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EAN : 9791097594831
176 pages
Serge Safran éditeur (07/04/2023)
4.43/5   7 notes
Résumé :
Antonin, 11 ans, vient d’entrer en sixième. Il vit une période difficile. Sans amis, jusqu’à l’arrivée d’Elena en cours d’année, il est ballotté entre deux maisons, refusant d'accepter la séparation de ses parents et leurs nouveaux partenaires. Pour échapper à son quotidien d'enfant triste, il s’est inventé un pays où il laisse libre cours à son imagination.
Au cours de l’hiver, son professeur de français, Mme Ferrières, repère ses talents d’écriture et le c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Comment je suis devenu écrivain

Dans son nouveau roman, Éliane Serdan raconte l'émergence d'une vocation littéraire en donnant la parole à un enfant de onze ans et à son enseignante. Un parcours semé d'embûches qui est aussi un hommage au corps enseignant.

Antonin a 11 ans et une vie qui se partage entre sa mère et son père divorcés. Il doit s'habituer à ses deux pyjamas, deux brosses à dents, deux brosses à cheveux et deux maisons, mais doit composer avec une belle-mère qu'il redoute et un beau-père qui ne va pas tarder à vouloir asseoir son autorité. Naviguant entre charybde et scylla, il va trouver dans son imaginaire une bouée de secours. Et auprès de sa prof de français, Mme Ferrières, une oreille attentive. Elle va l'encourager dans ses lectures et le pousser à écrire et à développer un talent naissant. Les moqueries de ses camarades de sixième et les mauvais traitements n'auront pas raison de sa passion.
Éliane Serdan a eu la bonne idée de confier ce roman initiatique à deux voix, celle de l'enfant et celle de son enseignante. On peut ainsi mieux appréhender leur relation, confronter les idées de l'un et de l'autre et leurs sautes d'humeur. Car pour l'un comme pour l'autre, la partie est loin d'être gagnée.
Comme le souligne Mme Ferrières, une journée prometteuse peut vite basculer dans l'horreur:
"À huit heures du matin, après les voeux et les embrassades, j'ai appris que la jeune stagiaire était hospitalisée pour dépression et parlait de démissionner. À neuf heures, le petit Antonin, à qui j'aurais donné le premier prix d'angélisme, a failli tuer Kevin à coups de pied dans un couloir. À dix heures, la maman d'élève avec qui j'avais rendez-vous m'a déclaré qu'elle avait délibérément dispensé son fils du travail que j'avais donné pour les vacances et que, si je lui mettais une retenue, elle viendrait elle-même la faire. À midi, le principal est venu nous annoncer la visite imminente de l'inspecteur de lettres. À midi trente, j'ai renversé du vin sur mon pantalon à la cantine."
Sans en dire davantage sur la destinée de cette enseignante, on dira qu'elle sera aidée puis remplacée par un écrivain venu animer un atelier d'écriture et qui sera bouleversé par la prose d'Antonin.
Si le sujet du rapport prof-élève et les vocations que les premiers ont pu faire naître chez les seconds a déjà été traité dans la littérature, au cinéma et même en chanson, cette nouvelle version - très émouvante - a le mérite de s'ancrer dans un réel très difficile à gérer. Les agressions d'élèves, les injonctions des parents d'élèves et des directives pédagogiques proches de l'absurde, comme l'interdiction de porter de jugement négatif dans les bulletins trimestriels, viennent entraver la belle histoire. «Cette interdiction avait déclenché quelque résistance et donné le jour à des appréciations savoureuses du type: "S'applique à ne rien faire. Y réussit brillamment".»
On le voit, l'humour vient ici au secours de situations graves et la tendresse compense la violence. Ajoutons que les différences de style des deux narrateurs ajoutent un vent de fraîcheur à ce roman très plaisant à lire.



