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EAN : 9782070344376
176 pages
Gallimard (05/02/2009)
3.89/5   73 notes
Résumé :

Réfugiée anonyme dans les nuits glaciales de Bergen, Clara Werner a fui l'aveuglante lumière et le soleil écrasant de la médina de Fez. Sur sa route chaotique et malheureuse, Bergen est la dernière étape avant le pôle, l'extrémité du globe, la limite de sa géographie intérieure. Comme cette vieille terre ravinée aux entailles profondes, le corps de Clara est le reflet des meurtrissures de son histoire. Marquée par les bras qui ne l'ont pas étreinte, par les ... >Voir plus
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Si l'histoire commence à Fès, dans la Medina, je la retrouve à Bergen, cette jeune fille frêle et fragile, tout au Nord de l'Europe, au Nord de la vie, du froid et des ancêtres viking qui boivent leur cervoise dans des crânes humains. Il pleut, comme tous les jours. La nuit tombe vite mais des étoiles scintillent encore dans le ciel. Probablement l'âme des ancêtres qui veillent sur les corps encore vivants. Mais j'apprends vite qu'elle n'est plus vraiment vivante. Un passé lourd, des coups et une fuite. Bergen, comme une échappatoire avec vue sur la mer, mais pas la Méditerranée.

Je pousse une porte, un pub bruyant, des hommes bourrus qui chantent, lancent des fléchettes et cognent des choppes en métal. « Krol » ! En tous sens. Cela « krol » de partout – et j'ai oublié de mettre une sk[r]oll au frais. La langue y est inconnue, mais belle. Au Maroc aussi, elle m'était inconnue mais me paraissait moins belle, plus écorchée. Elle, je la sens justement écorchée, comme une abandonnée de la vie, malgré ses vingt-trois printemps. Comme quoi, certaines blessures physiques atteignent au plus profond de l'âme.

Je pousse une autre porte, celle d'un accordeur. Drôle de métier me diras-tu, d'autant plus que tu n'y trouveras aucun instrument de musique. Juste une musique, celle d'Edvard Grieg. Pour le repos de l'âme. Pour relâcher les muscles. Et le souffle. Souffler, elle en a bien besoin. L'accordeur l'a vu, de suite. Il répare les corps, en même temps que les âmes. Avec patience, avec écoute. Ne pas brusquer un corps défait. le temps ne presse pas, surtout qu'il pleut dehors. Se laisser bercer par la musique, écouter le son de son coeur, la musique de son âme. La vie est devant soi, se dit-il. Alors ne pas la brusquer. L'attendre à chaque rendez-vous. le moment viendra où elle se relâchera, comme on relâche ses cheveux au vent. A ce moment-là, il pourra accorder son corps à son âme.

Une troisième porte s'ouvre. Je glisse un oeil, des tableaux, des toiles d'un vieux peintre alcoolique. Lui aussi a arrêté de peindre. Il a perdu l'amour, l'âme du peintre. Mais peut-être qu'avec elle, il redécouvrira la beauté. La beauté du monde, sa beauté à elle. Peut-être. Parce qu'il voit surtout sa souffrance, ses bleus dans la nudité bleutée qu'une lune nordique éclaire. Les bleus de l'âme.
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Voilà une lecture qui m'aura bien remuée. Assez indescriptible. Très pudique, tout est dans le sous-entendu, l'écriture d'Eric Fottorino reflète fidèlement le fond même de l'histoire. Une histoire dure, celle d'une jeune femme au parcours fait de souffrance tant physique que psychologique, de sa naissance à l'âge adulte. Elle semble essayer de lutter contre un destin qui l'entraîne implacablement, tout paraît déjà écrit inéluctablement.
J'ai aimé ce parti pris de faire parler la jeune femme, en parallèle avec l'idée que l'"accordeur de corps" se fait d'elle. le lecteur découvre le passé de la jeune femme, comment elle en arrivée à partir en Norvège, de manière très progressive et diffuse, on ressent dans notre avancée très lente, imprécise, ce qui se passe dans l'esprit de Clara.
C'est un roman dur, fataliste, déstabilisant, qui prête à la réflexion, mais d'une infinie poésie dans le choix des phrases, des mots, les images,...
J'ai très envie de retrouver cet auteur dans un autre contexte.
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Je suis accordeur à Bergen. Dans la famille nous accordons de père en fils. Mais faut-il parler d'instruments quand il s'agit du corps humain ? Avant de poser mes mains qui guérissent de tout ou presque, j'apprivoise, j'écoute les silences entre les mots et dans les mots. J'observe les gestes, je caresse du regard puis elles effleurent et se posent sur la chair ébranlée et comme dans un livre en braille, mes mains me racontent l'histoire d'un corps désarmé.

Splendide et diaphane, elle a poussé la porte puis est entrée dans un silence assourdissant. A la minute où elle m'est apparue j'ai compris que mes mains seraient vaines. Les maux à fleur de peau, un corps en désaccord mais je ne voyais qu'elle, Clara.
Clara existe à peine ou si peu. A 23 ans, elle supporte son être avec résilience. Chaque interstice de ce corps étranglé porte les stigmates du désamour et le poids des regrets. La mère, avare de tendresse, ne lui a donné que la vie. Puis un homme qui ne trouve sa virilité que dans le despotisme et les poings, la pousse à fuir avant de défaillir.

