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EAN : 9782204050005
119 pages
Le Cerf (17/10/1988)
5/5   2 notes
Résumé :
Ecrit en 1938, alors que Voegelin venait d'être interdit d'enseignement par le nazisme, Les Religions politiques analyse la montée en puissance des mouvements de masse totalitaires dans l'entre-deux-guerres, et cherche à déterminer quel est leur noyau religieux et métaphysique. C'est dans la dynamique même de la modernité qui amena avec elle la "décapitation de Dieu" et l'idée d'humanité qu'Eric Voegelin décèle les origines de la crise qui affecte son époque. Dans u... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
L'histoire de l'Occident a séparé les notions d'Etat et de religion. Voegelin les joint en faisant remarquer que la définition de l'Etat, loin d'être séculière, abrite la justification autotélique de son pouvoir originaire : l'Etat est une puissance indépassable qui fait vivre l'individu sous ses lois absolues et lui fait croire en la nécessité du meurtre de qui s'y oppose ou s'en trouve en dehors. A l'inverse, la religion s'effondre souvent par la pratique dans des figures matérielles, intramondaines, qui voilent Dieu et attachent le sentiment religieux, où l'homme ne se conçoit plus au monde que comme une créature soumise à une autorité. Religion et Etat se chevauchent donc et Voegelin place la vérité la plus élevée dans la Religion, puisque c'est elle qui vise à l'absolu, au-dessus même des Etats. Il parle alors de religion intramondaine pour celles qui « trouvent le divin dans des éléments partiels du monde » et de religion supramondaine pour celle qui le trouve dans le fondement du monde. Cet absolu qui dépasse l'homme et auquel il se soumet est nommé le « Realissimum ».

C'est dans l'ancienne Egypte que l'on trouve l'exposition du problème de la distinction pratique entre les religions supramondaines et intramondaines. le culte monothéiste d'Akhenaton survient lorsque, dépassant ses frontières, l'ancienne Egypte se met à croire en un empire mondial. Akhenaton, fils du nouveau dieu Aton, source du dieu visible Rê, devient le « Realissimum ». Celui-ci n'est pas compris de la population qui n'entretient aucun lien avec cette puissance lointaine qui entend certes soumettre le monde, mais ne contient aucun élément d'éthique personnelle. le culte d'Aton ne résiste pas à cette lacune structurelle et le monothéisme, dont les figures divines locales (Osiris, Rê, etc) répondent mieux aux interrogations de la vie quotidienne, se réinstalle.

Par la suite, l'idée d'assimiler le « Realissimum » au soleil, source unique de rayonnement, s'installe comme point le plus élevé de toute hiérarchie sociale : depuis Plotin à Louis XIV en passant par Maïmonide, Dante et Jean Bodin, théoricien de la monarchie française, qui donnera le modèle décliné de la hiérarchie des Etats européens - même après la « décapitation de Dieu ». En effet, chez Bodin, le souverain n'est plus comme Akhénaton le seul médiateur de Dieu. Les sujets entretiennent par « la croyance chrétienne » un rapport direct à lui. Les sujets sont liés aux magistrats, au roi et à Dieu ; les magistrats au roi et à Dieu ; le roi à Dieu. La hiérarchie sociale, plus étriquée, résiste à la disparition de Dieu.

C'est d'autant plus vrai que s'ajoute l'idée chrétienne de l'assimilation de la communauté à celle du corps. le « penuma » du Christ, son contenu spirituel, s'écoule dans le corps des membres qui forment la communauté. C'est le principe du rayonnement qui, repris et renforcer, « fait corps ». L' « ecclesia », ce corps intramondain unifié par le « pneuma » donne son modèle à toutes les religions intramondaines dont l'Etat de la Révolution et celui de la troisième République françaises sont les plus emblématiques.

Pour que s'érigeassent des religions intramondaines, il fallut la séparation du spirituel et du temporel afin que le temporal s'arrogeât les prérogatives du « Realissimum » de la religion supramondaine. Saint Augustin justifie la faiblesse du christianisme à n'avoir par su protéger l'empire romain chrétien de la dislocation et ses hommes de la violence en développant l'idée spéculaire de la cité des hommes et de celle de Dieu, où reste absente pourtant la réalité institutionnelle. Thomas d'Aquin, qui vit dans une réalité sociale faite d'Etats autonomes, l'insinue pour justifier la subordination de la fonction princière à l'ecclésiastique. Frédéric II, conquérant de Jérusalem et roi de Sicile, libère l'Etat de cette subordination en assimilant par sa personne la fonction ecclésiastique. Sa désignation d'Antéchrist par le pape est révélatrice de la concurrence que l'Etat oppose alors à l'Eglise – et de la création d'une religion politique.