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Émouvant, un lâcher de crayons de couleur. « Le petit Antonin » est un récit de vie poignant, réaliste et psychologique.
Un texte très juste sur l'armure dont l'enfance se cuirasse.
« Ce matin, en français, on a révisé l'accord du verbe. Il paraît que dans la dictée on a fait n'importe quoi ».
Le roman chorale st à deux voix. Celle d'Antonin qui vient d'entrer en sixième et celle de sa professeur de français, Madame Ferrière. le double de M. Keating du « Cercle des poètes disparus ».
D'emblée on est happé dans une salle de classe. le microcosme de notre société avec ses faiblesses et ses atouts. D'aucuns semblent un visage connu, le complexe du homard, les inégalités éducatives et sociales. Dans cette classe, Antonin, élève et enfant blessé par la vie. Petit poulbot aux deux maisons. Une mère un peu dépassée. Un père qu'il ne voit que deux jours en semaine. Antonin cherche sa place. Il pressent le vacillement de ses habitudes. Les rituels déplacés voire transformés. Il ne maîtrise plus rien et ce manque de repères lui fait perdre sa confiance dans les adultes.
Enfant pris en tenaille, onze ans, l'âge des faiblesses, l'âge des apprentissages et des désillusions. Sa mère vit avec Marc. Un homme que l'enfant déteste et pour cause. Il boit (trop). Il manque de compassion pour l'enfant. Au chômage, sa oisiveté forcé le rend aigri et autoritaire. Il semble à mille mille des psychologies des adolescents.
Antonin pressent un homme brutal. Sa mère est effacée, soumise, comme si Marc était le seul à la sauver d'une solitude bancale. On ne ressent pas d'amour entre tous les deux, jamais. Seulement l'apparence d'un homme posé avec ses valises et sa dureté. Il impose ses lois dans une maison déjà fissurée.
Que va-t-il se passer ?
Antonin est malin et sait jouer des coudes. Il s'enferme dans sa chambre le plus possible et refuse le lien qui pourrait advenir.
Scolaire, il aime le français comme un habitacle. Il se sent bien dans cette matière dont il sait les opportunités.
Il pressent dans Madame Ferrière un socle qui protège. Néanmoins, à contrario Antonin déteste les maths. Sa sensibilité lui joue des tours. Il devient agressif et sa vulnérabilité est prégnante.
Comment cet enfant peut-il se construire dans toutes les contradictions qui le hantent ?
Madame Ferrière comprend que ce petit oisillon a besoin d'aide. Elle qui parle aussi dans ces lignes. Femme seule dont la lecture est une soupape de sécurité. Elle devient un guide pour Antonin, elle qui berce sa classe de « Buzzati » de Molière et des poésies comme des flambeaux en pleine nuit dans une classe où les élèves ne sont pas des enfants mais des apprenants. Elle veut changer le cours des choses. Elle est une révolutionnaire du verbe. Une passeuse de littérature. On l'aime très fort et d'emblée son aura nous comble.
Antonin est surdoué en français. Les poésies soufflées sont des citadelles, les livres lus en classe, des escomptes hyperboliques du futur. « et puis, vois-tu les chemins de l'écriture sont bien solitaires ».Elle va oeuvrer à l'élévation d'Antonin. La transmission spéculative, le mot avant le verbe. La rédemption.
Un ami écrivain de l'enseignante dira la plus belle phrase du livre : « Mais qui est cet enfant ? ».
Tant il perçoit la capacité hors norme d'Antonin. Lui, qui fait des rédactions exutoires, l'imaginaire à fleur de peau. La sincérité est toujours gagnante dans l'écriture. Et la maturité de ce petit élève est miraculeuse. L'écrivain et Madame Ferrière vont aider Antonin à chasser ses démons. La littérature source et l'encre pour un lendemain meilleur.
Écrire et résister aux aspérités de la vie. L'enfant devenu roi de sa plume et de ses mots.
Ce livre est une ode à l'enseignement et à ses valeurs. Il pourrait devenir, tant son humilité est douce, un outil pour le corps enseignant. Ici rayonne l'écriture d'une autrice, Éliane Serdan qui sait tout de l'enfance et de la transmission. Que ferions-nous sans tous ces passeurs du verbe et de l'amour ?
Ce livre est beau à pleurer mais c'est bien ainsi. Il y a dans le portrait de Madame Ferrière le même regard que celui de la concierge dans « L'élégance du hérisson ».
Voyez la beauté de ce livre.
Publié par les majeures Éditions Serge Safran éditeur.
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Antonin a 11 ans et vient d'entrer au collège. C'est déjà une étape pas facile, mais en plus de ça, il n'a pas d'ami et ses parents viennent de se séparer. Malgré le fait qu'il ait tout en double, l'acceptation de la séparation est impossible et il est souvent triste. Antonin adore écrire et se laisse porter par son imagination. D'ailleurs, sa prof de français, Madame Ferrière va découvrir ses talents et va l'aider, à l'aide d'un ami écrivain, Bruno Montale, à se livrer à travers l'écriture afin de prendre confiance en lui et aller mieux.

