AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Émilienne Malfatto (423)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Que sur toi se lamente le Tigre





6 jours de Covid.

Terrassée par la fatigue. Incapable de travailler, de te concentrer. Aucune lecture ne parvenait à retenir ton attention.

Tu as renoncé.

Résignée.

L'épuisement a gagné.



Et puis le septième jour, au lieu de te reposer, te voilà debout.

Tu ouvres ce livre. Très court. Parce qu'il est court, tu envisages qu'il n'accaparera pas ton attention trop longtemps. Tu te trompes. Il va te poursuivre, ce roman. Longtemps.



Irak.

Une jeune femme va mourir.

Mourir d'avoir aimé.

Hors mariage.



Sa voix d'abord, sa voix amoureuse. La jeune fille succombe au désir de l'ami de son frère.



Suivront d'autres pages.

D'autres témoignages.

Tu choisis ce mot parce qu'il te semble qu'on ne peut les nommer autrement. Un crime se produit. Il ne peut s'agir que de témoignages.



Celui des frères.

Du tueur.



De la sœur.



De la mère.



Chacun accepte ce crime.

Et tu retiens tes cris, tu les maches et les remaches, tu voudrais oublier la réalité de cette histoire.



Un texte très court.

Très beau.

Que sur chaque femme bafouée, maltraitée, blessée, martyrisée, tuée, humiliée..., se lamente le tigre.
Commenter  J’apprécie          161
Le colonel ne dort pas

Un colonel soldat

quelque part dans un pays en guerre

« passe de noires nuits blanches nuits atroces 

interminables 

avec ses ombres »

Il a tué, torturé. 

Au nom de la guerre. 

Pour la Nation.

On dit de lui qu'il est un « spécialiste ».

Aujourd'hui, au temps de la Reconquête, les fantômes de ses morts le hantent et à leur tour, le torturent, prennent possession de ses nuits et le soustraient au sommeil.



« mais après vous les Hommes-poissons 

qu'avais-je à perdre 

puisque le sort était déjà jeté 

puisque vous alliez revenir me hanter

blanchâtres et gonflés d'eau vaseuse 

c'est ainsi que je me rappelle de vous

que vous êtes restés derrière mes paupières 

dans ma tête 

si je m'arrachais les paupières et les yeux vous seriez



encore là »



Il est passé de bourreau à victime, devenu gris, maussade à l'instar du palais dans lequel il exerce « l'art qui consiste à ne pas faire mourir trop tôt ». 



Son teint sombre déteint petit à petit sur le décor. le capitaine devient fou. le navire prend l'eau en "absurdie". 



Une petite nouvelle qui nous plonge dans l'horreur de la guerre. 



Le soldat colonel déclame sa souffrance dans de longues tirades. 



Des tirades qui donnent à voir toute la noirceur que la guerre instille. 



Et apportent également la touche poétique qui rend ce livre puissant, saisissant.  




Lien : https://seriallectrice.blogs..
Commenter  J’apprécie          160
Que sur toi se lamente le Tigre

Une jeune femme va bientôt mourir des mains de son frère. Sa faute ? Elle est enceinte hors mariage d'un homme mort au combat. Ils devaient se marier. Mais voilà, nous sommes en Irak et on ne plaisante pas avec la tradition, elle doit mourir pour laver l'honneur de la famille.

Ce court récit est entrecoupé de poésie, le Tigre (le fleuve) nous raconte son pays, ses légendes, et les autres chapitres racontés par les membres de la famille de la condamnée nous raconte l'Irak et ses traditions ancestrales que subissent les femmes encore aujourd'hui. Poignant.
Commenter  J’apprécie          160
Que sur toi se lamente le Tigre

Un premier roman, plus que prometteur pour la suite ! J’ai été bouleversée par le sujet, l’emprisonnement des pensées jusqu’à la négation de soi-même. Les traditions en Irak qui sont insurmontables quelque soit le sexe, l’âge, ou la situation familiale. La guerre et ses horreurs qui alourdissent l’ambiance déjà trop angoissante. L’écriture concise, claire, poétique. Le fleuve Tigre qui traverse le pays, charrie l’histoire du pays grâce à des petits poèmes. Si vous voulez avoir plus d’info sur le roman lisez les critiques des membres Babelio, comme Fandol, ils font ça très bien… Quand même, âme sensible s’abstenir, pas d’images Ghor, ni sang, ni tortures, mais des projections mentales très très violentes.
Commenter  J’apprécie          161
Que sur toi se lamente le Tigre

J'ai depuis toujours une immense admiration pour les œuvres d'art de la civilisation mésopotamienne. depuis toujours je rêve de Tigre et d'Euphrate, de taureaux ailés et de génies, ces statues monumentales au milieu desquelles j'ai longuement flâné au Louvre dès mon adolescence. Beauté et sérénité qui invitaient à la poésie et à la méditation.



