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Citations de Éric Fottorino (699)


Jamais ces deux-là ne se sont autant parlé. La maladie les rapproche. Le temps compté. Un sourire éclaire le visage de Brun. Ce taiseux veut dire ce qu'il sait du monde qu'il quitte. Une sorte de transfusion du père au fils.
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— Vous avez ma parole que tout se passera sans accroc.
— Oh, votre parole…
Le promoteur, qui croyait l’affaire en poche, se cabra.
— Qu’insinuez-vous ?
— La parole vaut ce que vaut le bonhomme, répliqua Brun. Si le bonhomme vaut rien, elle ne vaut guère plus.
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(Les premières pages du livre)
Déluge
Brun sortit une gauloise de son paquet fripé. Il la laissa pendre à ses lèvres et oublia de l’allumer. Il resta un instant hébété à contempler la place du foirail. Les jours sans marché, le bourg était mort. Comme lui bientôt, pensa-t-il. La voix du docteur Caussimon résonnait dans ses oreilles.
— Brun Danthôme, s’était-il écrié en martelant son nom. Pourquoi t’es pas venu me voir avant ?
— Avec les moissons, les foins, les champs à racler pour les semis, j’ai pas eu une minute, s’était défendu Brun.
— T’aurais dû !
La voix colère du médecin trahissait son inquiétude. Maintenant c’était trop tard. Sauf miracle. Brun avait bien ressenti des coups de fatigue à la fin de l’été. Mais il n’était pas homme à s’écouter. Il s’était dit qu’une vieille carne comme lui devait se donner des coups de pied au derrière pour avancer. À soixante-seize ans, il gardait le feu sacré. Une vie de peine sans se lamenter jamais. De quoi se serait-il plaint, puisqu’il tirait sa pitance de la terre chaque jour que Dieu lui donnait, même s’il n’y croyait guère, au grand ordonnateur du ciel. Un soir pourtant, au retour des champs, le paysan s’était trouvé mal. Son fils Mo l’avait aperçu qui titubait sur le chemin de la maison. Il l’avait soutenu jusqu’à la cuisine, soupçonnant Brun d’avoir forcé sur la bouteille. Mais non, son haleine ne sentait rien que l’anis d’un grain coincé entre ses dents. Il avait grogné que la tête lui tournait. Mo l’avait aidé à se coucher sur son lit et le lendemain il s’était levé à quatre heures pour les bêtes, comme d’habitude. Il y avait eu d’autres signes encore, des migraines, des vomissements, le cœur qui s’emballait sans raison certains soirs, une sensation d’abattement, mais jamais assez pour pousser Brun dans la salle d’attente de son ami Caussimon qu’il fournissait en volailles et en lait depuis des lustres. Deux semaines plus tôt, l’alerte avait été plus sérieuse. Le paysan était parti dans une toux terrible qui avait manqué de l’étouffer. Il s’était dirigé à grand-peine jusqu’à l’évier, et là une gerbe de sang avait jailli de sa gorge. Devant cette coulée rouge sur l’émail immaculé, Brun avait eu un mouvement de recul mais sans la moindre peur. La mort, il l’avait souvent croisée sous le sabot d’un taureau, méchant comme tous les taureaux. Ou sous les roues d’un tracteur.
C’était autre chose, ce spectacle. L’annonce d’un danger qui dépassait sa modeste personne pour viser l’humanité tout entière dont il n’était qu’un pion ridicule. Ce n’est pas le moment de calancher, avait pensé Brun, saisi par ce tableau expressionniste qui s’effaçait dans l’évier en longues arabesques grenat sous le jet crépitant du robinet. Il se donnait encore une paire d’années avant de laisser les Soulaillans à Mo. Presque cinquante hectares de champs, de prairies de fauche et de vignes, ça faisait parler dans ce Jura morcelé, même si la terre était ingrate et caillouteuse, et toujours plus basse avec le temps.