Alerte ! Coup de coeur ! Ce roman qui alterne entre Antonin et Madame Ferrière est pour moi une pure merveille ! Je me suis énormément attachée à ces deux personnages. Antonin, ce petit bonhomme de seulement 11 ans qui vit des choses qu'un enfant et même qu'un adulte ne devrait ni voir, ni vivre m'a émue aux larmes plus d'une fois. J'ai beaucoup aimé ce monde imaginaire qu'il se crée pour fuir son quotidien, ses angoisses, sa tristesse. Je le remercie de me l'avoir fait découvrir. Puis, Madame Ferrière, ah… Madame Ferrière, cette femme passionnée par son métier, à l'écoute, prête à tout pour aider ses élèves, des élèves qui bien souvent décrochent alors que personne ne cherche à savoir pourquoi. Cette femme m'a rappelé ma professeure de Français en seconde, ce genre de personne qui fait absolument tout ce qui est en son pouvoir pour qu'on réalise nos rêves… Madame T., si vous passez par ici, sachez que vous avez marqué ma scolarité !

Il y a des sujets très difficiles abordés dans ce court roman tels que la séparation, l'adolescence, les violences conjugales, la trahison et encore beaucoup d'autres et pourtant, c'est une lecture pleine de bienveillance, d'une douceur infinie grâce à la plume de l'auteure. Une lecture que je ne suis pas prête d'oublier.

Même si c'est un roman, que c'est fictif, j'ai envie de finir cette chronique par : Madame Ferrière, merci pour ce que vous avez fait pour Antonin, et toi Antonin, si je pouvais avoir de tes nouvelles un jour, ce serait un immense plaisir, parce que je l'avoue, je vous ai quitté les larmes aux yeux et vous allez me manquer !
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Nous avons tous, ou presque, eu une ou un enseignant qui nous a porté, voire transcendé. Pour Antonin, c'est Madame Ferrière prof de français bientôt en retraite.

Antonin est en sixième, écartelé entre son père et sa mère divorcés et leurs nouveaux conjoints, ce n'est pas la gaieté personnifiée. Heureusement, Antonin a une vie intérieure intense, son pays à lui.

Madame Ferrière a remarqué ce petit garçon si sensible dont les rédactions attirent son attention.

Deux solitudes et sensibilités que la littérature rapprochent. Dans le livre, chacun son tour parle des difficultés rencontrées dans leurs vies quotidiennes, Antonin, avec le vocabulaire de son âge et de son époque, Madame Ferrière avec maîtrise et aisance.

Ariane Ferrière raconte son amour pour son métier « Sans mes élèves j'aurais l'impression d'être un navire à la dérive. Dès que je suis dans une classe, je me sens à ma place ».mais aussi la lassitude de tant d'années d'enseignement avec des élèves de plus en plus difficiles. « Il n'empêche qu'en montant les escaliers j'ai eu un pincement au coeur, à cause de ce rendez-vous manqué avec la poésie qui m'aide à vivre et qui aurait pu, aussi, peut-être les aider. » C'est presque un sacerdoce chez elle qui n'a plus de vie privée digne de ce nom, la poésie essaie de combler le vide. Alors lorsqu'en réunion parents-professeurs, elle avoue à la maman d'Antonin qu'elle non plus, elle n'aime pas les maths, elle veut garder en elle le sourire de l'enfant. Ce métier est fait de petits bonheurs qui éclairent les journées de découragement.

Un petit résumé de son métier: « À huit heures du matin, après les voeux et les embrassades, j'ai appris que la jeune stagiaire était hospitalisée pour dépression et parlait de démissionner. À neuf heures, le petit Antonin, à qui j'aurais donné le premier prix d'angélisme, a failli tuer Kevin à coups de pied dans un couloir. À dix heures, la maman d'élève avec qui j'avais rendez-vous m'a déclaré qu'elle avait délibérément dispensé son fils du travail que j'avais donné pour les vacances et que, si je lui mettais une retenue, elle viendrait elle-même la faire. À midi, le principal est venu nous annoncer la visite imminente de l'inspecteur de lettres. À midi trente, j'ai renversé du vin sur mon pantalon à la cantine. »

La lecture, les livres, Madame Ferrière aime, c'est une passion qu'elle essaie de transmettre. Les livres, la littérature, surtout la poésie sont essentiels pour elle. Ainsi, à son décès, son ami écrivain est le dépositaire de sa bibliothèque afin que les livres ne soient pas jetés ou dispersés.



