Une langue poétique rare et de plus en plus affûtée pour réinventer la fuite et le refuge, et la route imposée face aux forteresses impavides.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/09/27/note-de-lecture-
ceux-qui-vont-par-les-etranges-terres-les-etranges-aventures-querant-claude-favre/
Publié en juin 2022 chez Lanskine, sous ce titre magnifique et insensé issu de Chrétien de Troyes, le nouveau recueil de
Claude Favre, «
Ceux qui vont par les étranges terres les étranges aventures quérant », développe et magnifie le travail vital sur la langue réfugiée, errante et malaxée par nos conforts menacés qu'avait déjà bien balisé « crever les toits etc » en 2018.
Reprenant en l'affûtant le couple apparemment contradictoire « imagine » / « n'imagine » comme fil conducteur dans le labyrinthe de la privation de langue qui va avec la privation (ou en tout cas la sévère limitation) de droits, maîtrisant le vacillement lié à l'errance forcée comme bien peu d'autres qu'elle,
Claude Favre développe ici, discrètement mais avec obstination, une poétique spécifique, un véritable art de la claudication, de l'hésitation, du rappel et de la relance, pour préserver les ténues traces mémorielles d'un ailleurs et d'un avant, pour garder un sens à ces chemins-là de l'aventure (qui ne sont pas ceux des week-ends de motivation pour jeunes cadres du tertiaire occidental). Fort éloignée de la poétique du
Patrick Beurard-Valdoye du cycle « Exils » en général, et de «
Gadjo-Migrandt » en particulier, cette construction, toute de patience dans la boue, vise néanmoins des objectifs similaires, qui placent la langue poétique au coeur de leur moteur politique.
Comme l'écrivait si justement
Alain Nicolas dans L'Humanité (à lire ici) à propos de ce recueil, insistant notamment sur l'habileté des ruptures de rythme et de syntaxe selon que surgissent l'obstacle ou la mémoire : « L'empathie et l'émotion n'empêchent pas que sous la colère la langue travaille avec précision pour recréer un espace où, enfin, « qui possède une langue ne se perd pas. » » Avec cette poésie profondément combative, dont les sources et les filiations épousent le mouvement même de la conteuse désabusée qui se prend néanmoins à rêver encore,
Claude Favre nous offre un précieux viatique pour ces temps troubles de fermeture sur soi, à rejeter, et d'injustice, à combler.
Les images de roms et de migrants issus des pays de l'Est qui illustrent cette note, prises entre 2000 et 2005 en Suisse et en France, sont dues à l'oeil aigu et bienveillant du photographe genevois Éric Roset (dont on peut visiter la galerie virtuelle ici).
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