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Katharina Loix van Hoof (Autre)Christophe Glogowski (Traducteur)
EAN : 9782494289550
409 pages
Les Argonautes (22/03/2024)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Deux cents ans après la grande explosion, Benedikt ne se plaint pas. Il a un travail - recopier la poésie du grand leader Fiodor Kouzmitchsk - et bien qu'il ne jouisse pas des privilèges d'un mourza, au moins n'est-il pas un serf. Il a une petite maison, avec suffisamment de souris pour préparer un repas savoureux, et il est exempt de mutations : pas de doigts supplémentaires, pas de branchies, pas de crêtes de coq. Et il a même réussi - du moins jusqu'à présent - à... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Cet étonnant roman se déroule en Russie dans un monde d'après, près de trois sièles après une catastrophe nucléaire surnommée l'Explosion, dans un petit bourg perdu quelque part entre steppes et forêts. Un certain Fiodor Kouzmitch, le Grand Mourza, y exerce un pouvoir totalitaire. le récit nous fait suivre les tribulations de Benedikt, modeste fonctionnaire qui copie d'obscurs textes ou des oukases transmis par le tyran.

Pendant une bonne moitié du récit, l'intrigue est assez statique, Tatiana Tolstoï préférant prendre le temps de poser un décor pour le moins déconcertant, enchaînant avec une exhaustivité quasi encyclopédique des descriptions précises de tous les aspects de cette communauté imaginaire ( ses fêtes, le travail, les variations saisonnières, la nourriture etc ).

On a beau être dans un récit dystopique, le lecteur cherche à retrouver des indices spatio-temporels familiers. Et là, tout est brillamment brouillé. Une catastrophe nucléaire ? Forcément, on pense à Tchernobyl puisque l'autrice a commencé à l'écrire en 1986. Ici aussi, il y a des Séquelles sous la forme de mutations grotesques qui transforment les habitants en véritables freaks dont les corps s'ornent de crêtes de coq, de griffes ou d'ouïes ; même la faune et la flore sont étranges, avec des lièvres noirs à la chair venimeuse qui volent. Il y a même un Slynx, créature monstrueuse tapie dans la forêt que personne n'a jamais vu, mais dont le cri lugubre kyyyss ! kyyyss ! annonce une attaque horrible qui vide un homme de toute sa raison.

Si on est en 1986, alors on est au début de la Perestroïka, et en effet, le Slynx pourrait être une satire féroce des tensions de la société post-soviétique … à moins que ce ne soit une satire de l'URSS tout court ( l'Explosion serait alors la révolution bolchevique de Lenine en 1917 ? ) car le bourg de Fiodor-Kouzmitchsk connait la faim, des pénuries chronique et du rationnement, a une police politique et une nomenklatura.

Et en même temps, le décor à proprement parler est celui d'une Russie tsariste éternelle avec ses fêtes paysannes, ses isbas noircis protégés par des hautes palissades de pieux, et son parler archaïque que Christophe Glogowski a traduit par une langue matinée d'ancien français rabelaisien pour lui conserver toute sa verve ludique, ainsi que la grivoiserie de certains passages.

Chaque page étonne et détonne dans ce miroir déformant de la politique russe du XXème siècle, à l'anachronisme permanent qui donne l'impression de traduire un éternel recommencement, incapacité de la Russie à rompre la malédiction qui l'empêche d'intégrer pleinement l'Histoire.

Même si j'ai senti que pas mal de références m'échappaient, j'ai trouvé l'inventivité de ce texte incroyablement stimulante. Drolatique aussi tant l'autrice a l'imagination truculente pour nous plonger dans cette communauté fruste et arriérée qui a régressé jusqu'à un nouvel âge de fer au point de se nourrir de souris sous toute ses formes. On se sent presque indécent de rire d'autant de misère, mais le rire gras est bien présent.

Tout le récit est vu au travers du personnage de Benedickt dont l'évolution s'accélère dans la deuxième moitié. Au départ, il incarne la servitude passive d'un peuple soumis par un régime totalitaire. Et puis, il est initié aux livres anciens, écrits pré-Explosion, interdits et pourchassés par le régime du Grand Mourza, qui seuls peuvent donner au passé son mode d'emploi et peut-être sonner l'heure de la révolte.