Et me voilà en soixante-dix-neuf pages projetée dans l'époque actuelle, avec de vrais gens qui prennent la parole et racontent, brièvement, douloureusement, ce qui se passe aujourd'hui dans la même région devenue en partie l'Irak. La guerre, les milices, les morts, les gens défigurés ou handicapés à vie. L'horreur.



Mais ce n'est même pas ça le sujet qui suscite le plus notre empathie, notre chagrin, notre colère.

C'est ce qu'il advient d'une jeune fille qui, son amoureux étant sur le point de partir à la guerre, se donne à lui. Ce qui aurait pu être le point de départ d'une vie d'amour, de couple, de famille, se transforme en poison mortel. Sous l'abaya noire, triste à mourir, le désir de vie et d'amour. Dans les yeux du maître de famille, la condamnation à mort. Avec l'assentiment silencieux d'une mère, d'un frère, d'une sœur.



Ce qui est révoltant, et tellement triste, c'est le consentement tacite, le silence résigné des « autres », ceux de la famille qui n'approuvent pas la décision du maître de punir la jeune amoureuse souillée, au nom de l'honneur de la famille, au nom de la peur du qu'en dira-t-on.



C'est révoltant, c'est vrai, au XXIème siècle. Mais regardons derrière nous, pas très loin, les images de la première moitié du XXème siècle. Combien de filles chassées par leurs parents ou mariées en hâte au premier volontaire (bien rétribué) venu, pour cacher la honte d'un ventre qui s'arrondit précocement ? Combien d'avortements mortels ou invalidants, toujours traumatisants ? Combien de suicides ?



Ce livre ne nous apprend malheureusement rien sur la condition féminine dans de nombreux pays du globe, mais reste un coup de poing, un choc. Inacceptable.



C'est le premier roman d'une reporter-photographe de guerre active notamment en Irak . Ses mots percutants, la parole donnée aux personnages et au Fleuve, le Tigre, alternent poésie triste et parole résignée, en une ronde fantomatique « sous le regard tutélaire de Gilgamesh, héros mésopotamien porteur de la mémoire du pays et des hommes. »
Commenter  J’apprécie          166
Que sur toi se lamente le Tigre

Un roman court peut être une claque aussi violente qu'un énorme pavé, voici ce que démontre ce petit roman sur l'Irak d'aujourd'hui, où une jeune femme a cédé une fois à l'insistance de l'homme qu'il aimait...Seulement, voilà, il est mort, il ne reviendra pas l'épouser, et elle et l'enfant qu'elle porte vont mourir pour cela.

Les points de vue se succèdent, la mère, la belle-soeur, le petit frère, et le Tigre, le Tigre qui de chapitre en chapitre pleure l'Irak, et ce que le pays est devenu, le Tigre pleure sur les morts qu'il charrie et sur ce qui n'en finit plus de briser.

Une tragédie moderne, et antique à la fois, et c'est vraiment une honte.

Un grand premier roman.
Commenter  J’apprécie          160
Les serpents viendront pour toi

Son premier roman "Que sur toi se lamente le tigre" avait été un véritable coup de foudre. Je n'ai pas hésité un instant – et sans même savoir de quoi il parlait – à choisir sur la table de mes libraires ce nouvel ouvrage d'Emilienne Malfatto, au titre énigmatique, "Les serpents viendront sur toi". le plaisir de lecture fut au rendez-vous.



"Ce récit est le résultat d'une enquête menée à l'automne 2019…Depuis, certaines choses ont changé.", annonce l'auteure en postface. C'est donc bien d'une enquête qu'il s'agit, "une histoire colombienne" comme indiquée sur la couverture. Un récit en forme de lettre adressée à Maritza Queroz Leva, assassinée le 5 janvier 2019, dans sa maison "sur les pentes de la Sierra Nevada de Santa Marta". Elle était "leader social".