A bout de défense, Clara quitte Dublin puis la France. Elle fuit une mère avide de sentiment et un homme qui l'aime trop, qui l'aime mal. Une annonce dans le journal, « Recherche biologiste océanographe à Bergen en Norvège », et c'est l'occasion rêvée pour tout laisser derrière elle. Mais ses vieux démons ne cessent jamais d'exister et l'étouffent peu à peu. L'oxygène lui manque, même au pôle mort.
Le corps de Clara n'est plus en symbiose avec son esprit. Brisée de l'intérieur, sa chair s'est comme fossilisée, un coeur en hibernation hermétique à toute vie. Ce corps tendu à rompre ne lui appartient plus. Il est comme un geyser en ébullition. Comment tient elle encore debout avec ses maux qui la gangrènent ? Ce mal qui coule dans ses veines n'est ce pas la source qui la maintient encore en vie ? Elle est un mystère que mes mains aimantes ne peuvent toucher, pas encore, de peur de la briser. Suivre ses courbes lentement et elles me guideront à l'onde de choc.

Clara… Clara… Clara…

Le mal de mère, quand on cherche bien on finit toujours par crever…




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« Jamais je n'ai eu sous les yeux une partition aussi complexe et délicate que la membrure de Clara Werner. Son corps mérite de l'inédit, un mouvement singulier pour main seule, une main qui improvise, une main qui apprivoise »

Ça y est, je l'ai trouvé, enfin, et je le tiens entre mes mains… C'est ce que je me suis dite en découvrant ce petit livre de Fottorino, soulagée d'avoir repéré le roman qui offrirait à mes sens cette idée d'avoir déjà vécu ma vie, littéralement parlant, d'en avoir éprouvé les plus belles sensations d'amour. Et puis, au final, l'auteur n'est pas allé au seuil des émotions pures. Il s'est arrêté quelque part, alors que je croyais tenir à bout de doigts la promesse du sublime. Tout était là, pourtant. Les blessures d'une femme et les mains d'un homme, pour redonner vie à ce territoire intime et profondément fracassé.

Clara est biologiste. Elle fuira Fès, à l'âge de 23 ans, pour rejoindre l'Institut Océanique de Norvège, dans l'espoir d'une vie meilleure. Elle prendra surtout la fuite d'un mariage raté durant lequel elle sera victime de violence, de séquestration, des pires humiliations. Et son corps se souviendra, il portera les traces de la haine, du manque d'amour, d'une douleur sourde, du regret et du renoncement, aussi. Il sera en mille morceaux lorsqu'elle arrivera à Bergen, couverte d'eczéma. C'est ainsi qu'elle punira son corps du bien-être qu'il éprouve…

« J'ai l'impression que l'accordeur a repéré une trace sur mon bras. Ses mains me font peur. S'il me touche, il va s'apercevoir que mon corps est en mille morceaux. Ou qu'il n'existe pas. Et s'il réveille ma première peau, ma peau d'avant les coups de minuit, ce sera pire encore. Il verra l'empreinte de ma mère… qui ne m'a rien donné, sinon la vie…»

Lui, on le surnomme « l'accordeur de corps ». Ce qu'il accorde aussi et surtout, c'est la confiance à ceux ou celles qui l'ont perdue. du bout des doigts, il ressent le chaos sonore des corps meurtris, la souffrance palpable des tissus abîmés. Et le hasard les mettra l'un l'autre sur le même chemin. Avec ses mains aimantes et douces, il l'aidera à retrouver ce qu'elle est, à lui redonner cette part de valeur qui lui revient, en tant que femme. Il fermera les yeux, pour mieux la ressentir, pour lui faire découvrir les limites de son corps, les fissures, les traumatismes. Pour atteindre l'intérieur de ses frontières intimes. Il sera son ultime pourvoyeur de caresses. Mais il faudra beaucoup de temps pour accorder le corps d'une femme qui ne s'aime plus…

« Je suis un accordeur de corps. J'accorde les muscles et les vertèbres comme un guérisseur de piano rend leur souplesse aux cordes martelées de la table d'harmonie. C'est toute ma vie, accorder. Au fond, je ne connais pas d'oeuvre plus humaine ».

