue Guerre, les soldats les plus convaincus commencent à perdre leurs motivations. Bien sur, il y avait un dictateur à chasser, un nouveau régime à installer, mais que reste-t-il encore à faire maintenant? Sous une pluie battante, au son lointain des canons, la Ville se dissout dans une grisaille qui engloutit ses plus fervents défenseurs.

Dans ce monde gris où tout est devenu flou et fou, seul un jeune soldat, ordonnance du colonel, semble faire preuve d’un semblant d’insoumission qui lui permet de garder une petite touche de couleur.

Mêlant la narration à un long poème en prose, avec des mots si bien choisis qu’ils nous vont droit au cœur, Emilienne Malfatto remet en cause la discipline guerrière qui ne laisse plus de place aux états d’âmes.

Alors si l’objectif de l’autrice était de nous révolter contre l’absurdité des conflits qui s’enlisent et l’insoutenable horreur de la torture, c’est tout à fait réussi et même plus.

A tel point que personnellement, je préfèrerais ne pas avoir lu ce court roman qui m’a paru souvent insoutenable et qui me hante encore aujourd’hui.
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Que sur toi se lamente le Tigre

Un roman court, de 80 pages à peine, très ramassé qui nous conduit auprès d'une jeune fille iranienne qui a cédé à son fiancé avant qu'il parte en manœuvres militaires, et qui attend un enfant. 



Mohammed est mort. Elle va mourir à son tour, car elle a pêché, et son frère aîné - en l'absence de leur père - doit laver l'honneur de la famille en effaçant celle qui a fauté.



Dans ce roman choral où chaque membre de la famille prend tour à tour la parole, seul l'autre frère regrette sa lâcheté de ne pouvoir sauver sa sœur. 



La mère accepte la mort car elle-même respecte les coutumes, et sa filel les a transgressées à son insu, et contre le respect dû à la loi et aux usages.



La belle-sœur enceinte légitimement, craint l'opprobre qui serait lancé sur la famille si la loi n'était pas respectée.



Et quand Ali rentrera à la maison, il accomplira la sentence.



En inter-chapitres, le Tigre, la fleuve immémorial prend la parole, il rappelle des légendes et, seul, il apporte sa compassion à la pauvre jeune fille, victime de lois d'une autre ère malheureusement toujours en vigueur ...  



Un excellent roman, une belle claque qui mérite largement le Goncourt du PRemier roman  
Lien : http://les-lectures-de-bill-..
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Que sur toi se lamente le Tigre

C’est un premier roman très court, mais d’une intensité rare.



Quelques heures plus tôt, une jeune fille a appris qu’elle attendait un enfant. C’est une condamnation à mort. Parce que cet enfant a été conçu hors mariage, elle va être assassinée par son frère aîné. Elle sait qu’elle va mourir et elle ne peut rien faire, alors elle attend. Sa mère, sa belle-sœur, ses autres frères attendent aussi le retour de l’aîné qui ne sait pas encore qu’il va devoir devenir un assassin.



Cette histoire aurait pu être racontée à travers un long roman, mais l’autrice a fait le choix de la sobriété, du minimalisme même, donnant ainsi à cette histoire des allures de tragédies antiques. L’issue est inéluctable et les personnages ne peuvent échapper à la roue du destin qui s’apprête à les écraser. Ils n’ont aucun choix, aucune échappatoire ne s’offre à eux. Leurs voix se croisent, chacun leur tour ils prennent la parole en une longue tirade. Chaque personnage incarne un rôle : la belle-sœur, enceinte elle aussi, mais dont l’enfant aura le droit de naître parce que légitime, elle est la femme qui respecte les règles et s’y soumet sans discussion ; le frère cadet qui n’approuve pas ce qui va arriver mais n’essaiera pas de s’y opposer, parce qu’il n’a pas le choix, parce qu’il est lâche aussi ; le benjamin qui est encore un enfant et qui peut-être un jour aura la possibilité de vivre une autre vie… et le fleuve Tigre, éternel et immuable spectateur des tragédies humaines, chœur de ce récit.