Antonin, donc, se trouve ballotté entre ses parents et leurs nouveaux compagnons, un peu mal compris par les copains. La connexion qu'il sent entre lui et sa prof lui permet de se surpasser, même lors de son premier chagrin d'amour ou des sévices affligés à sa mère par son nouveau compagnon.

S'ajoute au duo une troisième personne, un écrivain venu donner un cours dans la classe de madame Ferrière. Lui aussi prend sous son aile Antonin et le pousse à participer à un concours de nouvelles qu'il remporte. peut-être la naissance d'une vocation d'écrivain

Elliane Serdan dépeint fort bien le métier d'enseignant et le rapport prof-élèves-parents actuel tout comme avec la hiérarchie et ses directives pédagogique frôlant l'absurde.

J'apprécie son style, sa façon de raconter les relations humaines avec, ici, une touche de tendresse, là, un brin d'humour, pour contrebalancer le grave et ou la violence, sans oublier l'exil. Un art où elle excelle qui rend ses livres si agréable à lire.

Oui Eliane Serdan, votre livre a mis de la couleur dans ma grisaille (pas trop grise quand même!)


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Des souvenirs d'écolier on en a tous! de ceux dont on se souvient toute notre vie. Et les adultes que nous sommes, qui ont jadis admirés une institutrice qui leur a donné le goût de la découverte de mondes inconnus et fascinants, comme la littérature et la poésie; ceux-là sont peut-être les plus chanceux! J'en fais partie.
"Le petit antonin" va donc droit au coeur de ceux qui ont gardé une âme d'enfant et qui veulent ouvrir la porte de la mémoire.
La narration de ce roman à deux voix donne à la structure une belle dynamique. le style est épuré, équilibré, direct. La poésie pointe le bout de son nez au détour d'un paragraphe. Mais pour moi le véritable sujet de cette histoire c'est l'apprentissage de la littérature. Quelle place tient-elle dans notre quotidien? S'acquiert-elle à l'école et permet-elle la transition d'un monde imaginaire à un monde réel? Et la pédagogie dans tous çà? le roman d'Eliane Serdan est comme une illustration de cette découverte.
Le petit Antonin va grandir grâce à l'écriture, la maîtresse madame Ferrière sera toujours accompagnée par celle-ci.
Le roman est touchant comme la mémoire que nous avons de notre enfance sur le chemin de tous les possibles. A lire.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
AUTOMNE 2006
Ce matin, en français, on a révisé l'accord du verbe. Il paraît que dans la dictée on a fait n'importe quoi. Pour commencer, la prof, madame Ferrière, m'a demandé de venir au tableau écrire une phrase à la troisième personne du pluriel. C’est moi qui devais l’inventer. J'ai commencé à écrire: «Mes parents aiment bien aller.» et puis d'un coup tout s'est embrouillé, j'ai baissé le bras et je me suis mis à pleurer. Je voyais pas les autres mais je les entendais chuchoter. Au premier rang, Clémence qui veut toujours parler m'a soufflé quelque chose que j’ai pas compris.
Madame Ferrière s’est approchée. Elle m'a mis la main sur l'épaule en disant: «Allez, va t'asseoir, Antonin. On parlera tout à l'heure.»
J'ai repris ma place à côté de Kevin qui s’est foutu de moi parce que j'avais pleuré. Je lui ai balancé un coup de pied sous la table pour qu'il s'arrête.
Quand la récré a sonné, j'espérais que madame Ferrière aurait oublié mais elle m'a fait signe de rester. Elle m'a posé plein de questions sur ce qui allait pas, pourquoi j'avais pleuré, si j'étais malade et tout et tout. J'ai répondu que non, tout allait bien. Je savais pas pourquoi j'avais pleuré. Alors elle m'a encore tapoté l'épaule et elle m’a dit de rejoindre les autres.
À six heures c’est maman qui est venue me chercher. Quand on est passés sous le lampadaire pour aller à sa voiture, j'ai vu qu'elle avait changé de coiffure, elle faisait plus jeune.