L'auteure enquête, rencontre les enfants de cette femme tombée sous les balles, mais aussi la guérilla des FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) ou plutôt "ex-guérilla" depuis 2016, date à laquelle est signé l'accord de paix avec le gouvernement. Elle entend alors parler du Vieux, ou encore "El Patrón", Hernán Giraldo…le coupable ? Allez savoir ! Elle se rend vite compte qu'elle n'avance guère dans la résolution de ce crime non élucidé et doit se contenter d'émettre des hypothèses. Elle remonte l'histoire, visite les lieux de vie de Maritza, interroge sans fin.

D'une écriture simple, directe, vive, journalistique, ponctuée de passages empreints d'une grande poésie, Emilienne Malfatto nous raconte la Colombie, la violence des narcotrafiquants, des rebelles et des paramilitaires. Elle nous relate des chiffres, ceux des morts mais aussi des "déplacés internes", ceux qui ont tout perdu, à qui l'Etat a failli, qui fuient et terminent généralement dans les bas-fonds des grandes villes...qui, en 2004, représentaient officiellement plus de trois millions de Colombiens – plus de 7 % de la population de l'époque."



Un ouvrage à la fois littéraire, poétique, historique, politique et d'un grand intérêt qui met en lumière la Colombie, les défenseurs des droits humains et rend hommage à ceux dont les crimes n'ont toujours pas trouvé leurs coupables.

Commenter  J’apprécie          160
Que sur toi se lamente le Tigre

Nouvelle ou mini-roman, comment qualifier ce court livre de 62 pages, pas de mini-ouvrage en tout cas tellement dense en intensité est son écriture !

Coup de cœur absolu !!

Une jeune irakienne célibataire fait un déni de grossesse après une unique relation sexuelle peu probante avec son fiancé mort à la guerre avant qu'elle ne prenne conscience de son état.

Le poids des traditions est si lourd dans sa famille qu'elle sait que la découverte de sa 'faute' la condamne irrémédiablement à une mort qui lui sera donnée par son frère aîné.

En attendant cette fin funeste, elle nous raconte sa triste et courte vie, passant la parole aux autres membres de la famille qui s'expriment sur ce drame intime qui se tisse.

Une ronde funèbre !

Avec elle, on attend l'arrivée du bras vengeur qui va frapper pour laver l'honneur de la tribu.

Court mais intense, l'art même de la concision, l'écriture comme un cri, la lecture comme un direct dans l'estomac.

Un coup de maître.

Bravo et merci.
Commenter  J’apprécie          163
Que sur toi se lamente le Tigre

« Chez nous, mieux vaut une fille morte qu'une fille mère. » (p. 20) La narratrice principale est lucide : pour avoir eu une relation amoureuse et physique hors mariage, elle mourra de la main d'un membre de sa famille. En Irak, pays déchiré de bombes et blessé par des traditions mortifères, le crime d'honneur n'est presque pas un crime, c'est un droit. D'autres voix que celle de la jeune fille s'élèvent, révélatrices d'un défilé sinistre : la mère, les frères, les amis, tous sont résignés à la mort de celle qui a voulu vivre. « Je suis un homme bien mais je n'empêcherai pas mon frère de tuer ma sœur. Je suis en demi-teinte, enchaîné à des règles que je condamne, navré d'être un salaud. » (p. 70) Enfin, une voix sublime toutes les autres, celle du fleuve Tigre qui assiste au passage des siècles et aux ravages des hommes. « Mes eaux sont depuis longtemps empoisonnées. [...] Je meurs car depuis longtemps les hommes ont cessé de m'aimer et de me respecter. Ils ont pris goût au désastre. Je ne suis plus source mais ressource, et les hommes de cette terre aride ont oublié qu'ils ne pourront pas vivre sans moi. » (p. 47)



Le récit de cette mort programmée est implacable. Ici, le destin est inexorable, entériné et achevé dès que formulé. Aucun manichéisme dans la description des personnages : il n'y a pas les coupables fous de Dieu d'un côté et les innocents ravis par l'amour de l'autre. Il n'y a que des humains qui ne savent pas vivre autrement que dans le système qui leur a été transmis et auxquels il manque la force de s'élever pour proposer autre chose. Cette lecture de début d'année ne peut pas être qualifiée de coup de cœur : c'est un coup de poing, ou un coup au cœur.
Commenter  J’apprécie          163
Le colonel ne dort pas

Émilienne Malfatto nous conte ici l’histoire du colonel.