Quelques dizaines de pages pour dire l’indicible, pour raconter l’histoire terrible, parce que vraie, des centaines de femmes et de jeunes filles, victimes de ce qui porte le nom, si mal porté, de crime d’honneur.



C’est un roman fulgurant, chaque mot parfaitement choisi, rien de trop, rien d’inutile. C’est un roman bouleversant et percutant. Magnifique et révoltant.
Lien : http://tantquilyauradeslivre..
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Que sur toi se lamente le Tigre

Très court, très beau et très dur texte, très justement récompensé par le prix Goncourt du premier roman et par le Prix Hors concours des lycéens. Pourquoi faire un essai ou un roman de 400 pages puisqu'en moins de cent, Emilienne Malfatto parvient à raconter la société irakienne : chaque membre de la famille représente une opinion, un groupe de la société toute entière ? Chacun s'exprime à son tour dans le livre sur la grossesse hors mariage de la jeune femme, leur sœur, fille ou belle-sœur. Les mots sont simples et forts pour raconter l'enfermement des femmes, l'autorité masculine : "Le médecin s'est remis à parler, il s'est courbé vers moi. Je crois qu'il a essayé de comprendre. Ses yeux étaient désolés. Il a utilisé des mots inconnus, déni, et celui-là encore, psychosomatique. L'infirmière m'avait pris la main. J'ai pensé à ma mère, qui préviendrait elle-même Amir si elle en avait l'occasion. L'honneur est plus important que la vie. Chez nous, mieux vaut une fille morte qu'une fille mère. Le médecin m'a demandé ce que je comptais faire, si j'avais de la famille ailleurs, quelque part, loin. J'ai voulu lui dire que tous étaient morts, et que ceux qui n'étaient pas morts me tueraient. Les mots sont restés bloqués dans mon ventre." (p.21)



Le poids de l'autorité masculine est tel que ni les femmes, ni les hommes qui aimeraient plus de liberté pour elles et pour eux ne s'expriment. Ils laissent faire, par crainte des représailles qui ne manqueraient pas d'advenir, la puissance est du côté des combattants, des traditionalistes qui écrasent tout désir de changement qui ne reste donc que velléité contrainte.



Le récit d'Emilienne Malfatto est fort en cela qu'en si peu de pages, il expose tous les points de vue. Cette tragédie dont on connaît la fin dès le début est intense et se lit d'une traite. Il est d'une beauté et d'une force rares.
Lien : http://www.lyvres.fr/
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Que sur toi se lamente le Tigre

« c’est venu comme une vague. Une lame de fond qui montait du fond de moi.....comme un coup sur une porte, comme un raz de marée....les colombes volaient en cercle contre les nuages. Dedans la vague refluait. Le ciel a vacillé. Je suis tombée les mains dans la poussière au milieu des voiles noirs »



Sublime écriture que celle d’Emilienne Malfatto, poétique, métaphorique, riche de sens et de sentiments, marquée par ses années de journaliste pour l’AFP en Irak, ce court roman est le récit choral de la dernière journée d’une jeune irakienne enceinte hors mariage d’un jeune homme mort à la guerre, qui va être tuée par son frère aîné pour la faire disparaître à jamais, pour ne point souiller l’honneur de sa famille plus important que l’amour des Hommes.



Une construction polyphonique dont chaque chapitre fait écho à de superbes citations de l’épopée de GILGAMESH, héros mésopotamien tourmenté par la mort.



Ce roman semble sorti du tréfonds de son cœur, comme un cri qui touche à l’horreur et à la beauté de l’âme humaine.



Elle a été couronné par le GONCOURT du premier roman et j’ai adoré. C’est superbement bien écrit, profond, subtil.....une écrivaine à suivre 😍
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Que sur toi se lamente le Tigre

Ce petit récit est une pépite, bien que ce ne sera pas un coup de cœur absolu. Il est essentiel que les jeunes filles prennent conscience de la chance de vivre dans un pays libre, où l'homme n'a aucun pouvoir sur elles : ni physiquement ni moralement.

