J'ai bien fait de ne pas me fier à la première des nouvelles de ce recueil. Car même si le sujet en était inattendu et émouvant, la mayonnaise eut la fâcheuse tendance à tourner, ce qui attira mes regards vers d'autres volumes, plus nourrissants à mon goût. Je n'ai guère été étonnée de lire dans la post-face qu'il s'agissait d'une nouvelle "de commande": rédigée à l'occasion d'un concours, elle se devait d'avoir pour décor la ville de Seattle.
Cependant, par chance, j'ai persévéré. Et j'ai été emportée, dans ces moments tragiques, ou simplement troublants, percutants de réalisme cruel, ou transpirant sensualité et ambivalence; en tous cas, j'étais à des milliers de kilomètres d'ici. Car le talent de cette femme écrivain, c'est de dépeindre son pays natal dans les couleurs chaudes de la vie, aussi absurde et dure soit-elle, loin des simulacres édulcorés et bariolés de Bollywood. Cette civilisation plus qu'ancienne, qui ne peut que nous être étrangère. Et pourtant, troublante...
Voici ce que dit l'auteure au sujet de ces nouvelles:
"Une nouvelle s'accomode plus facilement de la folie et de l'excentricité qu'un roman - où ce serait épuisant. Les romans, en effet, ont besoin de pauses, de respirations. Dans une nouvelle, la pause surveint après-coup, une fois l'histoire lue et reléguée dans un coin de la mémoire, quand on a le temps d'y repenser. le dénominateur commun de ces nouvelles - Si tant est qu'il existe- consiste dans le fait qu'elles traitent de l'instant crucial où l'on est confronté à un évènement dramatique de sa vie. Je n'ai pas échaffaudé ces nouvelles autour d'un thème bien défini, et je crois d'ailleurs qu'il n'y en a pas vraiment, hormis peut-être les souvenirs, anciens et nouveaux, de ma patrie."
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Je suis bien triste de ne pas retrouver les notes que j'avais prises pour parler de ce livre parce que ça doit faire 2 mois que je l'ai lu et que, même si je me souviens l'avoir beaucoup aimé, je vais avoir bien du mal à vous en parler après si longtemps.
Il s'agit d'un recueil de nouvelles qui réussit à nous parler de la réalité indienne d'aujourd'hui dans sa diversité, ses contradictions, mais sans clichés, sans exotisme gratuit et très joliment racontée.
Je me souviens avoir été touchée par chacune de ces 9 nouvelles d'une façon à chaque fois différente.
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Les singes hantaient le temple d'Hanuman, mendiant des bananes et des noix de coco aux pèlerins. Ils envahissaient le banian au point de ne plus former qu'une masse de fourrure gris argenté percée d'yeux brillants cerclés de noir. De temps à autre, un bébé tombait des bras de sa mère, qui se balançait de branche en branche et se rattrapait au tronc de ses petites pattes flageolantes. Bikaner en avait rapporté un à la maison quand il avait cinq ans. Il lui avait lié les mains et attaché une patte à un rocher.
"At first there is no sensation, no feeling at all, not even fear. Just an intense, heart-filled longing for freedom. Then strangely it is peaceful, no remorse at leaving behind the old life and stepping into the new. Meha laughs out loud, listening to the sound of her voice echo down the well of balconies. But no one wakes in the flats. No lights come on, no heads stick out of windows, no fists are shaken in disgust. They all still sleep. Tomorrow they will know, Meha thinks. Tomorrow they will see what Chandar and she have done. Time enough for that." (Washington Square Press - p. 37)
Dans la lumière froide du matin, il se retrouve face à son grand-père, devenu brusquement un étranger. Jadis, cet homme le prenait sur ses genoux et lui parlait pendant des heures. Ses propos, sa voix évoquaient les rois et les dieux peuplant la mythologie hindoue, qui devenaient vivants et réels grâce aux convictions de dada et à l'imagination de Ram. Même son nom, Ram, vient de lui.
Je regarde mon regard sur Kamal, la gorge nouée. Cet homme jadis si passionné n'est plus qu'une forme vide gisant sur des draps aussi blancs que son teint. Des veines saillent sous la peau fragile que, jadis, je couvrais de baisers. Quelque part, dans sa poitrine, un souffle parvient à pénétrer ses poumons qu'il emplit brièvement avant de s'échapper.