Un homme qui aura survécu à l’ancien régime, aux procès, aux arrestations parce qu’on ne pouvait se passer de son « talent ». Ce colonel c’est un spécialiste. Un spécialiste des interrogatoires. Il ne sait d’ailleurs pas ce qu’il ferait d’autre.



C’est une âme grise. De tortionnaire il est passé à torturé. Parce que désormais toutes ses vies qu’il a volées, reviennent le hanter la nuit. Ce sont de longues nuits d’insomnie qui l’attendent chaque soir et une couverture qu’il partage désormais avec ses martyrs. Le colonel ne dort pas.

Un sentiment qui le déstabilise mais pas au point de l’empêcher de continuer son effroyable activité.

C’est peut-être d’ailleurs tout le paradoxe de ce livre. Le colonel tortionnaire torturé. Mais qui chaque matin réendosse le masque impassible du bourreau.



C’est un livre assailli par la grisaille. Une ville en guerre monochrome. Seul un jeune ordonnance essaie de s’échapper par la pensée en imaginant son village, les couleurs, un lendemain qui pourrait un jour arrivé.

Agréablement surprise par ce livre vers lequel je ne me serai pas forcément dirigée. Malgré un sujet difficile, voir horrifique, l’auteure fait preuve de justesse et de poésie. A lire !
Commenter  J’apprécie          150
Que sur toi se lamente le Tigre

Une gros coup de coeur. Un drame d'honneur, dans une famille irakienne. Une jeune femme couche avec l'homme qu'elle aime, Mohamed. Les fiançailles sont prévues. Mais Mohamed meurt sur le front, dégât collatéral d'un bombardement qui s'est trompé de cible. Sa non-encore fiancée sait qu'elle sera exécutée par la main de son grand frère, car elle est enceinte, et l'honneur de la famille vaut plus que sa vie et celle de l'enfant. Dans les courts chapitres qui se succèdent, tous les membres de la famille livreront leurs pensées, la jeune femme, ses frères Amir, Ali, et Hassan, sa mère, sa petite soeur Layla, sa belle-soeur Baneen ; mais aussi le Tigre, ce fleuve qui traverse Bagdad et d'autres villes d'Irak meurtries par l'avancée djihadiste.

Un premier roman d'une densité et sensibilité remarquables, récompensé par le Goncourt du premier roman en 2021.
Commenter  J’apprécie          150
Que sur toi se lamente le Tigre

Un fleuve de sang



Le fleuve, c’est le Tigre, qui traverse l’Irak du Nord au Sud, en passant par Bagdad, avant de rejoindre l’Euphrate. Le sang, c’est celui des hommes et des femmes de ce pays martyr. Celui des hommes qui font la guerre et tombent sous les bombes ou sous les balles des ennemis ou, comme Mohammed, touché par « erreur », une victime collatérale, comme tant d’autre, pulvérisé, dont il ne reste rien à porter en terre… Le sang des femmes surtout, (« Nous naissons dans le sang, devenons femmes dans le sang, nous enfantons dans le sang. ») celui qui devra réparer la faute, restaurer l’honneur de la famille.

Les mots ont (parfois) une force incroyable. Dans ce court roman, l’auteure nous fait vivre quelques heures de la vie d’une jeune femme, et alterne les voix, celle de cette femme, mais aussi celle de sa belle sœur, de ses frères Amir et Ali… C’est comme si nous étions près d’elle, comme si nous pouvions la toucher, écarter son voile, la prendre dans nos bras, l’emmener loin du sort tragique qui l’attend et auquel elle semble résignée.

C’est un très très beau roman (le premier de l’auteure), d’une puissance et d’une tristesse infinie…

Commenter  J’apprécie          153
Que sur toi se lamente le Tigre

Un récit court mais poignant : l’histoire d’une jeune fille amoureuse qui accorde à son fiancé une étreinte qui la rendra enceinte avant que celui-ci ne parte à la guerre.