L'histoire retrace ce que trop de femmes vivent en Irak : le silence imposé, le mariage vu comme seule possibilité possible de fréquenter un homme, le poids de la famille et le pouvoir des hommes (père et frères) allant jusqu'au droit de mort.

L'écriture est originale : on alterne entre plusieurs points de vue (ceux des frères et celui de la narratrice, qui, comme une voix d'outre-tombe retrace son calvaire comme un compte à rebours.)

Il y a aussi des passages poétiques sur le fleuve du Tigre, témoin silencieux de l'horreur.

Les chapitres sont courts, incisifs. Vous assistez, impuissants, à la mise à mort attendue et prévue dès le début, d'une femme condamnée par sa famille car elle a osé aimer un homme hors mariage.



Récit poignant, trop court pour moi, mais essentiel.
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Que sur toi se lamente le Tigre

Je me souviendrai toujours du jour ou j'ai lu ce livre. C'était un samedi en fin de matinée. Je pensais juste le commencer mais je l'ai lu en une fois. J'ai à peine entendu mon père me parler. Vous savez ce que ça veut dire? Ce n'est pas pour rien que ce livre a reçu tant de prix littéraire.



Dans ce roman court mais intense, on suit une jeune fille amoureuse. Elle respecte les règles de la société. Pourtant, la guerre va changer la donne. Elle va craquer et vivre sa relation avec le garçon qu'elle aime. Tout cela aura forcément des répercussions.



L'écriture est tellement juste. Elle est parfois pleine de réalité et parfois pleine de poésie. J'ai en mémoire ce passage concernant les femmes et leur lien éternel au sang. Il m'a marqué tant il est juste : "Nous naissons dans le sang, devenons femmes dans le sang, nous enfantons dans le sang. Et tout à l'heure, le sang aussi. Comme si la terre n'en avait pas assez de boire le sang des femmes".



Dans ce roman, on voit la différence de traitement entre les femmes et les hommes. Cette citation à elle-seule en est le reflet. Et ce n'est pas la seule. L'autrice montre aussi l'horreur de la guerre et sa réalité. Concernant la construction, on suit principalement la jeune femme. Vers la fin, on a d'autres passages écrits du point de vue des frères. Ces chapitres sont courts mais clair et précis.



En bref, ce roman est bouleversant et montre clairement le traitement des femmes dans une société qui régente chaque étape de leur vie. L'honneur est plus important que tout. Je vous le recommande vivement.
Lien : https://lessortilegesdesmots..
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Le colonel ne dort pas

Voilà un curieux ouvrage qui mêle intelligemment des poèmes et des textes en prose.

Les poèmes sont à la première personne et trahissent l'emprise du mal sur le psychisme des deux principaux personnages, le colonel et le général.

Les proses sont à la troisième personne et décrivent plutôt froidement les actions du colonel et un peu du général.



Conseillé par ma libraire qui voyait que je m'intéressais à la question du mal (d'un point de vue philosophique).



Le texte m'a semblé un peu naïf à première vue car c'est une sorte de conte philosophique. Et peut-on parler du mal de façon si abstraite? Mais en réalité, en avançant dans la lecture, j'ai compris les éléments principaux qui sont développés :

-l'emprise du mal sur les consciences de ceux qui le pratiquent impunément, qui le justifient. le colonel ne dort pas... mais il continue à faire consciencieusement son travail de torturer les ennemis du régime.

-le prix à payer pour fermer les yeux sur le mal et les compromissions nécessaires pour s'en acquitter (l'ordonnance et l'envoyé de la capitale).



