Ce tome est le dernier de la série. Il contient les épisodes 56 à 60 parus en 2012. Il fait suite à À couteaux tirés (épisodes 50 à 55). Tous les scénarios sont de
Jason Aaron et les dessins de
R.M. Guéra.
Comme le lecteur pouvaient s'y attendre, tout finit bien : ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. Oups ! Pardon, je me suis trompé d'histoire.
À nouveau la question se pose de savoir ce que le lecteur attend de la fin d'une série en 60 épisodes, avec une parution étalée sur 5 ans, des personnages tous plus mémorables les uns que les autres, un niveau de violence très élevé, un environnement historique et social présent et pesant, etc. Pendant toutes ces pages, Aaron et Guéra auront emmené le lecteur dans des endroits crédibles et développés, à la suite de personnages complexes, aussi repoussants qu'attachants. Quelques interrogations basiques. le récit dispose-t-il d'une fin claire et définitive ? Oui, les intrigues débouchent toutes sur une résolution satisfaisante. La fin est-elle ouverte pour une suite ? Non, Aaron n'a pas joué à ce jeu là. Il pourrait éventuellement se resservir de l'environnement que constitue la réserve Prairie Rose et de quelques personnages, mais ce ne serait pas un Scalped II. le lecteur éprouve-t-il un sentiment de clôture du récit ? Oui, l'histoire est belle et bien finie.
Dans ce tome, Aaron et Guéra prennent soin d'en donner pour son argent au lecteur. Il y a comme d'habitude les illustrations substantielles, intelligentes, crédibles, pleines de saveur de Guéra. C'est un vrai plaisir que de pouvoir contempler une dernière fois tous les principaux personnages de la série, ainsi que la majeure partie des seconds rôles, d'admirer les pickups, une cellule de prison, les espaces sauvages autour de la réserve, l'intérieur du casino, etc. Au fur et à mesure des pages qui se tournent, le lecteur prend conscience qu'il voit ces individus et ces lieux pour la dernière fois, que Guéra les a fait prendre vie et évoluer sous yeux, avec le détail juste, la particularité mémorable, le souci de l'authenticité. Ces épisodes constituent autant un dernier adieu, qu'un rappel de tous ces moments lectures passés aux cotés de ces personnes, dans ces endroits uniques.
Évidemment, Aaron fait en sorte de faire défiler une dernière fois les personnages de la série pour que le lecteur puisse faire ses adieux, pour donner une forme d'aboutissement à leur vie de papier, en laissant présumer que leur vie continue au-delà de la dernière page. En cela, Aaron reste fidèle à sa narration : les personnages ont acquis une existence propre et leur forte personnalité assure au lecteur qu'ils continueront à exister après la fin du dernier tome, un succès pour tout narrateur quel que soit son mode d'expression. Ce dernier tome ne se résume pas à un simple épilogue, l'action continue, la violence se déchaîne, les personnages encaissent et font des choix plus ou moins heureux. Aaron reste fidèle aux autres thèmes qu'il a développés précédemment : système de croyances des amérindiens et répercussions des manquements des parents sur leur progéniture, motivation profonde des individus, trait de caractère fondamental de chaque personne. Dans ce sens Aaron respecte son lecteur, reste cohérent du début jusqu'à la fin dans sa manière de raconter.
Est-il possible d'être déçu par la fin du récit ? Cela renvoie à la question de départ de l'attente du lecteur. Aujourd'hui la plupart des récits populaires sont calqués sur le principe du crescendo : chaque composante du récit doit augmenter d'intensité vers une explosion maximale pour la fin, apportant une résolution tranchée et définitive. Ce type de fin semblait mal adapté à la série Scalped qui a développé des personnages, des destins sur le long terme. Au fil des tomes, les personnages ont pris le dessus sur l'intrigue pour exister et devenir plus intéressants par eux-mêmes que comme simple moyen pour développer une intrigue. Leur apparence, leur langage corporel, leurs convictions, leur façon de s'exprimer les ont fait exister à tel point que chaque scène avait plus d'intérêt pour elle-même que comme étape vers une révélation ou un affrontement. de ce point de vue, la fin du récit est cohérente avec le reste. Les survivants ont encore une vie devant eux, sans aucune promesse d'un avenir radieux, avec le danger très présent d'une violence aveugle.
Ce tome se termine avec une postface de 2 pages de
Jason Aaron expliquant comment cette série a débuté comme une proposition de reprise d'un personnage obscur de DC (Brian Savage surnommé Scalphunter) dans une version Vertigo, pour devenir Scalped. Il remercie chaleureusement tous les lecteurs pour le succès de la série qui lui a ouvert de nombreuses opportunités professionnelles. Il y a enfin un dessin original de Guéra pour prendre congés, ainsi que 7 pages de recherches graphiques pour définir visuellement les personnages.
"Scalped" aura été une série exceptionnelle de bout en bout, un polar noir, impeccable du point de vue du scénario et des illustrations, sans délayage, sans être rallongé artificiellement pour augmenter les bénéfices. J'espère de tout coeur que
Jason Aaron n'est pas le scénariste d'une seule histoire, et qu'il lui en reste d'autres de cet acabit à raconter. J'espère également que
R.M. Guéra continuera d'illustrer des bandes dessinées, de préférence associé à un scénariste de la même trempe qu'Aaron. Il ne reste plus qu'à souhaiter qu'ils collaboreront à nouveau sur une autre série.