Le fiancé meurt, la fille et sa famille sont déshonorés.



Nous sommes en Irak, dans un village au nord du pays où les traditions sont tenaces.



Tour à tour, nous entendons parler la mère qui respecte à la lettre ces traditions depuis son enfance ; le grand frère qui n’ose se rebeller mais qui est un progressiste ; le frère qui lavera l’honneur de la famille ; et la petite dernière qui ne comprend pas grand chose à ces histoires de coutumes et de mort.



Et entre chaque parole, le Tigre qui se remémore le Grand Gilgamesh et ses conquêtes, maintenant sous le sable du désert.



Quelques citations :



C’est une fin stupide. Je rêvais d’héroïsme, je suis un dégât collatéral.



Notre banlieue crasseuse, grise de poussière, bardée de drapeaux noirs, rouges, verts. Le deuil, le djihad, la foi. La trinité des miséreux.



L’image que je retiendrai :



Celle de la couleur noir, omniprésente.
Lien : https://alexmotamots.fr/que-..
Commenter  J’apprécie          150
Le colonel ne dort pas

Ce petit livre, d’à peine 110 pages, m’a fait de l’œil sur un présentoir alors que je sortais, un peu pressé, de la bibliothèque. Le titre, la couverture, l’épaisseur en faisait le candidat idéal pour nourrir mes déplacements en train. Et puis je l’ai oublié dans mon sac. Il est réapparu il y a quelques jours. Intrigant. Je n’ai pas su lui résister.



Dès les premières lignes, j’ai su que ce serait une lecture différente, dérangeante et en même temps addictive. Ce fut une claque ! Non pas que l’écriture soit violente ou revendicatrice. Non, non, ce fut une claque douce. De celle qui marque durablement l’esprit et le cœur.



Ce livre est paradoxal et j’ai bien de la peine à le décrire. Une effroyable aquarelle poétique. Ce sont ces trois mots qui me viennent à l’esprit. Effroyable parce que le sujet est la déshumanisation qu’entraîne la torture. Celle du supplicié, celle du bourreau, celle des témoins. Cet effacement de toute humanité, de toute compassion est formidablement rendu par Emilienne Malfatto. Et en même temps vacille au fond de chacun cette petite flamme fragile, cette nostalgie d’humanité.

Aquarelle car nous sommes en présence d’une écriture très graphique. Tout au long du roman, on a l’impression oppressante de vivre dans ce décor monochrome où jamais ne cesse la pluie, où tout perd de sa consistance y compris le temps, où tout n’est ni noir, ni blanc mais camaïeu de gris.

Poétique car si la torture est omniprésente, l’écriture est un délice qui valse entre la folie, la pudeur, le détachement, la froideur… La souffrance est mise à distance. L’inavouable, l’inexprimable se cache dans les mots. Un vrai tour de force.



Et pourtant, j’en suis resté à trois étoiles. Ce livre est un ovni et je ne suis pas certain de pouvoir en conseiller la lecture. Il fait partie de ces ouvrages qu’il faut « rencontrer » personnellement. Je ne suis pas sûr non plus, de revenir à cette lecture. J’aurai trop peur d’en briser cette première impression si admirablement dérangeante.



En conclusion : voici un très beau roman sur le poids de la culpabilité qui ronge et détruit l’Homme dans ce qu’il a de plus précieux : la compassion. A ce titre, ce livre doit interroger notre monde si férocement individualiste.

Une chose m’a manqué. Le personnage principal espère la délivrance et le sommeil de la mort mais il n’espère même plus la rédemption… c’est là encore malheureusement une peinture assez fidèle de notre monde.

