Longtemps on a cru que l'histoire des Capétiens était celle d'une réussite inscrite dès l'origine, et que cette dynastie ne pouvait que s'enraciner dans la durée. Avec
La France des Capétiens 978-1214, Dominique Barthélémy, qui arrête volontairement (et un peu artificiellement) son récit à l'année qui vit les victoires ou les issues chanceuses des batailles de Bouvines et de la Roche-aux-Moines, nous montre que l'évidence n'en était pas une. Il a raison : ce n'est pas la fin de l'histoire, ce n'est pas 1789 qui termine dix siècles d'ère monarchique qui justifie cette continuité comme si elle s'imposait et comme si elle allait de soi. Si les Capétiens (Robertiens) surent tirer leur épingle du jeu quand diminuait puis s'éteignait la flamme carolingienne, leurs acquis restaient fragiles et la puissance de grands seigneurs dans l'espace francilien (entre Paris et Orléans et plus au nord aussi) aurait pu mettre un terme rapide à l'expérience et à l'exercice par eux du pouvoir souverain. Des Louis VI et Louis VII par exemple durent veiller sans cesse, par un travail de tous les jours, à ne pas tout perdre (et ils furent plus d'une fois à côtoyer le précipice). Quand se produisit le miracle philippien (nous évoquons bien sûr ici le temps de Philippe II Auguste), rien n'annonçait encore une stabilité et une embellie économique et sociale qui pouvaient expliquer contextuellement les succès militaires et les gains territoriaux accomplis par ce roi, dont les débuts avaient été aussi incertains et chaotiques que les règnes de ses prédécesseurs. On sortait donc à peine des guerres de voisinage, et cependant avec le recul- donc encore une fois a posteriori- on vit bien là un tournant : 1214 est le début d'un temps de solidification des bases en apparence ; mais c'est encore une erreur de perspective puisqu'il y aura rupture de la succession directe en 1328 et montée au pouvoir des Valois sur fond de contestation par les Plantagenêts (guerre de Cent Ans) et par la famille de Navarre. Rien n'était décidément écrit d'avance.
Par conséquent, nul ne peut plus présenter la construction de la France capétienne comme un travail voulu et pensé dès le point de départ et poursuivi, règne après règne, sans discontinuité et fermement jusqu'au nécessaire éveil d'un peuple à sa conscience nationale. Dominique Barthélémy a raison de nous inviter à ne pas tomber dans le piège de ces raccourcis historiques et dans ces simplifications.
François Sarindar, auteur de :
Jeanne d'Arc ou la fragile reconquête (2015) et
Charles V le Sage-Dauphin, duc et régent (2019)