J'ai aussi apprécié le terme de reconquête, car c'est un terme qui n'est pas anodin dans notre paysage politique actuelle et qui traduit une emprise sournoise du mal sur les consciences, en essayant de changer la mémoire d'un pays et de ses valeurs. Les torturés sans visage du conte me font penser aux convertis du mouvement, victimes malgré eux de cette torture psychologique par la peur et la haine.



Alors, c'est un beau texte, et j'ai beaucoup apprécié l'alternance de poésie et prose, mais il me touche beaucoup moins que par exemple Où j'ai laissé mon âme de Jérôme Ferrari sur la guerre d'Algérie.
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Le colonel ne dort pas

Le colonel ne dort pas, il est hanté par ses morts, ceux qui sont passés de vie à trépas à cause des tortures infligés par ses soins, le colonel est un tortionnaire, un expert pour obtenir des renseignements.

Peu importe où nous sommes, dans quel conflit, avec quelle armée, à quelle époque, seule la culpabilité est universelle et celle de notre colonel est contagieuse, visqueuse, insidieuse.

Un livre étonnant où les pensées du tortionnaire sont écrites en italique sous forme de poésie.

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Le colonel ne dort pas

Je me sens moins seule après avoir lu les critiques correspondant à ma note (et en dessous)

J'avais trop aimé le Tigre, l'attente était forte et je suis déçue; je ne suis pas vraiment rentrée dans le livre, écouté en audio, il me semble que l'éventuelle qualité littéraire passe mal; seule l'histoire émerge: une ville après une dictature, un colonel qui a tellement torturé qu'il en a perdu le sommeil, une ordonnance sans épaisseur et un général qui devient fou avec la montée des eaux; enfermé dans son bureau inondé par la pluie incessante, il se met à attraper les petits poissons qu'il mange crus.

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Le colonel ne dort pas

Thème délicat qui rappelle (en effet) Le désert des tartares de Buzzati, mais dont la forme ici redessine l’impact. Émilienne Malfatto, un temps reporter de guerre, a vu les horreurs commises, les horreurs subies et les dévastations qui n’en finissent pas de gangréner acteurs, victimes et spectateurs de la barbarie.

J'ai été happée par le récit glaçant, brut et sans détours d'une guerre intemporelle, sans nom, sans date et sans lieu.

Les cauchemars du colonel sont délivrés sous forme d’une poésie libre qui alterne avec un récit factuel . C'est une surprise d'écriture.  Sur un thème aussi sensible que la guerre, mêler poésie et atrocité n’est pas évident, et le format, court, n’a pas alourdi ce bref mais saisissant témoignage. Lire plus sur http://anne.vacquant.free.fr/av/index.php/2022/10/13/emilienne-malfatto-le-colonel-ne-dort-pas/

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Le colonel ne dort pas

Lambeaux de conscience pour une mort lente…

La construction et la densité de l’écriture donnent une force à ce sujet sans unité de lieu ni de temps, l'auteur nous dit la planète brûle ne détournons pas la tête.

Ce troisième opus est une confirmation d'un talent réel et d’une écriture puissante.

La construction qui alterne ce que je nomme des lambeaux de conscience qui prennent une forme éblouissante, ne seraient-ils pas des éclairs d’une foudre révélant la violence de l’orage de notre monde et d’une planète en feu ?

Émilienne Malfatto me fascine par cette écriture si dense qui nous donne cette sensation d’un tableau impressionniste où le mystère réside dans tous les détails à visualiser pour connaître l’intention du peintre.

Le sujet m’a fait penser à l’auteur discret et talentueux Hubert Mingarelli avec Quatre soldats, dire ce que la guerre fait aux hommes.

En peu de mots, mais des mots choisis avec art , le lecteur voit se dissoudre l’humanité.

« Le colonel a oublié le moment exact où il a cessé de dormir. Après quel mort, quel interrogatoire, quelle bataille, quel corps qui n’en était plus un. »

Une fiction que le lecteur sait réelle, donc pas besoin de nommer car elle concerne tous les hommes de la planète.