Commenter  J’apprécie          141
Le colonel ne dort pas

Cela pourrait être n’importe où et n’importe quand, mais les lieux foulés par l’autrice dans le cadre de sa profession, du coté du moyen orient ont sans doute inspiré ce conte philosophique. Trois personnages, l’ordonnance, le colonel et le général sont les acteurs d’un conflit dont on ne connaît ni les origines, ni les objectifs ni l’évolution. Seule une pratique, commune à tous les conflits est évoquée et fait l’objet de cette narration, la torture. Le colonel, bon petit soldat semble être parvenu à un détachement psychologique lui permettant d’effectuer les pires horreurs pour briser la vie des prisonniers qu’il interroge, mais, les apparences sont trompeuses et ses exactions sont à l’origine de troubles affectant durablement son sommeil. Les faits sont suggérés, et on ne mesure leur gravité qu’aux effets qu’il produisent sur les protagonistes. Les passages narratifs du quotidien sont entrecoupés par des réflexions de conception poétique sur les remords, la culpabilité et des dialogues entre morts et vivants, bourreaux et victimes. Cette évocation, désincarnée touche le lecteur par sa forme et l’absence de descriptions gore forcent l’imagination de leur violence et leur gravité. Une petite touche d’humour dans cet univers angoissant et glauque émerge avec l’attitude de ce général fou qui s’abrite sous un parapluie des fuites d’eau de son bureau et qui profite de son environnement aquatique pour sortir sa canne à pêche !
Commenter  J’apprécie          140
Que sur toi se lamente le Tigre

Emilienne Malfatto a obtenu le prix Goncourt du premier roman pour "Que sur toi se lamente le Tigre"



Dans une alternance de poésie et des points de vue en prose de tous les membres d'une famille irakienne et du fleuve pluri-millénaire Tigre, l'auteure aborde l'abominable guerre qui met fin aux vies des enfants, des femmes et des hommes à chaque coin de rue et le redoutable sens de l'honneur qui exige le sacrifice des femmes qui portent la vie sans être mariées.



On ressent une connaissance intime du monde irakien et la force poétique de ce court roman est inspirée.



Cependant je l'ai moins aimé que "Le colonel ne dort pas", injustement sans doute du fait de son thème : l'abomination de la guerre, la grande souffrance des femmes soumises aux violences des hommes qui vont jusqu'au meurtre de sang froid sous des prétextes d'honneur familial (l'assassinat, lui, ne semble pas déshonorer), sont tellement évoquées sans résultat dans les littératures actuelles, que la nausée prend à lire ces lignes évoquant toujours la même brutalité masculine, la même apathie féminine, chacun pris dans un étau qu'il ne peut apparemment pas desserrer.



Mais ce qui surprend toujours, c'est l'absence apparente de culpabilité des hommes, les hommes en tant que sous-groupe social, ceux qui se taisent face aux exactions de leurs semblables. Comme si être un homme exonérait de la honte du sang versé.





Le paléoanthropologue Pascal Picq, dans son dernier ouvrage, "Et l'évolution créa la femme" (2020) précise : « Les mâles de notre espèce sont parmi les primates les plus violents envers leurs femelles, les femmes (...) le contrôle des femmes et leur coercition s'aggravent avec la recherche de statuts sociaux chez les hommes, notamment plus âgés. »



Si au moins on ne témoigne pas sans relâche pour ne pas oublier les fléaux engendrés par l'exercice de la violence et prendre conscience nous-même de la fragilité de nos propres acquis, de quoi témoignerions-nous d'autre ?



Bravo donc à Emilienne Malfatto !
Commenter  J’apprécie          140
Que sur toi se lamente le Tigre

Un récit court, percutant, terrible qui dit le sort des femmes en Iraq, ou ailleurs dans le monde musulman.

La vie des femmes qui n’est que douleur, souffrance, humiliation, renoncement et violence parfois jusqu’à la mort.

Chaque phrase est un coup, une blessure.

L’auteure a parfaitement réussi l’exercice du récit qui dénonce et condamne cette société qui fait payer aux femmes le prix du plaisir, des désirs et des faiblesses des hommes.
Commenter  J’apprécie          140
Le colonel ne dort pas

Ce court roman est remarquable par sa concision, sa netteté, la force et la simplicité des images : je l'ai lu d'une traite.



Il alterne récit en prose et poésie.



Il traite du thème de la solitude du bourreau, du moment où la relation s'inverse, et où la victime devient le bourreau de son bourreau.



Car le bourreau se déshumanise, se désépaissit, devient de plus en plus gris : le bourreau perd son visage, il devient le sans couleur, l'humide, le creux.



Le bourreau ne dort plus, il est condamné à une immersion continuelle dans le faisceau de lumière qui éclaire la chambre de torture.



Il est un oeil énucléé, mais cependant toujours ouvert devant le monde sans âme que lui et ses semblables ont créé.