« Toi, Livre, toi seul oncques ne me trompes, ne me malmènes, ne m'offenses, ne me quittes ! Silencieux, tu ris pourtant, tu cries et tu chantes ; humble et docile, tu me comprends me stupéfies, me taquines, me séduis ; tu es si petit, et cependant peuplé de lettres, mais pour peu que tu le veuilles, tu me fais tourner la tête, me déroutes, me chavires, m'embrumes, et voilà que perlent les larmes, le souffle vient à manquer, l'âme toute entière palpite comme une toile au vent, ondule, déploie ses ailes ! »

Un roman très riche, exigeant, mélange de tristesse dystopique, de satire sociale caustique et de farce absurde.
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Un chef-d'oeuvre ! Une gageure éditoriale !
Atypique, original, il est dans la cour des grands.
La Russie dans une satire où l'histoire des hommes s'avère d'une implacable cruauté.
Mais le ton bercé d'humour et de dérision emporte la palme.
Une volonté intrinsèque de sarcasme, une succession de symboles avec un déterminisme d'une haute clairvoyance. Comme une connivence entre Tatiana Tolstoï et un langage juste né.
On ressent d'emblée un halo engagé et l'arrogance des humains est mise à mal.
Ici, tout est étrange, hors du commun, hypnotique.
La fiction souveraine, rare, comique et irrésistible. Un grand tourbillon linguistique qui happe et sidère par sa portée fabuleuse.
La littérature contemporaine, aux ramifications superbes et multiples.
Magnétique, solaire, on pourrait presque penser à un conte, une légende qui remue les limites de la réalité. Sauf qu'ici, c'est le chant métaphorique, les paraboles, et les signaux qui forgent ce microcosme.
Moscou lève son voile dans une prononciation hors du temps, dans un entre monde où les livres sont interdits. Un autodafé psychologique. La dictature qui contre les intelligences. Une Russie en déliquescence. Un retour dans un monde en perdition de lui-même. L'ignorance et la bêtise, le constat des vulnérabilités humaines.
Devenus des bêtes, l'annihilation dans un quotidien où le grotesque prend assise.
« Le Slynx » est un récit caustique. le totalitarisme pointé du doigt. L'écriture comme une parole floutée. Tout se passe dans la signification d'un troisième degré de lecture. L'heure haute, judicieusement politique et lucide.
Benedikt est le scribe du gouvernement. Il reproduit des poèmes, dictés par le tyran Fiodor Kauzmitch. Des vers qui semblent ceux que l'on a dans nos armoires littéraires, gardés précieusement, tels Pouchkine, Maïakovski, etc. L'enjeu ultime comme une intransigeance à l'encontre de notre contemporanéité.
« Le Slynx » dont « sa griffe fouille les chairs… Et le bonhomme se trouve vidé de toute sa raison. »
L'imaginaire comme une porte noire ouverte sur les consciences. Nous sommes véritablement en transmutation dans une oeuvre visionnaire. La fulgurance du syndrome totalitaire. Comme un miroir qui déforme l'apparence. le récit est l'immensité du monde et du mal.
L'incontestable réussite d'une fiction qui donne de la hauteur à l'art et bouge les codes du bien pensant.
La vigueur d'une trame burlesque, complètement déjantée. L'emblème de nos échecs, des faillites d'oppressions. Une Russie dont il faut mettre un déguisement pour échapper à la censure. Ici, c'est la tension d'un récit à double sens qui attise les flammes.
La belle inventivité d'une plume surdouée qui a polie un texte d'autodérision. Ce récit fantastique, sardonique proclame la gageure créatrice.
« Vassiouk-les-Oreilles écarta les coudes, oyant anxieusement dans son coin : est-ce que Benedikt déclamait tout comme il convient, est-ce que tout était conforme à l'Oukase… »
« … Pour la finesse, je me débrouille… Mais où avez-vous appris comment il est, mon poutentiel ? »
« Si je comprends bien, cela non plus, ce n'est point Fiodor Kouzmitch, gloire à lui, qui l'a écrit ? - Probablement non. - Alors qui ? - Je l'ignore… Il faut le demander aux Anciens. »
« Le Slynx » bouscule nos approches. Dans le sombre d'une altitude de réflexions, il est une valeur inestimable. Comme l'exprime l'éditrice Katharina Loix van Hooff. « Il est le fruit de quatorze ans de travail, il fut hautement attendu par le milieu intellectuel russe. »
L'anticipation au garde à vous, ce livre est le rayonnement d'une littérature rare.
Tatiana Tolstoï est issue de la grande famille des Tolstoï. Reconnue et célébrée comme une autrice culte. Ce livre arpente le champ littéraire comme jamais au préalable.
Traduit du russe par Christophe Glogowski. Saluons ce travail de traduction remarquable tant les formes sont variées et le rythme comme un vent qui se soulève et bouscule les mots et les phrases et les dialectes comme des messages à double sens.
Ici, c'est l'oeuvre d'une décennie.
Voici le premier livre d'une collection au bel avenir : « L'Européenne » Les grandes traductions du continent. Publié par les majeures Éditions Les Argonautes.


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Vidéo de Tatiana Tolstoï
Franck Maubert, Claude Challe et Thierry Ardisson interviewent Tatiana Tolstoï pour son livre "De l'élégance masculine" sur la mode masculine et les conventions de l'élégance ainsi qu'Alain Soral pour son ouvrage traitant également de la mode "La création de mode". INA Arditube
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