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EAN : 9782227473805
90 pages
Bayard (25/03/2004)
4/5   2 notes
Résumé :
La thèse de Voegelin a été développée par lui dès 1952 : il s’agit d’interpréter les grandes idéologies de notre modernité (communisme et nazisme) à la lumière des courants gnostiques qui ont milité en faveur d’une Rédemption strictement temporelle et sous contrôle humain (ou dit plus simplement : interprété le communisme ou le nazisme comme des religions dégradés [= gnoses]).
Hegel, Marx, Nietzsche et Heidegger ne sont plus analysés comme des ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Transcription d'une conférence donnée par Eric Voegelin, ce livre est un « bref rappel de ce savoir nouveau sur la gnose antique et la gnose politique moderne ». La gnose et le gnosticisme m'embêtent toujours considérablement : l'un n'est pas assimilable à l'autre (bien qu'ils semblent ici devoir se confondre) et il existe autant de définitions de ces deux mots qu'il existe de différentes chapelles idéologiques. Pour une étude un peu sérieuse des différents sens de la « gnose » dans une perspective historique et dans le cadre, au moins, de notre tradition, je ne peux que conseiller de s'en référer à Jean Borella. Comme le souligne un auteur plus récent (Marc Lebiez), à l'époque où Eric Voegelin se consacrait à ses études liant politique et résurgence gnostique, la gnose « avait été à la mode » - ce qui explique sans doute pourquoi aucune définition claire de ce mot n'est donnée.


Bref. La démarche critique de E.V. est louable mais sa définition floue et généraliste de la gnose comme strictement rattachée aux origines du christianisme en tant qu'il s'agirait des hérésies que le dogme a combattues contient implicitement une drôle de critique du christianisme. E. V. souligne l'opposition de deux ordres, le spirituel et le temporel, la réduction au seul ordre temporel dans le cadre du gnosticisme aboutissant à la sécularisation. Il me semble que la partition entre le christianisme et le gnosticisme, entendu comme volonté de diviniser l'homme sur terre, est essentiellement d'un autre ordre. Il serait plus juste de dire que le christianisme est reconnaissance de la division fondamentale, tandis que le gnosticisme est croyance de la possibilité de former une unité en ce monde sur le modèle de l'unité primaire et régressive intra-utérine. En ce sens, le gnosticisme n'est pas une tendance de l'esprit qui serait un surgeon du christianisme mais l'état d'esprit caractérisant en propre le paganisme.


Le rapprochement entre le gnosticisme et le progressisme tel que le propose E. V. est certes prometteur. Une démonstration peut se lire ici : https://viveleroy.net/la-gnose-mere-de-la-modernite-par-eric-voegelin/ (j'apprends que ce livre « Science, politique et gnose » n'est plus imprimé et que ses exemplaires se vendent au modeste prix de 250 euros). le dénominateur commun de l'humanisme, du positivisme, du progressisme et du scientisme est la croyance en la possibilité d'accomplir l'Un sur terre. Pour les gnostiques, ce rêve prend la forme de l'empêchement : nous pourrions accomplir l'Un si le mauvais Démiurge ne nous mettait pas des bâtons dans les roues. Pour les progressistes, ce rêve prend la forme d'une avidité liée à l'expansion conquérante des choses dans l'ordre de l'immanence. Les effets sont à peu près semblables.


E. V. suppose que l'ébranlement produit par la transformation radicale du régime des connaissances dans la seconde moitié du XIXe siècle a été tel « qu'on ne fut plus capable de reconnaître la nature du courant gnostique quand il parvint à sa phase révolutionnaire » (Philippe Muray l'a pourtant reconnu dans tout son éclat dans son "19e siècle à travers les âges"). E.V. ouvre son enquête en se demandant dans quels paradoxes des nouvelles formes du discours courant le gnosticisme pourrait bien se dissimuler.


E.V. commence par Marx qui en prend pour son grade. le socialisme est construit sur un tel tas de merde qu'il ne peut survivre qu'à la condition que l'individu ne pose pas de questions. « Quand l' « homme socialiste » parle, l'homme doit se taire » parce qu'on « ne peut tolérer de questions qui supprimeraient le système en tant que forme de pensée ».