Pour quel idéal ? Aucun idéal : les pouvoirs succèdent aux pouvoirs, on coupe la tête du dictateur d'hier et les hommes de l'ombre n'ont pas besoin d'être remplacés, c'est la même terreur qui règne.



Emilienne Malfetto est née en 1989. Elle est photo-journaliste et lauréate du prix Goncourt du premier roman 2021 pour son livre "Que sur toi se lamente le Tigre".



Son essai d'investigation "Les serpents viendront pour toi : une histoire colombienne" a été récompensé en 2021 également du prix Albert Londres.

Commenter  J’apprécie          140
Que sur toi se lamente le Tigre

Comme dans les couloirs de la mort.

Dès le début on sait que cette jeune fille mère sera tuée par son frère ainée pour laver l'honneur de la famille et qu'elle soit oubliée à tout jamais.

L’archaïsme religieux va l'emporter pour le qu'en dira-t'on, le "Que vont penser les voisins". Les membres les plus modérés ni pourront rien.

L'affaire est pliée des les premières lignes, le crime d'honneur sera commis, mais que c'est beau, que c'est concis. C'est aussi un roman choral, ou chaque membre de la famille donne son point de vue.
Commenter  J’apprécie          140
Le colonel ne dort pas

Dans une Ville en guerre, jamais nommée, un Colonel est affecté pour diriger la Section spéciale sous les ordres d'un Général, enfermé dans son bureau et jouant aux échecs; le Colonel a à sa disposition une Ordonnance. Le Colonel est un tortionnaire zélé, qui exécute les ordres le jour sans se poser de questions et ne peut plus dormir la nuit, hanté par toutes ses victimes.

Le roman alterne la narration autour de ces trois personnages et les monologues hallucinés sous forme de poésie libre du Colonel dans lesquels il s'adresse à tous ceux qui sont morts sous la torture qu'il leur a infligée.

A aucun moment, n'apparaît le mot "torture" mais sont utilisés des vocables encore plus terriblement évocateurs : "il travaille, coupe, taille, sectionne, tranche, rompt, brise, arrache" qui banalisent l’horreur, en font une activité normale si on oublie que ces verbes concernent le corps d’hommes suppliciés.

Le roman baigne dans une atmosphère grise, humide, poisseuse, poussiéreuse ; la pluie tombe sans interruption conduisant à la déliquescence des êtres et des choses. Paradoxalement, la seule lumière de ce roman provient du halo lumineux sous lequel officie le Colonel et où des êtres humains meurent dans d’atroces souffrances.

L’absence de nom pour la Ville confère un caractère universel au texte, à la guerre et ses horreurs, quel que soit le lieu. Les trois personnages n’ont pas de nom, non plus, comme s’ils étaient déshumanisés. Les victimes sont chosifiées et perdent toute leur humanité en devenant des hommes-poissons ou des hommes-chiens.

Ce roman est un réquisitoire terriblement efficace contre la guerre, contre la torture. On ne peut manquer d’associer le Colonel à Paul Aussaresses, que Pierre Messmer qualifie en exergue de « spécialiste », qualificatif que l’on retrouve accolé au personnage du Colonel ; comme les militaires du roman, il portait un béret rouge, celui des Parachutistes, auquel il appartenait. Paul Aussaresses a pratiqué et justifié la torture en Algérie comme moyen de récolter du renseignement afin de faire avorter les opérations ennemies meurtrières.

Ce texte est glaçant, désincarné, déshumanisé, il donne la nausée mais il est d’une force évocatrice incroyable. La langue est magnifique et puissante. Je ressors secouée de ma lecture et admirative du caractère singulier et dramatique de ce court roman.

Commenter  J’apprécie          140




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Émilienne Malfatto (1474)Voir plus

Quiz Voir plus

Jérusalem dans les Arts

L'Entrée du Christ à Jérusalem est un tableau peint en 1897 représentant l'entrée de Jésus à Jérusalem juché sur un âne blanc. Il est l'oeuvre du peintre: (Indice: Académique)

Théodore Géricault,
Jean-Léon Gérôme
Paul Gauguin

12 questions
1 lecteurs ont répondu
Thèmes : israël , Israéliens , jerusalem , littérature , adapté au cinéma , cinema , culture générale , orient , judaisme , ville sainte , peinture , Arts et beaux livres , beaux-artsCréer un quiz sur cet auteur

{* *}