Un petit village d'apparence paisible, dont « on ne peut pas dire grand-chose », Copiteau. Et tout un roman. Car il y a des vies, des rêves, des folies, des drames… Au centre de ce récit à la fois glaçant et loufoque, une famille. Un père mort dans son étable sans qu'on s'en rende compte, puis sans qu'on s'en inquiète. Deux fils fous, et un troisième poète, ce qui ne vaut guère mieux, la preuve, c'est qu'on l'enferme avec les deux autres quand ceux-ci ont fait des bêtises — leur jeu préféré est de tendre un câble au travers de la route pour provoquer des accidents. Quant à « la masse indolente appelée maman », quand elle ne peut plus gérer la situation, elle se roule dans un sac d'engrais vide et va dormir dans un abribus, pour ne rien user à la maison.
Autour d'eux gravite un monde aveugle. Un maire anéanti par la mort de son frère jumeau, un notaire écartelé entre sa collection de livres anciens et son addiction aux jeux électroniques débiles, une fille colloquée à l'asile à la suite d'un conflit avec sa mère et consciencieusement violée par les deux frères à chacun de leur séjour à l'asile, tandis que le personnel médical choisit de croire à de l'automutilation pour ne pas avoir à intervenir. Et puis Agathe, son amie, qui rêve d'Amérique avec un amant velléitaire.
Tout cela fait-il un roman ? Oui, par l'incroyable imagination de
Clotilde Escalle, qui multiplie les situations absurdes, les coups de tête ou de théâtre. de petites trouvailles inattendues, comme celle de la folle qui défait fil à fil les draps de l'asile pour se confectionner une robe de mariée. Oui, parce que chaque personnage a sa complexité, ses délires, ses instants de lucidité, son passé, ses rêves, ses déceptions… Surtout face à un quotidien trop banal, dans un univers trop minable, où le temps s'entasse comme dans une salle des fêtes défraîchie. Proies fragiles pour un monde de faux rêves, de cadeaux inutiles et de paillettes, la télévision, le supermarché, l'Amérique, les jeux vidéos…
Oui, surtout, parce qu'il y a un ton, à la fois révolté et résigné ; un humour pince sans rire qui démultiplie la violence ou la crudité du propos ; une écriture, surtout, faite d'images fortes, d'associations surprenantes, de personnification de concepts abstraits, de raccourcis audacieux, d'un mélange permanent des personnes grammaticales qui nous oblige à nous projeter constamment de la tête d'un personnage au monde environnant. Certains passages élèvent le rouge à lèvres de supermarché ou un adultère mondain à la dimension d'un récit épique. Un récit à la fois glaçant et loufoque, stimulant et désespérant. Car même si l'on a le ciel dans la tête, on sait que « les routes seront toutes mangées par la terre, nous aussi par la même occasion. »