Il se tourne ensuite vers Nietzsche, qu'on apprécie généralement plus que Marx, mais tant pis. Il va prendre cher lui aussi. E.V. conspue Nietzsche en tant que représentant de ces intellectuels qui se considèrent comme spirituellement autonomes et qui pensent pouvoir s'émanciper des autorités et institutions spirituelles. Il s'appuie à cette fin sur le « Chant nocturne ». le corpus est un peu maigre, et l'interprétation premier degré, mais admettons. Dans l'article en lien ci-dessus apposé, E. V. semblait moins critique vis-à-vis de Nietzsche puisqu'il lui reconnaissait avoir « révélé ce mystère de l'apocalypse occidentale en annonçant que Dieu était mort et qu'il avait été tué ». Cette reconnaissance reste toutefois critique si la révélation de Nietzsche fut commise à son insu, et comme bien malgré les nouveautés qu'il voulait annoncer à l'homme.


Vient ensuite le tour de Hegel dont le but serait, selon E. V., de faire refluer la philosophie vers la gnose en brouillant les pistes par l'usage d'un vocabulaire ontologiquement flou. Il l'affirme en vertu de ce jugement : « La philosophe naît de l'amour pour l'être ; elle est l'effort aimant de l'homme pour connaître l'ordre de l'être et pour s'y conformer. La gnose veut dominer l'être ». L'opposition entre philosophie et gnosticisme est surprenante. D'aucuns diraient que la philosophie a toujours été, et sera toujours, une forme de gnose.


Marx, Nietzsche, Hegel…
Vous savez bien ce qui va suivre.
Eh oui !
C'est Heidegger.
Pas de surprise.
Il sauve la mise. On essaie de comprendre pourquoi.


« L'être, dans la spéculation heideggérienne, étayé par le sens grec fondamental de parousia, est interprété comme être-présent (An-wesen). L'être ne doit pas être compris de manière statique, comme une substance, mais sur un mode dynamique, comme être-auprès-de au sens d'une venue à la présence, comme un surgissement ou un apparaître […]. »


Parfois, l'être est là (théisme), parfois il n'est pas là (athéisme). Parfois il y a des hommes pour s'ouvrir à Dieu, parfois ils ne veulent plus, ils font d'autres trucs. Voilà, Dieu est mort. « Au cours du processus historique, il peut donc y avoir des époques de déclin de l'être présent vers ce qui serait son absence, et dont l'être-là ne peut réchapper que s'il s'ouvre de nouveau à la parousie de l'être. » Cette proposition n'est pas certifiée gnostique.


Heidegger permettrait donc selon E.V. de s'échapper tranquillement du gnosticisme en admettant qu'il ne s'agisse que d'une phase transitoire de la manifestation de l'être, en soi et pour la foi humaine, mais il le condamne aussi au passage en rappelant que le déclin de l'être ne peut épargner l'homme que si celui-ci s'ouvre à nouveau à la parousie de l'être, au lieu de se battre contre un dieu déjà absent depuis longtemps.


Cette conclusion heideggérienne n'est pas sans me surprendre mais elle traduit certainement les réticences d'E. V. à se montrer strictement orthodoxe vis-à-vis du catholicisme, quand bien même il semble par ailleurs se désoler du succès croissant qu'a connu le gnosticisme depuis au moins le 12e siècle – avec Joachim de Flore. Heidegger n'était-il pas lui aussi une forme de représentant du gnosticisme intellectuel, comme Hegel ?