Joachim de Flore au XIIème siècle interprète religieusement l'histoire et conçoit qu'un troisième règne, après celui de l'Ancienne Alliance et celui du Christ, annoncé par le « DUX », le guide, consacre celui du Saint Esprit. L'ordre social est alors envisagé sans plus aucun attachement intramondain, sans plus d'institution, dépendant exclusivement d'une activité contemplative et spirituelle. Ce troisième règne est celui de l'Apocalypse et se retrouve dans l'idée d'un être spirituel des religions politiques modernes : la raison humaine, le progrès des Lumières ou comme croyance populaire au XIXème siècle. Cette idée fait naître de nouveaux ordres : la franc-maçonnerie qui oeuvre prétendument au bien de l'Humanité, qui s'inspirent de ce « troisième règne » : troisième Reich, troisième Rome fasciste, trois stades de l'Histoire de Marx et Engels ; dont les initiateurs sont la figure du DUX ; et qui se conçoivent dans la disparition des institutions : dépérissement de l'Etat, association fraternelle communiste.

Avant ces réalisations pratiques où l'Etat absorbe le religieux en prétendant s'en affranchir, Thomas Hobbes les théorisent en affirmant au contraire la puissance de l'Etat. Sa monarchie absolue, où les membres de la communauté se lient par contrat pour accorder à un souverain la charge d'assurer leur paix, revient à une forme d'organisation proche de celle d'Akhénaton où le lien entre les hommes et Dieu passe par le souverain. En cela, il s'inspire de l'Ancienne Alliance. le Léviathan fait de la communauté, le Commonwealth, cette personnalité autocentrée, symbole de l'Etat, de la religion politique, dont le souverain est chef de la communauté comme Abraham l'était dans sa famille. La venue du Christ n'a rien changé ; son royaume du pardon est d'un autre monde et c'est la soumission à Dieu des souverains qui fait d'eux les maîtres des « ecclesiae ». le clergé catholique, qui entend organiser un Commonwealth seulement spirituel, sans le pouvoir de faire respecter par une loi étatique la Bible et le christianisme, ne suit pas le modèle du Commonwealth : elle est donc l'oeuvre du diable. Avec Hobbes, dans son refus de séparer le temporel et le spirituel, c'est le religieux qui est soumis à l'Etatique.

La symbolique moderne repose elle sur une justification scientifique. C'est la science qui porte la légitimité de l'organisation sociale et explique l'apocalypse comme organisation sociale sans institutions, comme règne final. Ce règne n'est plus, comme chez Joachim de Flore , mais, sous l'influence de Hobbes, « l'état terrestre d'une humanité accomplie » . Chez Fichte, Comte, Marx, la survenue de l'apocalypse dépend de la mission d'une communauté particulière : les Allemands, les Français, les prolétaires. Chez Kant et le cosmopolitisme, c'est l'humanité toute entière qui accède au règne final et le fait advenir sous l'empire de la raison. Des critiques s'élèvent pour démontrer que la prétendue scientificité repose sur la défense d'intérêts bien précis. Mais rien n'y fait, le symbole, puissance d'unification résiste – et c'est la vérité qui est transformée. L'Apocalypse « naïve » - celle qui reposait sur des considérations admises sans avoir été critiquées – devient « consciente » : elle conserve des symboles contestables pour le gain d'unification qu'ils fournissent – et s'avance alors maintenant sur le « mythe ». le mythe ne résiste pas à la critique scientifique et ne peut se justifier par une vérité extramondaine : on le justifie alors par « un nouveau concept de vérité que Rosenberg a défini comme le concept de la vérité organique ». Déjà chez Hobbes, ce qui dérange l'ordre du Commonwealth doit être rejeté. Chez Rosenberg [sic], toute vérité doit être utile à l'union de la race. le promoteur d'une telle organisation sociale est prêt à connaître les ressorts psychologiques d'adoption et de création des mythes, sans se laisser perturber par l'artifice de leur élaboration puisqu'ils sont rendus nécessaires par la cohésion sociale. Naît la propagande « de l'homme qui conçoit la religion de cette manière ». Ainsi quand le collectif devient le « Realissimum », l'homme individuel devient un instrument de la réalisation du destin collectif. Sa vie n'a plus de fins en regard d'une union avec Dieu, elle est tout entière investie dans la technique et le savoir développé pour la cohésion du collectif. L'interrogation de la place de la dignité humaine chez des hommes instrumentalisés ne se pose plus puisque l'instrumentalisation est la manière de vivre en Dieu.