La combe des Soulaillans, c’était aussi des vergers, des pâtures et des bois, une sombre armée de sapins, des taillis et des flancs de coteaux ouverts à tous les vents d’un coup de hache, un bouquet de mirabelliers, des rangées de merisiers, un potager généreux pour ne jamais voir tomber dans les assiettes un triste légume d’artifice. Sans oublier le bâti avec le moulin à meule de pierre, de profonds hangars, le pressoir et le cuvier à vendanges. Et surtout le logis massif couvert de tuiles d’épicéa et d’épais bardeaux descendant bas sur les façades. Il fallait ça pour contrer la bise de Sibérie ou les bourrasques tourbillonnantes de la traverse enflée de pluies océaniques. C’était le logis ancestral des Danthôme protégé par son large toit faiblement incliné qui supportait le poids de la neige six mois l’an. Et que perçait son tuyé noir en chapeau pointu – on disait le « tué » –, la vaste cheminée cathédrale au cœur du foyer où Brun fumait ses saucisses et ses viandes s’il n’envoyait pas y brûler des branches poivrées de genévrier qui ressuscitaient les grandes flambées de son enfance. Quant aux granges et à l’écurie, on les avait directement reliées à l’habitation, une ruse contre le général Hiver et ses furies glacées.
À l’inventaire figuraient encore les chais, l’ancienne briqueterie au bord de l’eau, un chevelu de rus et de ruisseaux, un bout de rivière transparente où Brun plongeait un fil le dimanche – brochet au coup du matin, truite au coup du soir. Et les animaux qui faisaient le capital sur pattes de la propriété. Les six laitières, les chevaux de trait, l’âne de Jérusalem, une basse-cour piaillante, coq, poules et oies, deux braves chiens qui valaient bien un vacher. Les Soulaillans c’était une manière de vivre, au pied des montagnes en pente douce et de leurs croupes gentiment galbées, dans un lacis de vallées et de plateaux empilés qui finissaient par aller chercher le ciel sans y penser.

Un mois plus tôt, le docteur Caussimon avait longuement ausculté Brun. Il n’avait rien trouvé d’autre qu’un début de vieillerie mais il avait insisté pour que le paysan fasse des analyses. Les résultats venaient de tomber. Brun ne bougeait pas, essayant de desserrer l’étau qui comprimait sa poitrine. « Leucémie », venait de lui asséner Caussimon. Brun avait encaissé. Où avait-il attrapé cette vacherie ? Le médecin avait haussé les épaules. « Va savoir. Les analyses disent que tu es malade. Elles ne disent pas pourquoi. » C’est seulement après que Brun avait demandé s’il était foutu. Son ami avait baissé la tête sans répondre. Il remplissait une ordonnance tout en appelant un confrère à l’hôpital de région, à quatre-vingts kilomètres de là. Quand il eut raccroché, il lui avait obtenu un rendez-vous pour le milieu de semaine.
— Je ne suis pas un spécialiste, avait fini par articuler le docteur. Je crois que tous ces produits que tu balances sur tes terres ont fini par te jouer un sale tour. On a connu plusieurs cas ces derniers mois. Des gars comme toi qui envoient de la chimie bras nus depuis qu’ils ont quatorze ans, sans combinaison ni rien, avec des gants déchirés ou pas de gants du tout, et des masques comme des passoires quand ils en mettent. À la longue, ça peut faire des dégâts. Certains sont touchés à la vessie, d’autres à la prostate, aux bronches ou au cerveau. Toi c’est le sang.
Brun s’était levé. Le docteur Caussimon lui avait glissé qu’il l’aiderait pour que sa leucémie soit reconnue par la Sécurité sociale comme une maladie professionnelle. Brun avait remercié, l’œil vague, absent à lui-même.
Il marcha quelques pas jusqu’à sa camionnette qu’il avait garée devant la quincaillerie. Un jour normal il aurait poussé la porte pour embrasser la Jabine derrière son comptoir. Ils auraient parlé de tout et de rien, du travail des champs, du ciel un peu trop bleu, du manque de pluie, du mariage de sa nièce avec un jeune de la ville, l’avis était punaisé près de la caisse pour un vin d’honneur à la mairie – tu viendras j’espère ? Elle lui aurait montré ses articles en réclame, ses nouvelles séries d’outils, des cruciformes inusables, et ses bobines de ficelle agricole en sisal. Cette fois il s’engouffra dans sa camionnette sans un égard pour la vitrine. Une pensée le harcelait. Depuis toujours ses bidons de chimie servaient à éliminer les parasites. Le parasite, à présent, c’était lui.
