Daniel Cérézuelle nous propose une approche de la pensée de
Bernard Charbonneau. Il prévient que ce dernier n'a pas théorisé ses réflexions parce qu'il voulait rester proche de la parole de chacun dans l'objectif de faire prendre conscience et d'induire une action individuelle.
Il s'avère que
Daniel Cérézuelle facilite la compréhension de certains passages de l'oeuvre en question, quelques peu difficile d'accès. Dans cette complexité et cet appel à l'action résident peut-être les raisons pour lesquelles Charbonneau a été peu publié en son temps et a échoué à communiquer sur le terrain, comme il est souligné également dans le texte.
Quoi qu'il en soit le philosophe et sociologue
Daniel Cérézuelle nous permet d'accéder à une somme importante – tant par la profondeur que par la quantité – d'analyses qui, depuis les années 1930 et jusqu'à sa mort en 1996, le professeur et instigateur de cercles de réflexion intellectuelle
Bernard Charbonneau a mis par écrit, afin de les préserver en toute dernière extrémité.
Il serait vain de vouloir résumer ce volume, fragment d'une globalité qui s'est développée au cours du temps. Là n'est pas mon propos. En revanche, pour tenter d'en donner les grandes lignes, disons tout d'abord que le mot NATURE s'applique ici dans le sens de la nature humaine, d'un soi propre, individuel et intrinsèque et ne définit pas expressément la nature d'ordre végétal quand bien même elle est prise en compte, à travers la nature humaine et dans ses rapports avec l'environnement.
Charbonneau ne se positionne pas contre la société, mais démontre que le développement galopant d'une société dépersonnalisante est un échec pour l'humanité. Il annonce un désastre et appelle à une reconversion de la société – ce qu'il appelle « la grande mue » (un terme de nature animale, s'il en est. Il n'a pas dit « mutation ») – afin de reconquérir chaque parcelle de liberté dévorée par
l'état à propension totalitaire.
C'est avec surprise parfois que l'on découvre les contradictions, les paradoxes et les aveuglements conscients ou inconscients qui sont à l'oeuvre dans ce que l'on a appelé le progrès. Qu'est-ce que la liberté? Charbonneau en donne diverses propositions : un arrachement difficile à une soumission larvée, un acte personnel d'amour de soi et envers le monde, une action qui met en accord les besoins et la vie quotidienne... Pourquoi le progrès est-il liberticide ? Selon lui « l'homme est un animal qui rêve de liberté mais ne la supporte pas » (p 35). Étant donné que « les hommes [sont] incapables de maîtriser les outils et leur puissance. Seule la démission de l'esprit rend possible le déploiement de « la force des choses » (p 51-2). Les différentes structures et leur « croissance démesurée est une réponse au désir des individus de se défaire de leur liberté et de se confier à la force des choses » (p 51). le genre humain (dirai-je) préfère s'aveugler plutôt que de le reconnaître.
Charbonneau creuse les fondements de
l'étatisation des pouvoirs depuis le gouvernement dit « libéral » et les partis en « isme » (communisme, socialisme, fascisme, etc.) conduisant à l'automatisation des appareils sociaux, la dépersonnalisation bureaucratique, la déresponsabilisation des individus et la domination totalitaire. La suprématie de la science versus l'expérience humaine et la croissance du profit au dépend de la culture dite « gratuite » ont déshumanisé le cadre et le mode de vie.
Charbonneau n'est ni pessimiste ni défaitiste : « la puissance est bonne » (p 171). Mais afin que homo reste sapiens et que les « prémonitions » d'Huxley et de Wells n'adviennent pas, il préconise un seuil à maintenir et un équilibre à trouver entre autodestruction programmée et anthropocentrisme justifié.
Les analyses percutantes de Charbonneau ne peuvent laisser indifférent aujourd'hui où tous s'accordent à confirmer le diagnostic passé inaperçu du vivant de l'auteur. Quant à l'action révolutionnaire qu'il entrevoyait, elle est aujourd'hui d'une urgence civique.
anne.vacquant.free.fr/av/