L’écriture maîtrise l’art d’arrêter sa course juste au moment où cela serait insupportable à lire.

On se surprend à penser à des figures emblématiques de la torture de tous les pays et toutes les époques, on pense aussi à cette guerre à nos portes.

Le rythme nous porte vers la plongée du précipice de l’irrémédiable.

C’est un cri magistral qui nous dit l’absurde et nous enjoint de ne pas le banaliser.

C’est un livre dense, puissant, une déflagration littéraire qui se confirme.

Le colonel ne dort pas, quand sera-t-il des lecteurs ?

La couverture est éblouissante et dans la veine des mots d’Émilienne Malfatto.

Lu dans le cadre du Prix Landerneau 2022

©Chantal Lafon






Lien : https://jai2motsavousdire.wo..
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Le colonel ne dort pas

N°1675 – Septembre 2022



Le colonel ne dort pas -Émilienne Malfatto – Éditions du sous-sol.



Avant de lire ce roman, j’en ai feuilleté les premières pages. L’une d’elles fait allusion à Paul Aussarres (1918-2013) un colonel parachutiste qui terminera sa carrière comme général de brigade et qui, pendant la guerre d’Algérie, pratiqua la torture et la justifia au nom de la collecte de renseignements qui permettaient de révéler des futures opérations militaires et surtout des attentas terroristes et ainsi d’épargner des vies civiles et militaires.

Dans un pays en guerre jamais nommé, un colonel est chargé par ses supérieurs d’organiser des interrogatoires « musclés » pour obtenir des renseignements des prisonniers et ainsi participer à « la Reconquête ». Il va sans dire que ceux-ci subissent des tortures qui se terminent souvent par la mort. La mort, il l’a donnée pour la première fois dans un combat conventionnel où les choses sont simples, c’était lui ou l’ennemi ; on baptise « courage » ce qui n’est souvent que le résultat de ce raisonnement simple et on le sanctionne par de l’avancement et une médaille même si on le déguise en défense de la Nation et la liberté. Puis ce fut l’engrenage où la mort et la souffrance se sont imposées comme un moyen d’obtenir des informations. Là il n’était plus question de bravoure au combat, il est devenu, selon sa hiérarchie, un « spécialiste » de la torture, c’est à dire quelqu’un qui accepte, par conviction ou par sadisme, de se charger de ces basses besognes, de cette « sale guerre » que beaucoup réprouvent même si elle sert à démanteler les réseaux et d’épargner des vies amies. Il dirige maintenant avec zèle et sans états d’âme des « opérations spéciales », euphémisme qui caractérisent ces tortures où se mêlent sans qu’on sache très bien les distinguer l’obéissance aux ordres et le plaisir de faire souffrir et de tuer. Il est ainsi devenu quelqu’un qu’on respecte mais surtout qu’on craint parce qu’il est capable de pratiquer ces actes qui, en temps de paix sont condamnés par la loi mais qui en temps de guerre sont admis mais dont on ne parle pas. Cet officier supérieur a acquis en ce domaine « un savoir faire » recherché ce qui lui a permis de survivre aux changements de régimes politiques en se protégeant lui-même et son « travail » n’est plus de combattre sur le champ de bataille mais de faire parler les prisonniers dans ces locaux de la « section spéciale », d’être leur bourreau. Il met du cœur à l’ouvrage, devient un simple tueur parce que la hiérarchie a sa logique et veut des résultats. Ses nuits sont torturées par les fantômes de tous ceux qu’il a sacrifiés , ceux qu’il appelle des « hommes poissons » et cela l’empêche de dormir. Leurs corps démembrés reviennent à sa mémoire et tourmentent ce qui lui reste de conscience dans un macabre cortège, une impossibilité d’amnésie contre de l’insomnie, une sorte de torture mentale qui ne le quitte plus et se venge de lui. Il songe aux temps qui changent et qui peuvent lui supprimer ses fonctions et son pouvoir et cela le rendrait fou d’inaction, mais aussi au sommeil de la mort qui viendra pour lui comme une délivrance, avec le sentiment d’avoir fait son devoir et la honte de sa propre vie un peu comme une réalité qui mange la raison de tous. Il est cependant à craindre qu’il soit rapidement remplacé par quelqu’un d’aussi zélé que lui !

