Ton texte à la main, je l'entrouvre, divine surprise ! Ainsi, près de cent ans après Saint-John Perse, une nouvelle Anabase, la tienne !
Et d'emblée, je suis saisi par le cri : "A nous deux l'infini !" Certes, tu n'ignorais pas les frontières, mais tu entendais résolument les transcender. Aussi ne t'es-tu pas contenté de la traversée du désert de Gobi, ou de celui du Taklamakan. Tu as pris à bras-le-corps, le "regard jeté vers le haut du Pamir", toute cette immense contrée où eut lieu le choc des continents, avec ses glaciers inviolés, ses vallées insondées, où l'ancienne histoire aux villes englouties et aux trésors enfouis imprègne encore l'air de son odeur de fumée... Ton imaginaire s'est affronté au réel, s'est nourri du réel. En cela, tu es proche aussi de Segalen. Tu as même accompli son rêve : atteindre le mythique Thibet, rêve auquel l'autre dut renoncer un siècle auparavant, en cette même année 14 où l'humanité plongea dans le gouffre.
Il en résulte un haut chant, passionné et passionnant, sur un ton de défi, d'apostrophe, d'exclamation, et finalement, de célébration de tout ce qu'il nous est donné d'ouvert, ici et maintenant.
A la différence de Gengis, tu n'as point d'empire à établir. Tu vises le contraire, en affirmant que "pour des dépeupleurs de notre sorte, il n'y avait pas plus bel empire que le déraciné, le vague, le non-revendiqué". Ainsi, de bivouac en bivouac, de cimes en oasis, es-tu devenu "vaguant privilégié, nomade de raccroc, poète accordé à son pas". Oui, être poète de plein droit, voilà le mot d'ordre, voilà la conquête. Mais une poésie qui n'est plus issue du salon calfeutré, de l'arrière-salle enfumée.
Comment ne pas entendre ce que tu proclames : "D'incertitudes, nous n'avons plus souci, tant la poésie a changé en s'accrochant à nos basques. Car c'est la vie qui a mené le train, les galops et les danses, tout en sonnant la charge. C'est elle qui a décidé des formules et des lieux... Ma chanson tourne de loin en loin, elle change de lexique et de lèvres, on la reconnaît au refrain."
Tu fais partie désormais de la glorieuse lignée des poètes français qui ont hanté, chacun à sa manière, "en ce monde, le plus lointain royaume d'où l'on ait à répondre - la Chine".
(Adresse de François Cheng, mars 2014)
Avec Marc Alexandre Oho Bambe, Nassuf Djailani, Olivier Adam, Bruno Doucey, Laura Lutard, Katerina Apostolopoulou, Sofía Karámpali Farhat & Murielle Szac
Accompagnés de Caroline Benz au piano
Prononcez le mot Frontières et vous aurez aussitôt deux types de représentations à l'esprit. La première renvoie à l'image des postes de douane, des bornes, des murs, des barbelés, des lignes de séparation entre États que l'on traverse parfois au risque de sa vie. L'autre nous entraîne dans la géographie symbolique de l'existence humaine : frontières entre les vivants et les morts, entre réel et imaginaire, entre soi et l'autre, sans oublier ces seuils que l'on franchit jusqu'à son dernier souffle. La poésie n'est pas étrangère à tout cela. Qu'elle naisse des conflits frontaliers, en Ukraine ou ailleurs, ou explore les confins de l'âme humaine, elle sait tenir ensemble ce qui divise. Géopolitique et géopoétique se mêlent dans cette anthologie où cent douze poètes, hommes et femmes en équilibre sur la ligne de partage des nombres, franchissent les frontières leurs papiers à la main.
112 poètes parmi lesquels :
Chawki Abdelamir, Olivier Adam, Maram al-Masri, Katerina Apostolopoulou, Margaret Atwood, Nawel Ben Kraïem, Tanella Boni, Katia Bouchoueva, Giorgio Caproni, Marianne Catzaras, Roja Chamankar, Mah Chong-gi, Laetitia Cuvelier, Louis-Philippe Dalembert, Najwan Darwish, Flora Aurima Devatine, Estelle Dumortier, Mireille Fargier-Caruso, Sabine Huynh, Imasango, Charles Juliet, Sofía Karámpali Farhat, Aurélia Lassaque, Bernard Lavilliers, Perrine le Querrec, Laura Lutard, Yvon le Men, Jidi Majia, Anna Malihon, Hala Mohammad, James Noël, Marc Alexandre Oho Bambe, Marie Pavlenko, Paola Pigani, Florentine Rey, Yannis Ritsos, Sapho, Jean-Pierre Siméon, Pierre Soletti, Fabienne Swiatly, Murielle Szac, Laura Tirandaz, André Velter, Anne Waldman, Eom Won-tae, Lubov Yakymtchouk, Ella Yevtouchenko…
« Suis-je vraiment immortelle, le soleil s'en soucie-t-il, lorsque tu partiras me rendras-tu les mots ? Ne te dérobe pas, ne me fais pas croire que tu ne partiras pas : dans l'histoire tu pars, et l'histoire est sans pitié. »
Circé – Poèmes d'argile , par Margaret Atwood
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