L'histoire en soi se laissait savourer, à rythme lent, jusqu'à l'arrivée d'un troisième personnage, peintre. Il posera un regard sur les souffrances de Clara, là où l'accordeur de corps y aura posé ses mains. Ce personnage n'ajoutera rien à l'histoire, sinon qu'il tentera de redonner confiance à Clara en éveillant sa beauté. Je n'ai pas saisi les motivations de l'auteur à ce sujet. Autrement, les images sont magnifiques, j'ai surligné plusieurs passages au fil de ma lecture. Certains symboles sont aussi très forts. Mais il manquait un je ne sais quoi dans l'élaboration des sentiments. Pas que je me sois attendue à des ébats amoureux à ne plus finir, mais certainement à une reconnaissance des gestes posés, en retour. C'est donc la finalité qui m'a laissée sur ma soif, toujours à l'affût d'un certain éveil chez Clara. Aussi respectueusement que ses mains caressaient son corps, jamais n'est exprimé le bien-être profond qu'elles ont sur le grain de sa peau. le territoire est fragile, certes, mais la reconstruction de l'âme est aussi possible. C'est ma seule déception…

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Clara arrive à Bergen loin de Fez et de son mari, un homme violent et destructeur. Grâce à son père, elle a pu s'enfuir, mais son corps et ses pensées restent marqués par ce qu'elle a enduré.
le directeur de l'Institut où elle travaille comme biologiste lui donne l'adresse d' un ami "accordeur" dont le métier consiste à redonner aux muscles l'harmonie qui leur fait défaut à la suite de traumatismes.
"Un territoire fragile" est un livre sensible d'Eric Fottorino, à la fois roman et conte, avec un double regard sur la Norvège et le Maroc. Ce livre est aussi un message bouleversant sur le devenir d'une jeune fille que sa mère n'a pas aimée.
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Citations et extraits (28) Voir plus Ajouter une citation
La plaque de cuivre vissée à la porte de mon cabinet prête souvent à confusion. Je le savais en demandant au graveur d’inscrire ce simple mot : accordeur. En réalité, j’accorde d’étranges instruments, mais faut-il parler d’instruments quand il s’agit de corps humain ? Plusieurs fois par jour, on me sollicite pour un violon mal en point, les cordes détraquées par le froid. Dans la patrie de Grieg où tout un chacun a essayé au moins une fois d’interpréter sa fameuse suite de Peer Gynt, le plus humble foyer abrite un violon et son archet. Lorsque l’apprenti musicien de la famille mesure la difficulté à devenir Edvard Grieg et met sur le compte du mercure son impossibilité à remuer les doigts aussi vite que l’exige la partition, comme si Grieg avait mis des gants pour réussir, l’instrument est rangé avec une vénération perplexe. Mais quelque temps s’écoule et il se trouve toujours un audacieux ou un inconscient pour tenter sa chance, ce qui explique le surmenage des accordeurs à Bergen, les écarts de température ayant raison des réglages au millimètre du crin de cheval. Aux visiteurs heureux de me découvrir les mains libres dans mon cabinet, qui vérifient sans m’écouter l’absence miraculeuse de file d’attente et de violons en souffrance, je propose, une fois leur déception passée, trois adresses d’authentiques accordeurs. Cette entraide est bien naturelle. Il arrive qu’un de ces maîtres m’envoie un teneur de violon malhabile dont le mouvement imparfait du bras éreinte les cordages. Là, c’est à moi de jouer. Je suis un accordeur de corps. J’accorde les muscles et les vertèbres comme un guérisseur de piano rend leur souplesse aux cordes martelées de la table d’harmonie. C’est toute ma vie, accorder. Au fond, je ne connais pas d’œuvre plus humaine.
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Qui n’a pas vu la pluie tomber à Bergen ne sait rien de la pluie. Chaque jour il pleut. Ici, lever les yeux vers le ciel n’est pas un signe d’espoir mais de résignation. Une pluie qui ne mouille pas, prétendent les Bergenois pour faire bonne figure devant une étrangère. C’est vrai qu’elle ne mouille pas, à condition de lui échapper, de pousser la porte d’un de ces pubs où la bière pression et les jeux de fléchettes s’y entendent pour égayer les nuits précoces de la cité hanséatique.
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J’ai commandé un Viandox et je me suis installée au fond d’un gros fauteuil aux accoudoirs brûlés par la cendre des cigares, devant une table de bois rouge tachetée d’alcools. Personne ne s’occupait de moi. J’étais tranquille dans ce brouhaha de norvégien délicieusement incompréhensible, sauf les sempiternels « krol » ponctuant le choc des verres à poignées.
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Une bague de citrine et d'onyx, ma préférée, je la portais à Kenitra le jour de mes noces.
On me l'avait retirée après la cérémonie. Elle va sûrement à mon doigt. Surtout ne pas l'essayer. Sa mère l'aura confiée aux marchandes de mandragore. Je la sens remplie de sortilèges. J'aimerais qu'Olav arrive. Quelques lignes à la plume, sa belle écriture, les courbes comme on les apprenait au Lycée français. Il me demande pardon. Il veut tout recommencer. Il m'attend à Kenitra.
Nous vivrons dans le grand domaine planté d'orangers, nous aurons des enfants, oui, plusieurs.
Il m'a attendue à le soir Dublin, dans notre appartement. Il a pleuré plusieurs jours de suite et autant de nuits. Il ne pouvait pas croire que j'étais partie.
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Puis, soudain, au dessus du piano, inaccessible, s’éleva le chant aigu d’un violon, superbe, isolé, fragile, semblable au cri modulé des fous de Bassan lorsque les submerge l’appel du nid.
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