Un jeune soldat, qualifié d’ordonnance, assiste à ces séances de torture sans cependant y participer ni protester, en les désapprouvant certes dans son for intérieur mais en ne demandant pas une autre affectation, ce qui est une forme de lâcheté, de complicité mais aussi de sécurité qui protège sa vie, lui évite les combats meurtriers et lui permettra de rentrer chez lui sain et sauf.

Le décor de ce roman est volontiers flou, ce colonel n’a pas de nom, le décor est minimaliste et la ville où il réside est détruite mais l’auteure réussit a dessiner les contours d’une guerre barbare où tout anéantir est devenu la règle. On décrète même, au nom du renseignement indispensable, le droit de martyriser les prisonniers pour obtenir des aveux même si cette pratique n’est pas forcément nécessaire. Depuis qu’il existe, l’homme a toujours combattu contre ses semblables en cherchant à les détruire mais ces périodes troublées réveillent et favorisent ce qu’il y a de pire dans l’être humain qui ainsi, en toute impunité, peut se livrer à ses pulsions les plus noires. Dans une guerre dite «moderne » la recherche des renseignements est d’une importance capitale et on ferme parfois les yeux sur la façon de les obtenir. Il n’en reste pas moins que les « techniques » employées pour arriver à cette fin mettent en évidence la volonté de faire souffrir et de détruire son prochain, allant même jusqu’à l’acte gratuit et vicieux qui caractérise l’espèce humaine. Cela contraste évidemment avec les batailles du type napoléonien basées sur la stratégie et le mouvements des troupes sur le terrain qu’on enseigne dans les écoles militaires. Toutes les guerres ont leurs lots d’horreurs, de supplices, de meurtres et de viols perpétrés dans les rangs des soldats mais aussi sur les populations civiles qu ‘on nome « crimes de guerre » voire « crimes contre l’humanité ». On retrouve des charniers et les cadavres qui y ont été enterrés témoignent des atrocités subies et des exécutions sommaires. Ceux qui en sont les auteurs sont souvent connus et parfois jugés et la guerre qui gronde actuellement aux portes de l’Europe ne fait pas exception.

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Le colonel ne dort pas

COUP DE COEUR



Dans une grande ville d'un pays en guerre, le colonel, ombre grise à la tête de la Section spéciale, est un spécialiste de l'interrogatoire, un bourreau tortionnaire " simple artisan jamais esthète ". La nuit il ne dort pas, ses victimes viennent le tourmenter, de son premier mort à la guerre aux Hommes-poissons tous reviennent le hanter. "Il a bien compris son châtiment, cette peine à perpétuité prononcée par ses martyrs qui lui refusent l'amnésie même provisoire même de quelques heures seulement."



Son ordonnance, un jeune soldat de la Reconquête, assiste à son "travail" dans le sous-sol du quartier des tanneurs, en silence et en retrait du cercle de lumière où le bourreau officie en silence froidement, efficacement, entouré de ses assistants en formation. Il semble se désolidariser de ces actes. Alors que la Reconquête s'enlise dans la brume, que la Ville devient silencieuse, dans un grand Palais déserté, un général enchaîne les parties d'échecs solitaires et devient fou.



Ce texte sur la guerre et ce qu'elle fait aux hommes prend la forme d'une sorte de fable racontant une guerre qui n'est pas nommée dans une Ville qui ne l'est pas non plus. Il pleut sans discontinuer dans cette ville de brume et de brouillard.