le fascisme italien et le national-socialisme allemand relèvent de cet ordre social fondé sur le mythe et l'élévation de la collectivité au rang de « Realissimum » par le mythe. Un problème se pose : si la population est divinisée, comment justifier que sa voix ne soit pas celle de Dieu ? C'est qu'il faut expliquer que la réalisation du « Realissimum » populaire est l'Etat sans lequel il ne peut s'épanouir et que sa voix est celle du DUX, du souverain hobbesien ou du Führer. Ce dernier doit être plébiscité puisqu'il est la voix populaire ; tandis que, s'il ne l'est pas, il doit agir contre la population dont la voix discordante n'aura été qu'une subjectivité arbitraire – car la population elle-même est animée par un « pneuma » dont elle n'a pas conscience, force originaire de l'esprit du peuple, Volksgeist ou Volontà obiettiva. de même qu'Akhénaton était le lien exclusif entre Dieu et les hommes, « c'est seulement au Führer que parle le Dieu ». Ainsi les chantres du national-socialisme font-ils les louanges du Reich en puisant aux symboles primitifs du vécu de la condition de créature où le plaisir est réalisation de l'instinct et où les agitations religieuses se libèrent certes dans le « Realissimum », mais celui de la communauté intramondaine, le peuple, et non plus Dieu. le règne de la religion politique a commencé puisque Dieu est décapité.

En épilogue, au-delà des distinctions théoriques entre spirituel et temporel, une organisation sociale ne peut se comprendre sans la présence du religieux car il s'y trouve nécessairement du fait que les hommes y vivent pleinement avec aussi bien leur conscience rationnelle que leur sentiment religieux. de même, du point de vue religieux, en reprenant le « Francfortois », toute attitude qui mène l'homme à s'approprier et à devenir, le fait s'éloigner de Dieu. La réalisation de l'Etat se produit donc dans la haine et l'abandon de Dieu – qui contient le Mal. Et de ce point de vue aussi, l'organisation sociale, par aversion, se conçoit en lien avec le religieux.
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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
La perpétuation de la communauté corporelle chrétienne dans le solidarisme française est reconnue par les penseurs pourtant hautement laïques de la troisième République, et l'idée de solidarité est désignée comme une version sécularisée de la charité chrétienne.
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... l'ordre établi par Bodin est resté le modèle de l'ordre interne des Etats européens et a perduré jusqu'aux théories sécularisées modernes des ordres juridiques. La hiérarchie immanente à l'Etat des fonctions et des normes s'est autonomisée et fut capable, après la décapitation de Dieu, de s'accorder avec n'importe quelle symbolique de légitimation.
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[Chez Kant] l'humanité devient le grand collectif au développement duquel chaque homme doit apporter sa contribution ; elle est clôturée mondainement, elle n'avance qu'en tant que totalité, et le sens de l'existence individuelle devient l'action instrumentale en vue du progrès collectif.
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La symbolique de l'"ecclesia" intramondaine complètement clôturée sur elle-même ne devait pas aller bien au-delà du symbole du Léviathan - le seul pas décisif sera la décapitation de Dieu.
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Nous sentons maintenant déjà plus clairement ce qui est en jeu : il ne s'agit pas de la validité d'une définition [de l'Etat], mais il y est question de vie ou de mort ; même plus : il s'agit de savoir si l'homme peut exister personnellement, ou s'il doit se dissoudre dans un "Realissimum" qui le dépasse. Le contact d'homme à homme est interrompu, des figures spirituelles inhumaines se font face, et l'homme est transformé en un simple rouage jouant mécaniquement dans l'engrenage, se battant et tuant abstraitement vers l'extérieur.
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