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«  Comme Brun avant lui, et Léonce avant Brun , et un nombre incalculable de Danthôme avant eux, génération après génération, jusqu’à la nuit de leur enracinement dans cet arrière - pays où on ne venait que pour se perdre ou pour se pendre .
On ne gaspillait rien ici, pas un clou, rien.
Il y avait tout ça dans les regards de Brun et de son fils.
Une longue lignée de labeur et de jours, de valeurs propres aux gens de peu consignées dans une pauvre pointe rouillée » ….p52.
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Ce travail me révélait ce qu’il y a de plus horrible chez les gens. Il montrait à quelle vitesse quelqu’un peut se décider à te blesser lorsqu’il y est autorisé. À quel point il est facile de déshumaniser quelqu’un qui ne se défend pas. Cela montrait aussi que la majorité des gens « normaux » peuvent devenir violents en public si on leur on donne la possibilité.
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Etre soi est une souffrance avant d'être une victoire.
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La confiance ça vient avec l'amour qu'on a reçu
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Je serai l’homme du compromis de l’éditorial avec le capital.
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... d’abord mériter l’honneur qu’on m’avait fait de m’engager.
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J'étais dispensé d'amour comme on est dispensé de gym
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Éric Fottorino
À n'en douter, Donald Doc et sa potion tragique restent Mystère Trump, pour nous Français comme pour nombre de ses concitoyens. Comment un homme aussi primaire, binaire, vulgaire, infligeant une telle purge à son pays, peut-il jouir d'un pareil soutien malgré les bruyantes casseroles qu'il traîne derrière lui, des soupçons de manipulation russe de son élection à ses frasques sexuelles, de ses diatribes endiablées contre tout ce qui bouge - les médias, les Nord-Coréens, les Iraniens, les Européens, les défenseurs du climat - à ses oukases twittés non-stop ? Réponse ? «It's the economy, stupid!» («C'est l'économie, idiot!») [...]. Sur ce terrain, c'est vrai, Trump réussit des big deals, [...] grâce à son protectionnisme à la petite semaine. À court terme, ça marche. Mais sur la durée, l'Amérique peut-elle vraiment se mettre à dos le reste du monde en révoquant le principe même du libre-échange ?

(«Donald Doc et Mystère Trump» dans Le Un, n°223)
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Elles sont inertes et usées, des mains qui ont secouru, nettoyé, réparé, tenu bon, des mains douces, des mains seules comme abandonnées.
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L'ombre de Paul nous sépare, à moins qu'elle ne nous rapproche. Il fut mon premier père, le seul homme jusqu'à mes dix ans, un père par défaut, un père comme une tante, m'avaient jeté à la figure des copains qui cessèrent de l'être, du temps de Caudréan.
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J'étais le fruit d'un amour défunt, la petite lumière dérisoire de deux étoiles mortes.
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Bonnes soeurs, ni bonnes ni soeurs. Mère supérieure en cruauté.
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À l'époque un enfant sans mari, c'était une maladie infamante.
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C'est mon métier d'infirmière qui m'a sauvée. M'occuper des gens, les soulager. Éprouver leur reconnaissance muette. Surtout les plus âgés, quand je venais pour leur toilette. Je faisais ce qui rebutait tout le monde. Plus je les lavais, plus je me sentais propre.
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J'avais besoin de me sentir aimée. Juste aimée. Quand on est transparente pour sa mère, on veut être aimée. Même quelques minutes. On habite complètement le corps de l'autre, il devient notre seul domicile fixe. On se colle à lui. On s'accroche à un mot, à un geste gentil. On mendie la chaleur d'une peau, une main rassurante. Une présence. Ça ne valait pas grand-chose, mais c'était mieux que rien.
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 La sœur porte une alliance à la main gauche. Elle est mariée avec Dieu. C’est un sacré polygame, Dieu. 
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Ton père vit quelque part à Madagascar. Tu étais gamine quand il a mis les voiles. Ta mère s'est livrée aux corbeaux d'église. Tu es sans nouvelle de tes frères. Tu t'es fait une raison. La famille, c'est mieux sans.
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