Des chapitres où défile l'histoire de trois hommes, le colonel, l'ordonnance et le général alternent avec des chapitres en italique où le colonel s'adresse à ses visiteurs du soir, ses victimes devenues ses bourreaux après avoir pris possession de ses nuits. Le colonel, l'ordonnance et le général n'ont pas de prénoms, ils n'existent que par leur fonction.

Les propos du colonel sont d'une force extrême, lui qui transforme les hommes en choses est conscient d'inspirer un mélange de respect, d'effroi mais aussi de répugnance "j'ai depuis longtemps perdu toute prétention à la sympathie à l'amitié à l'amour à la pitié", devenu un tortionnaire torturé par ses ombres, il ne connait ni sommeil ni oubli.

Pour tenir pendant les interrogatoires menés par le colonel, l'ordonnance se récite intérieurement les lettres que sa mère lui a envoyées depuis son arrivée, pendant que le général, enfermé dans son bureau du grand Palais de marbre, près de la statue du buste décapité du Dictateur de l'ancien régime, sombre dans la folie.



Ce roman est une réflexion sur la guerre qui justifie que l'homme tue pour une cause noble, pour défendre la nation ou pour éviter d'être tué "les morts de la guerre ne sont pas des crimes, soldats", sur la perte de foi des soldats et officiers quand le conflit s'enlise, sur leur extrême solitude.

Emilienne Malfatto excelle dans la suggestion d'un monde peuplé d'hommes devenus uniformément gris dans une ambiance brumeuse, elle retranscrit parfaitement l'étrange atmosphère qui règne sur la Ville et chez les militaires.

Une histoire puissante, épurée mais dense, une écriture de toute beauté. Une lecture coup de poing essentielle tellement elle résonne avec l'actualité.









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Que sur toi se lamente le Tigre

Bijou poignant sur la condition de la femme sur cette même planète où nous habitons tous si près les uns des autres .Court ,fulgurant,violent et pourtant la poésie reste la porteuse de ces mots et maux .

j'ai pensé que l'auteure était née dans ces contrées où la violence trace sa route malgré les larmes qu'elle fait jaillir de tant et tant d'âmes .
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Que sur toi se lamente le Tigre

Entre le Tigre et la terre d'Irak des destins se jouent bien avant qu'ils soient incarnés. Tragiques la vie des filles et des femmes, dramatiques le sort des hommes. Un roman court, brûlant où les voix de chaque personnage se succèdent comme des sentences déjà dites.



L'autrice fait parler Le Tigre, le fleuve témoin de l'Histoire et de la folie des Hommes.
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Les serpents viendront pour toi

Emilienne Malfatto mène une enquête émouvante, entre écrivaine et journaliste de guerre, sur la mort de Maritza, une leader sociale assassinée en Colombie en 2019.

Elle part à la rencontre de ceux qui ont connu Maritza, 61 ans, mère de six enfants sauvagement assassinée chez elle.

Maritza n'est pas la seule à avoir été assassinée, mais pour l'auteure, elle représente tous ses compatriotes qui ont connu ce sort atroce.



Qu’avait-on à lui reprocher ? Quelle menace représentait-elle ? Dans un pays gouverné par l’argent issu du narcotrafic et de la corruption, il est dangereux de se retrouver sur le chemin des groupes paramilitaires ou des FARC. Maritza ne semblait pas représenter une menace immédiate pour ces derniers, mais l'emplacement de sa ferme pouvait susciter des convoitises. Et militer pour défendre les droits d'une communauté est risqué lorsque des enjeux économiques colossaux sont mis en péril.
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Que sur toi se lamente le Tigre

Un tout petit roman très dur et très violent mais d'une telle intensité qu'il ne laisse personne indifférent.

On retrouve le parcours de cette jeune femme qui se sait condamnée à mort par sa propre famille pour s'être laissée emportée par l'amour. Le plus glaçant pour nous occidentaux, est qu'elle l'accepte tout comme sa famille, comme il se doit dans leur culture.

Un roman sur la liberté et la place de la femme aujourd'hui en Irak.

Un véritable coup de cœur.
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