Le soir on a dîné tous les deux. La maison avait l'air froide et vide, peut-être parce que c’est l'automne maintenant et que la nuit arrive plus tôt. Maman regardait derrière moi par la fenêtre. Depuis que papa est parti, elle a toujours l’air d'attendre quelque chose ou quelqu'un, je me demande si elle me voit.
Après le repas, on a fait mon sac parce que demain soir, j'irai chez papa. C'était vite fait: y avait juste à mettre les affaires de piscine. Le reste, c’est pas la peine. J'ai tout en double: deux pyjamas, deux brosses à dents, deux brosses à cheveux, deux maisons.
Papa voulait m'acheter un second doudou. J'ai pas voulu. Le mien s'appelle Tom. C’est un chien. Il a plus de nez, il a perdu une oreille mais, justement, c’est impossible d'en trouver un pareil, il est unique, je lui parle, il me défend la nuit contre les monstres. Quand j'ai mal, il me guérit. Le soir, je le cale contre mon cou pour lire mes bandes dessinées. Je l'oublie jamais. Le matin, à peine je me lève, les jours où je dois changer de maison, je le mets dans mon sac. À la fin des vacances, juste avant la rentrée en sixième, maman a essayé de le cacher. Elle disait que j'avais passé l'âge. J'ai tellement pleuré qu'elle a fini par me le rendre.
Chez papa, y a Marie. Elle dit qu'elle est ma seconde maman. Je lui réponds pas mais je la regarde le plus longtemps que je peux et je souhaite de toutes mes forces qu'elle se transforme en statue de pierre. J'ai vu dans un livre de mythologie que ça peut marcher.
Y a aussi Alice. Il paraît que je dois la protéger parce que c'est un bébé et que j'ai beaucoup de chance d'avoir une demi-sœur. L'autre jour papa a dit: «Tu vois maintenant, tu ne seras plus jamais seul. Plus tard tu seras bien content de ne pas être fils unique.» Elle pleure tout le temps (c'est comme la sœur d'Alexandre, à cause d'elle, il arrive souvent au collège avec les yeux au milieu de la figure parce qu'il a pas dormi.) J'espère que ça veut dire qu'Alice est malade et qu'il faudra bientôt l'emmener à l'hôpital, comme ça, Marie s’en ira avec.
Ma grand-mère qui me garde pendant les vacances répète toujours: «Dans le ciel le plus noir, il y a toujours un coin de ciel bleu.» Moi, j'ai beau chercher, je vois pas. Mon meilleur copain, Guillaume, s'est fâché avec moi parce que je l'ai frappé. Sa mère en a fait toute une histoire et depuis on se parle plus. Les autres, je peux pas les blairer.
Les filles sont folles. Elles sont toujours par deux, en train de se tenir par le cou et de chuchoter comme si elles complotaient ou de pousser des cris comme des malades.
Des fois, j'aimerais m'en aller très loin. Le soir, avant de m'endormir, j'invente un pays. Il a pas de nom. C'est un pays où la terre est rouge et où il fait chaud. On a pas besoin de vêtements. Sur les arbres y a des lanternes en cristal de toutes les couleurs que le vent fait tinter. Quand j'y pense, c’est comme si j’entrais dans une bulle ou si j'étais sur une planète à l’autre bout de la galaxie. Tous mes chagrins se brouillent.
Dans ce pays, y aurait personne. Même pas maman. De toute façon, elle me servirait à rien puisqu'elle m'embrasse presque plus. Elle a toujours quelque chose à faire et elle est tout le temps en train de marcher dans la maison, son portable à l'oreille.
Ce matin, avant que je pleure au cours de français, elle avait quand même pris le temps de me parler. On s'était arrêtés dans une boulangerie avant d'aller au collège. J'avais eu droit à deux chocolatines. Dans la voiture, pendant que je mangeais, elle avait tardé à démarrer, comme si elle réfléchissait, même que j'avais peur d'être en retard. Au bout d'un moment, elle s'était tournée vers moi pour dire, très vite: «Est-ce que ça te plairait si Marc venait habiter avec nous? Il aimerait bien être ton second papa.»

