Dans un court texte au style magistral, Mathieu Belezi revient sur le destin d'une poignée de colons lors de la conquête française de l'Algérie. En faisant alterner deux récits deux cris , celui de Séraphine, jeune mère de famille pauvre venue s'installer dans une concession agricole, et celui d'un soldat embarqué dans une escalade de violence, c'est tout le tragique de cette campagne coloniale que l'auteur nous dépeint. La rudesse de la vie des colons, la barbarie de la colonisation, la perte d'humanité, les destins brisés sont donnés à entendre par une écriture féroce et visuelle, à la rythmique puissante.
Des voix qui seront, à l'occasion de cette lecture, portées par celle du comédien Charles Berling, lecteur et admirateur de l'oeuvre de Mathieu Belezi. La lecture sera suivie d'un entretien avec l'auteur.
Mathieu Belezi a construit une oeuvre romanesque d'une grande densité, depuis son premier roman le Petit Roi (Phébus, 1998) jusqu'à Attaquer la terre et le soleil (Le Tripode, prix littéraire le Monde 2022), en passant par une trilogie algérienne avec C'était notre terre (Albin Michel, 2008), Les vieux fous et Un faux pas dans la vie d'Emma Picard (Flammarion, 2011 et 2015).
Charles Berling est acteur, metteur en scène, réalisateur, producteur et directeur de théâtre à la carrière théâtrale et cinématographique prolifique. Il se fait connaître du grand public par les films Nelly et Monsieur Arnaud de Claude Sautet (1995) et Ridicule de Patrice Leconte (1996).
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Fernande travaille comme un chien et endosse de lourdes responsabilités dont elle n'a pas les avantages : elle n'a aucun droit légal sur le garage, qui appartient totalement à Gaston.
La situation, inique, ne choque pas dans le Maroc des années trente. Les femmes naissent pour être épouses et se contenter des droits que leur mari leur donne.
Je reste longtemps assis dans le temple de Bacchus, me laissant aller à la paix qui m'envahit. De la mosquée voisine, le chant du muezzin résonne. Je m'étonne que Rif, accroupi en contrebas à l'entrée du temple, ne se prosterne pas. Mais pourquoi aurait-il fait sa prière? Je ne l'ai jamais vu la faire.
Je m'éloigne pour contourner le bâtiment, profitant encore du soleil chaud de l'après-midi qui donne à ces formes du passé des reflets vivants. Je prends plaisir à m'arrêter, à ne plus bouger, à caresser la pierre, à jouer de l'ombre et de la lumière, dans ce décor lunaire de blocs effondrés.
Ce doit être comme ça, la fin du monde, quelques pierres oubliées, rien de plus. Ou, comme l'image que Jean Eustache évoquait dans son film La Maman et la Putain, une autoroute abandonnée, éventrée et pleine de trous.
Nous l'avons enterrée hier. Tout me lâche aujourd'hui, mes jambes sont faibles, mon esprit au zéro. C'était une bataille perdue d'avance.
Il fait extrêmement beau, le ciel est dégagé. Par le hublot, je peux maintenant apercevoir la baie de Toulon. Je ne m'attendais pas à voir la ville de mon enfance, il a suffi que je tourne la tête vers l'extérieur pour qu'elle s'offre à mon regard. Les moutons, ces écumes que l'on peut discerner en petites formes blanches sur le bleu de la mer, disent que le mistral est en train de souffler. C'est un vent violent et froid, que le Nord envoie quand il jalouse la belle chaleur du Sud.
Une profonde mélancolie s'est abattue sur moi, je me perds dans la contemplation du rivage tout en bas. Ma vie est suspendue entre ces deux rives où le soleil décline.
Je vole vers Tunis.
Nous volons toujours au-dessus de la Méditerranée. La Corse et la Sardaigne apparaissent, se détachant nettement au travers du hublot.
Les terres ocre qui se dessinent en contrebas commencent à trouver leurs ombres comme le soleil décline.
Je suis un grain de poussière poussé par le vent au-dessus de cette vaste étendue bleue d'où émergent des reliefs rouges. Je me sens mieux.
Je regarde le bleu profond grêlé d'écumes blanches qui défile sous l'avion et je sais tous les rêves que cette mer a portés et engloutis.
Aujourd'hui, je n'ai plus de force. J'entends seulement ce soupir, ce petit souffle très net qui se ferme er j'appelle plus rien.
Je vois ta grimace, celle de ton coeur.
Le destin, à travers une mutation de mon père, me fit la gentillesse de nous envoyer à Tahiti alors que j'étais un petit garçon, et m'y a sans doute donné à jamais le goût de la nudité, des pieds dans la terre, du soleil brûlant et de l'océan.
Un corps inerte pèse, surtout celui de sa mère.