En dépit de ses paradoxes, ou peut-être grâce à eux, cet ouvrage donne envie d'en savoir un peu plus sur les thèses et hypothèses de E.V. qui ne sont pas sans exercer une certaine séduction sur l'esprit de quiconque se trouve parfois las des niaiseries optimistes de la « modernité ».
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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
Je l’ai fait précéder de la question de savoir si le penseur gnostique voulait vraiment être Dieu ou si l’assurance de sa volonté n’était pas elle aussi une duperie. Le « Chant nocturne » [de Nietzsche] semble admettre la duperie – le penseur ne veut pas être Dieu, il lui faut l’être pour des raisons rebelles à tout examen. Face à cette seconde assurance, dépassant la première, surgit la question : devons-nous l’accepter ? Devons-nous considérer comme achevé le jeu des duperies ? Je ne le crois pas. Poursuivons le jeu et demandons-nous si le « Chant nocturne » ne serait pas lui aussi un masque. Gardons en mémoire que Nietzsche avoue connaître son exclusion et en souffrir ; retournons son aveu contre lui et posons la question suivante : celui qui perçoit sa situation comme un désordre irrémédiable de l’âme doit-il vraiment faire de nécessité vertu en érigeant cette condition en une image rectrice humaine ? Ses manques justifient-ils qu’il se livre à des danses dionysiaques en portant des masques ? Demandons-nous, avec la brutalité à laquelle l’époque nous contraint, si nous ne voulons pas en être les victimes, s’il n’eût pas plutôt eu l’obligation de se taire ? Et si sa plainte était plus qu’un masque, si elle était sincère, s’il souffrait de son état, ne se tairait-il pas ? Or Nietzsche ne se tait pas du tout ; et son éloquence est la preuve contraignante que sa plainte se situait seulement dans le domaine de sa compréhension empathique mais que, se dressant contre Dieu, il ne la laissait pas toucher au cœur de son existence, la preuve qu’elle n’était pas sincère, qu’elle était un masque.
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On savait fort bien que, au cours du siècle des Lumières et au sein de l’Idéalisme, le courant gnostique s’était acquis une considérable importance dans le domaine social.
Le statut du savoir et de la compréhension qu’avait de soi la culture occidentale n’a été ébranlé, sur ce point comme sur bien d’autres, qu’à l’époque libérale, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, lorsque se sont développées les sciences positivistes de l’esprit et de la société. Cet ébranlement fut si profond qu’on ne fut plus capable de reconnaître la nature du courant gnostique quand il parvint à sa phase révolutionnaire. Les mouvements qui se rattachaient à Marx et Bakounine, le premier léninisme, le mythe sorélien de la violence, le courant du nouveau positivisme, les révolutions communiste, fasciste et national-socialiste ressortissent à une situation profonde de la science et du savoir qui, au regard actuel, est déjà révolue. L’Europe ne disposait pas d’instrument intellectuel pour saisir l’effroyable qui était en train de se produire. […] on disposait des linéaments d’une sociologie de la puissance et des formes de domination ; mais il n’existait aucune discipline scientifique traitant des courants d’idées et des mouvements de masse non chrétiens et non nationaux qui menaçaient d’une dissolution imminente l’Europe chrétienne constituée d’États nationaux. […] Il fut question de courants néopaïens, de nouveaux mythes sociopolitiques ou de mystiques politiques […].
La situation confuse du savoir, et par suite l’impossibilité de saisir correctement les événements politiques, a duré jusqu’à l’ère national-socialiste, c’est-à-dire jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, et, pour la majeure partie du public, cette situation insatisfaisante se prolonge aujourd’hui encore […].
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Délivrer l’homme du monde implique d’abord que la possibilité d’une délivrance soit inscrite dans l’ordre de l’être. L’ontologie de la gnose antique la garantit à travers la foi dans un dieu « étranger », « caché », qui vient en aide aux hommes, leur dépêche ses envoyés et leur indique la voie qui leur permet de quitter la prison instaurée par le dieu mauvais de ce monde (qu’il s’agisse de Zeus, de Yahvé ou d’un autre des anciens dieux-pères). Dans la gnose moderne, cette possibilité est gagée sur la conjecture qu’il existe un esprit absolu parvenant à lui-même en se dégageant de l’aliénation au terme d’un développement dialectique de la conscience, ou sur celle qu’un processus dialectique et matérialiste de la nature conduira, par-delà une aliénation incarnée par Dieu ou la propriété privée, à la liberté d’une existence pleinement humaine, voire sur l’hypothèse d’une volonté de la nature qui entraînera l’homme à se transformer lui-même vers le surhomme.
Au sein de cette possibilité ontique, c’est à l’homme gnostique lui-même qu’incombe la tâche d’œuvrer à sa délivrance. De par sa psyché il est partie prenante de l’ordre du monde, de son nomos (« loi ») ; ce qui, en lui, le pousse vers la délivrance, c’est le pneuma (« souffle »). […] L’instrument de la délivrance est la gnose elle-même.
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La perte de sens de l’existence due [au 7e siècle av. J.C.] à l’effondrement des institutions, des cultures et des liens nationaux a suscité, à titre de réponse, des tentatives de comprendre d’une manière neuve l’existence humaine, de retrouver un sens à l’existence dans les conditions données de la vie ici-bas. Parmi ces tentatives […] figurent : l’interprétation nouvelle de l’homme par les stoïciens, pour qui la polis était désormais dépourvue de sens, et qui faisaient de lui un polites (citoyen) du cosmos ; la vision polybienne d’une création fatale de l’œcoumène pragmatique par Rome ; les religions des mystères ; les cultes héliopolitiques des esclaves ; l’apocalyptique juive ; le christianisme et le manichéisme. C’est dans cette série de créations nouvelles de sens que prend place, comme l’une des plus grandioses, la gnose.
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[…] voici un penseur [Marx] qui sait que sa construction s’effondrera dès que quelqu’un posera la première question philosophique. Le fait de savoir cela ne le pousse-t-il pas à renoncer à cette construction indéfendable ? En aucune manière. Cela ne le pousse qu’à interdire les questions. Or cet interdit nous pousse à nous demander si Marx était un charlatan.
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