Il y a quelques années, lorsqu'un garagiste découvrait que j'étais enseignante, je connaissais d'avance la petite phrase qui n'allait pas manquer de suivre le sourire narquois: «Alors, bientôt les vacances?»
Le même garagiste, vingt ans plus tard, n'ironise plus. Lorsqu'il me parle de mon métier, j'ai l'impression d'être l'un des damnés de la Divine Comédie, objet de la pitié de Dante. La seule idée que j'affronte une trentaine de ces adolescents qu’il a du mal à supporter isolément devant sa pompe à essence, l'épouvante. S'il pouvait, s'il était ministre, il allongerait mes vacances. Depuis qu'il a vu Le plus beau métier du monde, sa conviction est faite: nous vivons un enfer.
Comment le contredire? Oui, la réalité est souvent pire que ce qu'il imagine. Mais, sans mes élèves, j'aurais l'impression d’être un navire à la dérive. Dès que je suis dans une classe, je me sens à ma place. J'en sors, les batteries rechargées. Pour rien au monde, je ne changerais de métier.
Les plus mauvaises journées sont celles qui précèdent la rentrée. J'ai beau me souvenir que je viens de passer près de quarante ans devant des classes, je m'interroge avec angoisse sur ce que je vais bien pouvoir leur raconter pendant un an. Dans cet état d'esprit, il faut affronter les réunions de pré-rentrée, les nouvelles réformes, la rhétorique du vide, les activistes pédagogiques... et la cour de récréation étrangement déserte. On se sent disposé à fuir.
Et puis, le lendemain, on lève les yeux sur des visages tout neufs et le navire cesse de dériver. Il s’ancre pour quelques mois.
Il n'y a pas deux classes semblables. J'ai eu, comme chacun, des élèves difficiles, même dangereux. Souvent, pas toujours, j'ai réussi à m'entendre avec eux, mieux peut-être qu'avec des classes dires «brillantes». Quel que soit le cas, il faut un délai pour parvenir à cet accord particulier qui se crée entre un professeur et ses élèves et sans lequel il n'y a pas de bonheur ni de transmission possible.
Au fil des années, il me semble que ce délai s'allonge. Pour venir à bout de l'agressivité, du refus d’apprendre, un bon mois était nécessaire. Maintenant, il arrive qu'en janvier je n'y sois pas encore parvenue. Je vieillis. Soixante ans bientôt...
Je me souviens de ma première classe de sixième. Un quart d'heure après le début du cours, un élève, brun, bouclé, son cartable sur le dos, était entré en larmes: il s'était perdu dans les couloirs. J'ai beau regarder les sixièmes que j'ai cette année, je n'en vois pas un seul qui pourrait encore se perdre dans les couloirs. Mais pleurer... Oui. Ce matin, le petit Antonin... Je n'ai pas compris pourquoi.
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Nous savions déjà qu'il ne fallait pas porter de jugement négatif dans les bulletins trimestriels. Cette interdiction avait déclenché quelque résistance et donné le jour à des appréciations savoureuses du type: «S'applique à ne rien faire. Y réussit brillamment.»
Mais aujourd'hui, les jeunes enseignants avec qui j'ai parlé ne m'ont pas semblé interloqués par ces directives... Pas plus qu'ils ne sont gênés par l'obligation de demander à un élève, en début de cours, d'inscrire au tableau «la problématique» qui sera abordée. p. 72
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J'ai été bien inspirée de m'immerger dans le silence pendant les vacances...
Il a suffi d'une journée de rentrée pour entamer mon énergie. À huit heures du matin, après les vœux et les embrassades, j'ai appris que la jeune stagiaire était hospitalisée pour dépression et parlait de démissionner. À neuf heures, le petit Antonin, à qui j'aurais donné le premier prix d'angélisme, a failli tuer Kevin à coups de pied dans un couloir. À dix heures, la maman d'élève avec qui j'avais rendez-vous m'a déclaré qu’elle avait délibérément dispensé son fils du travail que j'avais donné pour les vacances et que, si je lui mettais une retenue, elle viendrait elle-même la faire. À midi, Le principal est venu nous annoncer la visite imminente de l'inspecteur de lettres. À midi trente, j'ai renversé du vin sur mon pantalon à la cantine. J'ai dû affronter les sourires des quatrièmes, plus intéressés par la nature de la tache que par Bradbury et la science-fiction...
Et puis, miracle! Un moment de réconfort avec les troisièmes. À quatre heures et quart, j'ai laissé mon bureau à Élodie qui avait choisi de nous parler de La Pitié dangereuse de Stefan Zweig. p. 63
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Au fil des mois, il fallait le reconnaître, mon intérêt pour cet élève s'était transformé en véritable attachement :ses difficultés familiales, sa sensibilité, ses dons littéraires, tout avait concouru à capter mon attention jusqu'à lui donner une place à part.
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Il récitait toujours. Nous rêvions avec lui de fougères dans un bois plein d’étoiles et d’un chevreuil de givre.
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